1.
Je ne sais pas exactement à quel moment tout ça a débuté. Sans m'en rendre compte, les caresses ont changé. Un soir de Noël, à l'aube de mes neuf ans, j'ai réalisé que les autres enfants n'étaient pas touchés de cette façon.
Mes cousins et cousines dansaient et couraient un peu partout dans la maison. Pendant ce temps, mes oncles et tantes discutaient, jouaient aux cartes et rigolaient. À cet instant, j'avais hâte d'être adulte, j'avais envie de discuter avec les grands et de rire comme eux.
Après la messe de minuit, il y avait enfin le moment de déballer les cadeaux. Je me rappelle avoir reçu le fameux jeu de magie. Je l'avais vu dans une publicité à la con, à la télé du soir. Les adultes, eux, poursuivaient les festivités pendant que moi je m'affairais à préparer un spectacle de magie espérant les impressionner.
Tout le contenu de la boîte était étalé sur la moquette. Je me grattais le front à la recherche de la baguette magique, lorsqu'une main s'est déposée sur mon épaule.
- Tu l'aimes mon cadeau, m'avait souri Kris, le copain à ma mère.
- Oui, mais il n'y a pas de baguette magique, ai-je dis mécontente.
Kris m'avait fait mention d'une baguette spéciale. Il l'entreposait dans son garage à l'abri des regards. Il m'a invité à le suivre.
- Je vais manquer le dessert, ai-je dis en regardant les autres enfants se précipiter à l'étage après que ma mère ait crié « le gâteau les enfants ».
Je voulais tellement cette baguette, je l'ai suivi. J'ai trottiné derrière lui jusqu'à la porte du sous-sol. Elle menait à l'extérieur. La fraîcheur de la nuit était cuisante et des milliers de petits points prenaient naissance sur mes bras, dressant mes poils à leur passage. Notre course vers le garage semblait prendre une éternité alors que la neige remplissait mes petits bas blancs.
Dans le garage, il ne faisait guère plus chaud et à chacune de mes respirations un nuage s'échappait de ma bouche. J'avais froid et je commençais à avoir peur.
- Grimpe sur l'établi Shanie et regarde à l'intérieur de la boîte si tu vois des jouets.
Sur la pointe des pieds, de manière innocente, j'ai grimpé sur l'établi. Je me suis agrippé au rebord de la boîte de façon à l'incliner pour voir à l'intérieur. À ma plus grande déception, elle était vide.
- Tu n'as pas mis de sous-vêtements Shanie, je vois en-dessous de ta robe. Tu imagines si l'un de tes cousins avait vu ça.
Pourtant, il m'avait dit que ce n'était pas grave de ne pas en porter. Il ne voulait pas que je dérange ma mère avec ça. Elle était déjà bien occuper à préparer la bouffe.
- Tu dois savoir ce qui n'est pas permis de faire et si un jour quelqu'un te fait la même chose tu dois lui interdire, d'accord ?
- Oui, ai-je promis.
Il avait ouvert sa fermeture éclair et il avait ensuite pris ma main dans la sienne.
- Est-ce qu'un homme t'a déjà montré ça ? M'a-t-il demandé en pointant son pénis.
- Non.
- Il faut apprendre Shanie, a-t-il conclu en baissant son pantalon.
J'étais figé sur place, ma tête était lourde et la froideur avait soudainement disparue. Je ne ressentais plus rien. C'était mal, je le savais, mais c'était tellement surréaliste que je le remarquais à peine.
Il avait dû forcer un peu pour attirer mon bras jusqu'à son pénis. Une fois qu'il l'avait atteint, il n'avait pas attendu avant d'entamer des va-et-vient avec main en-dessous de la sienne.
Ma main s'engourdissait, mais il continuait quand même. Il faisait noir, je ne voyais rien. Ni Kris, ni ma main. La seule chose que j'ai sentie, ce fut un liquide chaud qui glissait le long de mes doigts.
- Qu'est-ce t'as fait Shanie ? s'est-il indigné, en essuyant ma main dans une vieille guenille remplie de tache d'huile, si ta mère savait ça, tu serais punie pendant des semaines.
Mon dieu, qu'avais-je fait ? C'était la première chose à laquelle j'avais pensé. J'avais si honte.
- Tu es une vilaine petite fille, tu mérites qu'une seule chose : monter directement dans ta chambre.
- Je n'ai pas eu mon dessert, comme les autres, me suis-je plainte.
- Tiens, prends ça et file au lit.
En sortant, j'avais couru jusqu'à la maison, mais en chemin mes pieds se sont enfoncés dans la neige et j'avais chuté. Je suis demeurée étendue sur la neige. De doux flocons tombaient sur mon visage. Ils effaçaient mes larmes en caressant mes joues. Je fixais les étoiles parsemant le ciel. C'était si beau!
En me relevant, j'avais aperçu le petit sac que Kris m'avait remis. À l'intérieur de ma main, j'avais fait glisser quelques petits bonbons en forme de cœur. La cannelle ça chauffe un petit peu dans la gorge, mais apparemment ça réchauffait aussi les petits cœurs tristes.
C'était peut-être de ma faute, je n'en sais rien. Il me répétait souvent de ne jamais m'asseoir sur un homme et surtout, je n'aurais jamais dû être réactive à son toucher. Pourquoi l'avais-je été d'ailleurs? Devant la honte, j'ai toujours préféré faire semblant que rien de tout cela n'était arrivé.
*
Recroquevillée sur moi-même, la tête enfouie dans mon oreiller, j'essaye tant bien que mal de camoufler les bruits s'échappant malgré moi.
Ce matin, j'ai refusée d'accompagner mes parents à la messe du dimanche. J'en ai plus que marre d'entendre le curé nous déblatérer un paquet de sottises sur le pardon, l'amour et le respect.
Foutaise. Combien de fois s'est-il levé la nuit pour venir me peloter, avant d'aller au confessionnal le dimanche. Vingt « Je te salut Marie » pour libérer ça conscience. En revanche, moi, j'ai beau prier et prier de toutes mes forces, l'histoire se répète sans cesse.
- Shanie, montre-toi, crie la voix de mon beau-père à travers les murs aussi mince qu'une feuille de papier.
J'ai le souffle court, mon sang pulse dans mes tempes et ma vision se brouille de larmes. La boule au ventre, j'étouffe mes soubresauts. J'ai peur. Horriblement peur.
Soudainement, sa main s'agrippe fortement à ma gorge et je ne peux retenir un gémissement douleur. Le manque d'air fait tourner ma tête et laisse toute chance à Kris de saisir avec fermeté mes biceps afin de me retourner sur le dos.
- T'es rendu grave sexy toi. Il balaye les larmes sur mes joues.
- Ne me touche pas !
- T'as pas à être gênée avec moi, me glisse-t-il à l'oreille.
- Lâche-moi, non... non pas ça, le supplié-je.
- Tu ne veux pas un câlin de papa, me nargue-t-il, tu sais je ne t'aime pas moins qu'un père t'aimerait, dit-il sérieusement.
Si c'est ça être aimée ...je refuse l'amour à jamais.
- Non... non pas encore, arrête je t'en supplie. Et pour une énième fois, ça recommence.
Comme une poupée de chiffon, il me bouscule dans tous les sens.
- J'ai déjà ta mère sur le dos qui me dit quoi faire à longueur de journée alors pas toi en plus, me gueule Kris.
- Désolé Kris je...
Sa main se glisse sous les couvertures et mon cerveau se déconnecte de la réalité, échappant à son toucher humiliant. La honte, je voudrais mourir pour fuir. Cet homme m'a souillé. Pas seulement physiquement, il s'est permis de s'incruster dans ma tête, dans mon cœur et dans mon âme.
Je tente de puiser en moi le moindre soupçon de réconfort, mais en vain. Tout s'est éteint. Je suis engourdie. Dévastée. Sale.
Peu à peu, je me reconnecte avec le monde extérieur. Le chaos dans mon crâne se disperse et je remarque le lourd silence enveloppant la pièce. Je suis seule. J'oublie les douloureuses sensations martelant mon corps et en vitesse, je récupère mes vêtements au sol.
Dans la salle de bain, je verrouille la porte et me laisse glisser sur le carrelage. Je mords mon poing pour empêcher les sanglots d'exploser, mais rien à faire, j'ai trop mal.
- Aidez-moi, imploré-je.
Je laisse un cri s'échapper et alors, des coups résonnent derrière moi.
- Shanie, sors de là ! Qu'est-ce que tu fais là-dedans ?
- Laisse-moi tranquille, hurlé-je en me relevant.
Au sol, une coulée visqueuse s'est rependue. Mes jambes tremblent si fort et je perds l'équilibre. D'un mouvement brusque, je me retourne, secouée de spasmes, le contenu de mon estomac se répand sur le plancher, sur mes mains...
- Qu'est-ce qui t'arrive Shanie ? demande ma mère inquiète.
Je n'en peux plus. J'en ai assez d'être sa pute, sa chose pour assouvir ses pulsions sexuelles. Je veux tout déballer et c'est ce que j'ai fait. Bien entendu elle ne m'a pas cru. Elle m'a traité de folle. Selon elle, je cherchais de l'attention et c'était tout bonnement impossible. Je racontais n'importe quoi. Ensuite, Elle a convoqué Kris. Évidemment, comme je m'y attendais, il a tout nié.
Briser le silence, c'est terriblement difficile, mais c'est encore plus dur lorsqu'au final le seul coupable c'est toi.
- Si tu ne voulais pas, tu n'avais qu'à refuser, me crache-t-elle sans honte.
- Je voulais pas qu'il le fasse, dis-je scandalisée par la teneur de ses propos.
- Arrête de mentir s'il te plaît. Je te signale que tu parles de mon mari, me rappelle ma mère. Ça dure depuis combien de temps?
- Plusieurs années maman, mais c'est pire depuis quelques mois... Je n'ai pas voulu te le dire parce que je ne voulais pas que tu me détestes. C'est... c'est pour ça.
- Si ça ne te plaisait pas pourquoi ne m'as-tu pas prévenue plus tôt.
- Parce que je savais que t'avais envie qu'il reste, mais là j'en peux plus maman, éclaté-je en sanglots, tu veux, s'il te plait, lui demander de partir?
- D'accord il va partir et tu sais quoi... je vais partir avec lui, rétorque-t-elle. Kris et moi avons des projets alors sois tu mets un frein à tout ça et tout de suite ou c'est toi qui disparaît.
Ses pupilles noires comme les ténèbres s'ancrent dans mes iris, jusqu'à atteindre ma souffrance qui ne fait que gonfler.
- Mais...
- J'ai fais mon boulot avec toi et maintenant c'est à mon tour... je veux penser à moi, termine-t-elle avant de claquer la porte derrière elle.
La seule priorité dans la vie de ma mère était elle et seulement elle. Je n'y étais plus depuis longtemps et j'ai mis un temps fou avant de le comprendre. Elle n'a jamais été la mère idéale, elle a fait son possible. Son amour pour moi était acquis, je m'en étais convaincue. Finalement je n'étais qu'une obligation à ses yeux.
Aujourd'hui, j'ai seize ans et des poussières et c'est ici que ce termine mon massacre mental.
❣️
Un énorme merci à CupOfTeaNmilk pour son aide ❤️❤️
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