XV . Rêve
Un grognement à peine humain tant il respirait la souffrance et la haine s'éleva dans tout le manoir immaculé. Un rire suivit le lugubre cri de douleur et l'éternelle jeune femme aux cheveux blonds posa son arme de cuir tâchée de sang. Sans un mot, sans un au revoir, elle s'éloigna de la cellule crasseuse dont le sol était couvert d'une fine pellicule séchée de sang. Ses grands yeux fixaient le vide devant elle et, même si elle osait à peine réfléchir dans ce manoir, de peur d'être entendue, elle se permit de se demander où elle allait. Pas seulement là où ses pas la conduisaient, mais aussi où sa vie la mènerait. Un jour, cela prendrait-il fin ? Et si un jour il venait à ne plus y avoir personne à tuer ? Serait-ce elle la nouvelle cible, si cette fin devait arriver ? Plus elle avançait dans l'immense demeure, plus elle se perdait dans des pensées qu'elle se permettait à peine d'avoir en temps normal. Soudain, ses jambes s'arrêtèrent. Elle leva les yeux, sortie de ses pensées. Devant elle, la porte de celui qu'elle redoutait le plus dans ce monde d'incohérence et de folie. Lentement, elle fit glisser sa veste salie contre le sol et poussa la lourde porte. Il était là. Étendu sur le lit. Ses cheveux châtains caressant l'oreiller, ses yeux clos aux longs cils fins, ses doigts fermes mais doux, ses lèvres tentantes, son corps d'Apollon... Tout de lui faisait frissoner la jeune fille. Certes, elle était jeune, mais cela n'avait aucune importance. Elle s'approcha à pas de loup, mais cela le tira tout de même du sommeil léger dans lequel il était malencontreusement tombé.
Pas un mot, pas un bruit, il l'accueillit dans son lit.
Lorsqu'elle ressortit de la chambre, elle remarqua que quelqu'un avait embarqué sa veste. Sereine, elle réajusta la manche de sa chemise et s'engagea dans les couloirs presque vides à cette heure de la nuit. Elle regagna sa chambre après un court détour aux douches et s'installa sur le large matelas, qu'elle ne pouvait s'empêcher de trouver vide. Pendant un court instant, elle se mit en colère contre l'échec de leur alliée de glace. Il leur fallait quelqu'un de plus puissant, de plus adapté aux meurtres et aux assassinats. Immédiatement, la solution lui vint, comme évidente.
Ce soir-là, elle dormit sur ses deux oreilles. Elle avait trouvé la solution.
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Assise sur Astre, en retrait des trois autres dresseuses, Katie était vexée, déçue, en colère. Aucune de ses amies ne l'avait crue. Elle avait eu beau leur montrer le sang sur ses mains, il s'était avéré qu'elle s'était coupé la paume contre quelque chose et donc, que son seul argument tombait à l'eau. Jena avait bien essayé, plusieurs fois pendant leur trajet de retour à la Cité de Cristal, de raisonner la dresseuse des Eaux, ou au moins de se faire pardonner leur incompréhension. Seulement, celle-ci restait campée sur ses positions et refusait d'entendre quoi que ce soit. La colère de la plus jeune des quatre filles se ressentait dans tout le groupe et personne n'osait s'exprimer.
Les dragons se posèrent dans les jardins de l'imposant château en plein milieu de la nuit.
" - Voyons Katie. Ton énervement est à peine justifié ! Tu n'as aucune raison de nous en vouloir. "
S'exclama Mélissa, en ayant par dessus la tête du comportement de leur amie.
" - J'ai failli me faire tuer et vous ne me croyez même pas !!! "
Sentant qu'elle était sur le point de craquer et d'éclater en sanglot, la Dresseuse des Eaux descendit du dos de sa monture et se dirigea au plus vite vers l'intérieur. Seulement, Jena lui attrapa le bras.
" - C'est assez ! On ne sait pas ce qu'il s'est passé, mais il est impossible qu'un combat ait eu lieu sans que... "
Le grognement de Cendre l'interrompit. Les Dresseuses se retournèrent vers leur dragons. Ceux-ci fixaient sévèrement les jeunes filles.
" - Avant de décider de ce qui est vrai ou faux, pourions-nous avoir des éclaircissements sur ce combat, Astre ? "
La dragonne leva la tête, étonnée d'être mêlée à la conversation.
" - Et bien... "
Katie vola aux secours de sa fidèle compagne et répondit à Cendre.
" - Karinna a gelé la ville, comme pour suspendre la temps, et nous a attaqué, Astre et moi. Nous nous sommes défendues du mieux que nous l'avons pu, et elle a fini par fuir. Le temps a repris quand elle a été assez loin de la ville. "
Fiore inclina son museau vers l'avant.
" - Je n'en suis pas sûr, mais... "
Blizzard sautilla et coupa le dragon de la nature.
" - Le dragon de glace peut tout geler ! Même le temps si ça lui chante ! "
Katie afficha une mine supérieure et toisa ses amies du regard.
" - Je vous avais dit que je disais la vérité ! "
Et sur ce, encore vexée, elle s'engouffra dans le château. Astre s'envola pour se nicher dans une des nombreuses grottes de la montagne en amont et veiller sur le palais. Bien vite, les trois autres bêtes la suivirent et des veilleurs silencieux et invisibles commencèrent leur tour de garde.
Le Roi accueillit les quatre Dresseuses, sorti du sommeil par ses gardes en alerte.
" - Alors, mesdemoiselles ? Avez-vous trouvé quelque chose ? "
Ses traîts soucieux montraient la véracité de son inquiétude et sa franche empathie pour son peuple qui était en proie à une menace bien réelle.
" - Non, malheureusement. Il va falloir attendre une nouvelle attaque. "
Répondit Romane. Un silence pesant s'installa sur tout le couloir. Des gens allaient encore mourir. Le Roi soupira et offrit un piteux sourire à ses invitées.
" - Sachez que le Palais de Cristal vous accueillera toujours les bras grands ouverts. Voulez-vous y rester pour la nuit ? "
Il fut dit aux domestiques de préparer l'une des suites et quelques minutes plus tard, les Dresseuses se retrouvaient toutes les quatre dans un petit salon, en compagnie du souverain.
" - Pouvons-nous faire quelque chose d'autre pour vous ? "
Il demanda, prêt à mettre jusqu'à sa vie au service des simples et innocentes adolescentes. Romane examina un instant le petit salon.
" - Pourriez-vous m'emmener les rapports de vos gardes sur chacune des attaques semblables à celle d'Aran. J'essaierai de prédire là où il frapperont la prochaine fois. "
Et sur ce, elle se leva et s'éclipsa dans sa chambre. Jena fit de même sans un mot. Mélissa resta un long moment à fixer le Roi, sans rien dire, mais s'en alla à son tour.
" - Je suis désolée, elles ont un caractère de cochon. "
Les excusa Katie avec un clin d'oeil à l'adresse du souverain. Celui-ci eut un petit rire.
" - J'aime votre humour, dame Katie. "
Appelé par son devoir, le Roi la quitta et elle se retrouva seule dans le petit salon. Elle attendit que les gardes arrivent avec les rapports demandés par Romane avant de s'éclipser à son tour dans sa chambre. Une pièce luxueuse dont le couvre lit d'un bleu océanique recouvrant le grand et confortable matelas semblait évoquer la sublime danse qu'elle entamait lorsqu'elle invoquait le commandement de l'élément doux et froid qu'était l'eau. il ne lui fallut ni heures, ni minutes, elle sombra dans le sommeil dès que sa tête toucha l'oreiller blanc.
Ses rêves la conduisirent devant une immense porte de verre. Seule, elle perdait son regard dans les différents reflets que lui renvoyait les éclats cassés du miroir dans son dos. Immobile, sans pousser la porte ni regarder ce mystérieux miroir, elle restait là, sans même se poser de questions.
Les rêves sont parfois étranges...
Tout autour d'elle éclata. Le verre se brisa dans un bruit sourd et les fragments vinrent heurter le miroir, sans jamais toucher la jeune fille. Le chaos, le bruit, le mal, le sang. Un enchaînement de choses qu'elle ne comprit pas. Puis devant elle, une femme. Une femme entamant à peine la majorité. De sublimes cheveux bleus comme l'océan, des yeux aussi magnifiques, un visage fin et doux, une expression bienveillante et chaleureuse...
Qui es-tu ?
Silencieuse et dangereuse question sans réponse. La femme se pencha vers l'avant et embrassa tendrement le front de l'adolescente. Un adieu ou un au revoir ? Quelques mots, faible murmure à peine audible, glissement sur l'air nocif de ce rêve sans sens.
Le soleil couchant, le soleil levant... Deux êtres qui se cherchent mutuellement..
Ne pas les séparer, seulement les aider.
Simple pensée à leur adresser, lorsque le choix final te sera confié.
Et Katie se réveilla sur un nouveau jour. Le rêve s'en alla bien vite, abandonnant pourtant sur son passage les quelques paroles d'une femme aux traits floutés.
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