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— Et quel intérêt vous avez à faire ce métier, hein ? Dites-moi ! Soyez honnête !
Je reculais afin de ne pas me faire intempestivement postillonner dessus par ce quinquagénaire grisonnant, pris dans la tourmente passionnée du rassemblement contestataire, réuni une fois plus devant la mairie.
Cette fois-ci, la foule était composée de personnes protestant contre le radicalisme ethnique qui avait envahi la ville, en réaction probablement à la dernière marche « pro-oudmourte » qui avait eu lieu il y a deux jours.
Je me trouvais en plein milieu de la chaussée, ma personne faisant partie intégrante d'une solide chaîne de miliciens en tenue anti-émeutes, la visière du casque blindé relevée pour l'instant.
La tenue lourde me rendait le moindre mouvement pesant et difficile.
Je me sentais un tantinet monolithique, ainsi équipé.
Je repoussais doucement l'homme avec mon bouclier en plexiglas.
— Vous servez un état fasciste ! Vous êtes à la solde du mauvais gouvernement. Vous êtes complices de la montée du nazisme !
— Ouais, ouais, Heil Hitler, tout ça... Éloignez-vous, s'il vous plaît, grognais-je en levant un peu plus le bouclier.
Pour l'instant, la plupart se tenaient tranquilles, leurs banderoles et drapeaux sagement dépliés, scandant leurs slogans par petits groupes sur la place de la mairie.
D'autres, comme ce quinquagénaire un peu dérangé, venaient gratuitement provoquer les détachements anti-émeutes postés sur la route devant les camions blindés bleu et blanc.
Contre toute attente, l'homme revint à la charge avec une violence verbale passablement accrue.
Je dus détourner la tête pour que son doigt accusateur ne percute pas ma joue de plein fouet.
— Vous ne voyez pas ce qui est en train de se passer... se mit-il à hurler tout près de mon oreille. Non, vous le voyez... et ça vous arrange ! Putain de nazi !
Je le repoussais une nouvelle fois, un peu plus fermement.
— VOUS-N'ETES-TOUS-QUE-DES-PUTAINS-DE-NAZIS, scanda l'homme en agitant les bras comme un papillon devant la rangée de boucliers.
Je ne sais trop comment – ce phénomène sociologique me dépasse et ne m'intéresse aucunement – mais la foule devint folle en seulement quelques secondes.
D'autres groupes, le visage masqué cette fois-ci, avaient rejoint ceux déjà présents et un premier pavé frappa le bouclier de mon voisin immédiat.
Suivant l'exemple des autres, je baissais la visière du casque, réduisant considérablement mon champ de vision. Mais là, le visuel n'était pas ce qui comptait le plus.
Il y eut un autre caillou, puis encore un autre et un autre encore.
Tout un rassemblement posté à vingt mètres de nous hurlait, sifflait, insultait et brandissait un tas de majeurs obscènes dans notre direction.
On n'avait toujours pas reçu l'ordre de bouger. Je dégoulinais littéralement sous le casque lourd et dans la combinaison plastronnée de diverses protections en carbone et en kevlar.
Ma respiration formait une buée compacte malgré la visière.
Quand le premier cocktail Molotov explosa sur mes bottes, on reçut enfin l'ordre de charger.
Théoriquement, le tonfa ne servait que pour frapper les individus belliqueux aux jambes, afin de les immobiliser au sol. Mais les individus belliqueux en question étaient tels des bêtes enragées pressées de dépecer le brave représentant de l'ordre que j'étais, alors force m'était de me défendre comme je pouvais afin de ramener les satanées vaches folles dans l'enclos de l'accalmie. Une réponse proportionnelle à l'agression.
Tout à fait légal que de fracasser des mâchoires, des crânes et des côtés quand on est pris dans une déferlante de violence.
Je matraquais et j'avançais. J'avançais et je matraquais encore. Lentement, méthodiquement, essayant de me plier au minimum aux mouvements désordonnés de la cohue.
L'air puait le gaz lacrymogène et comme je n'avais pas l'équipement approprié, je pleurais amèrement sous la visière.
Je devais avoir récolté plusieurs gros hématomes, mais cela n'était pas suffisant pour m'arrêter dans ma lancée.
J'avais la respiration d'un bœuf obstiné.
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