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Il faisait encore plus froid. Le thermomètre stagnait aux alentours des moins vingt-cinq degrès. S'il y avait encore la télévision, la météo aurait lancé une alerte pour froid exceptionnel. 

Je porte un t-shirt sur lequel j'ai enfilé un polo, superposé par deux pulls en laine et la parka règlementaire par-dessus, fermée jusqu'au col. Et en dessous du treillis bleu, je porte un jean et trois paires de chaussettes de ski. 

Je me suis entortillé le cou dans une écharpe aussi épaisse que ma main mais des cristaux de glace se forment dans les maillages à chacune de mes expirations.

On était en février.

J'suis assis contre un mur au papier peint complètement ravagé par les infiltrations d'humidité froide qui rongeaient les murs depuis que les fenêtres de l'immeuble avaient été soufflées par une explosion toute proche. 

Au milieu de ce qui avait autrefois été un salon assez cossu, j'avais entassé les débris de bois que j'avais pu tirer des meubles et j'avais allumé un mince foyer.

La ville avait été privée d'électricité et du gaz il y a deux semaines, quand les guerilleros oudmourtes avaient tout bonnement dynamité les pipelines et la centrale nucléaire de Votkinsk, ville voisine distante d'environ cinquante kilomètres.

On avait classé la catastrophe sur l'échelon le plus élevé ; un peu la seconde édition des joies de Tchernobyl ; quelle bande d'enculés tout de même...

Votkinsk était une ville morte, désormais. On avait évacué ce qu'on avait pu. Le reste devait désormais pourrir sur place.

 Des milliers de morts à cause de l'explosion, des retombées radioactives sévères. Ils avaient fait péter les usines de Votkinsk, aussi.

Ils fabriquaient des missiles nucléaires. Des tonnes et des tonnes d'uranium qui se sont éparpillés à cinquante bornes de chez moi. Cinquante bornes, putain ! 

C'est que dalle comme distance. À Izhevsk, à la surface du lac gelé, des dizaines de poissons crevés étaient remontés, se heurtant à la couche de glace qui les séparait de l'air libre.

Quand on marchait sur la couche gelée, on pouvait voir leurs silhouettes enflées se plaquer contre la paroi transparente. De l'eau empoisonnée. 

J'avais réussi à aller récupérer un compteur Geiger à la caserne avant que ce ne soit trop la merde et je le gardais en permanence sur moi. Pour l'instant, cela ne crépitait pas trop, mais ça n'allait pas tarder. Izhevsk se trouvait à l'extrême limite de l'implosion de Votkinsk, qui n'était désormais majoritairement qu'un cratère vitrifié. 

C'était la ville de Tchaïkovsky. Je n'ai jamais vraiment aimé le ballet mais, merde, tout de même ! La ville natale de l'auteur du lac des Cygnes ensevelie sous une avalanche de radium, uranium et autres machins mutagènes, c'est quand même dégueulasse.

Et moi je suis là, je fume une clope, Dragunov au poing et je surveille l'allée parce que je m'ennuie. Plus rien n'existe et qu'est-ce que je m'emmerde.

 Le monde crève mais j'ai des caisses blindées de chargeurs. Au loin s'étend le boulevard gris, je le vois à travers le viseur glacé. Une silhouette de charbon marche dans les cendres et je l'abats. 

C'était peut-être un terroriste, qui sait.

Russe, oudmourte, ukrainien, rien à foutre.

Milicien, ami, ennemi, rien à foutre.

Femme, enfant, homme, vieux, rien à foutre.

Je repense aux fosses en Tchétchénie mais je suis plus vraiment en vie.

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