4. La tempête

PDV ESTEBAN

Comme un tsunami, Abby a tout renversé sur son passage. Même moi.

Moi, celui qui surpassait tout le monde. Qui n'avait peur de rien.

Elle n'en a probablement pas conscience. Je suis certain qu'elle se considère comme inutile, comme un poids ou comme une intruse. Pourtant, moi je le sens. Je sens ce souffle nouveau, ce souffle annonçant un changement, une nouvelle ère.

Appuyé sur un coude, je l'observe grâce à la faible lumière d'une petite lanterne au plafond. Elle dort paisiblement. Mes yeux suivent son profil, attentifs à ses paupières, ses longs cils touchant ses pommettes, à la fine courbe de son nez puis à ses lèvres pleines. Une mèche de cheveu brun tombe dans ses yeux et je tends la main pour la remettre en place avant de me raviser.

Je risque de la réveiller.

Abby est bien plus qu'une simple fille. Elle vient de semer la panique dans les gouvernements des deux îles et ne s'en rend même pas compte. À l'heure qu'il est, William Clarks doit ratisser Neworld pour la retrouver, elle la fille de Tomas Hansen, elle qui vient de découvrir l'existence d'une autre île, elle qui, en quelques paroles pourrait créer une révolution dans les peuples. Quant au gouvernement de Newearth, ils doivent se mordre les doigts de l'avoir laissée filer et d'avoir un système de surveillance si peu efficace.

J'ai étudié le dossier d'Abby durant des mois et des mois. Je connais sa biographie par cœur. Pourtant, je ne sais pas encore complètement qui elle est. Je ne sais pas d'où vient la petite cicatrice qu'elle a derrière l'oreille, quelle est sa couleur préférée ni quelle est sa plus grande peur. Je ne sais pas pourquoi elle fait des cauchemars presque toutes les nuits. J'ai appris que sa famille d'accueil était violente. Seulement, à quel point? Est-ce cette famille qui l'a brisée?

Tout ce que je sais, c'est que je l'aime bien. Sûrement un peu trop. C'est officiellement ma copine et j'en éprouve une fierté étrange. Mais je ne peux m'empêcher de me demander si je la mérite. Je ne suis pas quelqu'un de bien. Luna le savait et elle me voulait ainsi. Mais Abby? Abby veut quelqu'un de courageux, de fort, quelqu'un qui la protégera et qui l'aimera. Quelqu'un qui lui donnera tout l'amour qu'elle n'a jamais eu. J'ai tellement peur de la décevoir.

Tout à coup, le bateau penche dangereusement sur un côté et je perds l'équilibre, me tapant la tête contre le plancher.

Le bruit des vagues et du vent m'empêche de dormir mais ça n'a pas l'air de déranger les autres qui dorment chacun dans des recoins de la pièce. Finissant ma contemplation de ma petite-amie et comprenant que je n'arriverai pas à m'endormir de si tôt, je me lève et sors de la pièce. Dès que je pose un pied dehors, la pluie tombe sur moi et une puissante bourrasque me frappe. Je glisse puis me raccroche à la barrière, un peu perdu.

Je l'ai échappée belle. Le vent hurle autour de moi et les vagues sont de plus en plus grosses, certaines allant jusqu'à mes pieds et rendant le sol glissant. La nuit noire rend le tout très effrayant. Je réalise que c'est une très mauvaise idée de venir ici en pleine tempête et me prépare à rentrer quand un sinistre craquement me fait lever la tête. Je vois le mât tomber vers moi ainsi que toutes les voiles avec, et j'ai juste le temps de me jeter sur le côté avant qu'il s'écrase dans la mer.

-Non, non, non. Non, sérieux, c'est pas vrai! Hurlé-je au milieu de la tempête.

Complètement désorienté, le voilier perd tout équilibre et penche vers la droite. Alors que je courre vers la porte pour rentrer dans la cale, celle-ci s'ouvre et Sean en sort, l'air complètement paniqué.

-C'était quoi, ça? S'exclame-t-il.

-Le mât!

Ses yeux s'écarquillent et il regarde derrière moi pour constater de lui.

-Je... Bon sang, non. Non!

Il me contourne et s'accroche à la rambarde pour gagner l'avant du petit bateau. Il est aussi trempé que moi et je le rejoins sans lâcher la barrière.

-On fait quoi là? Crié-je pour qu'il m'entende à travers le vent.

Sean marmonne un truc inaudible puis, dit plus fort:

-Je vais voir le moteur.

Je le suis à l'arrière du bateau, titubant et m'accrochant quand je l'entends crier tout un tas de jurons.

-Quoi? Demandé-je.

-Il est cassé! Non mais je rêve, le moteur est cassé! Hurle-t-il.

Je n'ai jamais vu Sean aussi hors-de-lui. À la peur, se mélange la colère.

Je reste figée, accroché à la barrière. Je me demande si nous allons mourir. Puis je secoue la tête. Hors-de-question de mourir. On va s'en sortir. J'attrape Sean par le bras et le force à me regarder.

-Va chercher des draps!

Sean relève la tête et me fixe d'un air un peu perdu avant d'esquisser un petit sourire. Il a compris.

Il part dans la cale et je remonte le bateau en veillant à ne pas glisser. La pleine lune nous offre la lumière dont nous avons besoin mais une vague éclabousse le bateau, et moi par la même occasion. Je tousse encore quand j'arrive devant le mât. Il a cassé sur une bonne longueur mais il nous reste encore quatre ou cinq mètre à utiliser.

Sean arrive avec des draps et je les lui arrache des mains pour commencer à construire ma voile de fortune.

-Comment vont les autres? Demandé-je.

-Comme sur un bateau cassé en pleine tempête. Rétorque-t-il. Ils ont interdiction de sortir.

Je hoche la tête et Sean m'intime de me baisser.

-Fais-moi monter sur tes épaules. Vite.

J'obéis et permet ainsi à Sean d'arriver plus haut. Celui commence à nouer le drap. Une fois descendus de mes épaules, je le laisse faire le reste. Ses gestes sont sûrs et précis. Il sait ce qu'il fait.

Une fois terminé, j'observe notre bidouillage. Ce n'est pas si mal.

Comme par miracle, la voile prend un léger vent et nous commençons à avoir une direction précise. Je jette un coup d'œil à mon ami et je sais derrière ses yeux plissés et ses sourcils froncés qu'il est fier.

Je lui tape gentiment l'épaule.

-Bien joué mec.

Il m'adresse un léger sourire puis me désigne quelque chose au loin derrière les vagues.

Je regarde dans la direction et quelque chose me serre la poitrine. Mes yeux s'écarquillent.

La terre.

Ce ne sont pas des bâtiments qui font le relief. Ce sont des montagnes.

Ce n'est pas une île artificielle. C'est la vraie terre, celle avec des montagnes et des creux.

J'éclate de rire. C'est plus fort que moi.

Ce qui me serre la poitrine, c'est de l'espoir.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top