1. A wound that never heals

TW : mention d'infanticide, mention de suicide

Il y a des blessures qui ne guérissent jamais. Il y a des brûlures que l'on cache sous des habits trop longs. Il y a des coupures dans des sourires insolents. Il y a des hématomes derrière des furies perpétuelles. Il y a des souffrances sourdes et muettes qui ne s'expriment que dans un souffle. Il y a des blessures qui ne guérissent jamais, mais Mary, qui semblait être née dans les bras de la chance, ignorait cela. Elle l'ignorait littéralement.

Qui l'en aurait blâmée ? Pour l'œil inexpérimenté, elle avait tout pour le faire. Une famille presque complète, avec un père aimant mais pas collant, un frère jumeau... bizarre, mais personne ne s'inquiétait, alors ça n'était probablement pas un problème, une mère absente, mais tout le monde avait ses propres drames familiaux, et elle n'était certainement pas la pire. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Elle avait des passions aussi, ou, en tout cas, des choses qu'elle appréciait. Elle aimait les dessins dans les marges de ses cahiers. Les travaux manuels bâclés. Les vieilles photographies. La vie. Les gens.

C'était peut être suffisant pour être heureux.

Cette après-midi-là, elle s'était assise à la fenêtre de leur appartement, une vieille carte postale entre ses mains. Novembre et les fumées des voitures brouillaient le ciel. Une pluie molle glissait contre le carreau. Erèbe faisait semblant de s'intéresser à l'activité du jour, a.k.a tissage de bracelet en fils colorés trouvés dans une l'armoire. Il s'emmêlait les doigts dedans. Son œil aveugle ne l'aidait sans doute pas. Le calme de la journée la rendait presque ennuyeuse.

Elle appuya la carte contre la vitre froide. L'image en noir et blanc ne tranchait pas sur les immeubles sales, les rues embrumées, le ciel grisâtre ou la forêt noire qui se dressait au-delà des barrières bétonnée.

Il n'y avait pas d'arbre sur la photographie, à peine quelques buissons sur les bords de la route. La forêt était sans doute déjà là, juste trop loin pour son regard. Les immeubles s'élevaient moins hauts. L'air lui semblait plus pur, et le monde, plus beau. Elle était souvent prise d'une étrange jalousie, lorsqu'elle se plongeait ainsi dans le passé. Peut-être que si ses parents avait eu des enfants plus tôt, peut-être que si les Chasseurs faisaient un meilleur travail, peut-être aurait-elle pu, elle aussi, connaitre cette époque pas si lointaine où l'humanité avait encore le contrôle sur son monde ?

Le flot de ses pensées fut interrompu par un bracelet blanc tombé sur son nez. Elle se retourna brusquement, trébucha, s'emmêla les pieds, et tomba lourdement sur les fesses.

La tête d'Erèbe s'invita dans son champ de vision, un rictus étrange aux lèvres, une inquiétude profonde à son seul œil visible.

« Tout va bien ? »

Erèbe était son frère, son jumeau, « la deuxième partie de son âme » comme il le disait lui-même. Il faisait partie de ce genre de personnes qui semblait s'être donné comme mission d'avoir l'air le plus distant possible. Il n'y avait qu'à Mary qu'il semblait sourire, et encore, ça n'était pas arrivé depuis longtemps. Elle l'aimait d'un amour piquant et sarcastique, mais sincère. En fait, il était peut-être la seule chose qu'elle aimait entièrement. Ça, elle l'ignorait.

Elle se releva, acquiesçant, désorientée, un sourire aux lèvres, puis amena à ses yeux l'innocent bracelet, acteur principal de sa tentative d'assassinat.

Outre sa couleur et le fait que ses extrémités soient plus ou moins liées, le bout de ficelle n'avait pas grand-chose d'un bracelet. C'était à se demander comment l'ensemble tenait. D'ailleurs, à y regarder attentivement, certains brins était plus bleu très pâle que réellement blanc. Erèbe avait dû s'emmêler dans les couleurs.

« Il est pour toi. » Sa voix aurait semblé hésitante, suppliante à n'importe qui capable d'écouter. Dis-moi, prouves-moi, montres-moi que tu m'aimes.

Mary sourit en s'appliquant à ne rien entendre. « Merci. » Elle le passa à son poignet, jetant un coup d'œil à l'effet rendu. « Je l'aime beaucoup. »

Elle prit dans sa main son propre bracelet. Il était violet. Elle n'aimait pas particulièrement le violet, et l'objet en lui-même était loin de la perfection. En fait, elle l'avait fait plus par automatisme que réel plaisir. Erèbe pouvait l'avoir.

« Je... j'en ai fait un pour toi aussi. » Il le passa aussitôt à son bras, les yeux brillant. « Merci ! » Son enthousiasme forcé le trahissait, la lumière tremblotante dans ses yeux ressemblait trop à des larmes. Mary n'y fit pas attention. Elle était encore trop jeune pour que son empathie soit totalement inhibée, mais elle faisait de son mieux.

C'était une journée ennuyeuse. Leur père était absent. Elle n'avait pas envie de faire quoi que soit ayant rapport à des devoirs. Elle ne remarquait, ni les tremblements légers, ni l'œil larmoyant et fatigué d'Erèbe.

« Ça te tente un Monopoly ? »

La soirée avançait quand la porte de l'appartement claqua et que  Luke s'avança lourdement dans le salon. Mary qui s'était levée précipitamment, se précipita vers la porte, s'écriant avec excitation « Papa ! ».

Elle le sera brièvement contre elle, puis le repoussa en demandant d'un ton accusateur « T'étais où ? On s'inquiétait ! ». Il sourit doucement, presque douloureusement, et se laissa tomber sur le canapé, Mary à ses côtés, et Erèbe adossé à la porte.

Luke était leur père. Il avait des cheveux brun clair blanchissant, une calvitie un peu visible et un petit ventre de bière. Il avait assez bien réussi sa vie, embauché par les Chausseurs avant sa majorité, parce qu'il était précisément ce qu'ils recherchaient : quelqu'un qui frappait fort et réfléchissait vite. Il avait fini sa carrière une quinzaine d'année après, avec un bras en moins. Une prothèse plus tard, il se mariait, encore quelques années, et sa femme accouchait de deux enfants. Sa vie aurait pu être paisible, mais depuis la mort d'Alice, il était tombé dans une sorte d'état végétatif où tout se faisait par une sorte d'automatisme rouillé. Mais tout allait bien. Il était loin d'être le premier.

« J'ai été appelé par le QG. Il cherchait des témoins. » Mary ne dit rien. Quand les Chasseurs en arrivaient à faire appel à des civils, c'était toujours pour quelque chose d'important.

« Il y a eu un mort. Cette nuit, enfin c'est ce qu'ils pensent. Ils voulaient savoir si j'avais vu quelque chose... » Il soupira. Erèbe paraissait vouloir passer à travers la porte. « C'est quelqu'un que vous connaissiez, alors... »

Mary se blottit contre son père et il passa une main distraite dans ses cheveux. Ses yeux étaient perdus dans le vide. Il se leva, son expression amère, et fit quelques pas dans la pièce. Soupira.

« Vous allez venir avec moi ? Je vais aller les voir, c'est... » Il ne semblait pas vraiment attendre de réponse. « Mes condoléances... tout ça... » Mary l'interrompu doucement.

« Papa... Tu ne nous as pas dit ce qui s'est passé. » Comme il paraissait perdu, elle ajouta : « Assieds-toi. Tu voulais nous dire qui était... enfin... » Il parut presque surpris.

« Oh ! » Son expression changea aussitôt en un mélange de tristesse et de fatigue.  « William. Le frère de Swann, tu sais ? Pauvre garçon... » Mary n'écoutait plus. Un grand froid l'avait envahie.

Cela faisait longtemps qu'il n'y avait pas eu autant d'agitation à leur étage de l'immeuble. La dernière fois, c'était quand le vieux de l'appartement au bout du couloir était rentré de l'hôpital : il avait trouvé son appartement saccagé, la plupart de la nourriture avait disparu et tout portait à croire que quelqu'un avait vécu là pendant plusieurs jours. Les Chasseurs avaient enquêté, mais le monstre était parti.

En fait, on attrapait assez rarement les monstres. C'était toujours quelque chose de spécial quand ça arrivait. On se rassemblait entre voisins, entre amis, on parlait d'à quel point on ne s'y attendait pas. On sortait un vieux vin trop amer, on buvait. Personne ne le disait, mais on pensait tous à la liberté plus proche, à la libération de cette prison de bois, de feuilles et de sang.

Mary était encore enfant la dernière fois. Elle s'en souvenait très bien : les voisins silencieux, sortis dans les couloirs, la façon dont son père l'avait serrée contre lui, la façon dont les Chasseurs regardaient droit devant eux, sans jamais se laisser distraire, la façon dont les yeux terrifiés du monstre cherchaient un appui dans la foule alors qu'il gémissait : « Je n'ai rien fait, je n'ai tué personne » encore et encore. Des événements comme ça, c'était difficile à oublier.

Luke, suivit de près de son fils, marchait loin devant elle, et les petites jambes de Mary peinait à les suivre. Erèbe lançait des regards inquiets autour de lui. Il était toujours comme ça.

Non, pas vraiment. Ce n'était qu'un souvenir vague, mais Erèbe n'avait pas toujours été anxieux et paranoïaque. En fait, c'était arrivé peu après la mort d'Alice.

Alice était leur mère. Enfin, c'était difficile de considérer sa mère quelqu'un qu'elle avait à peine connu, mais c'était d'Erèbe qu'elle avait été la plus proche. Ce n'est pas qu'Alice ne s'occupait pas de Mary, mais elle et Erèbe avaient toujours une sorte de complicité étrange, la même qu'on partageait dans le mensonge et le secret. Mary était persuadée qu'il savait quelque chose qu'elle ne savait pas.

Quand elle était morte, c'est comme si ce qui maintenait Erèbe debout avait disparu. Il s'était effondré, progressivement.

Parfois, Mary se demandait si Alice avait conscience de ça. Conscience qu'elle laissait dans ses pas un fils à moitié brisé et une fille à moitié inconnue. Parfois Mary en voulait à Alice d'avoir choisi la facilité dans la mort plutôt que de s'être battue pour sa vie, puis elle se rappelait de la loque humaine qu'elle était devenue sur la fin, et se disait qu'il n'y avait plus grand-chose pour lequel se battre.

Perdue dans ses pensées, elle faillit heurter Erèbe. Il s'était arrêté un peu avant l'appartement de Swann.

« Tu fais quoi ?

-          Il y a des gens. » Il avait plissé la paupière et il fixait avec suspicion les deux hommes discutant devant la porte.

« C'est normal. C'est des Chasseurs, on les paye pour ça. » Malgré tout, elle-même était prise d'une certaine hésitation. Elle n'avait certainement pas envie de voir Swann. Pas maintenant. Elle voulait lui laisser du temps. Ou peut-être qu'elle n'avait pas le courage de faire face au deuil de quelqu'un d'autre.

Erèbe attrapa doucement sa main. Elle croisa son regard et se força à lui sourire. Ils ne surent pas lequel des deux entraîna l'autre vers la porte.

Tout irait bien.





Heyyyyyyyy ! J'espère que ce premier chapitre vous a plu. J'espère que je vais réussir à avancer un peu plus cette fois x)

Si vous trouvez des fautes, ou si vous avez des questions, n'hésitez pas à laisser un commentaire ^^ (en fait je trouve le fait de dire de ne pas hésiter est un peu stupide, parce que quasi personne hésite à mettre un commentaire, mais bref).

Sinon qu'est-ce que vous pensez des Trigger Warning en début de chapitre ? D'un côté, ça permet aux personnes qui ne supportent pas ces sujets d'éviter le chapitre, mais d'un autre j'ai peur que ça spoile trop :-/

La symbolique des couleurs utilisée est celle de Wikipédia, pour ceux que ça intéresse. Musique en média : Bittersweet par Myuu.

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