Chapitre 5 : Le bébé
— Joanne.
La jeune fille battit des paupières, étonnée de voir la lumière du jour s'y poser. Allongée sur un tapis de mousse et de fougères, ses doigts s'ouvrirent et se fermèrent. Un corbeau décolla d'une branche, s'envola par-dessus les pins, tournoya un instant en coassant ; Dragon observa la flexion de ses ailes, sa facilité à battre le vent et à y prendre appui. Puis sa silhouette noire disparue dans le ciel bleu.
— Dragon.
Il sourit. L'air sentait l'eau et la mousse, la pluie et la résine. Le soleil chatouillait sa nuque.
— Où tu étais ?
— Je t'ai cherchée, ensuite j'ai retrouvé le ruisseau. Rentrons, d'accord ?
Joanne cligna des yeux :
— D'accord.
Elle attrapa la main de Dragon qui l'aida à se relever, puis ils empruntèrent la pente qui montait doucement vers le plateau à travers les bois, vallonée de grands pins bruns-orangés. Ils suivaient le ruisseau. Le cours d'eau gonflé de pluie chantait en charriant brins d'herbes et petites branches. Il menaçait de déborder et parfois, aidé par une grosse pierre, il venait lécher la berge en sifflant. Les troncs les plus proches suaient de vitalité et parfois, une racine s'élevait du sol et y plongeait ; même les arbres se penchaient comme pour s'y abreuver ou tremper leurs aiguilles. Ils passèrent devant un barrage rudimentaire, constitué des branchages et de petites branches.
— Des bièvres ! s'exclama Joanne. Ils ont construit leur petite maison. Oh...
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— J'ai soif.
— Bois.
Elle s'agenouilla dans la mousse, plongeant les mains dans le ruisseau. La boue sur ses genoux avait séché, sa robe était toute tâchée de terre.
— Tu devrais te laver, Mère Jeanne ne sera pas contente si tu rentres toute crottée.
Elle s'esclaffa, ses mains encore en coupe, l'eau cristalline coulant entre ses doigts et ruisselant de ses lèvres sur son menton. Elle avait écarquillé les yeux et riait nerveusement en désignant la berge opposée :
— Dragon, regarde là-bas ! Des champignons.
Entre les racines d'un grand pin, des chapeaux orangés se dissimulaient dans les feuilles mortes.
Dragon sourit :
— Des girolles. Ramassons-les.
Ils quittèrent la forêt vers midi. Dragon portait sa chemise à l'épaule, en un baluchon qu'ils avaient rempli des bolets et girolles ramassés dans la forêt. Joanne sautillait au-devant, sa robe finissant de sécher sous les rayons agressifs du soleil. Elle chantait une comptine improvisée, ça parlait de champignons, de moineaux et de grands pins bien durs.
Le plateau surplombait la forêt ; d'en haut, on voyait se dessiner les cimes des grands arbres et s'étaler leur masse touffue mais d'en bas, les toits des chaumières apparaissaient un par un. Celui de Tantine venait de surgir lorsqu'ils entendirent les premiers cris.
Un coup d'œil échangé, et l'instant d'après Joanne se précipitait à gravir la pente, abandonnant Dragon dans son sillage.
— Joanne, attends.
Trop tard, elle avait disparu.
Il monta tranquillement, eut le temps d'appréhender les pleurs ; ceux d'un bébé et de sa mère. La voix calme de Tantine lui parvint ensuite, sa tonalité effacée. Au milieu des chaumières, cette dernière supportait, stoïque, les lamentations de Mère Jeanne, son bébé dans les bras. Son visage était boursouflé, rouge et humide. À ses côtés, Joanne, bras ballants et l'échine courbée, cherchait quelque chose à regarder. Encore une fois, Tantine secoua la tête.
— Tantine, tu dois faire quelque chose ! brailla Mère Jeanne.
Tantine gardait les yeux rivés vers le sol.
— Faire quoi ? murmura-t-elle sans relever la tête.
Le bébé pleurait et criait en agitant ses petits membres. Ses paupières restaient closes. Son corps paraissait si chétif. Parfois, il se taisait mais seulement car pris de crises de toux et alors il toussait et crachait en même temps et les lamentations de Mère Jeanne redoublaient de force. C'en fut trop : Joanne, les yeux larmoyants, serra le poing et disparue dans sa chaumière, claquant la porte derrière elle.
— Je... je lui ferai un collier d'angéliques mais il faudrait de la sauge et surtout à manger. Ils ont pris tous mes simples... balbutia Tantine que Mère Jeanne fixait avec désespoir.
— Je... on a trouvé des champignons, dit soudain Dragon, s'approchant et révélant sa présence que tous semblaient ignorer jusque-là.
Mère Jeanne se tourna vers lui, avant de revenir à Tantine, le regard suppliant. Tantine secoua la tête :
— Son estomac ne les supportera pas...
Tantine, d'un mouvement, attrapa le bras de Dragon :
— Allons, viens. Allons préparer ces champignons.
Docilement, Dragon lui emboîta le pas et les pleurs et les cris du bébé les suivaient. Juste avant de rentrer dans la chaumière, il regarda en arrière. Mère Jeanne n'avait pas bougé, une expression de pure douleur figée sur sa figure.
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