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J'étais littéralement crevé en montant dans le tramway. 

J'étais même incapable de dire quel jour on était.

 Parfois, j'en avais marre de ce boulot de merde et de la rémunération de misère que je percevais. 

Mais cela ne durait jamais très longtemps. 

 On était tous plus ou moins sous-payés, dans ce pays. 

Obligés d'accumuler les crédits pour se payer un réfrigérateur. 

Encore heureux que les clopes et la vodka n'étaient pas chers. 

Il y avait de plus en plus de SDF dans la ville et le commissariat ne désemplissait plus, même aux heures dites creuses. 

La milice incompétente – je suis le premier à le dire – ne pouvait que difficilement endiguer la recrudescence des troubles de l'ordre public. 

Hier ou avant hier, je ne sais plus, quelqu'un avait tagué toute une rangée de svastikas tordues sur les flancs de la mairie et on avait retrouvé le drapeau oudmourte trois cents mètres plus loin, déchiré et noirci, accroché sur un tronc d'arbre comme un trophée qu'on aurait haï.

Les roues du tram claquaient sur les rails. 

Cela faisait des jours que je n'avais pas croisé Dima dans le transport. 

Peut-être avait-il décidé de sortir sa Mercedes du garage, finalement.

Escaliers. Porte. Lit. Sommeil.

Cette fois-ci, ce fut la sonnerie de mon téléphone portable qui me tira du lit. 

Il était vingt-deux heures. J'avais oublié d'éteindre la télé.

— Ramène ton cul, me hurla mon capitaine dans le combiné.

J'enfilais le treillis, cherchais des chaussettes pendant trois minutes interminables, regardais mon paquet de clopes. 

Vide. 

Bordel.

Je n'allumais pas la lumière. 

J'avais l'impression que mes doigts ne m'appartenaient plus en refermant mes chaussures de sécurité Magnum, tant le sommeil était encore présent dans mon crâne. Il fallait que je me bouge. C'était urgent. 

J'allais me passer un coup d'eau glacée sur le visage. 

En me regardant dans le miroir, je me dis que j'avais vraiment une sale gueule, sur le coup. Des cernes de trois kilomètres de long et le teint totalement décoloré. Au milieu de l'iris grise, des pupilles trop agrandies par les toxines de la fatigue. 

Tronche de déterré, en somme. Je dégringolais les escaliers sans me soucier du vacarme incroyable que je provoquais. 

Au rez de chaussée, une vieille femme aux lunettes rectangulaires ouvrit la porte avec un air mécontent.

— Moins de bruit, bâtard, croassa-t-elle dans mon dos.

— Je t'emmerde, je vais bosser, c'est ce que je lui hurle.

— Ben, il en trouve une, d'heure, pour bosser, siffla l'autre avant de claquer le panneau d'acier contre l'encadrement.

À cette heure-ci, il n'y a pas de tramways, ils ne passent que jusqu'à neuf heures, parfois moins, ça dépend s'ils ont envie de te faire chier ou pas. 

Je referme la parka réglementaire en me rendant compte que je suis seul, dans la nuit, à plus de six kilomètres du centre-ville. La chaussée est toute engluée de neige fraîche, qui a dû tomber pendant que je dormais.

 J'ai oublié mes gants, j'ai les mains et les doigts gelés. 

Le téléphone sonne à nouveau. Je décroche alors que je n'en ai pas envie.

— Alors, t'es où ? me demande le capitaine.

Mec, je viens de me lever, je suis dehors, je me pèle les couilles, je ne comprends rien à rien, fous-moi la paix, connard, crève, toi et ta milice de merde, je veux dormir...

— Y a pas de tram, râlais-je.

— Ben démerdes-toi, cours.

Il raccroche.

J'ai comme une envie irrépressible de hurler, de sauter sur place et de balancer le portable dans le caniveau tout proche puis de donner des coups de pied dans quelque chose.

 Ou quelqu'un. 

Mais je prends sur moi, je relativise, j'inspire un bon coup. 

Et je me mets à courir. 

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