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Une fois dans ma chambre, je me laisse tomber sur le lit et allume ma lampe de chevet pour seconder le soleil, dont les rayons peinent à percer les gros nuages gris. Une douce lumière tamisée se répand dans la pièce. Le seul fait de retrouver mon cocon et M. Pingouin suffit à me réconforter. Jamais je n'avais dormi sans M. Pingouin, depuis que je l'ai reçu à mon cinquième anniversaire. Jusqu'à cette nuit...

Même si j'ai peu d'espoirs d'avoir un message de Charlie, je ne peux résister à l'envie de jeter un œil à mon téléphone. Sans surprise, rien n'est notifié à l'écran, mais ça ne m'empêche pas d'être saisie d'une vague de déception.

À l'approche de pensées dépressives, je décide de sortir mes gros classeurs de cours pour me plonger dans mes révisions.

La concentration me tient compagnie un quart d'heure, avant de m'abandonner à mes tourments. Pour me retenir de vérifier mon portable toutes les dix minutes, je compte le nombre de feuilles rangées dans mon classeur rouge de droit public. Cinquante-neuf.

J'enchaine avec le classeur bleu de droit pénal, le classeur vert de droit civil, le classeur noir de droit social, et termine par le total de mots compris dans le chapitre que j'essaie d'apprendre. Titres inclus, j'en arrive à 1599.

Je prends ma pause au moment où une émission de télé-réalité que je regarde de temps en temps — c'est-à-dire tous les jours — débute.

La nuit est tombée, mon ventre gargouille, et tout ce que j'ai appris aujourd'hui, c'est que Mathias a quitté l'aventure à cause de problèmes personnels, que Rébecca a enfin signé son contrat pour l'enregistrement d'un album, que Jessie sort désormais avec Marc-Antoine, et que « le régime parlementaire repose sur le principe de la séparation souple des pouvoirs, car il existe entre le pouvoir législatif et exécutif des moyens de destruction réciproque ».

La sonnerie de mon téléphone retentit alors que j'entame ma deuxième crème dessert au caramel. Je me jette dessus. Ma joie retombe immédiatement quand je constate qu'il ne s'agit que de ma mère, et j'ignore l'appel.

Encore épuisée par les festivités de cette nuit, je me couche après le film du dimanche soir.

Et comme je le redoutais, impossible de dormir.

Toutes mes pensées sont tournées vers Charlie, et chacune d'entre elles nourrit un peu plus l'angoisse logée dans mon ventre, tel un parasite. Un gros ver qui grouille à l'intérieur de moi, me ronge les boyaux avec sa grande bouche pleine de dents et de bave, et qui deviendra tellement énorme qu'il m'ouvrira le bide pour sortir. Ça sera douloureux, et je ne suis même pas sûre de mourir sur le coup. Il faudra peut-être attendre un peu, le temps que je me vide de mon sang...

D'autres scénarios morbides se jouent dans ma tête, jusqu'à ce que je finisse par craquer et m'empare de mon portable.

Tu me parles plus ? :(
Envoyé à 02 : 02

La semaine s'écoule, et mon pauvre message reste sans réponse.

J'ai passé mes journées à fixer l'écran de mon portable et mes nuits à me retourner dans mon lit.

À défaut d'avoir pu trouver le sommeil, M. Pingouin et moi-même avons beaucoup cogité sur les causes du silence de Charlie, et sommes arrivés à plusieurs hypothèses. Soit il est mort, soit il est très malade, soit il a un problème avec son téléphone, soit il se dit qu'il n'a rien à faire avec une gamine comme moi et m'ignore. Peut-être même qu'il s'est déjà trouvé une autre copine. Ça ne doit pas lui être très difficile...

Malgré tout, l'espoir que je me fasse des films demeure, et je continue d'attendre un miracle, allongée dans mon lit avec la lumière de la télévision pour seul éclairage.

Mais rien ne se passe.

Nous sommes vendredi, il est 22 h 46, Charlie doit sans doute être occupé, mais je décide tout de même de lui envoyer un message, au risque de devenir folle. Si je dois faire le deuil de notre relation, autant que je le sache maintenant. Surtout qu'il est censé partir en vacances dans deux jours, et qu'il me sera impossible de retrouver ses bonnes grâces à son retour.

Je commence à écrire mon texto, avant de tout effacer. Si je l'appelle, il verra que je suis motivée pour arranger les choses, à supposer que j'aie encore cette chance-là. Mais au moins, je n'aurais pas de regrets.

Je défile dans mon répertoire de contacts jusqu'à tomber sur son nom.

Mon cœur bat aussi fort qu'avant un passage à l'oral devant la classe, mais la faible probabilité pour qu'il réponde me rassure.

Une première tonalité se fait entendre... Plus elles se succèdent, plus je me rapproche de la boite vocale, plus mon stress s'atténue.

Plus qu'une sonnerie, et je pourrai raccrocher.

— Allo ?

Il me faut plusieurs secondes pour comprendre que je l'ai à l'autre bout du fil. Et quand j'ouvre enfin la bouche, aucun son n'est capable d'en sortir.

De la musique et des éclats de rire se font entendre en fond. Je le dérange, et en plus, je ne sais pas quoi lui dire. Si j'avais su, j'aurais préparé deux ou trois lignes de texte.

— Pauline ?

Je raccroche.

Bien. Sous la mention « sainte-nitouche », il pourra désormais rajouter « tocarde » dans la colonne de mes défauts.

Une fois mon portable éteint et ma douche terminée, je retourne m'enraciner dans mon lit et lance un film sur mon ordinateur. Le manque de sommeil accumulé depuis plusieurs jours et le navet que je regarde finissent par m'assommer.

Le lendemain est encore plus ennuyant que le reste de ma semaine, et me concentrer sur mes révisions m'est toujours aussi difficile. À deux jours du début des partiels, je pensais pourtant que la pression me mettrait un coup de fouet.

À l'heure du gouter, je fais une pause pour mieux reprendre après. Je croque dans ma troisième part de brownie quand mon interphone hurle. Surprise, je me redresse d'un bon, hésite, puis décide de ne pas faire la morte, pour une fois.

— Euh... Oui ?

— C'est moi.

Je frôle la syncope en entendant la voix de Charlie. Et tandis qu'un flot d'émotions et de questions m'inonde, je lui ouvre sans trop réfléchir.

C'est après que je réalise que ma chambre est loin d'être propre, et que je porte le pyjama dégueulasse qui ne me quitte plus depuis le début de la semaine.

Dans un élan de panique, je fais mon lit à la va-vite, range ma barquette de brownie, jette les emballages de bonbons qui trainent sur la table basse et cours vérifier mon apparence de la salle de bains. Après cinq jours sans m'être examinée dans un miroir, je découvre trois boutons sur mon front, un sur ma joue gauche et deux derniers sur mon menton.

Je tente de lisser une mèche folle entre mes doigts lorsque Charlie sonne à ma porte.

— Salut, Pauline.

L'incrédulité, l'euphorie et la gêne se battent pour savoir qui l'emportera.

Face à mon silence, il poursuit :

— J'ai essayé de t'appeler, mais ton portable est éteint.

— Ah, oui...

— Je te dérange ?

— Non, non, pas du tout.

Je me décale d'un pas sur le côté pour le laisser entrer puis referme la porte. Quand je me retourne, il est déjà installé sur mon lit.

J'espère que ça ne sent pas trop le renfermé.

— Cette chambre est minuscule, commente-t-il.

Ses yeux curieux détaillent la pièce et s'arrêtent sur la télévision. Sous les rires de Rébecca, Marc-Antoine, alias Marco, fait des pompes au bord de la piscine avec Jessie sur son dos.

— Pauline... Me dis pas que tu regardes ces conneries ?

— Non, pas du tout, j'ai mis ça le temps que la pub se termine sur une autre chaine.

Je me rue sur la télécommande pour éteindre l'écran.

La honte. J'espère qu'il ne me prend pas pour une écervelée qui aime s'abrutir devant des émissions débiles.

Par chance, mon mode de vie l'intrigue bien trop et il change de sujet.

— T'as pas d'évier ? Comment tu fais la vaisselle ?

— Dans le lavabo de la salle de bains.

— Waouh, génial, pouffe-t-il.

J'ai du mal à réaliser qu'il est juste en face de moi, assis sur mon lit, avec M. Pingouin dans les mains et son trop beau sourire sur les lèvres. Je le dévore des yeux, jusqu'à ce qu'ils lèvent les siens vers moi.

— T'es libre, ce soir ?

Un hochement de tête lui répond.

— Je t'invite à manger, si ça te dit.

Alors, voilà ?

Cinq jours de silence radio, une réapparition, un sourire et tout s'arrange et redevient comme avant ? Faire l'autruche ne me dérange pas, même si j'aurais peut-être aimé qu'on reparle de ce qui a causé notre presque rupture.

Ou pas. À bien y réfléchir, c'est mieux ainsi.

Alors que Charlie continue de relever tout ce qui ne lui convient pas dans ma chambre, je fouille mon placard à la recherche de mes plus beaux vêtements avant d'aller me préparer.

Dans la salle de bains, je referme le couvercle des toilettes pour y déposer mes affaires, attache mes cheveux, épingle ma frange et commence à me rincer le visage à l'eau.

— T'as reçu un message, lance Charlie depuis l'autre pièce. C'est Alex.

Un court silence suit.

— Il te dit qu'il est de retour et demande si t'es rentrée.

— En fait, c'est une fille. On est ensemble à la fac... Je lui répondrai plus tard.

— Ah, ok.

Ma peau séchée, je prends un disque de coton pour y verser de l'eau micellaire.

— Et t'as fait quoi, toi, aujourd'hui ? lancé-je, pour entamer une discussion, tout en me nettoyant le visage.

— J'étais en ville avec Lydia qui me colle aux baskets, comme d'habitude.

Sa voix est plus distincte, et je devine qu'il s'est sûrement déplacé derrière la porte.

— C'est ta meilleure amie ?

— Tu sais, j'ai arrêté de dresser une liste de mes copains préférés depuis le lycée.

Évidemment.

Mon coton finit dans la corbeille, et j'achève ma session de soin par une fine couche de crème hydratante.

— Mais vous vous connaissez depuis longtemps ?

— Depuis qu'on a onze ans. Malheureusement... rajoute-t-il. Tu t'en rends compte ? Quinze ans qu'elle me fait chier.

À l'entendre parler de Lydia ainsi, je me demande s'il l'apprécie vraiment. Mais pourrait-on rester autant de temps avec une personne sans l'aimer un minimum ?

Je passe ensuite un coup de shampoing sec en spray dans mes cheveux avant de les démêler avec ma brosse préférée, celle qui me les rend tout doux. Suivent des fouilles archéologiques pour retrouver mon stick correcteur pour camoufler mes horribles boutons.

— Bon, Pauline, ça fait déjà dix minutes que t'es dedans. Je te pensais plus rapide.

Je finis par trouver l'objet de mes recherches, resté caché dans ma trousse de voyage.

— Oui, oui... J'ai plus qu'à m'habiller et j'ai terminé.

— Tu veux de l'aide ?

— Euh... non, c'est bon.

Un blanc s'installe.

Mes deux boutons traités, je me dévêtis en vitesse.

— Au fait... Je m'excuse pour l'autre nuit, lâche Charlie. Je pense que j'ai grillé des étapes et me suis montré pressé.

J'enfile une culotte propre...

— Ah... Oui, un peu.

Agrafe correctement mon soutien-gorge au deuxième essai...

— Un peu, ou trop ?

Passe mon pull en maille rouge par-dessus ma tête...

— Trop, admets-je.

Termine par des chaussettes propres...

— Désolé, l'alcool me fait pas faire des trucs intelligents.

— Hmm. Je m'en voulais aussi, de t'avoir repoussé comme je l'ai fait.

Et mon pantalon.

— C'est rien.

Une fois habillée et coiffée, j'hésite à sortir. Aborder ce sujet cachée derrière une porte me gêne moins que si je devais l'avoir en face de moi.

— Du coup, c'est pas grave si...

— T'inquiète, j'attendrai, me coupe-t-il.

Comme par magie, mon angoisse s'évacue en une seconde, comme après avoir tiré une chasse d'eau.

— Merci...

— Mais pas trop longtemps, j'espère, ajoute-t-il sur un ton taquin qui ne m'amuse pas du tout.

Parce que je sais qu'il le pense vraiment.

En sortant de la salle de bains, je manque de marcher sur Charlie, assis par terre. Même si j'ai failli lui broyer une jambe, il m'offre un sourire et un compliment. Savoir qu'il me trouve quand même jolie malgré mes boutons et ma frange qui ne ressemble plus à rien suffit à me remonter le moral, et à me donner des papillons dans le ventre. 

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