Les premières lueurs de l'aube s'engouffrèrent dans les rues sombres de Lonyris, amenant un peu de chaleur et de couleurs dans la ville endormie.

Les bâtisses et les habitations, qui autrefois possédaient des tons vif et chaleureux, avaient pris un aspect gris terne et dévoilaient des fondations qui avaient vieillies. La ville avait perdu de sa beauté et de son éclat. Des immeubles, construis plus récemment dans le but d'assurer la surveillance de la citée occupaient à présent la majorité des espaces libres ; les routes avaient diminué en surface et la plupart des lieux naturels qui se trouvaient à l'intérieur de Lonyris n'existaient plus.

Les lieux qui avaient brûlés neuf ans plus tôt avaient pour la plupart été rasés. Seuls les restes d'un ancien château témoignaient d'une autre vie, qui avait existé des années auparavant, dans la cité.

Au cœur de la métropole, dans la tour la plus haute d'une aile ré-établie du château, Dagnir surveillait la ville à travers une grande vitre. Il balayait les lieux de son regard sombre, les bras croisés sur sa tunique noire, l'air impatient.

─ Il ne devrait pas tarder, Monsieur, affirma une voix sonore dans son dos.

Dagnir se retourna vers l'homme, le visage impassible. Il ne répondit rien, se contentant de le dévisager.

Vêtu d'un ensemble blanc raffiné, Ikar Glowsoar se tenait debout près d'une table en céramique aussi blanche que sa veste. Ses yeux bruns parcouraient distraitement un plan d'Orëghana, où des cercles et des croix marqués par un feutre rouge figuraient sur certains lieux.

─ Pourriez-vous me dire, chef, pourquoi attendons-nous que Khaleb nous confirme que c'était bien elle que nous cherchions, alors qu'il n'était pas sur place ? s'informa Ikar en passant une main pensive autour de sa barbe argentée, sans pour autant détacher son regard de la feuille.

─ Parce que c'est lui qui était chargé de s'assurer que personne ne quitterait le château et qu'il est l'un des seuls, encore vivant, à l'avoir vu, lui fit remarquer Dagnir en haussant un sourcil, ça lui semblait assez logique.

─ Mais ça fait presque dix ans, elle a eu le temps de grandir. Comment voulez-vous qu'il la reconnaisse ? Et puis, je suis sûr que c'est elle. Si vous aviez vu la puissance de son attaque, vous en seriez convaincu vous aussi.

─ Mais je n'en doute pas ! répliqua Dagnir en allant appuyer ses mains sur le dossier d'une chaise, j'attends juste sa confirmation.

Ikar secoua la tête et se déplaça hors du champ de vision de son chef pour lever les yeux au ciel. Il était certain de ne pas se tromper alors pourquoi attendre encore ? Par dépit, il haussa les épaules. Après tout, ce n'était pas lui qui dirigeait. Il replaça une mèche de cheveux argentée derrière son épaule et revint vers la table.

Dagnir allait ajouter quelque chose, quand la porte s'ouvrit brusquement.

Deux paires d'yeux allèrent se poser sur un homme d'une trentaine d'années.

De taille moyenne et plutôt bien bâti, Khaleb Armarog avait le teint hâlé. Quelques mèches de ses cheveux noirs légèrement bouclés retombaient sur son front et faisaient ressortir ses yeux bleu électrique. Malgré la longue cicatrice qui lui barrait la joue droite jusqu'à la mâchoire, près d'une barbe coupée court, il dégageait un certain charme.

─ Bonjour, fit-il en rajustant sa veste en cuir, j'espère que je ne vous ai pas trop fait attendre...

Ikar le salua d'un signe de tête tandis que Dagnir lui faisait signe que non.

─ Tu es pile à l'heure, l'informa-t-il avec un sourire en coin.

─ Ah bon. Ça ne me semblait pas possible, vu le boulot de ce matin...

─ Vous avez réussi ? le questionna Dagnir.

─ Oui.

─Bien. On parlera de la suite plus tard...

─ Comme vous voulez.

─ Ça y est ? On peut commencer ? s'enquit Ikar d'un ton pressant.

Ce fut au tour de Khaleb de lever les yeux au ciel. Ikar n'était pas quelqu'un qu'il appréciait particulièrement. Il n'aimait ni ses manières, ni son caractère un peu trop indiscret et fouineur. Pourtant, il se décida quand même à leur fournir la réponse qu'ils attendaient.

─ C'est bien elle, il n'y a aucun doute.

─ Ah oui ? Et qu'est-ce qui te fait dire ça ? l'interrogea l'homme aux cheveux argentés.

Visiblement vexé que sa réponse seule ne suffise pas à convaincre son supérieur, il tenait absolument à savoir quel argument avait Khaleb pour se justifier, certain qu'il n'avait aucune chance de la reconnaître après neuf ans.

─ Air de famille, expliqua l'homme à la cicatrice, je vous observais de loin hier... Elle a les mêmes yeux que son père et, même si la dernière fois que j'ai vu Arianna remonte encore plus loin, je peux t'affirmer qu'elle possède les mêmes traits et la même allure que sa mère.

Ikar se retint de se taper le front, il aurait dû y penser.

─ Et à ta place, ajouta Khaleb avec un sourire moqueur, si j'avais dû me faire passer pour un serviteur du roi et de la reine, j'aurais au moins pris le temps d'enregistrer leur visage dans un coin de ma tête.

─ Tu ferais mieux de garder tes commentaires pour toi, le prévint l'homme aux cheveux d'argent en essayant de garder son calme.

─ Sinon quoi ? répliqua Khaleb en croisant les bras sur son torse.

─ Je te signale qu'on est dans le même bateau, ici, lui rappela Ikar, si j'étais toi j'éviterais de créer des embrouilles avec les gens pour des broutilles. Et je montrerai un peu plus de respect pour mes supérieurs.

─ Supérieur qui a réussi à perdre un de ses coéquipiers, souligna Khaleb

Serrant les dents, Ikar se leva d'un coup de sa chaise, le poing levé, prêt à bondir sur lui.

─ Ça suffit ! intervint Dagnir d'une voix autoritaire, on n'est pas venu ici pour régler vos différents. Alors si on pouvait passer à la suite en mettant vos histoires de côté, ça nous ferait gagner du temps !

─ Très bien, fit Ikar en se laissant tomber sur sa chaise.

— Bon. Est-ce que, au moins, toi, tu sais si Jacob va venir ? demanda le chef du Corbeau à Khaleb.

─ Aucune idée, je ne l'ai pas croisé depuis trois jours.

Ikar émit un ricanement, mais ne fit aucun commentaire.

─ D'accord, dit Dagnir sans relever l'attitude de l'homme assis à sa gauche, nous allons pouvoir passer à la prochaine étape. Khaleb, je veux que tu trouves un moyen pour qu'on nous la ramène ici, si nous n'arrivons pas à la capturer nous-même. Propose une récompense s'il le faut mais il faut que nous la retrouvions vite. Plus elle maîtrisera ses pouvoirs, plus il sera difficile pour nous de la maîtriser. C'est compris ?

─ Compris. Mais, chef, nous savons où elle habite. Ça ne serait pas plus...

─ Pas chez elle, s'opposa Dagnir, il ne faudrait pas non plus que tout le quartier s'en mêle.

─ Mais les gens vont se méfier d'elle... fit remarquer Khaleb.

─ Pas si on lance juste un avis de recherche.

─ C'est comme vous...

─ Excusez-moi du retard ! Il paraît que vous vouliez me voir ? s'exclama un homme au teint mat en faisant irruption dans la pièce, claquant les portes contre le mur.

─ Bonjour Jacob, dit Dagnir en se retournant vivement vers le nouveau venu, sans exprimer la moindre surprise, contrairement aux deux autres.

L'air essoufflé, comme s'il avait couru pour venir, Jacob passa une main parmi les boucles brunes de ses cheveux. Profitant de deux secondes, le temps de reprendre son souffle, il dévisagea Khaleb et Ikar. Son regard noisette surprit alors le choc que son entrée avait provoqué en voyant l'étonnement qui se lisait sur leur visage. Un léger sourire étira ses lèvres, moqueur.

Reprenant son sérieux, il reporta son attention sur son chef, se demandant de quoi il voulait lui parler.

─ Ikar m'a appris que tu n'étais pas avec lui hier après-midi. Où étais-tu ?

─ Hier... répéta-t-il en portant une main sur sa courte barbe en signe de réflexion, attendez-une seconde, que je me souvienne...

Il cherchait en réalité à se rappeler ce qu'il devait faire à la base. L'après-midi ne s'était pas tout à fait déroulé comme il l'avait prévu et il avait légèrement dû modifier ses plans.

Une fois qu'il eut trouvé sa réponse, il songea ensuite au mensonge qu'il allait pouvoir inventer. Ne prenant que quelques secondes pour réfléchir, il opta pour la solution la plus simple.

─ Hmm, j'ai eu... un petit imprévu, un truc urgent à régler. Rien à voir avec le travail, dit-il en balayant l'air de sa main.

─ Mmh. J'ai une mission pour toi, lui annonça Dagnir après l'avoir longuement observé. Mais avant, encore une chose...

Il le dévisagea encore un instant, avant de se tourner vers Khaleb, qui ne l'avait pas quitté des yeux.

─ Va me chercher la fille.

Khaleb hocha la tête et s'exécuta sur le champ.

Le chef du Corbeau attendit de le voir disparaître de la pièce pour confier à Jacob sa nouvelle tâche.

─ Tu vas les surveiller. Elle, sa tutrice, son ami et la jeune voleuse. Et s'il se passe quoi que ce soit qui te semble important, viens me le dire.

─ Très bien, chef. Je commence tout de suite ? s'enquit Jacob.

Dagnir lui confirma d'un signe de tête.

Le brun se hâta alors de sortir de la pièce aussi vite qu'il était venu, ravi d'avoir une bonne raison de partir. Ce métier ne lui plaisait pas du tout et il appréciait encore moins son chef. Chaque fois qu'il le voyait, il lui rappelait ce souvenir douloureux, la raison de sa présence ici. L'homme estimait qu'il avait assez fait de mal comme ça et qu'il ne le laisserait pas continuer encore et encore. Il fallait que cela cesse.

Jacob s'engagea dans des escaliers et les descendit à toute vitesse. Il avait un plan, enfin, un début. Un plan dans lequel il espérait pouvoir intégrer Diana et les adolescents. Et cette nouvelle mission lui rendrait les choses encore plus faciles, il n'aurait besoin de justifier son absence auprès de personne.

Maintenant il lui fallait encore peaufiner un peu son idée, avant d'essayer de trouver de l'aide.

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