❧𝑪𝒉𝒂𝒑𝒊𝒕𝒓𝒆 𝟔 : Elya
Distraite par ses pensées, ressassant leur discussion, Nevahe se dirigeait vers sa chambre suivie de Lisandre et Elya. L'adolescente secoua la tête pour chasser ses préoccupations et desserrer le nœud qui lui nouait l'estomac. Elle ne voulait pas remuer le passé ni penser au Corbeau maintenant. Toutes ces questions et suppositions avaient été beaucoup trop pour elle en une soirée.
À la place, elle se contenta de repenser aux conseils prudents que Diana leur avait donné et grâce auxquels elle avait décidé qu'il valait mieux qu'Elya reste dormir à la maison pour cette nuit. Rougissante, la voleuse avait refusé en la remerciant pour sa générosité, mais elle ne voulait pas leur imposer sa présence. Au final, Diana ne lui avait pas vraiment laissé le choix, disant qu'elle « ne laisserait pas une jeune fille repartir seule dans la nuit, d'autant plus avec la menace du Corbeau qui planait ». Nevahe avait souri, elle reconnaissait bien là le côté protecteur de Diana. Elya avait hoché la tête en rougissant encore davantage, touchée que Diana tienne à sa protection alors qu'elle ne la connaissait pas.
Nevahe devait avouer que le caractère et l'attitude d'Elya l'intriguait. Bien qu'elle l'avait vu se défendre face au Corbeau, elle lui paraissait maintenant plus fragile. À vrai dire, comme l'avait dit Diana, elle n'avait pas l'air d'une voleuse. Elle n'avait rien d'effrayant, et la timidité que l'adolescente affichait depuis qu'elle était entrée dans leur maison lui rappelait à quel point elle pouvait se montrer réservée elle aussi.
Si Elya lui paraissait sympathique, Nevahe ne savait pas si elle pouvait lui faire totalement confiance. Après tout, l'adolescente leur avait quand même avouer avoir voler son cousin. Même si elle avait ses raisons, ça n'était pas rien. Nevahe ne comprenait pas non plus comment Elya pouvait se montrer parfois réservée et d'autre fois plus à l'aise, presque sûre d'elle. Peut-être par instinct de survie ? Il lui semblait qu'elle n'avait pas longtemps hésité avant de leur venir en aide face au Corbeau.
─ Elle est sympa ta chambre, commenta Elya en observant l'espace autour d'elle quand Nevahe leur ouvrit la porte.
Cette dernière la remercia et observa sa chambre, espérant ne pas avoir laissé traîner trop de choses.
Heureusement, sa chambre était plutôt ordonnée. Les murs mauve pâle avaient été décorés de quelques posters différents représentant un chanteur et une chanteuse du pays, et des paysages forestiers enneigés avec des loups, ou encore des créatures fantastiques. A leur gauche, sur son bureau, des livres et des feuilles avec des dessins traînaient encore, dont un dictionnaire d'espagnol encore ouvert qui lui servait quand elle se lançait pour la traduction.
Contre le mur du fond à gauche se trouvait son lit, juste avant la fenêtre qui laissait entrer les rayons d'un coucher de soleil aux tons rosés. Sur la droite de la pièce, se dressaient une armoire et une bibliothèque qui était remplie à ras-bord, certains livres étant empilés sur les autres. À côté, sur une commode, se trouvait un cadre photo contenant une image de Diana, Lisandre et elle datant de deux ou trois ans, ainsi qu'une petite boîte ronde surmontée d'une fleur de lys, dont une minuscule manivelle permettait de jouer de la musique.
C'était le seul objet qu'elle avait pu récupérer de ses parents. Un cadeau de sa mère, une fabrication qu'elle avait fait en deux exemplaires et qu'elle lui avait donné ainsi qu'à Diana. La boîte à musique jouait une chanson qui était une berceuse que lui chantait sa mère le soir avant de s'endormir.
Un léger sourire mélancolique se dessina sur ses lèvres à la pensée de se souvenir. Nevahe détourna ensuite le regard de la boîte à musique pour se diriger vers son armoire. Elle en tira les draps nécessaires pour pouvoir faire deux lits et les tendit à son meilleur ami, puis sortit un pyjama qu'elle donna à Elya tout en lui indiquant où se trouvait la salle de bain et les toilettes.
─ Par contre, on n'a qu'une chambre d'ami...commença Nevahe.
─ Je la laisse à Elya, la coupa Lisandre avec un sourire, on n'a qu'à mettre un matelas dans ta chambre, comme on le faisait plus jeune quand on faisait nos soirées pyjamas.
Aux souvenirs des nuits où ils n'avaient pratiquement pas dormi, trop occupés à discuter ou à jouer à des jeux qu'ils inventaient en cachette, l'adolescente hocha la tête, amusée.
─ Ok, ça me va. Ah et tu regarderas dans le placard de la salle de bain, je crois qu'il te reste une tenue que tu as oublié la dernière fois.
─ Super ! On va faire le lit dans ce cas. Et d'accord, je ferais ça.
Sur ces paroles, Lisandre entraîna Elya hors de la chambre sous le regard légèrement surpris de sa meilleure amie. Nevahe ne l'avait jamais vu partir aussi vite pour réaliser ce genre de tâche. En temps normal, il aurait plutôt été le premier à tenter de trouver une excuse pour les esquiver.
L'adolescente haussa les épaules, puis quitta la pièce pour aller chercher le matelas dont ils avaient besoin. Elle retraversait le couloir en poussant la couchette, quand un rire la fit s'arrêter quelques secondes devant la porte entrouverte de la chambre d'ami. Nevahe sourit, elle ne savait pas qu'elle blague Lisandre avait bien pu raconter, mais en tout cas, ces deux-là avaient l'air de bien s'entendre.
L'adolescente ne s'attarda pas davantage et reprit son chemin, pressée de pouvoir les rejoindre.
******
Quand Nevahe put enfin regagner la chambre réservée aux invités, elle trouva Elya et son meilleur ami en pleine discussion, l'une assise en tailleur sur le lit, le deuxième assis sur le bord. Nevahe nota qu'Elya avait l'air plus sereine que lorsqu'ils étaient arrivés à la maison et alla s'asseoir près d'elle de l'autre côté du lit.
─ ... Nous voyageons souvent avec mon père. J'ai assez vite appris à me débrouiller seule. Mais j'avoue que l'endroit où je vis n'a rien à voir, ce n'est pas vraiment le même confort qu'ici, expliquait l'adolescente aux cheveux blancs.
Elya laissa échapper un léger rire en y pensant. Non, il n'avait vraiment rien à voir, mais c'était calme, à l'abri des regards et elle s'y sentait bien.
─ Tu vis ici ? s'enquit Nevahe, curieuse, où ça ?
Elya releva les yeux vers elle et lui offrit un sourire.
─ Pas vraiment. De base, j'habite dans une région qui est beaucoup plus au sud. Mais, comme je le disais à Lisandre, avec l'activité de mon père dans la piraterie, on voyage beaucoup plus, et Mendje est un des lieux où il y a le plus de commerce, alors on y vient plus souvent.
─ Oh. D'accord. Et tu vis seule ?
─ Oui. J'aime beaucoup la mer, mais quand j'ai l'occasion d'éviter de traîner dans les affaires de mon père, je la prends. J'aime bien l'aider des fois, mais la piraterie ce n'est pas mon truc. Alors j'ai trouvé un coin tranquille dans le haut de la ville, au nord, sur le toit terrasse ouvert d'une résidence protégée du vent par des immeubles.
─ Attends mais, tu vis dehors ? s'étonna Nevahe avec une moue peinée
Elya prit une mine un peu embarrassée en voyant les airs embêtés de ses compagnons, et se mordit la lèvre pour éviter au rouge de lui monter aux joues.
─En quelques sortes... C'est un peu sommaire, un peu isolé aussi, mais j'ai pu y mettre ma touche personnelle avec quelques lumières, des coussins et deux trois babioles... Au final ça me fait un petit cocon douillet et j'ai une super vue sur le bas de la ville. Surtout le soir quand le soleil se couche sur les habitations, ou la nuit quand les lumières s'allument !
Nevahe prit le temps de se représenter l'image qu'elle leur décrivait, et se dit qu'en effet, la vue devait être superbe. Mais ça ne faisait pas tout.
─ Et... tu n'as jamais pensé à prendre un appartement ? la questionna Lisandre, ce n'est quand même pas vraiment sécurisé...
─ Pas vraiment. Je passe mes journées dehors, mon père est presque tout le temps sur son bateau... Et on ne reste jamais assez longtemps pour dire que payer un loyer soit rentable.
Nevahe hocha la tête tout en se disant qu'il devait falloir du courage pour décider de vivre comme ça.
─ C'est toi qui décides, opina l'adolescente. Mais si Diana savait ça, tu peux être sûre qu'elle serait capable de t'obliger à rester ici jusqu'à temps que tu reprennes la mer.
Cette remarque fit sourire ses compagnons.
─ Ça fait longtemps que vous voyagez comme ça avec ton père ? s'intéressa Lisandre.
─ Oui. À vrai dire, quand j'étais petite il m'emmenait avec lui, parfois aussi avec ma mère, et on prenait la mer pendant toute l'après-midi. Ça n'avait rien à voir avec la piraterie, on prenait juste le temps de profiter des océans et de l'air marin, sans se préoccuper du reste. C'était magique, ajouta Elya, les yeux pétillants.
Mais ensuite son visage s'assombrit.
─ C'était génial. Jusqu'à temps que tout change...
Elle prononça cette dernière phrase dans un murmure, presque pour elle-même.
Inquiète par son changement d'humeur, Nevahe mit quelques secondes avant d'oser lui poser la question qui lui brûlait les lèvres.
─ ... Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
Elya les observa tour à tour, l'air préoccupé. Elle hésitait à leur faire part de ce souvenir douloureux, elle n'avait pas envie non plus de plomber l'ambiance. C'était un sujet qu'elle n'abordait pas souvent, pour ne pas dire jamais. Mais elle se sentait en confiance, et quelque part au fond d'elle, Elya savait qu'elle pouvait se confier à eux.
─ J'avais dix ans, l'année où ma mère est tombée malade. Mon père a tout fait pour que les médecins la guérissent... Mais elle nous a quittés un an plus tard. C'est à partir de là qu'on a beaucoup bougé. Je crois que mon père ne supportait plus de rester en place en sachant qu'elle ne reviendrait pas. Il s'est davantage plongé dans la piraterie qu'avant, et puis les problèmes sont arrivés les uns après les autres, notamment avec mon oncle. Nous ne restions jamais plus de trois semaines au même endroit, lâcha-t-elle les yeux baissés, en essayant de cacher sa gêne.
─ Désolés, murmurèrent les deux amis, vraiment peinés pour elle.
Nevahe posa une main sur son épaule et lui adressa un petit sourire réconfortant.
Lisandre se racla la gorge. Il se dit qu'il fallait qu'il trouve un autre sujet de conversation. Il ne supporterait pas de la voir triste.
─ Hmm, euh... tu viens de quelle région du coup ? demanda le jeune homme en passant une main dans ses cheveux.
─ Celle près des montagnes, la Cité des glaces. D'où mes cheveux, répondit l'adolescente, contente de pouvoir parler d'autre chose.
─ Tu es une Nephyris ? s'exclama Lisandre, c'est génial !
Elya lui sourit.
─ Et ... Ça t'est déjà arrivé de parler avec des animaux ? Ou l'occasion ne s'est jamais présentée ?
─ Oui ça m'est déjà arrivé. J'ai déjà parlé avec un loup et une ashela.
La bouche de Lisandre s'ouvrit en un « o » de surprise qui fit rire Elya.
Nevahe quant à elle n'en revenait pas. Elle n'aurait jamais pensé rencontrer quelqu'un qui avait parlé avec l'un de ses canidés. En revanche, elle ne voyait pas ce qu'était une ashela.
─ Ça doit être une expérience incroyable ! Mais qu'est-ce qu'une ashela ? Je ne me souviens pas avoir entendu ce nom...
─ C'est une sorte d'hermine blanche qui adore jouer dans la neige. Ces petites boules de poils sont trop mignonnes et super câline quand on les apprivoise.
─ Oh ! fit Nevahe en imaginant leur petite frimousse.
Lisandre leva les yeux au ciel avec un sourire amusé en voyant l'enthousiasme qu'elles portaient à cet animal au pelage soyeux. Sa mimique n'échappa pas à sa meilleure amie qui s'empara du coussin le plus proche pour le lui lancer en pleine face.
─ Ce n'est pas parce qu'on trouve un animal mignon que tu as le droit de te moquer de nous, affirma-t-elle avec un sourire en coin devant sa mine stupéfaite.
─C'est pourtant bien un truc de fi...
Son meilleur ami n'eut pas le temps de finir sa phrase, coupé par l'arrivée d'un nouvel oreiller qu'il parât avec celui qu'il tenait dans les mains.
─ N'essaye même pas de terminer ta phrase, lui lança Nevahe souriant malgré elle, profitant de sa propre diversion pour rejoindre l'autre côté du lit.
─ Bah quoi ? C'est vrai ! dit-il en riant. Iris a eu la même réaction la dernière fois !
─ Tu l'auras cherché... prévint son amie avant de se pencher pour le chatouiller.
─ Eh ! protesta Lisandre en se tortillant pour l'éviter.
Il tenta de la bloquer avec son coussin, ce qui entraîna une bataille d'oreillers. Elya éclata de rire, ce qui les poussa à continuer leur chamaillerie qui ne cessa que lorsque Lisandre battit en retraite, essoufflé, les cheveux en bataille.
─ T'es pas croyable ! affirma-t-il amusé, à sa meilleure amie.
─ Je ne vois pas de quoi tu parles ! gloussa Nevahe.
─ Non mais je te jure... des fois tu me fais penser à ma sœur !
─ Je le prends comme un compliment !
Intriguée par cette nouvelle information, Elya voulut en savoir plus.
─ Tu as dit un nom tout à l'heure, Iris. C'est ta sœur ?
─ Oui, c'est ça. Elle a trois ans de plus que moi, et malgré ses vingt et un ans, elle trouve toujours le moyen de me rendre fou ! Un peu comme elle, précisa Lisandre en désignant sa meilleure amie.
─ Mais tu nous aimes quand même ! lui fit remarquer Nevahe avec un sourire.
─ Bah bien sûr ! Non mais toi alors... ! rigola le jeune homme.
─ Vous devez être assez complices alors, avec ta sœur, constata Elya.
─Oui, on aime beaucoup passer du temps ensemble. Même si des fois, ses visions nous interrompent brutalement.
Elya haussa un sourcil surpris.
─ Ses visions ? Vous... Je pensais que vous n'aviez pas de capacité magique.
Lisandre secoua doucement la tête de gauche à droite et pinça les lèvres. Elya en déduit que cela avait l'air un peu plus compliqué que ça.
─ Non, en effet. Enfin pas moi. Nous sommes tous les deux humains, mais Iris... a en quelques sortes développé un don. Elle n'est comme qui dirait plus vraiment humaine. Mais on ne sait pas vraiment ce qu'elle est devenue au juste. Cela fait plusieurs années maintenant, depuis ses huit ans il me semble qu'elle a des visions. Des fois, elle cesse de bouger en plein milieu d'une action et semble complètement ailleurs. C'est assez déstabilisant. Parfois, quand elle revient à elle, Iris me raconte ce qu'elle voit.
─ Comme quoi ? Si ce n'est pas indiscret...
─ Le plus souvent, elle pense que ce sont des choses qui se passent dans le présent. Quelques fois des choses passées, plus rarement futures.
─ C'est...étrange, dit Elya en cherchant ses mots.
Lisandre hocha la tête.
─ Oui. Les deux seuls médecins de confiance qu'on a vus ne comprennent pas. Nous n'avons trouvé aucune information sur ses dons. Ils nous ont juste conseiller de faire attention et de ne pas en parler à n'importe qui, que cela pourrait être dangereux comme personne ne semblait avoir de capacités similaires.
─ Mais elle n'est peut-être pas la seule à les posséder, ajouta Nevahe après quelques secondes.
─ Je ne sais pas, prononça Lisandre pensif.
─ Moi non plus.
N'ayant pas plus d'idée qu'eux, Nevahe jeta un coup d'œil vers la fenêtre de la chambre. Il n'y avait plus aucune lumière dehors. L'encadrement ne laissait voir qu'un morceau de ciel sombre qui se détachait à peine de l'obscurité dans laquelle la ville était plongée.
─ Il est tard et la journée a été longue. Nous ferions peut-être mieux d'aller nous coucher, leur fit-elle remarquer.
D'accord avec elle, Lisandre et Elya hochèrent la tête.
─ Je suis contente de vous avoir rencontré, leur glissa la nephyris tandis que ses compagnons s'apprêtaient à sortir.
─ Nous aussi, répondit le jeune homme avec un sourire.
Nevahe l'imita et hocha la tête, puis souhaita bonne nuit à Elya.
─ Tu viens ? demanda-t-elle à son ami qui ne semblait pas vouloir quitter la pièce.
Nevahe nota que quelque chose semblait lui avoir échappé l'espace de quelques secondes quand elle remarqua un échange de regard entre Lisandre et Elya.
─ Je te suis, répondit son meilleur ami sans bouger d'un pouce.
L'adolescente sourit en levant les yeux au ciel. D'un pas décidé, elle retourna vers Lisandre et l'attrapa par la manche.
─ Je suis sûre qu'Elya serait ravie de continuer de discuter avec toi, mais ça attendra demain d'accord ? Maintenant on y va.
Sa remarque fit piquer un fard à Elya qui prit un air mi-gêné, mi-amusé. Lisandre adressa un léger sourire à la nephyris, puis se tourna vers sa meilleure amie l'air de dire qu'elle l'avait démasqué. Il eut juste le temps de souhaiter bonne nuit à Elya, avant que Nevahe ne l'oblige à sortir de la chambre en riant, en le tirant par la manche.
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