Chapitre 1
Le cerf à quelques mètres de moi, je bande mon arc et ramène la corde contre mon nez. Le cervidé relève la tête mais ne remarque pas la flèche pointée sur lui. Je vise le milieu de son front quand un cri fait fuir ma cible. Je décoche rapidement ma flèche, mais le cerf s'est déjà éloigné. Ma flèche vient se planter dans l'écorce d'un arbre. Je me relève en soupirant alors que le cri redouble d'intensité :
-Sarkany !
Je me dirige vers l'appel et me retrouve nez à nez avec une femme d'une vingtaine d'années aux cheveux noirs de jais. Ses magnifiques yeux bleus ciel me regardent sévèrement.
-Sarkany ! On s'est fait un sang d'encre !
Je l'ignore complètement.
-Tu as fait fuir ma proie, je grogne.
-Désolée mais tu as disparu toute la soirée alors on a commencé à te chercher.
-Je suis juste allée chasser un peu, dis-je pour ma défense. Les enfants meurent de faim.
Le grand concours qui avait lieu tous les ans de l'hiver au printemps, empêchait les commerçants d'accéder aux villages au coeur du pays pour vendre leurs marchandises. Je partais régulièrement chasser pour nourrir les orphelins. Je fais moi-même partie du seul orphelinat de Dragonslay et du haut de mes 16 ans, il m'incombe de veiller sur les plus jeunes. Les autres adolescents de mon âge préfèrent les divertir, contrairement à moi qui veille à leur survie, pour qu'ils puissent continuer à jouer. Et le grand concours ne me facilite vraiment pas la tâche !
-Je sais bien... Mais à l'avenir, préviens-nous avant de disparaître soudainement.
-Oui Marie, dis-je exaspérée par sa énième remarque.
-Allez viens ! Les autres doivent encore te chercher.
J'accroche mon arc à mon carquois dans mon dos et lui emboîte le pas. Il se met à pleuvoir et Marie rabat sa capuche sur sa tête. Je n'en ai pas mais cela ne me gêne pas. Je ne suis vêtue que d'une simple robe blanche à manches courtes. Comme toutes les filles de l'orphelinat et les enseignantes. Celle-ci sont d'ailleurs reconnaissables à leurs capes. Les garçons, quant à eux, portent habituellement un tee-shirt à manches courtes et un short. L'orphelinat est très pauvre mais nous nous contentons du peu que nous ayons, même si j'avoue avoir un peu froid. Nous approchons de l'hiver et je sens que celui-ci va être rude. Beaucoup meurent durant cette période chaque année par manque de nourriture et en raison des conditions climatiques. L'orphelinat doit alors accueillir de nouveaux orphelins. Qui dit nouveaux orphelins dit plus de bouches à nourrir. Je soupire rien quand y pensant. J'avoue que j'apprécie chasser pour ces pauvres enfants sans famille, mais la raison qui me pousse à le faire me répugne. Quand je pense que certaines personnes se remplissent les poches en capturant des dragons, et en participant à de stupides concours ! Surtout qu'ils gardent tout pour eux ces maudits Crets ! Je serre les dents fermement pour contenir ma fureur. Heureusement, Marie et moi arrivons à l'orée d'une immense clairière. Des tentes blanches comme les tenues des orphelins sont montées un peu partout sur l'herbe mouillée. Des enfants chahutent en tous sens. Une femme avec une cape leur court après en criant qu'ils vont attraper froid sous la pluie. Je regarde l'orphelinat tristement. Je donnerai tout ce que j'ai pour améliorer les conditions de vie des orphelins. Une petite fille de 6 ans me remarque et se jette sur moi en criant.
-Sarkany ! Eh ! Sarkany est revenue !
Tout le monde accourt à ses côtés en me demandant où j'étais passée. Je leur raconte mes aventures de la soirée. Tous m'écoutent attentivement. À la fin de mon récit, ils me consolent en me disant que je retenterais ma chance demain. Je leur fais un petit sourire et les renvoie jouer. Je me dirige vers la tente des adolescents, pose mon arc sur le côté, ainsi que mes flèches, et je vais m'allonger dans ma couchette. Quand les enseignants nous appellent pour manger, je reste allongée et fais mine de dormir. C'est une technique que j'ai mise au point récemment pour ne pas aller manger. J'ai beau être affamée, les petits en ont plus besoin que moi. Heureusement, ma ruse fonctionne à merveille. Tout le monde part manger pendant que j'attends. Une fois qu'ils sont tous revenus et profondément endormis, je me lève doucement de la couchette. J'attrape mon arc et mon carquois rempli de flèches et sors de la tente. Le vent frais me fait légèrement frissonner. Je mets rapidement mes chaussures trouées et cours vers la forêt. Il pleut toujours mais moins que tout à l'heure. Je saute par-dessus les racines et cours entre les arbres avant de piler net. Je me cache derrière un gros rocher et observe l'animal endormi. Une biche dort paisiblement, et ce, malgré la pluie diluvienne. C'est ma chance. Je bande mon arc et me relève lentement de ma cachette. Je ramène la corde contre mon nez et vise la bête.
-Sarkany !
Je lâche la corde de travers, surprise et ma flèche vient se planter dans l'herbe à côté de la créature. Elle se réveille en sursaut et part en courant. Je grogne et accroche mon arc dans mon dos. Je me retourne pour faire face à un garçon aux cheveux bruns bouclés aux yeux marrons noisettes.
-Vous vous êtes passé le mot pour faire fuir toutes mes proies ou quoi ? grognais-je.
-Oh pardon, s'excuse-t-il. Mais je ne te voyais pas arriver alors je me suis inquiété.
Je l'ignore et ajuste ma robe.
-Tu me pardonnes ? demande-t-il d'une petite voix.
Je soupire et m'avance vers lui. Je l'attrape par le col et l'avance brusquement vers moi avant de poser une baiser délicat sur ses lèvres. Quand je recule enfin, il me dévisage, un peu perdu.
-Je vais prendre ça pour un oui.
Je souris et nous nous dirigeons vers chez lui. Le garçon dont je tiens la main en ce moment même s'appelle Cyriel et je le connais depuis que j'ai 2 ans, quand mes parents sont morts. Il était déjà à l'orphelinat depuis trois ans. On a commencé à se rapprocher et on est devenus amis. Mais quand il eut 10 ans (et moi 8), il a disparu. Il était parti. Oh pas bien loin. Il s'était construit une petite cabane dans la forêt. J'ai découvert sa petite cachette 2 mois plus tard. J'ai mis du temps avant de lui pardonner. Il était parti sans me prévenir et si je ne l'avais pas retrouvé, j'aurais perdu tout contact avec lui. Quatre ans plus tard on a commencé à sortir ensemble. Ça va faire quatre ans maintenant (je ne suis pas sûre de mes calculs 😅). Cyriel ne m'a jamais expliqué pourquoi il a quitté l'orphelinat. Je préfère ne pas le lui demander pour ne pas le blesser. Nous arrivons enfin devant une cabane en bois qui semble à peine tenir. Un coup de vent et crac ! Je frissonne rien qu'à cette idée mais entre quand même. J'ai toujours eu peur que cet abri de fortune s'écroule, pourtant, en 8 ans que Cyriel habite ici. On s'assoit côte à côte dans le canapé rongé par les mites. Nous restons longtemps en silence avant qu'il ne daigne ouvrir la bouche.
-J'ai bien réfléchi et je pense m'inscrire au grand concours.
Je me redresse immédiatement et le regarde, horrifiée.
-Tu plaisantes j'espère ? demandais-je.
Ma voix est devenue ferme et glaciale et je me trouve éloignée de Cyriel. Le grand concours a toujours été un sujet sensible pour moi. Le grand concours tue des gens.
-Imagine l'argent qu'on pourrait gagner ! me rappelle-t-il.
Le grand concours est une série d'épreuves à accomplir. Chaque épreuve rapporte une certaine somme au vainqueur. Et celui qui remporte l'épreuve finale remporte une somme énorme et peut faire réaliser un de ses vœux les plus cher. Mais la plupart du temps, les Vainqueurs gardent tout pour eux. Et c'est ça qui me mettait en rogne.
-C'est tout ce qui compte pour toi ? L'argent ? demandais-je froidement.
Il me regarde dans les yeux et soupire.
-J'allais te proposer de t'inscrire avec moi, mais vu ta réaction, je suppose que la réponse et non.
Je le toise en silence puis me dirige vers la porte.
-Tes parents étaient des Crets, Sarkany. Tu as ça dans le sang, que tu le veuilles ou non.
Je fronce les sourcils et sors en claquant la porte. En effet, mes parents étaient des Crets. Les Crets sont les personnes participant au grand concours qui avait lieu tout les ans. Mes parents ont remporté trois fois chacun le concours avant de mourir brutalement il y a 14 ans, dans une des épreuves. Tués par un dragon. Mais à choisir, je préférerais me retrouver face au dragon qui leur a ôté la vie, que face à mes géniteurs. Je cours à toute vitesse, mon arc à la main. Je n'arrive pas à croire qu'il veuille devenir l'un de ces abrutis de chasseur de dragons. Je crie de colère et tape dans tout ce que je vois. Je m'arrête net en entendant un grondement rauque. Je tressaillis et mon premier réflexe fut de me cacher derrière un arbre. Comme le bruit venait de plus loin, je m'avance lentement. J'arrive face à une clairière baignée par le clair de lune. En son centre, je remarque une grosse masse. Elle est bleue nuit avec des petits éclats blancs brillants. J'ai l'impression de plonger mon regard dans un ciel étoilé. Je pense à une immense pierre précieuse quand je remarque un mouvement suivi à nouveau d'un grondement. Ou plutôt une respiration suivie d'un ronflement. Car ce que j'ai pris pour une pierre était en réalité une créature profondément endormie. Je me rapproche lentement. Elle a de grandes ailes dépliées de part et d'autre de son corps constellé et une queue fine. Elle a des griffes tranchantes et doit faire à peu près ma taille en hauteur. Je fronce les sourcils. La bête a une peau écailleuse. Et seulement une créature dans le monde de Dragonslay à une peau écailleuse et des ailes. Je me crispe et blanchi. Je suis face à un dragon.
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