8
Quand je fus enfin chez moi, frigorifié, il était bien trop tard pour songer à prendre une douche.
Tant pis pour l'odeur de brûlé qui collait à mes vêtements. Je n'avais même plus la force de me servir un verre d'eau et avaler une aspirine.
J'étais bon pour me coltiner une solide gueule de bois. Heureusement que je n'étais pas de service – les supérieurs m'avaient accordé un congé exceptionnel suite aux événements d'aujourd'hui. Un milicien qui vous arrête et qui est encore plus saoul que vous, ce n'est pas très bon pour le facteur autorité.
Je faillis trébucher sur Beatlik, jurais, puis allais me coucher après avoir jeté ma veste et mes chaussures par terre.
Je m'endormis d'un bloc.
— OUVRE CETTE PORTE, ESPECE DE SALE PUTE !
Mes paupières s'ouvrirent d'elles-mêmes alors que le réveil indiquait trois heures et demie du matin.
— OUVRE MOI CETTE FOUTUE PORTE, TU M'ENTENDS ?
Une solide migraine me sciait les tempes.
J'émergeais complètement que lorsque je me redressais complètement dans le lit.
Il régnait un vacarme monstre dans le couloir.
Quelqu'un semblait vouloir démolir les murs, ou pis encore.
C'était vraiment proche. Je me frottais les yeux.
— Allez, Katia ! Katioucha... Ouvre-moi... Je t'en prie... S'il te plaît, gémit une voix incertaine, aussitôt suivie d'une série de coups sourds.
Puis le fracas du métal envahit les ondes sonores tandis que l'individu, apparemment beurré comme ce n'était pas permis, s'acharnait sur la porte à coups de pied rageurs.
— Salope ! Ouvre-moi, tu m'entends ?!
— Moi, je t'entends très bien, en tout cas, marmonnais-je en me massant les tempes.
Je ne tenais pas très bien debout en me levant. Je dus m'arrêter quelques instants, m'appuyant contre la table pour attendre que le vertige passe.
Ma main attrapa le paquet de Marlboro froissé gisant sur le bureau et presque machinalement, je m'allumais une cigarette, ce qui n'arrangea pas le goût de bile pâteux qui me raclait le palais.
Plissant des yeux à cause de la fumée, je me dirigeais vers la porte, les ourlets de mon jogging traînant le sol dans un froissement.
Dans le couloir, à moitié avachi contre la porte de l'appartement en face, il y avait un type en blouson de cuir, les cheveux ébouriffés et le pantalon tâché de boue.
Il avait clairement abusé sur la bouteille, encore pire que moi.
Il grattait à la porte comme un chiot malheureux.
— Eh, mec, l'interpelais-je d'une voix enraillée. Tu sais quelle heure il est ?
Il se tourna vers moi et me fixa d'un regard embué.
— Je sais pas, répondit-il en étouffant un rot. Et je m'en fous. Vu que t'es là, tu veux pas plutôt m'aider à défoncer l'entrée pour attraper cette pute ?
— Casse-toi, crachais-je.
J'étais fatigué.
J'avais mal à la tête.
L'odeur de spiritueux que le type exhalait me donnait la nausée.
Il ne trouva rien de mieux que de me poser les mains sur les épaules avec un simulacre de sourire fraternel sur ses lèvres gercées.
— Allez, viens, on va la cogner un bon coup, mon gars...
— On ne se connaît même pas ! Tu me prends pour qui, tu crois que je vais aller frapper une nana, hein ? Espèce de connard... t'as absolument aucune dignité, que je lui lance en le repoussant d'un geste brutal du bras.
Perdant subitement l'équilibre, l'homme s'étala sur le sol crasseux les fesses en premier.
Il se mit à siffler comme si je venais de marcher sur un serpent à sonnette.
— Tu vas voir, gémit-il en essayant de se redresser, faisant claquer un cran d'arrêt de facture bon marché dans son poing.
Je le regardais tenter de se mettre debout puis retomber sur son séant à l'instar d'un sac de pommes de terre.
Je hochais de la tête avec désolation.
— Allez, on va arrêter les conneries, maintenant, dis-je d'un ton condescendant en lui retirant doucement le couteau d'entre les mains et en le balançant hors de sa portée.
— Fils de pute, marmonna le type.
Je l'attrapais par le col pour le redresser un minimum et le traînais tant bien que mal vers la cage d'escalier. Ses pieds ballottaient derrière lui, inutiles.
C'était comme transporter un cadavre. Qui puait l'alcool, en plus.
— Tu vas faire quoi, là ? demanda-t-il avec affolement.
Je l'envoyais rouler cul par-dessus tête dans l'escalier.
Il dégringola les marches roulé en boule, pathétique, pour enfin s'étaler sur le palier d'en-dessous en une masse informe.
Soudain pris d'un remord, je me penchais un peu et lui lançais :
— Ça va, mec, tu n'as rien ?
— Nnnnon, me répondit-il d'une voix incertaine.
Je soupirais.
— Bah alors, vas-y, casse-toi.
Il ne se fit pas prier deux fois, bondissant sur ses pieds comme sous l'impulsion d'une décharge électrique.
Quelques minutes plus tard, j'entendis l'épais panneau blindé de l'entrée claquer contre son encadrement.
— Merci, dit une voix faible.
Dans le mince interstice de la porte entrouverte, je vis l'œil brun de Katia.
— J'ai le don d'attirer les connards, continua-t-elle.
Je m'en fichais.
— Appelez la milice, la prochaine fois, ça existe pour ça...
— Non merci. C'est les mêmes, mais avec un uniforme. Et encore plus ivres. Tous des salauds.
J'étais trop fatigué pour répondre quelque chose d'intelligent.
Je la saluais d'un signe de la main et retournais me pelotonner sous les couvertures.
Le sommeil ne me vint que vers six heures du matin, alors que le ciel commençait à peine à s'éclaircir au niveau de l'horizon.
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