𝑪𝒉𝒂𝒑𝒊𝒕𝒓𝒆 𝟏 : Souvenirs

🎵Control by Zoe Wees

Nevahe était attablée devant son petit déjeuner et semblait pensive tandis que Diana, sa tutrice, s'affairait à ranger la cuisine juste derrière elle. L'adolescente venait tout juste de se lever et ne semblait pas vraiment réveillée. Ses cheveux roux habituellement bouclés étaient en bataille et retombaient autour de ses épaules, dissimulant son visage fin et ses yeux verts perdus dans le vague, enfin, dans le lait de son chocolat, indiquait qu'elle était dans ses pensées.

La nuit qu'elle venait de passer en était à l'origine. Et pour cause, un cauchemar assez familier avait envahi son sommeil. Elle revoyait encore les images. D'abord les flammes qui consumaient le château, puis le dernier regard de sa mère, sûr, rempli d'amour mais surtout de détermination et d'inquiétude. Ensuite, la bête, ce monstre mi-homme, mi-animal, qui avait jeté son père dans le feu incandescent. Et, enfin, le visage angoissé de Diana lorsque Nevahe avait frappé à sa porte les joues inondées de larmes.

Nevahe secoua la tête, chassant ces affreuses images et les larmes qui menaçaient de couler avant de froncer les sourcils. Il y avait longtemps que ce rêve pénible l'avait quittée. Et le voilà qui revenait à la charge. La rouquine sentit son cœur se serrer, quelque chose n'allait pas.

─ Tout va bien, ma chérie ? demanda Diana, inquiète.

L'adolescente faillit sursauter, elle ne l'avait pas entendue arriver et n'avait pas senti sa main se poser délicatement sur son épaule. Nevahe releva la tête tout en écartant les cheveux qui lui étaient tombés devant les yeux et laissa un petit sourire étirer ses lèvres.

─ Tout va bien, j'étais un peu dans la lune, répondit-elle d'une voix qu'elle voulait sûre.

Nevahe tourna alors son regard vers celui de sa tutrice. Elle ne dit rien, mais l'adolescente comprit que Diana ne la croyait pas vraiment. La rousse l'observa alors se reculer et hausser un sourcil.

Diana était une femme de trente-huit ans, un peu rondelette, elle n'était pas très grande pour son âge et ne dépassait Nevahe que d'une dizaine de centimètres. Ses cheveux bruns encadraient son visage et faisaient ressortir ses yeux bleus remplis de bonté. Et bien que les paroles de l'adolescente l'attristaient, ses fines lèvres s'étirèrent en un sourire qui se voulait réconfortant. Diana sentait que quelque chose n'allait pas, mais n'insista pas. La jeune fille détourna le regard et finit son bol de chocolat avant de se lever vivement de sa chaise, la vaisselle en main.

─ Tu as prévu de faire quelque chose ce matin ? la questionna Diana en s'écartant de son passage.

─ Pas vraiment, non. Je verrai bien après m'être préparée, lui répondit-elle, contente de changer de sujet.

Diana hocha la tête puis, tandis que Nevahe disparaissait dans les escaliers, attrapa un journal posé près d'elle et en lut quelques articles pour se tenir au courant des dernières nouvelles.

Lorsqu'elle redescendit et rejoignit le salon, Nevahe tomba sur le journal que Diana avait laissé sur la table basse. Elle allait en détourner le regard quand le titre écrit en lettre capitale attira son attention : LONYRIS, LE CORBEAU À ENCORE FRAPPÉ. Contournant le canapé qui se trouvait au milieu de la pièce, elle se saisit de la page contenant l'article.

09 Juin 2521

"Après ces dix derniers jours passés dans les rues de Lonyris, nous pouvons affirmer que le Corbeau a réussi à prendre le pouvoir sur toute la ville."

Nevahe arrêta sa lecture le temps de s'asseoir dans le canapé puis parcouru les lignes suivantes.

"Un de nos coéquipiers vient de nous rapporter que les derniers résistants viennent d'être convertis de force à cette organisation. Son but reste encore flou, mais nous pouvons affirmer que la personne à la tête de cette entreprise sait ce qu'elle veut. Dernièrement, un de nos agents nous a révélé que plus de mille personnes ont été ralliées au Corbeau."

Nevahe fronça les sourcils face à ces nouvelles révélations. Enfin, pas si nouvelles que ça si on y réfléchissait bien.

Le Corbeau était une société qui existait depuis plus d'une quinzaine d'années et avait toujours cet objectif incertain d'étendre son pouvoir sur tout Oregähna.
Malheureusement pour leur chef, tout le monde n'était pas d'accord avec ses principes. S'il avait réussi à détruire Lonyris en s'en prenant à son royaume, les règles avaient été modifiées et il lui était devenu plus compliqué de prendre les rênes du monde.

Nevahe étouffa un rire nerveux, c'était bien fait. C'était à cause du Corbeau qu'elle avait perdu ses parents. À cause de ces gens-là, elle avait dû fuir son propre domaine et sa propre ville. Parce que, bien sûr, avoir incendié le château n'était pas suffisant, non. Il lui avait fallu ensuite empêcher les habitants de quitter la ville et les convaincre de se joindre à eux. Ceux qui ne coopéraient pas étaient enfermés jusqu'à ce qu'ils deviennent comme eux. D’autres, jugés inutiles ou potentiellement dangereux pour leur organisation étaient tués, ce qui semblait malheureusement être une meilleure finalité si l'on ne voulait pas être convertis de force et être obligé à commettre des actes qui vont à l’encontre de nos valeurs.

Heureusement, lorsque Nevahe avait rejoint Diana cette nuit-là, cette dernière n'avait pas attendu la dernière minute pour faire ses valises. À l'aube, alors même que la ville dormait encore, elles avaient pris une des calèches qui quittaient Lonyris.
À huit ans, Nevahe avait suivi Diana, elles avaient quitté l'appartement dans lequel la jeune femme vivait et avaient trouvé refuge dans une maison, à Mendje, dans la région voisine, qui se situait à plusieurs kilomètres de Lonyris.

Alors oui, si le Corbeau rencontrait des problèmes dans tous ses plans horribles et monstrueux, c'était mérité. Du moins, l'adolescente voulait le croire, car personne ne réparerait jamais tout le mal qu'il avait fait.

Bien qu'elle n'avait aucune idée de l'identité de la personne qui se cachait derrière le chef du Corbeau, elle ne pouvait s'empêcher de ressentir la colère qui l'habitait. C'était à cause de lui qu'elle avait perdu ses parents. Elle les avait vus mourir devant ses yeux par sa faute. Et s'il n'était jamais parvenu à détruire son royaume, personne n'aurait été là, à vivre dans la peur d'une nouvelle attaque. Car il cherchait quelque chose, Nevahe en était sûre.

Ces pensées la troublèrent. Bien que lointains, ses souvenirs étaient toujours ancrés dans son esprit et la tristesse et la douleur qui s'en échappaient revenaient au galop.

L'adolescente sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle aurait tellement aimé apprendre à mieux connaître ses parents. Nevahe avait beau essayer de se rappeler son enfance, elle ne parvenait qu'à se souvenir du sourire de sa mère lorsqu'elle lui lisait des histoires, le soir, avant de s'endormir. Elle se rappelait du rire de son père lorsqu'ils jouaient dans la cour du château. Mais elle revoyait surtout cette nuit terrifiante et douloureuse.

Elle était sûrement trop jeune pour pouvoir maintenant se remémorer les moments passés avec sa mère et son père. Tout ce dont Nevahe était sûre, c'était que l'incident reprenait beaucoup trop de place dans ses pensées, et qu'elle ne parvenait pas à avancer sans cesser de se rappeler ces images atroces gravées dans sa tête qui lui serraient le cœur. Il fallait qu'elle se change les idées, qu'elle arrête d'y penser et de se faire du mal, même si l'adolescente n'oublierait jamais ce qu'il s'était passé.
Et pour cela, l'adolescente décida d'aller prendre l'air, elle avait besoin de voir Lisandre.

Son meilleur ami savait toute la souffrance qu'elle éprouvait chaque fois qu'elle se remémorait la mort de ses parents et avait toujours été là dans les moments les plus compliqués pour la soutenir. Lui saurait sûrement comment faire pour la divertir.


Nevahe se leva vivement du canapé, faisant voler ses boucles rousses autour de ses épaules. Elle le contourna, et longea la table à manger pour rejoindre le meuble bar de la cuisine. Elle s'apprêtait à trouver Diana en train de fouiller dans les placards, déjà à la recherche du repas du midi, mais ne vit personne. La rouquine haussa un sourcil d'étonnement, amusée. Elle aurait pourtant parié qu'elle était ici, comme à son habitude.

L'adolescente se mit donc à la recherche de sa tutrice et s'engagea dans le couloir qui longeait la cuisine. Elle ouvrit ensuite la porte de sa chambre, peut-être était-elle occupée à refaire son lit ? Visiblement ce n'était pas le cas. Elle regarda ensuite dans la buanderie et dans la réserve de nourriture qui servait accessoirement de rangement ménager.

─ Diana ? appela-t-elle alors, ne sachant plus où chercher.

La jeune fille revint sur ses pas, et après avoir réfléchi un instant, se dit qu'elle la trouverait peut-être dans la bibliothèque. Nevahe commença à monter l'escalier.

─ Diana ? Tu es là-haut ?

Nevahe s'arrêta en entendant des pas fouler le sol.

─ Je suis là, répondit-elle en apparaissant en haut des escaliers, tu as besoin de quelque chose ?

─ Je voulais juste te prévenir que j'allais aller voir Lisandre.

─ Oh ! D'accord, lui sourit-elle, tu aurais pu me laisser un mot tu sais.

─ Je ne suis pas pressée, rigola-t-elle légèrement.

Diana l'observa avec un regard amusé.

─ Bon allez, j'y vais.

─ À toute à...

Quelqu'un frappa à la porte, ce qui la coupa dans ses paroles. Diana fronça légèrement les sourcils en signe d'interrogation. Elle n'attendait personne. Qui pouvait bien être là ? Nevahe descendit les quelques marches qu'elle avait montées pour laisser passer la jeune femme puis la suivit jusqu'au bout du couloir menant à la porte d'entrée. Sa tutrice ouvrit la porte et Nevahe put parfaitement distinguer les deux hommes qui se trouvaient sur leur palier depuis sa position.

Le premier, grand et svelte, était vêtu de manière plutôt élégante. Il possédait un regard sombre perçant et ses cheveux mi-longs étaient de couleur argentée.
Le deuxième mesurait quelques centimètres de plus et possédait une forte carrure. Nevahe en déduisit qu'il devait sûrement travailler comme garde du corps. Et si c'était vraiment le cas, elle se demandait ce que ces deux personnages venaient faire ici.

─ Bonjour Madame, nous recherchons Mademoiselle Nevahe Manderow. On nous a dit que nous pourrions la trouver ici, expliqua l'homme élégant.

Nevahe se figea en entendant son nom. Que pouvaient bien lui vouloir ces deux inconnus ?
Diana scruta avec attention les deux individus et eut un mouvement de recul presque imperceptible. Si les deux hommes ne remarquèrent rien, Nevahe s'en aperçut.

─ Deux secondes je vous prie, répondit calmement Diana.

Elle referma la porte et se tourna vers sa protégée. Si avant, son visage avait gardé toute son impassibilité, il trahissait maintenant une profonde inquiétude.

─ Monte dans ta chambre et n'en sors pas, chuchota-t-elle du bout des lèvres.

─ Qu'est-ce qu'il se passe ? murmura Nevahe d'une voix tendue, en ressentant l'angoisse de Diana.

─ Pas le temps de t'expliquer. Fais ce que je te dis, continua la brune.

─ Y a-t-il un problème, Madame ? tonna la voix de l'homme aux cheveux argentés.

─ Non, non ! Attendez encore un peu ! s'exclama-t-elle d'une voix claire.

Elle posa à nouveau ses yeux sur Nevahe.

─ S'il te plaît, monte là-haut.

─ Je ne vais pas te laisser toute seule ! refusa l'adolescente.

─ C'est le Corbeau. Il te cherche. Sauve-toi.

─ Mais... Et toi ?

─ Je saurai très bien me débrouiller.

─ Madame, ouvrez-nous ! Nous savons qu'elle est là ! Vous ne pourrez pas nous la cacher plus longtemps !

Diana jeta un coup d'œil inquiet à la porte, les lèvres pincées. Elle reporta son attention sur sa protégée. Nevahe se figea quand ses yeux rencontrèrent les siens. Ce regard rempli de peur et d’incertude, elle l’avait déjà vu. Dans les yeux de sa mère la nuit de l’incendie. Dans ceux de Diana lorsqu’elle lui avait annoncé la mort d’Arianna.

─Allez, sauve-toi... la pressa-t-elle d’une voix angoissée..

─ Non. Maman m'avait demandé la même chose et je ne l'ai jamais revue. Je ne t'abandonnerai pas, répliqua l'adolescente le cœur serré.

Nevahe sentait une boule se former dans son estomac. Elle était effrayée par ce qu'elle entendait, mais en aucun cas elle ne partirait sans Diana. Il en était hors de question.

─ Si vous ne bougez pas cette porte immédiatement, nous allons l'enfoncer, prévint une voix grave.

Malgré son cœur qui battait la chamade dans sa poitrine, Nevahe resta immobile, décidée à rester quoi qu’il arrive. Figée par la peur, elle passa son regard de la porte à Diana qui, face à la menace de l'homme, s'en était vivement décalée. Sa tutrice ouvrit la bouche, prête à essayer de la convaincre une dernière fois. Mais alors même que le premier son échappait à ses lèvres, la porte vola en éclats.

◆━━━━━━◆❃◆━━━━━━◆

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top