12. Vieux trésors
Je sonne à la porte d'entrée après une grande inspiration. Une femme brune m'ouvre la porte et je retiens ma respiration, impatiente et en même temps, morte de peur. Elle me dévisage un court instant pendant lequel je me pose tout un tas de questions. Comment me trouve-t-elle? Me reconnaît-elle? Est-ce-que moi, je la reconnais? Est-ce-que...
-Abigaëlle! S'exclame-t-elle.
Elle s'approche de moi et me serre contre elle. Je me laisse faire, raide comme un piquet mais elle ne semble pas s'en formaliser. Elle se détache de moi pour mieux m'observer.
-Que tu es jolie! Tu as tellement grandit mais tu as toujours les mêmes yeux! Oh pardon, tu ne me reconnait sûrement pas, je suis Nathalie.
J'esquisse un sourire timide devant sa jovialité.
-Je... Je suis contente de vous rencontrer. Et voici Esteban. Dis-je en le désignant derrière moi.
Il serre poliment la main de Nathalie avant que nous n'entrons dans la petite maison. Deux hommes sont assis sur le canapé et je reconnais Michael. Il arbore un sourire en me voyant. Le deuxième se lève en nous voyant et s'approche de moi.
-Bonjour Abigaëlle. Je suis Mark. Je suis vraiment ravi que tu sois ici, saine et sauve.
-Merci. Dis-je simplement.
L'atmosphère n'est pas spécialement lourde pourtant, je ne suis pas à l'aise. C'est trop.
Une femme sort d'une autre porte et viens nous serrer la main avec un jolie sourire.
-Enchantée. Je m'appelle Laura. Je suis l'épouse de Michael et la fille de Bianca et Anthony. Aussi la maman de Shana, qu'apparemment vous avez déjà rencontrée.
Je hoche la tête.
-Abigaëlle est venue avec ce jeune homme, Esteban. Présente Nathalie avant de nous inviter à nous asseoir.
-Michael nous a raconté comment vous êtes arrivé ici. Dis Mark après nous avoir servis à boire. Vous avez eu beaucoup de chance. Pourquoi êtes-vous partis?
Je me tourne une seconde vers Esteban avant de réaliser que c'est à moi de parler. C'est mes explications qu'ils attendent.
-Nous sommes recherchés. Nous ne pouvions pas rester sur Neworld tranquillement.
-Mais... comment es-tu arrivée sur Neworld? Je ne comprends pas, tu devait rester sur Newearth, chez ta famille d'accueil... Et pourquoi es-tu recherchée?
À l'inverse de Michael Count, Mark ne marche pas sur les œufs. Il veut savoir pourquoi son petit plan me concernant a échoué. Et je décide de tout dire, non sans amertume.
-Si vous aviez cherché à prendre contact avec moi, vous sauriez pourquoi je me suis engagée dans l'armée de Newearth à 14 ans. Une fois sur le navire de guerre, un espion m'a convaincue de le suivre sur Neworld. C'était un plan de William Clarks, qui voulait m'avoir près de lui. Je l'ai suivi naïvement. Là-bas, j'ai été questionnée, emprisonnée et torturée. La suite est compliquée, mais mes amis sont venus me chercher. Je me suis enfuie de la Tour. Nous y sommes retournés par la suite pour récupérer mon collier en saphir. Un collier où sont gravées les coordonnées d'Everest. Mais pour le récupérer, ça a été plus compliqués que prévu. Il y a eu des... pertes. Nous sommes venus ici principalement parce que nous n'avions nul part où aller. Et puis, par curiosité.
-Et qu'en penses-tu, maintenant que tu es ici? Me demande Nathalie, assise en face de moi.
J'ai déjà réfléchis à cette question. C'est pourquoi je dis, sans hésiter:
-Que ça m'a l'air formidable. Et que le monde entier mérite de connaître l'existence d'Everest.
Nathalie hoche la tête avec un petit sourire et j'en conclus qu'elle est du même avis que moi.
Mark ne dit rien pendant quelques secondes et je vois qu'il réfléchit.
-Et que comptes-tu faire maintenant? Michael m'a dit que vous êtes cinq. Vous comptez rester ici?
Sa voix sonne dure pourtant, son regard n'exprime pas de fermeté. J'allais répondre sèchement, mais finalement, je constate que ce n'est qu'une simple question. Ici, nous sommes libres.
-Eh bien... Je suppose que oui. Nous n'en avons pas encore parlés. Nous vous dirons quand nous l'aurons fait. Mais pour l'instant, je veux en savoir davantage sur mes parents. Et je veux connaître la faille de Neworld. Qu'est-ce-que Clarks voulait tant savoir sur mes parents? Qu'est-ce qu'ils ont cachés?
Le regard de Mark se voile de tristesse.
-Je n'en ai aucune idée Abigaëlle... Tes parents nous manquent chaque jour. Leurs affaires sont dans le grenier, tu peux y aller et fouiller dès que tu veux.
Après un copieux dîner, je monte dans le grenier, accompagnée de Nathalie. Esteban est resté à table et à l'air de s'intégrer parfaitement aux conversations. Il répond aux questions et s'intéresse au fonctionnement de l'île.
Nathalie pose une échelle contre un mur du couloir et grimpe jusqu'à ouvrir une trappe au-dessus de sa tête. Je la suis et avance à quatre pattes sous les toits. Le grenier est poussiéreux et éclairé seulement par une lucarne.
-Désolée pour la poussière. On ne vient pas souvent ici. Dit-elle en poussant un carton vers moi.
-Pas de problème. Merci.
Je commence à ouvrir timidement le carton, le cœur soudain emballé quand je constate que Nathalie m'observe tristement. Je m'arrête et relève les yeux vers elle.
Les siens brillent et je comprends qu'elle retient ses larmes.
-Je... Tout va bien?
-Je suis désolée Abigaëlle... Je comprends que tu nous en veuille de ne pas avoir cherché à prendre contact avec toi.
Je secoue la tête.
-Non, ça va. C'est juste que... Je me suis cru seule pendant si longtemps... J'ai tellement cru être invisible, inexistante. Je ne sais pas comment prendre le fait que plusieurs personnes connaissaient mon existence et n'ont jamais tenté de m'aider.
-Je sais que tu trouves ça injuste mais... La situation était tellement instable ici qu'il fallait trouver autre chose pour une petite fille de deux ans et demi. Je ne voulais pas que tu grandisses ici, je voulais que tu sois insouciante et heureuse. Ici, on ne savait pas ce qui allait se passer, comment la situation avait évoluée. On t'a mise dans un orphelinat en payant pour que tu y sois bien traitée et en espérant qu'une famille te prendrait et t'élèverait.
-Mais après? La situation est devenue stable ici! Pourquoi n'êtes-vous pas revenus me chercher?
-Tu as été placée en famille. Cette famille avait l'air bien et avait déjà d'autres enfants. On n'a entendu aucune plainte, absolument rien concernant les enfants. On en a conclu qu'il valait mieux que tu restes là-bas et que tu y étais bien.
Mon cœur se serre et je ne peux retenir les larmes qui coulent sur mon visage. Je ne peux pas y croire. Si seulement, j'avais osée dire quelque chose, me plaindre... Je serais ici depuis des années.
-Abigaëlle? Demande-t-elle en se rapprochant.
-Ce... ce n'était pas le cas.
Je vois dans ses yeux qu'elle ne comprend pas. Et c'est tant mieux. Je ne veux pas lui dire. Elle m'a abandonnée comme tous les autres.
-Je suis désolée... murmure-t-elle en me prenant la main et en essuyant mon visage.
Je m'essuie rapidement les yeux et ramène le carton près de moi. Inutile de larmoyer. Elle m'a laissée tomber comme ma grand-mère. Je ne devrais plus m'en formaliser, ça devrait devenir normal.
-Ça va. Je vais bien. Assuré-je.
Elle recule un petit peu et tord ses doigts sur ses genoux.
-Tu étais comme ma fille Abigaëlle. Et même si on ne se connaît plus, je te considérais toujours comme. N'hésites pas à venir, à poser des questions, à demander ce que tu veux. Tu seras toujours la bienvenue ici.
Je hoche la tête et elle part, me laissant seule avec un carton de souvenir. J'hésite quelques instants, puis l'ouvre. Il n'a pas été ouvert depuis des années, je le constate à la poussière.
Je sors les premières choses. Des vêtements. Des chemises, des robes, quelques vestes. Rien de très intéressant. Je sais que les Fontis récupérés tout ce qu'ils ont pu pourtant, j'espérais autre chose. Sous le tas de vêtements, il y a quelques objets. Je sors une montre que je glisse dans ma poche, puis un pistolet. Je le repose doucement. Je trouve ensuite un body, un bavoir et une tétine et mes yeux s'embuent. C'était à moi. Enfin des affaires à moi. J'ai tellement cru ne rien posséder que ça fait bizarre de savoir que j'ai porté ces minuscules vêtements.
Puis je sors une longue veste avec des poches. Sans vraiment réfléchir j'ouvre une poche et glisse la main à l'intérieur. Et la ressort avec un petit carnet.
Je lâche tout, fourmillante d'excitation et ouvre le petit carnet comme un trésor. Je l'ai reconnu. Le carnet dans lequel écrivait mon père. Son journal.
J'observe la montre une demi-seconde et constate qu'il est déjà tard. Esteban doit m'attendre en bas pour rentrer.
Je prends la montre, le carnet et un tas de papier au fond du carton et quitte le grenier.
********
«12 août 2101,
Aujourd'hui, Ruth et moi avons parlé au président des États-Unis. C'est un homme important et qui en impose. J'avais peur de le décevoir pourtant l'idée des deux îles l'a conquis. Il dit que je suis l'espoir de la Terre. Il m'a proposé de travailler dessus dès demain. Ruth a proposé de gérer la construction des arches. Je sais qu'elle en est capable. Elle va assurer.»
Je caresse la première page, un sourire flottant sur mes lèvres. J'aurais eu des parents fantastiques, j'en suis sûre. Je tourne les pages. Elles relatent pratiquement toutes la même chose. Comment mon père trouve son équipe de travail, comment les îles s'appelleront, la façon à laquelle il réfléchit pour creuser sous la mer... etc. je saute quelques pages.
«Ce soir, je pense être l'homme le plus heureux et le plus effrayé du monde.
Ruth est enceinte.
Sur le coup, je n'ai pas su comment réagir. Un bébé en ce moment, c'est de la folie. Pourtant, je l'aime déjà de tout mon cœur. On en a beaucoup parlé et même si ce n'est pas le meilleur moment pour avoir un enfant, on s'est promis qu'on ferait tout pour garantir un avenir paisible à ce petit bout.
Ce matin, j'ai réussi à négocier un rendez-vous avec Robert. Il doit cesser sa guerre ridicule. Je n'ai pas construit ces deux îles pour qu'elles se fassent la guerre. Maintenant que nous savons que l'Everest n'a pas été submergé, nous pensons rallonger les îles flottantes, de sorte que tout se touche et finir par faire un seul continent, moitié artificiel, moitié terre. Il faut juste que je convaincs Robert.
Ensuite seulement, je serais rassuré pour ce bébé.»
«26 janvier 2113,
Ça sera une fille! Nous hésitons encore entre Léna et Abigaëlle. Déborah a déjà choisi Léna. Je préfère Abigaëlle et j'espère que pour une fois, Ruth ne se rangera pas à l'avis de sa mère.»
Les larmes aux yeux, je referme le carnet et le plaque sur mon cœur, un sourire aux lèvres. Ça sera tout pour ce soir, je suis exténuée. Je range le petit carnet et me couche, seule dans ce grand lit.
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