𝑪𝒉𝒂𝒑𝒊𝒕𝒓𝒆 𝟏𝟒 : Chantage

Succédé par Khaleb, Dagnir descendait un escalier en colimaçon d'un pas décidé. Situé au rez de chaussée de la Tour de Fer - comme il aimait appelé le haut bâtiment où il avait élu domicile - il menait à un couloir sombre où se trouvaient plusieurs cellules. L'homme derrière lui le suivait rapidement et se maintenait à la hauteur de son supérieur, manquant parfois de le percuter quand celui-ci s'arrêtait pour exprimer, ou plutôt crier sa colère, en parlant de manière à effrayer quiconque croiserait son chemin.

- Tout ça est la faute de ces incompétents ! Je leur avait dit de ne pas se précipiter là-bas ! Et où ça nous mène maintenant ? On l'a perdu de vue ! dit le chef du Corbeau d'une voix agacée.

Dagnir leva les yeux au ciel en repensant au fait que Nevahe leur avait échapper à causes de ces trois incapables qui n'avaient même pas réussi à rattraper des adolescents ! Ce n'était pas comme-ci plusieurs patrouilles les avaient rejoins en plus. Comment diable ces gamins avaient-ils réussi à semer plus d'une trentaine de ses hommes ?

- Cette fille a intérêt de nous donner des réponses, ou je ne paie pas cher de son silence, ajouta Dagnir en continuant de descendre les marches les unes après les autres.

- Mais Monsieur, elle n'a même pas ouvert la bouche depuis le temps qu'elle est enfermée ici, lui rappela Khaleb, se souvenant encore de la première entrevue d'Iris avec son chef.

La jeune femme s'était contentée de garder le silence et d'adresser un regard noir rempli de colère et de haine envers celui qui avait demandé son enlèvement, les bras fermement croisés contre sa poitrine, tandis que Dagnir essayait vainement d'obtenir des réponses à de simples questions. Khaleb s'arrêta un instant, se demandant se que comptait faire et lui demander son supérieur.

À sa remarque, Dagnir se tourna vivement vers lui, et le fixa d'un regard sombre où brillait une lueur qui ne rassurait pas vraiment son complice.

- Crois-moi, on trouvera un moyen de la faire parler, affirma-t-il.

Et il reprit son chemin sans lui accorder plus de précision.

Une fois arrivés en bas, ils s'engagèrent dans un long couloir sombre où la lumière ne filtrait que très peu.

Le chef du Corbeau se rapprocha d'un mur et passa une main au-dessus d'une torche éteinte. Celle-ci s'enflamma et émit un léger crépitement. Dagnir s'en saisit et en alluma trois autres avant de rejoindre Ikar quelques cellules plus loins, toujours suivi par Khaleb.

L'homme se tourna alors vers une des pièces mal éclairées et se mit à dévisager la jeune femme assise sur une banquette posée contre le mur. Ses longs cheveux bruns et lisses encadraient son visage fin et retombaient autour de ses épaules. Elle avait une silhouette assez grande et mince. Ses yeux couleur chocolat avaient perdu leurs étincelles de joie habituelle et le fixaient avec mépris. Son teint claire paraissait plus terne dans la semi-obscurité et, les lèvres pincées, elle affichait un air totalement fermé, ne semblant toujours pas décidée à lui adresser la parole. Ou du moins, à ne pas vouloir lui répondre.

- Iris, dit Dagnir en guise de salut.

La jeune femme fronça les sourcils et croisa les bras, ravala intérieurement son angoisse et attendit. Qu'est-ce qu'il pouvait bien lui vouloir pour l'avoir fait amenée ici ?
Le regard planté sur le chef du Corbeau, Iris tenta de deviner ses pensées. En fait, elle avait bien une idée, mais elle espérait se tromper. Il ne pouvait pas savoir. Seuls ses parents, son frère et sa meilleure amie étaient au courant. Personne d'autre ne devrait connaître son secret. Ce serait trop dangereux et elle ne voulait en aucun cas se transformer en arme humaine.

Un frisson lui parcouru le dos quand la brune sentit les yeux de son geôlier se poser sur elle, comme s'il parvenait à lire en elle.

- Je sais ce dont tu es capable, dit Dagnir après un instant de silence.

Iris décroisa les bras, les mains légèrement tremblantes et se figea un instant. Inquiète et perplexe, elle se leva sans se départir du masque glacial qu'elle tentait de garder sur son visage.

- Vraiment ? Si vous le savez si bien, alors dites moi ce que je suis.

Déstabilisé une seconde par le ton de sa réponse, l'homme ne répondit pas. Il jeta un coup d'œil à Ikar et Khaleb, s'attendant presque à trouver une réponse qui ne vint pas. Il reporta son attention sur Iris.

- C'est bien ce qu'il me semblait... marmonna la brune .

Elle même n'aurait pas sû apporter la réponse. Sa véritable nature restait un mystère à ses yeux et à ceux de son entourage. La jeune femme ne s'attendait donc à rien venant de la part du Corbeau.

- Ne joue pas à ça avec moi, tu risques d'y laisser des plumes, prévint Dagnir.

- Ah oui ?

- Nous avons besoin de toi vivante, mais en un seul morceau... si j'étais toi, je ne dirais rien ou ne ferai rien que je ne puisserai regretter, glissa Ikar en sortant de l'ombre de Dagnir pour se rapprocher de la grille qui les séparait.

Sur la droite de la cellule, Khaleb suivit l'homme d'un regard froid, posté comme un garde sur le qui vive.

Iris distingua alors le sentiment de tension qui semblait se propager dans le couloir et eût un léger mouvement de recul. Essayant de faire abstraction des yeux bleus perçant d'Ikar et de la menace sous entendue, elle remballa ses remarques et reporta son attention sur Dagnir aux travers des barreaux. Elle n'était plus si sûr de vouloir "jouer".

- Qu'est-ce que vous me voulez ? demanda-t-elle alors.

- Toi qui est capable de voir dans le passé, le présent ou le futur... Je veux que tu me dises où trouver ton frère et son amie.

- Non.

- Comment ça "non" ? Il me semble que tu n'es pas en mesure de donner ton avis, s'énerva Dagnir tandis qu'il essayait de garder son calme.

- Non, refusa Iris devant les regards noirs que lui lançaient Ikar et son chef, je ne peux pas.

- Tu ne peux pas ? répéta Dagnir d'une voix agacée en haussant un sourcil.

La jeune femme soupira, lasse de se répéter, retourna s'asseoir et reprit :

- Je ne veux pas, et je ne peux pas vous le dire.

- Je sais que tu as des visions, alors ne me ment pas, répliqua Dagnir.

- Mais en quelle langue il faut vous le dire ! Ce. N'est. Pas. Possible. Je ne peux pas contrôler mes visions ! Ce n'est quand même pas si compliqué à comprendre !

Ses éclats de voix firent taire Dagnir quelques secondes à peine. L'homme jeta un nouveau coup d'oeil à Ikar et Khaleb. Il n'avait pas pensé à ça. Prenant sur lui, Dagnir retroussa ses manches et reprit :

- C'est ce qu'on va voir...

- Quoi ? s'exclama Iris sans comprendre où il venait en venir, attendez...

- Ouvre-moi cette porte, tu veux ? ordonna le chef du Corbeau à l'adresse de Khaleb.

- Qu'est-ce que... commença-t-il d'un ton hésitant.

- Ouvre la porte ! le coupa net Dagnir en se rapprochant de la porte de la cellule.

- Tout de suite...

Khaleb s'empressa de sortir un trousseaude sa poche comportant une dizaine de clefs. Il tria rapidement et saisit celle qui convenait à la serrure afin de laisser passer son supérieur.

Dagnir entra donc dans la cellule et alla s'asseoir près d'Iris qui recula vivement sur la banquette.

- Donne-moi ta main, lui ordonna Dagnir en lui tendant la sienne.

- Pourquoi faire ? l'interrogea-t-elle, réticente.

Iris savait qu'en la lui donnant, elle lui donnait aussi l'occasion de la transformer en känwe. Il suffisait d'un contact pour qu'il parvienne à déverser des sentiments de haine dans ses veines. C'était pourtant ce sortilège qu'il avait utilisé afin d'obliger les gens les plus réticents à entrer dans ses rangs.

Elle ne savait pas comment cela était possible, comment il parvenait à les métamorphoser de forces. Mais il était hors de question qu'elle le laisse la changer en l'un d'eux, en personne avide de vengeance et de sang. Jamais.

Comme s'il lisait dans ses pensées Dagnir ajouta :

- Je ne prendrais certainement pas le risque de perdre quelqu'un comme toi. Ce serait vraiment dommage d'être privés de ton don. De plus, je n'ai pas toute la journée devant moi, alors donne-moi ta main, la pressa l'homme, paume tendue vers la jeune femme.

Iris ne sû comment réagir à cette nouvelle information. Elle comprit alors que transformer quelqu'un en känwe signifiait prendre le risque de remplacer totalement sa nature et ses pouvoirs originaux.

La brune pinça les lèvres. D'un côté elle était sûre de ne pas avoir à se méfier de lui, il ne lui ferait pas de mal. En revanche, elle comprit qu'elle ne sortirai pas d'ici de si tôt. Iris n'avait cependant aucune envie de servir d'arme humaine. Il fallait qu'elle trouve un moyen de s'échapper, et vite.

Tandis que la jeune femme restait figé sur l'assise, Dagnir fini par saisir son avant-bras droit.
Iris frissonna sous le contact glacé de sa main et tenta de dégager son poignet de la poigne de l'homme.

Seulement celui-ci n'en fit rien et tira son bras vers lui pour la rapprocher.

- Concentre toi et dis moi ce que tu vois.

La brune ouvrit la bouche pour répliquer lorsqu'un cri lui échappa. Une force brutale venait d'envahir son esprit, insufflant une étrange énergie qui brouilla son esprit. Sa vision s'assombrie jusqu'à ce qu'elle ne distingue plus ce qu'il l'entoure, la plongeant dans le noir.

Dagnir sentit alors ses doigts se crispés sur son propre avant-bras, mais ne réagit pas, gardant un visage impassible.

Iris comprit qu'il avait enclenché le processus. Seulement, aucune vision n'apparaissait, tandis qu'une douleur insupportable lui envahissait le crâne.

En dehors de la cellule, Ikar et Khaleb se contentaient de regarder la scène, le premier se demandant si le plan de Dagnir allait fonctionné et si le fait de forcer la barrière mentale n'aurait pas de répercussion. Après tout, il ne fallait pas que la jeune femme perde ses capacités, sans quoi elle ne leur serait plus d'aucune aide. L'homme passa une main sur sa barbe argenté, pensif et impatient de voir le résultat.

À côté de lui, appuyé contre l'encadrement de la porte, Khaleb fini par remarquer un détail. Les yeux bruns d'Iris avaient prit une teinte violette. Intrigué, l'homme reprit une meilleure posture afin d'observer cet étrange changement.

Posté en face d'elle, Dagnir nota lui aussi ce détail, aucune réaction particulière ne se dégagea pourtant de son visage, tandis qu'il continuait de fixer Iris dans l'attente d'une réponse. La jeune femme semblait absente. La mâchoire tremblante sous le coup de la pression qu'elle ressentait, Iris fixait Dagnir d'un regard vitreux comme si elle n'était plus présente mentalement.

- Qu'est-ce que tu vois ? demanda le chef du Corbeau, brisant le silence.

Il lui sembla que la voix de l'homme venait de très loin. Iris dut se concentrer davantage afin de s'arracher à l'obscurité qui l'entourait. Revenant soudainement à la réalité, elle s'empressa vivement de retirer sa main de la poigne de Dagnir. Elle cligna plusieurs fois des yeux, un peu déboussolée.

- Alors ?

- R-rien. Absolument rien, bredouilla-t-elle, se demandant comment il avait fait pour accéder à ses pensées.

Fronçant les sourcils, le chef du Corbeau reprit sa main de force.

- Concentre toi, lui dit il avant de lui renvoyer une boule d'énergie plus puissante.

Un gémissement s'échappa d'entre ses lèvres serrées alors qu'elle se retrouvait à nouveau dans le noir. Ses yeux reprirent une teinte violette tandis que quelques points lumineux se formaient dans son esprit. Non ! pensa-t-elle. Il ne fallait pas qu'elle ait de vision. Elle ne devait pas pouvoir dire à Dagnir ce qu'elle avait vu.

Une mal de tête insupportable l'envahit tandis qu'Iris tentait de réprimer sa vision. Une douleur plus forte, lancinante, traversa son esprit comme un éclair. L'homme en face d'elle essayait de forcer la barrière qu'elle était en train d'ériger afin de déclencher une vision.

- Cesse de me bloquer le passage ! hurla Dagnir énervé.

N'arrivant pas à contrôler la douleur, Iris ferma les yeux. Il fallait qu'elle empêche sa vison de se former. Elle devait l'effacer.

Un flash aveuglant lui apparu, affreusement douloureux avant qu'elle ne puisse rouvrir les yeux sur l'homme qui se tenait devant elle.

- Lâchez-moi, demanda la jeune femme d'une voix légèrement tremblante.

- Pas avant que tu ne m'ait dit où trouver cette fille ! grogna le chef en serrant davantage son poignet.

La brune grimaça tandis qu'Ikar fit un pas à l'intérieur de la cellule.

- Je ne suis pas sûr que... commença-t-il alors que son supérieur s'apprêtait à répéter son sortilège.

Mais l'homme au cheveux argentés ne fini pas sa phrase, ne pouvant qu'assister à la scène qui se répéta une fois de plus. Un nouveau cris retentit jusque dans le couloir.

La jeune femme ne parvint pas cette fois à supporter la douleur qui l'envahit et laissa alors les images la submergées.

Elle se retrouva alors en lisière de forêt, dont les plaines voisines finissaient par rejoindre un désert sans fin. En se tournant un peu, elle aperçu Lisandre et Nevahe, accompagnés de la jeune fille que son frère lui avait décrite, Elya, lui semblait-il. Avec eux se trouvaient une inconnue à la chevelure noire et à la peau brune, ainsi qu'un jeune homme aux cheveux blonds en bataille vêtu de vêtements de cuir. Tous les cinq semblaient en grande conversation.

Peu à peu la vision se brouilla et elle aperçu à nouveau les pupilles sombres de l'homme qui la fixait. La brune referma les yeux, dégoutée et senti une larme glissée sur sa joue. Elle avait échoué.

Seulement Iris avait un problème. Ce n'était pas le fait qu'elle se sentait épuisée mentalement, non. Elle était persuadée que ce n'était pas le présent, mais plutôt le futur. À moins de lui mentir, la jeune femme n'avait aucune réponse à fournir au chef du Corbeau.

- Alors ? répéta simplement Dagnir, tentant de ne pas hausser la voix, relâchant enfin son bras.

- Je ne sais pas, répondit Iris en baissant les yeux.

- Mauvaise réponse, dit l'homme, perdant patience, c'est ta dernière chance, où sont-ils ?

- Je n'en sais rien... Je... Ils... hésita-t-elle.

- Très bien, puisque c'est comme ça, tu ne me laisse pas le choix, trancha Dagnir.

Il se leva sans plus attendre et se dirigea vers la sortie. Ikar et Khaleb s'écartèrent de son passage, ne tenant pas à s'attirer ses foudres.

Inquiète et décontenancée par son départ soudain, Iris se leva brusquement et manqua de perdre l'équilibre. Ignorant ses vertiges, la jeune femme se jeta sur la grille que Khaleb venait de refermer.

- A-attendez ! les appela-t-elle, serrant les barreaux de toutes se forces.

Le trio se figea sur place au milieu du couloir et, sur un signe de leur supérieur, fit demi-tour.

- Qu'allez-vous faire ? questionna Iris sans relâcher la grille.

Le chef se planta devant la cellule et plongea son regard dans celui de la jeune femme. Il observa un instant son teint pâle et ses yeux bruns brillant de peur et de fatigue, avant de lui répondre enfin.

- Puisque je dois les chercher moi-même, sache qu'une fois que je leur aurait mis la main dessus, je m'occuperai personnellement du cas de ton frère, déclara l'homme d'un ton froid, crois-moi, il ne sera plus le même.

Iris se figea sur place, son cœur manquant un battement, complètement affolée. Non, non, non, non ! pense-t-elle Il ne pouvait pas faire ça. Il n'avait pas le droit !

- Ne lui faite pas de mal ! cria-t-elle en frappant un barreau de son poing, un éclair de colère traversant son regard.

- Cela ne tient qu'à toi.

- J-je vais vous dire ce que j'ai vu, dit la jeune femme d'une voix tremblante.

Elle lui détailla alors le peu qu'elle avait pu voir dans sa vision et l'informa même de son intuition.
Dagnir l'écouta sans rien dire, notant tout ce qu'elle disait dans un coin de sa tête. Peu lui importait de savoir si c'était présent ou futur, il savait à présent où ils devaient se rendre afin de les piéger.

- S'il vous plaît, ne lui faite pas de mal, le supplia une dernière fois Iris à la fin de son récit.

Dagnir la dévisagea une seconde, avant de répliquer :

- Ça, il aurait fallu s'en assurer avant... Et puis, pourquoi devrais-je t'écouter ? dit-il d'un ton froid rempli de reproches.

Malgré elle, Iris sentit les larmes coulées sur son visage et lui brouiller la vue. Tremblante à l'idée que son frère puisse se retrouver entre les mains de cet homme, elle cessa d'écouter ce que racontait son geôlier. Prise d'un nouveau vertige, elle ressera sa main autour du barreau de la cellule et ferma les yeux, le souffle saccadé.

Un autre flash profita de cet instant de faiblesse pour la propulser dans une vision où se succédaient rapidement images et sons terrifiants. Flammes, cris, affolement, corbeaux, armes, ombres, combats et hurlements furent les dernières choses qu'elle put percevoir avec horreur, avant de perdre connaissance et de s'effondrer sur le sol.

◆━━━━━━◆❃◆━━━━━━◆


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top