❧ 𝑪𝒉𝒂𝒑𝒊𝒕𝒓𝒆 𝟏𝟗 : Remords
Elya martelait la porte avec l'énergie du désespoir, les larmes aux yeux et la gorge serrée par la peur. Elle tenta en vain de l'ouvrir avant de se rendre à l'évidence : Kiya l'avait fermée à clef et elle ne pouvait pas la rejoindre.
Tout en elle lui ordonnait d'ouvrir cette porte. Elle ne pouvait pas l'abandonner là, pas maintenant, alors qu'elle venait juste de la retrouver. Il fallait qu'elle l'aide.
Elya continua à frapper la porte, complètement désespérée, espérant que celle-ci finirait par céder et qu'elle pourrait à nouveau serrer Kiya dans ses bras
- Je suis désolée, bredouilla Nevahe, désemparée par les événement et ne sachant pas comment réagir.
À la fois furieuse contre la situation et bouleversée, la nephyris fini par craquer et laissa couler ses larmes, le visage caché entre ses mains. Dans l'état où elle était, Kiya n'avait aucune chance.
Pourquoi l'avait-elle laissé seule ? Pourquoi n'était-elle pas venue avec eux ?
Elya releva des yeux humides vers Lisandre lorsque une main vint se poser sur son épaule. Sans rien dire, le jeune homme s'avança et la prit dans ses bras. L'adolescente sanglota un instant contre son torse puis recula pour quitter son étreinte. Ils ne pouvaient pas rester là. Si tel était son but, Kiya n'allait pas les retenir longtemps et les membres du Corbeau risquaient de surgir dans la pièce à tout moment. Elya s'essuya vivement les yeux et les joues sans pour autant s'arrêter de pleurer, et se dirigea vers la bibliothèque du fond. Elle tira une clef d'une de ses poches et l'inséra dans une petite serrure creusée dans le bois. Le passage libéré, la nephyris fit signe à ses amis de passer. Elle jeta un dernier coup d'œil à la pièce, le cœur lourd, et prit une profonde inspiration avant de les suivre.
Une fois la bibliothèque replacée dans son encadrement, le trio s'empressa de quitter la maison de Kiya. Angoissés à l'idée que leurs ennemis sortent de la maison voisine et les aperçoivent, ils coururent se dissimuler derrière un muret, situé quelques habitations plus loin. Accroupis à l'arrière de ce qui leur servait de cachette, les trois adolescents prirent un instant pour calmer leurs battements de cœur précipités et remettre de l'ordre dans leurs idées.
Tout s'était passé si vite que Nevahe avait du mal à réfléchir. Les questions affluaient dans son esprit sans qu'elle ne parvienne à y répondre. Comment le Corbeau avait pu les retrouver aussi vite ? Elle repensa à l'arrivée de leurs adversaires chez Elya, à la bataille qu'ils venaient de mener, et aussi à cet instant où elle s'était mise à flotter dans les airs sans pouvoir rien n'y faire. Elle ne comprenait toujours pas d'où lui venait ses pouvoirs, ni comment elle était censé apprendre à les contrôler. Et cela commençait sérieusement à lui poser problème.
Et puis elle repensa à Kiya, qui avait décidé de se sacrifier pour leur permettre de s'échapper, et un sentiment de culpabilité commença à lui nouer l'estomac. Si elle n'avait pas été là, rien de tout ça ne serait arrivé.
Après quelques minutes, l'adolescente se releva et se retourna pour observer la rue qu'ils venaient d'emprunter, à la recherche des traces du Corbeau. Mais il n'y avait aucun signe d'eux aux alentours.
Nevahe se baissa à nouveau et jeta ensuite un coup d'œil à Elya et à Lisandre. Son amie lui renvoya un regard paniqué, tandis que, l'air inquiet, Lisandre posa sur elle des yeux remplis de questions.
- Il n'y a personne, les informa Nevahe pour tenter d'apaiser tout le monde alors qu'elle-même sentait son cœur battre à toute vitesse dans sa poitrine.
- Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? demanda Lisandre en essayant de garder un visage impassible pour ne pas montrer son stress, tandis que sa voix, tremblante, le trahissait.
Il était clair que s'ils restaient en ville, leurs adversaires ne mettraient pas longtemps avant de leur remettre la main dessus.
Un silence se fit pendant que tous les trois échangeaient des regards hésitants.
- On quitte la ville, finit par dire Elya dans un souffle, les yeux baissés vers le sol.
La nephyris n'en avait pas du tout envie, elle avait l'impression d'abandonner Kiya, mais c'était la meilleure chose à faire. De toute manière, elle était sûre que s'ils voulaient avoir des réponses à leurs questions, ce n'était pas ici qu'ils allaient en trouver, ou du moins plus maintenant. Elle releva la tête vers eux.
- On... On part d'ici et on rejoint les montagnes au nord. Ça nous prendra sûrement deux ou trois jours de marche, mais je connais un passage là-bas qui nous permettra de rejoindre la forêt d'Hënaga.
Nevahe et Lisandre hochèrent la tête. Ils ne voyaient pas d'autre solution pour quitter le pays de glace, et l'idée était certainement mieux que de rester dans les parages et perdre d'avantage de temps.
- Il nous faut quand même aller chercher des provisions avant de partir... souligna Nevahe, tu as toujours la bourse de ton cousin ?
Elya acquiesça et tapota l'une des poches de son pantalon.
- Finalement, elle va nous être utile, conclut la rousse en esquissant un faible sourire qui s'effaça aussitôt.
*****
Cela faisait plus de deux jours que les trois fugitifs marchaient. L'après-midi était déjà bien entamé et le soleil commençait déjà à se coucher à l'horizon, ses rayons lumineux se reflétant sur la glace et le paysage blanc qui les entouraient.
Décrochant le sac à dos qu'elle portait, Nevahe le fit passer sur son épaule pour déterminer ce qu'il restait de son contenu.
Les adolescents avaient décidé d'acheter, avec le peu d'argent qu'ils avaient, un stock minimum de nourriture pour les jours à venir, ainsi que des manteaux plus épais dans un petit commerce de la dernière ville qu'ils avaient rencontrée.
Seulement, ils s'étaient rendus compte au cours du temps qu'ils n'avaient pas prévus assez de vivres au cas où le voyage s'éternise.
La rousse soupira en réalisant que leur bagage ne contenait plus qu'un quart des victuailles qu'ils avaient emportés, et qu'elle ne voyait toujours pas les montagnes dont leur avait parlé Elya.
Gardant le sac à la main, Nevahe reporta les yeux devant elle, afin d'observer ses deux amis qui marchaient devant elle. Cela faisait plusieurs heures que personne n'avait dit un mot et l'adolescente devinait que tout comme elle, ils devaient ressasser les derniers instants qu'ils avaient passés aux côtés de Kiya.
Ils avaient beau ne pas la connaître depuis longtemps, Nevahe sentit son cœur se serrer en repensant à la jeune femme. «Encore une victime du Corbeau» pensa-t-elle rageusement en sentant des larmes lui piquer les yeux. À nouveau, un sentiment de culpabilité refit surface. Nevahe se disait que, quelque part, c'était de sa faute si elle était morte. Elle s'était répétée la scène un nombre incalculable de fois, l'avait retournée dans tous les sens, elle en revenait toujours à la même conclusion. Si elle ne l'avait pas mêlée à ses problèmes, rien de tout ça ne serait arrivé et Kiya serait encore là. C'était de sa faute.
Nevahe porta son attention vers Elya. Bien que la nephyris regardait devant elle d'un air décidé et tentait d'avancer en dissimulant ses émotions, la tristesse se lisait sur son visage. Ses yeux étaient rougis et des traces de larmes se distinguaient encore sur ses joues.
De son côté, son meilleur ami restait silencieux et était d'une humeur maussade. Il gardait sa main droite enfoncée au fond de sa poche de manteau, ce qui interloqua sa meilleure amie. Mais Nevahe n'osa pas lui poser de question de peur de le froisser davantage.
Lui qui était toujours boute-en-train et prêt à faire des blagues, elle ne le reconnaissait pas. Et c'était la deuxième fois en deux semaines qu'elle le voyait dans cet état là, d'abord à cause de l'enlèvement de sa sœur, et puis maintenant à cause de la mort de Kiya.
En proie à un nouveau stress, Nevahe sentit son cœur se mettre à battre plus vite. Une angoisse sourde lui serra la gorge, tandis qu'elle se remémorait tous les problèmes qu'ils avaient dû affronter ces derniers temps. L'adolescente se mordit la lèvre. Dans quoi les avait-elle embarqués ?
- On y est, annonça soudainement Elya.
- Quoi ? s'exclama Nevahe, brutalement tirée de ses pensées.
- On est arrivés, répéta son amie en désignant les montagnes qui s'élevaient dans le ciel une quinzaine de mètres plus loin.
Nevahe tourna alors la tête dans la direction indiquée et, pendant un instant, oublia ses réflexions.
Devant eux, la neige laissait place à une épaisse couche de glace aux reflets bleutés qui s'étendait le long d'une rivière bordée de plusieurs pierres blanches. Le bord du cours d'eau était constellé de glace sur quelques centimètres, ce qui créait un contraste avec le courant assez agité qui provenait d'une chute d'eau située à leur gauche.
De l'autre côté de la rivière, d'autres rochers se trouvaient au pied d'une chaîne de montagnes, dont la terre d'un gris presque blanc se dégradait sur le brun, délimitait la frontière entre les terres de Nëhima et d'Hënaga. Enfin, les derniers rayons du soleil se reflétaient sur l'eau et sur la glace comme sur un cristal, qui renvoyaient en surface des teintes de bleu et de mauve. Le tout rendait le lieu magnifique.
Nevahe admira quelques minutes la vue, profitant de la quiétude de cet endroit éloigné de tout.
L'adolescente fut à nouveau interrompue dans ses pensées, cette fois-ci par la voix de Lisandre.
- Rassurez-moi, on fait une pause hein ? s'informa-t-il en s'assaillant sur une pierre près de l'eau. Ça fait des heures qu'on marche.
Nevahe avait bien envie de l'imiter cependant, elle porta son regard vers Elya, attendant son avis. De son point de vue, il n'était pas très prudent de s'arrêter ici pour la nuit. L'endroit était complètement à découvert et il n'y avait rien qui pourrait les abriter du vent ou d'éventuelles tempêtes de neige.
La nephyris s'apprêtait sûrement à donner une réponse négative pour les mêmes raisons, lorsque, finalement, elle hocha la tête en réalisant que tous les trois avait besoin d'un peu de repos.
- Mais pas longtemps, il faut encore qu'on trouve un lieu pour la nuit.
Lisandre acquiesça avec soulagement et se tourna ensuite complètement vers la rivière en rabattant sa main droite contre lui.
Ce geste n'échappa pas à Nevahe qui fronça légèrement les sourcils, quelque chose n'allait pas, elle en était sûre.
Alors qu'il plongeait sa main dans l'eau froide, l'adolescente s'approcha et alla s'asseoir en face de lui.
- Qu'est-ce que tu as à ta main ? lui demanda-t-elle d'une voix soucieuse.
- Rien, répondit son meilleur ami en la retirant brusquement de l'eau.
Nevahe l'observa en plissant les yeux, avant de croiser les bras.
- Tu penses vraiment que je vais te croire ? Depuis le temps, tu devrais savoir que je le sais quand tu me mens, lui fit-elle remarquer.
Lisandre ne répondit rien, mais leva les yeux vers elle.
- Allez, montre-moi, insista Nevahe d'une voix douce.
Comme le garçon n'en fit rien, elle saisit délicatement son avant bras et tourna sa main vers elle pour pouvoir la regarder. Le contact de ses doigts sur sa peau le fit légèrement grimacer. Nevahe l'imita quand elle aperçut la brûlure qui s'étendait sur la paume de son meilleur ami. Elle ne semblait pas trop importante, mais, à cause de l'irritation, sa peau était toute rouge.
L'adolescente se mordit à nouveau la lèvre quand tous ses doutes lui revinrent en tête.
Elle lâcha la main de Lisandre et leva les yeux vers Elya. La nephyris les observait d'un air grave, une main posée sur son épaule gauche.
- Et toi ? Tu es blessée ? s'inquiéta Nevahe.
Son amie secoua la tête pour la rassurer et laissa retomber son bras.
- C'est quasiment rien, juste quelques bleus. Ça va, ne t'en fais pas.
Même si elle était soulagée de savoir qu'Elya n'avait rien de grave physiquement, Nevahe ne pu s'empêcher de s'en vouloir. Elle n'était pas dupe, tout n'allait pas bien.
- Je suis vraiment désolée, lâcha la rousse à l'adresse de ses deux amis. C'est de ma faute.
- Hein ? Mais qu'est-ce que tu racontes ? s'exclama Lisandre en se tournant brusquement vers elle, les sourcils froncés.
Le jeune homme ne comprenait pas comment elle pouvait penser qu'elle était responsable de la situation.
- À ce que je sache, ce n'est pas toi qui m'as brûlé la main. Ce n'est pas toi qui est coupable de la mort de Kiya. Et ce n'est pas toi non plus qui est responsable de tout ce qui nous arrive, répliqua Lisandre. Ce n'est pas de ta faute.
- Mais si je ne vous avais pas entraînés là dedans, ça ne se serait pas passé comme ça, rétorqua Nevahe d'un air dérouté.
Son meilleur ami soupira et vint poser sa main valide sur son épaule.
- Puisque je te dis que tu n'y es pour rien ! Et puis, d'abord, on ne t'a pas suivit parce qu'on y était obligés. On l'a fait parce qu'on a choisi de t'aider. Et pour nous aussi.
- Lisandre a raison, intervint Elya, il y a d'autres raisons qui font que nous sommes ici tous les trois. Et puis on est amis, non ? C'est normal que l'on soit là pour se serrer les coudes.
La nephyris accompagna cette dernière affirmation d'un sourire.
Nevahe resta silencieuse un instant, réfléchissant aux paroles de ses amis. Leurs arguments étaient convaincants, au fond ils avaient peut-être raison. À moitié rassurée, elle renvoya un demi-sourire à Elya.
- Et, s'il te plaît, ne te rejette pas la faute. Ne lui donne pas la satisfaction de te mettre le doute là-dessus. Ce n'est pas toi la fautive, c'est le Corbeau, ajouta Elya.
Même si ses craintes n'avaient pas totalement disparues, l'air sincère de Lisandre et Elya lui redonna un peu confiance en elle. Nevahe les remercia pour leur soutien puis se tourna à nouveau vers la rivière, bien décidée à avancer et à montrer à ses amis qu'ils pouvaient compter sur elle.
Nevahe l'observa de long en large, à la recherche d'un chemin qui leur permettrait de passer de l'autre côté du cours d'eau.
Mais elle se rendit compte qu'il y avait un léger problème : aucun passage ne menait au pied des montagnes.
- Euh, un dernier détail... Comment on fait pour passer de l'autre côté ? questionna l'adolescente en se retournant vers Elya.
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