Je n'ai jamais couru aussi vite de ma vie. Je ne me suis jamais cachée autant dans le tramway. Et j'ai rarement eu aussi peur de ma vie.

Quand j'arrive au port, je suis encore tremblante et essoufflée. Je repère immédiatement la silhouette d'Esteban et me précipite vers lui.

-Je ne t'ai pas écouté. Je suis désolée.

Ses mains se posent sur mes joues pour me relever la tête et me forcent à croiser son regard.

-Qu'est-ce-qui s'est passé?

-Il faut fuir. Tout de suite.

Il comprend le message et m'attrape la main avant de se mettre à courir.

-Dépêchons-nous. Ils sont déjà dans le bateau.

Il m'entraîne tout au bout du port et nous rejoignons les autres qui se terrent dans les petites cabines. Une minute plus tard, le bateau démarre et nous nous éloignons de la côte. De cette île d'enfer.

Je compte et recompte le nombre de passagers puis une fois certaine que tout le monde est là, je sors des cabines et atteint le pont. Esteban m'y attend déjà, appuyé contre la barrière, les bras croisés.

Je le rejoins en soupirant.

-Je sais, dis-je.

-Je t'avais prévenue.

-Je le sais aussi.

-Qu'est-ce-qui s'est passé?

-Elle a voulu appeler la police. Un type qui était avec elle m'a attrapée. J'ai tiré.

Son regard change immédiatement et devient inquiet.

-Abby... il t'a fait quelque chose? Tu l'as tué?

Je ferme les yeux. Mes bras se couvrent de chair de poule. Je déteste cette sensation de se sentir si vulnérable à cause d'un regard ou d'un contact. Et je l'ai déjà vécu plusieurs fois.

-Non. Mais je crois qu'il... qu'il aurait pu...

Il m'attrape et me serre contre lui.

-Je savais que j'aurais dû venir avec toi.

Je pose ma tête contre son épaule et inspire son odeur masculine, familière et rassurante.

-Je ne sais pas si je l'ai tué. J'ai tiré sans réfléchir. Elle a crié et je suis partie aussi vite que j'ai pu.

Il soupire tout en me serrant contre lui.

-C'est fini. On est parti de cette île de malheur.

Je ferme les yeux.

-Ce n'est que pour mieux y retourner...

********

A peine avions nous posé un pied sur Everest, que Andrew s'est jeté sur moi. Il m'a raconté combien la vie était super ici et j'ai été ravie d'entendre qu'il s'était fait des amis et que Michael lui avait promis qu'il commencerait l'école la semaine prochaine.

Nos amis et famille sont en sécurité et le plan fonctionne. Tout va bien. Pour l'instant.

-Tu crois que ça parle de rébellion en ce moment sur les îles? Me demande Esteban, allongé sur le lit les bras derrière la tête.

-Sûrement. Ça fait des années que tout le monde attend ça.

Je repense à cet homme il y a quelques années qui a essayé de se rebeller sur Newearth. Il a été exécuté sur la place publique. J'espère que notre sort sera différent du sien. Nous sommes plus nombreux et nous avons des cartes en main qu'il n'avait pas.

-Ça n'a pas été une journée facile, dit Esteban en se rapprochant de moi.

Il prend appuie sur ses coudes pour se mettre au-dessus de moi et m'embrasse. Au début c'est délicat. Mais ça prend vite une tournure passionnée.

Je suis tentée de lui rendre son baiser avec autant d'ardeur mais ce serait lui mentir encore une fois. Il y a un trop gros secret entre nous et je n'arrive plus à faire semblant. Et même si ça met notre couple en péril, je dois lui avouer la vérité à propos de Luna.

Je sais très bien que les mensonges ne rendent pas heureux. Et que tout se sait un jour ou l'autre.

Esteban glisse une main sous mon tee-shirt et caresse la peau de mon ventre tout en quittant mes lèvres pour déposer des baisers le long de mon cou.

-Esteban, tenté-je en me forçant à ne pas fermer les yeux.

-Mmh? Marmonne-t-il sans s'arrêter.

Ses longs doigts continuent de taquiner ma peau et j'ai de plus en plus de mal à me concentrer. Je finis par m'écarter légèrement de lui.

-Il faut que je te dises quelque chose. C'est important.

Il relève la tête et m'observe d'un air amusé.

-Ça aussi c'est important.

Je secoue la tête et cette fois-ci, me redresse en posant mes mains sur ses épaules pour le maintenir à distance.

-C'est encore plus important.

Devant mon regard grave, le sien devient inquiet et il s'écarte de moi pour rouler sur le côté et se remettre dans sa position initiale: sur le dos et mains jointes dans la nuque.

-Je t'écoutes.

Je m'assois et prends une grande inspiration. Mon cœur bat trop vite. J'ai peur. De sa réaction mais pas seulement. J'ai peur qu'il ne me pardonne pas de le lui avoir caché. Mais je sais que je dois tout lui dire.

-C'est à propos de Luna.

Il se redresse immédiatement et tend une main vers moi.

-C'est le type qui était chez sa mère aujourd'hui c'est ça? Il t'as vraiment fait quelque chose?

-Non! Non, non pas du tout. Ça concerne vraiment Luna. Enfin vous deux. Quand vous étiez ensemble.

Il fronce les sourcils.

-Quoi?

Je ferme les yeux une seconde.

-Luna m'a avoué quelque chose l'autre jour. Mais elle m'a juré de ne pas te le dire. Mais je n'y arrive pas. C'est... trop gros.

-Je t'écoutes, répète-t-il.

Je sens toute la tension qu'il dégage. Il sait que ça ne va pas lui plaire.

-Je sais comment votre histoire s'est finie. Elle a été trop loin et elle a couché avec Lucas, un de tes meilleurs amis. (j'observe sa mâchoire contractée. Je sais qu'il évite à tout prix de prononcer ce prénom mais aujourd'hui, je suis obligée) sauf que ça ne s'est pas passé comme tu le penses. Luna avait bu et elle a été trop loin, c'est vrai. Mais elle n'a jamais voulu aller si loin. Elle a demandé à Lucas d'arrêter. Mais il n'a pas voulu. Il l'a forcée.

Un silence accueille ma déclaration. C'est encore plus flippant que s'il avait explosé. Esteban ne me regarde même pas. Puis après de longues secondes, il lâche:

-Elle t'as menti.

Il sait aussi bien que moi que Luna ne mentirait jamais sur un sujet pareil.

-Elle ne te l'a pas dit parce que déjà elle avait honte, continué-je. Mais aussi parce qu'elle m'a dit que tu aurais tué Lucas. Et qu'elle ne serait pas pardonnée que tu ailles en prison à cause d'elle.

C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Une seconde plus tard, Esteban est debout et furieux.

-Bon sang! T'es sérieuse là? Tu sais ça depuis combien de temps?

Je me prends la tête entre mes mains.

-Presque deux semaines.

Il jure et fait les cents pas dans la pièce.

-Et ce n'est que maintenant que tu me le dit? S'écrie-t-il.

Je retiens de toutes mes forces les larmes de culpabilité qui perlent aux coins de mes yeux.

-Je suis désolée... je croyais...

-Tu croyais quoi?! Comment tu croyais que j'allais prendre un truc pareil! Tu te rend compte de tout ce que ça signifie?

Je ferme les yeux. Bien-sûr que je le sais. Comme s'il ne se sentait pas assez coupable de tout ce qui arrive autour de lui, voici une couche en plus.

-Bon sang! Je... Je l'ai traitée comme une moins que rien pendant des mois alors qu'il l'a...(Il grimace avant de jurer) Faut que je sortes d'ici.

Il sort en claquant la porte. Je laisse couler mes larmes.

Suite en attente...