3. The one I hate the most

TW : mention d'infanticide, mention de mutilation (édulcoré), mention de relation abusive, autodestruction


La journée se passa tranquillement. Elle ne trouva pas Erèbe à la pause du midi. Elle se força à manger avec des amis, au lieu d'aller le chercher. C'était sa vie après tout. Peut-être qu'il mangeait avec quelqu'un d'autre ? Non, ça aurait voulu dire socialiser, et Erèbe aurait préféré se faire arracher les dents. Il s'était probablement réfugier dans un coin sombre pour éviter la compagnie. La sonnerie la rappela en cours avant qu'elle ait pu le retrouver.

L'après-midi fut tout aussi calme. Les secondes semblaient passer au ralenti.

Elle retrouva Erèbe devant le collège, l'air blasé, se contentant de prononcer l'évidence :

« On a raté le bus. »

Elle haussa les épaules. C'était presque une habitude. Elle envoya un SMS à Luke et ils prirent la direction du métro.

Deux arrêts plus tard, à la sortie, Erèbe attrapa le bras de Mary. « Tu veux aller prendre un peu l'air avant qu'on rentre ? » Il souriait presque, mais c'était forcé et artificiel. Elle ne le regarda pas, et hocha la tête. Pourquoi pas, après tout.

Pour Erèbe ''prendre l'air'' signifiait prendre la route la plus longue pour passer à côté de la forêt. D'un côté, il avait raison, pour peu que le vent souffle dans la bonne direction, c'était sans doute l'endroit le moins pollué à quelques kilomètres à la ronde, et l'odeur fraiche des pins ne faisait de mal à personne. Sans compter que c'était sans doute la route la plus sure, connaissant la quantité de Chasseurs qui gravitait en bordure de la ville.

D'un autre, Mary savait très bien que ce n'était pas pour ça qu'Erèbe y allait. Il avait une véritable obsession avec ça. Elle ne trouvait pas ça très sain, mais c'était difficile de le blâmer : l'endroit était réellement fascinant, que ce soit par l'activité presque constante qui y régnait ou par la danse macabre des arbres pliant sous le vent. Un peu malgré elle, elle aimait l'endroit. Et elle était loin d'être la seule.

La fumée leur parvint bien avant qu'ils arrivent, suivie de près par le bruit des tronçonneuses et des machines que Mary n'aurait pas su nommer. Encore quelques dizaines de mètres, et ils retrouvèrent en plein de la fourmilière qu'était la bordure de la ville –du moins les jours de déforestation, puisque toutes les zones n'étaient pas déblayées au même rythme.

Entre eux et la forêt se dressaient d'abord une véritable marée humaine de Chasseurs, de bûcherons et de curieux. Derrière eux, trois barbelés successifs, chacun séparé d'un mètre environ, coupés par un passage de quatre mètres de large, solidement gardé. Il servait pour faire la liaison avec l'extérieur, de façon à laisser les travailleurs et les Chasseurs passer. Enfin, une vingtaine de mètres de découvert avant les premiers arbres.

Un tronc tomba lourdement sur le sol. En fixant son regard sur l'horizon invisible, Mary sentit son souffle se coincer brièvement dans sa gorge, alors qu'un sentiment indescriptible se répandait dans sa poitrine. Pendant une seconde, elle se demanda ce que ce serait d'être là-bas, parmi les arbres, de pouvoir se fondre dans la nature environnante, d'oublier son corps, de s'oublier soi, et de se laisser sombrer dans une inconscience collective sans avoir peur du retour. Ou, peut-être que juste voir les vraies étoiles, une seule fois, loin de l'épaisse couche de pollution qui masquait le ciel, peut-être que ce serait suffisant.

Ou peut-être qu'elle avait besoin de sommeil et que son cerveau était en totale roue libre.

Elle sursauta quand Erèbe lui attrapa le poignet. Elle se tourna vers lui et son visage exprimait une appréhension étrange, une sorte de peur devant l'inévitable, l'œil fixé sur la forêt. Ses doigts se resserraient lentement.

« Erèbe. » Il se tourna vers elle. Ses mouvements étaient mesurés et précis, mais il semblait incapable de lâcher son poignet. « On rentre. » Il hocha la tête. Son regard était ailleurs.

Il traina derrière elle pendant le reste du trajet. Totalement silencieux.

Chose rare, Luke était à la maison quand ils rentrèrent. Chose plus rare encore, il lisait. De nombreux papiers étaient étalés sur la table du salon, s'empilait sur le canapé, débordait par terre. Le tout avait dû former un dossier conséquent avant sa dissection. Il leva la tête lorsqu'ils entrèrent.

Erèbe avait eu l'impression de mieux se sentir sur le trajet, mais retourner dans cet appartement, dans cet immeuble le fit rechuter brutalement dans la folie brulante des derniers jours. Il prit une grande inspiration. Il y avait trop de souvenirs, trop de non-dits entre ces murs.

Peut-être que c'était pour ça qu'il était aussi tordu. Ou peut-être que c'était plus facile de rejeter la faute sur les autres plutôt que sur lui-même.

Luke sourit en les voyant et se leva. Mary lui fit une bise rapide sur la joue, et il Erèbe sentit une pointe de jalousie traitresse remuer dans ses entrailles. Il retint son souffle. Il lui fallait choisir ses batailles, et celle-là n'en valait pas la peine.

Lorsque que sa sœur se dirigea vers leur chambre, il essaya de la suivre mais une main sur son épaule le retint.

Il pivota, redoutant ce qui allait suivre.

« Fils. » Luke soupira et il faillait l'imiter. Il détestait ce surnom. D'une part, parce que c'était le signe que son père voulait lui parler, chose qui réussissait à entre à la fois extrêmement gênante, et à finir mal pour au moins l'un d'entre eux. D'autre part, Luke l'avait tellement utilisé partout, en n'importe quel circonstance, que le mot s'était vidé de sa substance, tout comme la relation qu'ils avaient essayé de construire s'était effritée, et réduite en poussière, au fur et à mesure qu'ils réalisaient qu'ils étaient deux inconnus l'un pour l'autre. Entre eux, il n'y avait que le sang, dans tous les sens du terme.

Luke tapota la place à côté de lui sur le canapé, et Erèbe s'assit. Ils étaient trop proches l'un de l'autre pour que l'atmosphère se détende.

« J'ai reçu ton bulletin. » Erèbe jeta un coup d'œil aux dossiers qu'il ne comprenait pas. Il connaissait son bulletin. Il avait eu bien plus important en tête que ses notes ces derniers temps. « C'est pas brillant, je dois dire. »

Il avait presque envie de pleurer. C'était nerveux, sans doute, mais tout de même, il avait plus de contenance que ça. De ta part, c'est décevant, murmurait Alice à son oreille. Il inspira longuement.

Luke dut voir ses yeux brillants, car il ajouta très vite : « Je t'en veux pas ! J'étais pas très bon non plus à ton âge. »

Il voulait lui dire qu'il avait un million d'autres raisons de pleurer, mais les mots ne vinrent pas. Après tout, Alice avait raison. Pleurer ne servait à rien, et cette conversation non plus.

« Donc... je suis allé voir un ami aujourd'hui... pour ton avenir. » Il connaissait exactement la phrase qui allait venir. « Les Chasseurs recrutent pas mal. » Gagné. « Il y a pas besoin de faire beaucoup d'études, et il y a moyen d'avoir une belle carrière. » Ou de se faire foutre dehors pour une retraite de merde dès qu'ils ne peuvent plus nous utiliser. Il faillit le dire à voix haute. Faillit.

« Je vois bien que c'est pas ton truc, l'école. Je préfèrerais ne avoir pas te déscolariser maintenant, mais... » Mais il était trop mauvais pour valoir le coup de l'école. L'argent se faisait rare, et Mary était mille fois plus intelligente, appréciée et intégrée que lui. Dans le fond, il comprenait. « Si la situation se débloque pas, c'est une solution à laquelle il faut penser. »

A ce stade, il attendait sans doute une réponse. Le problème, c'était qu'Erèbe n'avait rien à dire. Rien qu'il ne pouvait dire.

Comme le silence s'éternisait, il bafouilla : « Je me débrouille, en anglais... » Sa voix ne sonnait pas du tout comme il le voulait. Luke soupira à nouveau il sut que c'était la mauvaise réponse.

« On en a déjà parlé. Tu ne trouveras de bon métier seulement avec ça. C'est pas suffisant. Pourquoi tu te concentres pas sur les sciences plutôt ? Tu aimais bien ça avant. » J'aimais ça pour te faire plaisir. J'aimais ça parce que tu trouvais ça important. Parce que j'avais l'impression qu'on serait capable de se regarder dans les yeux sans penser à maman, un jour. « Tout ce que je veux, c'est que tu ailles bien, Erèbe. Je veux que tu ais une belle vie, que tu gagnes suffisamment d'argent pour faire ce que tu veux. » Il soupira. « J'ai manqué beaucoup de choses parce que je ne pouvais les payer. J'ai dû faire des choses que j'aurais préféré éviter. » Il savait. Pas grâce à Luke. « Je ne veux pas que vous viviez ça, ni Mary, ni toi. »

Le silence retomba. « Ecoutes... Juste, réfléchis-y. Je pense que ce serait une bonne solution. »

Erèbe se leva. « Ok. » Ca ne semblait pas suffire. « Je vais y réfléchir papa. » Une seconde de silence de plus et il réussissait à s'échapper dans sa chambre.

Il se laissa tomber sur son lit. Mary avait mis ses écouteurs et semblait s'être penchée sur ses devoirs. Il était tranquille. Il attrapa un morceau de papier et un crayon, cala le tout sur un de ses cahiers et s'installa plus confortablement dans son lit.

Il commença à écrire sans réfléchir, faisant un compte rendu rapide de sa journée. C'était la chose qu'il préférait, écrire. Il aimait cette sensation de contrôle sur les évènements, il aimait s'inventer des milliers de vie moins creuse que la sienne, il aimait se sentir à la fois entouré par tous ces personnages qu'il créait, mais malgré tout finalement seul. Par-dessus tout, il aimait voir l'essence qui le constituait s'écouler au rythme de l'encre sur la page, ses sentiments, ses sensations, ses souvenirs. Au moins, ça lui donnait quelque chose de physique à détester.

A mi-chemin de sa journée arrivait les passages les plus graphiques qu'il essaya vainement de camoufler en complexifiant l'écriture. Comme toujours, c'était impossible. La vérité s'écoulait à travers les mots, et peu importe ce qu'il disait, elle semblait lui hurler sa présence à travers le papier. Il froissa sa feuille. En attrapa une autre. Ce n'était pas des choses auquel il avait envie de penser. Pas maintenant.

Il aimait écrire, mais plus le temps passait, plus l'énergie de rechercher au fond de lui-même l'émotion à mettre sur papier lui coutait. C'était comme... s'il s'épuisait. Il avait peur de se réveiller un jour sans retrouver ses sentiments. Ou, est-ce que c'était déjà arrivé ?

Il prit une grande inspiration. Comment est-ce que je me sens ? Il voulait essayer d'écrire ses propres pensées. Jusque-là, tout c'était révélé infructueux, et il se contentait de métaphores et d'images, pour un résultat approximatif.

Je suis fatigué. Il l'écrivit.

J'ai soif. Son Bic glissait naturellement sur la feuille. Pour l'instant, c'était facile.

J'ai mal partout. Je veux dormir. J'ai envie de pleurer. Il dérapa sur le dernier mot. Est-ce que c'était vrai, ou cherchait-il à s'attirer de la compassion ? Il grimaça. La compassion de qui ?

Je ne fais pas confiance à mon père. Je ne fais pas confiance à Mary. Ce n'était pas comme s'il ne les aimait pas, c'était pour leur propre bien. Il hésita. Je ne me fais pas confiance.

Je me sentais mieux- Il raya le dernier mot. moins bien- Il le raya aussi, et laissa phrase inachevée. Je suis en train de revenir au point A. Je n'ai pas autant de remord que je le pensais. Peut-être que c'est normal. Il sourit jaune en lisant le dernier mot. Ca ne l'était pas, mais il se comprenait.

Je vais devoir partir, je pense. C'est la meilleure solution pour tout le monde.

J'ai envie de laisser un mot. J'ai envie qu'ils sachent pourquoi j'ai fait ça. Je veux que quelqu'un comprenne. Est-ce que c'est mal ? Ca l'était.

J'ai envie de pleurer. J'ai envie de- Il raya la dernière et la corrigea. Si un monstre voulait me tuer, je ne l'en empêcherais pas. Mais j'ai peur de mourir. Il renvoyait encore les yeux. Il ne voulait pas finir comme ça.

Je ne veux plus jamais avoir à- Une rature, à nouveau. Je ne veux plus jamais devoir- Un trait. Je ne veux pas- Encore. Je ne voulais pas- Encore. Ce n'est pas- Encore. J'ai des remords. Sa gorge brûlait. J'ai des remords. Ses yeux brûlaient. J'ai des remords. Son corps brûlait, embrasé par la peur, par le regret, par la vision si proche de la mort, et de la pâleur cadavérique, et des membres rigidifiés, et des yeux, exorbités sur le néant, pleins de d'effroi et de haine, mais vides de sens, de vie, de futur. Et la facilité de détruire.

Les mots étaient illisibles, couverts de ratures, percés par le stylo, tachés d'encre. Il déchira le papier.

Des deux, c'était lui-même qu'il détestait le plus.



Heyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyy ! Désolée du retard ! (Ma beta lectrice était malade, mais elle va mieux ! ^^)

Ce chapitre est un peu plus bizarre, mais il est mieux que ce à quoi je m'attendais. A vrai dire, la perspective d'Erèbe est assez compliquée à écrire, surtout qu'à ce stade, il tourne en rond, et ce qu'il pense aussi du coup ^^" 

Notre tueur souriant préféré (lol) arrive au prochain chapitre, après avoir pris biiiiiiiiiiiiien son temps à traîner un peu partout. Je tiens juste à prévenir que Jeff, comme quasiment tout les autres personnages est TRES édulcoré dans cette fanfic. Genre, tuer des gens c'est pas tellement son kiff au final (oui, ce sera expliqué). 

Toujours pour ce qui est de Jeff, il est très différent de son caractère habituel, donc attendez vous à un petit choc, je suppose ? 'Fin m'en voulez pas trop, mais je vais massacrer vos persos préféré quoi.

Le chapitre 7 commence à avancer de mon côté, donc je peux garder un peu d'avance, donc le rythme de parution devrait rester régulier ^^

Musique en média : Identity Crisis, de Myuu

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