23
Je ne souvenais pas à quel point courir pouvait être atroce.
De l'extérieur, je dois ressembler à une grosse larve en insuffisance cardiaque, dégoulinante de sueur et rougie par le moindre effort fourni. Impossible pour moi de parcourir trente mètres sans être essoufflée ou avoir un point de côté.
Lydia s'efforce de ralentir, de faire plusieurs arrêts, et je culpabilise de la ralentir. Même si ça n'a pas l'air de la déranger. Au contraire, elle profite de ces pauses pour me raconter sa vie.
Au cours de la matinée, elle reçoit un message d'Anne-Sophie l'invitant à la rejoindre au plus grand centre-commercial de la ville. Après un dernier kilomètre qui m'aura fait cracher mes poumons, nous prenons donc le tram pour rejoindre la blonde.
J'ai essayé d'esquiver ce rendez-vous, mais Lydia tient absolument à m'offrir un repas diététique dans un restaurant pour clôturer notre séance d'exercice.
A notre arrivée, je repère d'abord Charlie avant Anne-Sophie.
Ils sont tous deux assis sur un banc au soleil, à l'entrée du bâtiment, à papoter le sourire aux lèvres.
Quand elle nous remarque, la blonde retire son bras jusqu'alors agrippé à celui de Charlie. L'un et l'autre ont l'air surpris de me voir ici. Et moi, je m'étonne de constater que mon copain flâne sur un banc, un samedi matin, lui, qui prétend n'avoir jamais de temps pour moi.
— Ah, t'es là, toi ? lance Lydia à Charlie sur un ton peu enjoué.
En réponse, elle obtient un bref sourire ironique.
Le malaise flotte dans l'air. La blonde regarde ses ballerines comme si elle les découvrait pour la première fois, Lydia se plaint de la présence de Charlie, qui cache toute émotion derrière ses lunettes de soleil et un visage stoïque, et moi, je me sens en trop.
Perdue dans mes pensées, je n'arrive même pas à me concentrer sur leur début de conversation. Elle n'est qu'un bruit de fond.
J'essaie de me rassurer, de me dire que Charlie et la blonde sont amis, qu'ils ont le droit de trainer ensemble, et qu'elle peut lui agripper le bras si elle en a envie, même si ce dernier point me donne envie de pleurer. Et je suis juste dégoutée. Dégoutée de constater que Charlie est bien plus souriant en sa présence, et que leur complicité dépasse indéniablement la nôtre.
Aujourd'hui plus que jamais, je me demande vraiment pourquoi il sort avec moi alors qu'il m'accorde si peu d'importance.
Quand le groupe bouge et passe les portes du centre-commercial, je ne sais même pas ce qui est prévu. Je marche en retrait et dévisage Charlie s'en même m'en rendre compte.
Ce dernier finit par se retourner, vérifiant que je suis toujours là. Il ralentit le pas jusqu'à arriver à mon niveau puis glisse un bras derrière les épaules pour m'attirer à lui.
Il sent bon, comme d'habitude, et contrairement à moi qui pue la sueur dans mon t-shirt humide de transpiration.
— Comment ça va, Poupouille ? demande-t-il. Tu boudes ?
J'ai toujours détesté ce surnom débile qui m'infantilise. Comme si ma tête de bébé ne suffisait pas.
— Non.
Mon ton est trop sec pour sonner sincère.
— Si, dis-moi.
— Y'a rien.
— Ok... Tu viens chez moi après ?
En réponse à sa proposition, je hausse juste les épaules.
— Tu veux pas que je fasse sautiller ton petit cœur ?
— Hein ?
Soudain exaspéré, Charlie soupire et retire son bras.
— Putain, laisse tomber...
Je le fusille du regard tandis qu'il part rejoindre sa blonde.
Au final, notre repas sain et équilibré passe à la trappe, et nous nous retrouvons avec une pizza dans l'assiette.
Je sens le regard insistant de Charlie sur moi en continu, mais résiste de toutes mes forces pour ne pas le croiser. Et je suis bien contente d'y arriver, car je sens que mon ignorance l'agace. Sa présence et celle d'Anne-Sophie me coupent l'appétit. Je touche à peine à mon plat et me contente d'écouter Lydia faire la conversation pour quatre.
A la sortie du restaurant, une main attrape mon bras et me traine à l'écart.
— Qu'est-ce que t'as ? râle Charlie.
— Rien.
— J'ai compris que t'avais un souci avec Anne-Sophie, mais c'est pas une raison pour faire la gueule dès que tu la vois.
— C'est pas à cause d'elle.
— C'est quoi alors ?
— Mais rien, laisse-moi tranquille !
Je me dégage de son emprise d'un geste brusque.
— Je te trouve beaucoup moins docile ces derniers temps, mon canari en sucre.
— Tais-toi...
Mon murmure est si faible que Charlie ne peut pas l'avoir entendu.
— Tu fais ta crise d'adolescence ? poursuit-il. C'est un peu tard, non ?
J'ignore ses provocations.
Le reste de l'après-midi se déroule dans cette même ambiance malaisante.
Tandis que Lydia commente tous les produits et vêtements exposés dans les vitrines, je fixe Charlie et sa copine la blonde marcher côte à côte, un peu plus loin devant nous. La colère me fait d'abord bouillir de l'intérieur avant de réaliser qu'ils ont plus l'air de se prendre la tête qu'autre chose.
A un moment, ils bifurquent dans une partie des galeries moins fréquentée du centre-commercial, où il n'y qu'un vieil ascenseur, une sortie de secours et une boutique en travaux. Nous les suivons tout en restant à distance. Ils sont désormais face à face. Leur ton devient plus sec, plus nerveux, mais ils s'efforcent de ne pas hausser la voix. Il est donc difficile de saisir un mot de leur dispute.
— Viens, on va faire un tour.
Sans même demander mon avis, Lydia m'entraîne avec elle dans un magasin au hasard.
D'une manière peu naturelle et peu intéressée, elle regarde les rayons chargés de crèmes, lotions, et autres soins, tout en débitant des futilités sur leurs effets.
— Tu sais ce qu'il se passe ? je la coupe.
Elle se tait. Sans lâcher du regard le pot de crème dans sa main, elle répond:
— Si je peux te donner un conseil, c'est de larguer Charles. Il se sert juste de toi.
J'accuse le coup, mais je suis déjà tellement dépitée que ça m'affecte à peine plus.
— Enfin, je te dis ça alors que je suis incapable de quitter mon connard de mec.
Elle repose la crème sur l'étagère.
— On a qu'à faire un jeu, propose-t-elle après un court blanc. La première qui largue son minable de copain a gagné.
Je hausse les épaules, soupire.
— Gagné quoi ?
— Je sais pas. Sa dignité?
Nous poursuivons notre tour du magasin puis sortons après avoir estimé que nous avions assez attendu.
— Je vais chez le coiffeur mercredi, pour repasser à ma couleur naturelle, annonce Lydia. J'en ai marre du rose. Quoique j'aimerais bien me faire des mèches blondes... T'en penses quoi ? Tu veux m'accompagner ?
— J'ai mes partiels...
Des partiels déjà voués à l'échec avant même d'avoir commencé.
— Ah. Nul... Et si j'y vais samedi, tu viens ?
— Ben, oui, pourquoi pas.
— Cool. On ira manger une crêpe pour fêter la fin de ton année. Avec plein de chocolat, de glace et de chantilly.
Je lui réponds par un sourire crispé, bien que l'idée ne me déplaise pas. En retour, elle me donne un léger coup d'épaule.
— Ça ira.
Cette fois-ci je lui adresse un sourire un peu plus franc.
Nous empruntons l'escalator, retournons sur nos pas et arrivons dans la galerie en travaux pile au moment où Anne-Sophie envoie sa main sur la joue Charlie.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top