22

Je ne sais pas à quoi je m'attendais après avoir passé les meilleures vacances de ma courte vie. Sûrement à tout, sauf au silence radio de Charlie.

Les premiers jours, je me suis contentée d'envoyer un message de temps à autre, sans trop insister. Aucune réponse ne m'est parvenue.

Après le premier week-end sans nouvelles, j'ai multiplié mon nombre de textos quotidiens par trois. Après le deuxième week-end sans nouvelles, j'ai commencé à l'appeler, une, deux... six, sept fois. Par jour. Parfois un peu plus, parfois un peu moins.

Ces dernières semaines ont été les pires de ma courte vie. Plus le temps s'écoule, plus la possibilité que Charlie n'ait pas l'intention de me revoir me terrifie. Pourtant, je pensais que passer à l'acte avec lui ne pourrait qu'améliorer notre relation, nous rapprocher.

Alors un soir où l'angoisse me fait vomir mon dernier repas, je me déracine de mon lit, m'habille et quitte ma chambre. Ma première sortie depuis six jours. Je saute dans le métro de la ligne D puis descends en ville pour prendre la ligne A.

Arrivée sur la place de la gare, je me dirige vers le kebab en bas de l'immeuble de Charlie.

Je sonne à « Szrenski » sur l'interphone, deux fois, sans réponse. Je soupire, hésite, puis finis par m'assoir sur la marche pour attendre.

J'attends, alors que je ne sais même pas à quelle heure Charlie rentrera chez lui. S'il en a l'intention. Ça ne m'étonnerait pas qu'il ait une soirée de prévue ou autre... Je me fixe donc un maximum de deux heures d'attente.

Pour patienter, j'ouvre mon navigateur Internet pour aller sur un site d'articles en ligne. J'en choisis un au hasard et compte le nombre de mots. Cela fait, je passe au suivant, et ainsi de suite.

Les 23 heures approchent. Je m'apprête à partir quand j'aperçois enfin la silhouette de Charlie au loin en train de traverser la place de la gare.

Il ne me remarque qu'au dernier moment, lorsqu'il lève le nez de son portable.

— Putain, qu'est-ce que tu fous ici ? sursaute-t-il.

— Ben, je viens te voir...

— Et ça fait longtemps que t'attends comme ça ?

— Non...

À son regard perplexe, je comprends que ma réponse ne l'a pas convaincu.

— Bref. Faut pas me faire des trucs comme ça, mon petit nénuphar. Ça me fait peur.

— Ben, tu fais le mort... Depuis qu'on est rentrés de la neige...

Il sourit.

— Ah, oui... Désolé, j'ai des problèmes de réseau avec mon portable. Un enfer. Je reçois plus rien et je peux plus rien envoyer. Ça marche une fois sur vingt.

— C'est vrai ?

— Oui. D'ailleurs, j'allais passer te voir, ce week-end.

— C'est vrai ?

Encore un sourire.

— Oui, mais je pensais pas que tu flippais au point de venir camper en bas de chez moi en pleine nuit.

Je hausse les épaules. J'ai désormais l'étiquette « psychopathe » collée sur le front, à côté des huit cents autres.

Je m'écarte pour laisser Charlie insérer ses clés dans la serrure. La porte d'entrée s'ouvre. Il se retourne vers moi quand je manifeste l'intention de le suivre.

— Faut rentrer maintenant, Poupouille.

— Je peux pas monter ?

— Je suis claqué, je ne rêve que d'une chose : dormir.

Le poids de la déception m'écrase la poitrine.

— T'inquiète, je passe chez toi demain à 20 h. Promis.

Il m'embrasse sur le front et disparait derrière la porte en bois massif qui se referme doucement devant moi. Comme une idiote, je reste plantée là quelques secondes, comme s'il existait une chance pour qu'il revienne me chercher.

Quand j'arrive dans mon 11 m², je me brosse les dents et retrouve mon lit sans avoir terminé ma brique de soupe de la veille.

Un mal pour un bien, dans toute cette histoire, mon appétit a diminué. Je me goinfre moins aux repas, en saute quelques-uns, et j'ai stoppé les sucreries. En guise de réconfort, je vois mes kilos en trop disparaitre petit à petit. J'ai presque atteint mon poids idéal.

J'allume la télé, lance une série et laisse les épisodes s'enchainer jusqu'à m'endormir.

Au matin, je trouve la force et la motivation de me lever, malgré mes trois heures de sommeil.

En réalité, je commence à être lasse de passer mon temps enfermée, et l'ennui de la journée à venir me pousse à aller en cours.

Quitter ma bulle pour retrouver la fac et ses milliers d'étudiants me donne des bouffées de chaleur, des palpitations, et l'impression d'avoir tous les regards braqués sur moi. Je presse le pas jusqu'à pousser la porte de l'amphi. Après une rapide analyse de la salle, j'aperçois Alexandra installée sur les rangées en hauteur. À côté d'elle, une guirlande de filles avec qui elle rigole. Ces mêmes filles que nous critiquions en début d'année.

Je monte les marches pour aller m'assoir sur une place libre devant Alexandra.

— Oh, une revenante, s'exclame-t-elle en me voyant poser mon sac.

— Oui, salut...

Nous n'avons pas le temps d'échanger plus de mots. Le prof arrive, s'installe, et le cours commence. Les bécasses assises dans mon dos passent toute l'heure à glousser et à chuchoter. Lors de l'intercours, la meute des pimbêches quitte l'amphi pour prendre une pause, à l'exception d'Alexandra.

Je me retourne vers elle.

— Depuis quand tu traînes avec ces filles ?

— Peut-être depuis que t'as disparu de la surface de la Terre ? Ou que t'ignores mes appels et messages ?

— Désolée, c'est compliqué en ce moment...

— C'est pas une excuse. On a tous des moments compliqués, tu sais.

Je me retiens de lever les yeux au ciel.

Qu'est-ce qu'elle m'agace celle-là, à croire qu'elle sait toujours tout sur tout.

Après ça, Alexandra ne m'adresse plus un mot de la matinée. Tant mieux, je m'en fiche de cette fille, de toute façon. Elle est nulle, nulle, nulle et pas intéressante. Et je ne vois pas ce qu'il peut y avoir de compliqué dans sa vie nulle de première de la classe, avec son copain tout aussi nul qu'elle.

Dès que la pause du midi arrive, je m'en vais sans saluer personne, puisque personne ne le remarque.

Une fois rentrée, je reprends ma série là où je l'avais laissée et patiente jusqu'à ce que Charlie vienne sonner à ma porte, à 20 h, comme promis.

On fait tout de suite l'amour, avant même de prendre des nouvelles de l'autre, et c'est génial. On s'embrasse, on parle, on glousse. Je suis la fille la plus heureuse du monde, jusqu'à ce qu'il se lève et ramasse son jean au sol.

— Tu pars déjà ?

— Désolé, mon petit chat des bois, je dois rejoindre des potes.

— Mais ça fait même pas deux heures que t'es là...

— Je reviens te voir dans la semaine. J'essaie de t'appeler, si mon portable me l'autorise.

Ma bonne humeur s'envole d'un coup. Tandis qu'il termine de se rhabiller, je le regarde, d'un air morose.

— Boude pas, Poupouille, lâche-t-il en enfilant son manteau.

— Je boude pas.

— Alors, souris.

Je lui offre un sourire forcé qui doit ressembler à une grimace puisque ça le fait rire. Pour ma part, j'ai juste envie de pleurer quand la porte claque derrière lui.

Après ça, Charlie vient me voir un peu plus, sans jamais rester très longtemps. Il passe en coup de vent, avant ou après une soirée, entre deux rendez-vous, après le travail...

Quand il a le temps, quoi.

Il ne m'invite même plus chez lui.

Par contre, il me déshabille à chaque fois.

Son absence devenue insupportable, chaque jour sans lui est chiant et interminable.

J'essaie de me distraire avec les cours, de réviser pour les partiels de fin d'année qui arrivent dans deux semaines, mais je suis incapable de me concentrer plus de cinq minutes. Je n'ai plus goût à rien. Même mes émissions débiles de télé-réalité ne m'intéressent plus. Charlie occupe toutes mes pensées. Je ne vis que dans l'attente de le revoir.

Alors je dors, des journées entières, assommée par les somnifères prescrits par mon médecin. Je me force à ne pas en prendre tout le temps, mais comater est mon seul moyen pour déconnecter.

Un jour, je me sens tellement triste au réveil que j'ai envie d'appeler ma mère et de tout lui raconter pour qu'elle me réconforte. Après je rentrerai à la maison, retrouverai ma chambre et n'en sortirai plus jamais.

Mais je ne peux pas me confier à ma mère. Elle ferait une syncope rien qu'en apprenant ma relation avec un garçon.

Après une éternité passée à fixer ma liste de contacts dans mon téléphone, j'appuie sur le numéro de Lydia. Je raccroche juste avant de tomber sur sa messagerie.

À peine quelques secondes plus tard, mon portable vibre.

— Salut toi, t'as appelé ? s'enjoue la métisse, à l'autre bout de la ligne

— Euh, oui, j'ai pas fait exprès... Ça t'a pas dérangé, j'espère ?

— Non. Je suis au travail, je m'emmerde sévère...

En effet, elle doit bien s'ennuyer car elle commence à me raconter sa vie pendant cinq minutes, avant de se faire réprimander.

— Bon, je dois te laisser, mais je sors avec des amis, ce soir. Tu veux venir ?

— Oh... Je sais pas. Ça me dit rien.

— Ça fait longtemps qu'on s'est pas vues. Ça serait bien qu'on fasse un truc ensemble. Je vais courir samedi matin, accompagne moi !

Je hausse les épaules, même si elle ne peut pas le remarquer.

Je suis loin d'être une grande sportive, mais ce n'est pas une mauvaise idée. Me fatiguer physiquement pourrait m'aider à mieux dormir.

J'ai beaucoup de peine à me lever le samedi en question. J'hésite à faire la morte quand je reçois un message de Lydia s'assurant que je suis bien réveillée, mais je me motive.

Je la retrouve donc en bas de ma résidence étudiante à 7 h 30, et le calvaire commence.

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