1° partie

La nuit n'arrangeait en rien l'allure sombre du bâtiment qui se dressait face aux trois amis. Dès qu'ils avaient passé la grille de sécurité qui délimitait la zone du reste de la ville, le souffle glacial du vent avait commencé à leur griffer les joues au point de ne plus y ressentir aucune sensation.

Eden et Mahé avait depuis longtemps eu cette folle envie de découvrir ce que cachait cet hôpital abandonné, les secrets qu'il renfermait et les choses qu'il avait à dire aux êtres qui entraient dans ses lieux. Enfin, ils touchaient au but.

La bâtisse les surmontait laborieusement de plusieurs dizaines de mètres de haut, les protégeant de la lumière jaunâtre des lampadaires environnants. Une grande majorité des fenêtres se trouvant sur la façade principale du bâtiment étaient détériorées et les trous béants dans leur double vitrage semblaient afficher des mines de désolation infinie.

À côté des deux amateurs de lieux abandonnés, Jude sentait l'angoisse prendre possession de son être : son front accueillait difficilement toutes les gouttelettes de sueurs qui commençait à apparaître, et ses membres tendus s'engourdissaient. Sa voix s'échappa de ses lèvres sur un ton bien moins courageux que ce qu'il aurait aimé :

— Rappelez-moi pourquoi j'ai accepté de vous suivre ?

Mahé tapota avec une sympathie non dissimulée l'épaule du jeune homme en lui offrant un sourire amusé.

— Si je reprends tes mots : pour « surmonter tes peurs irrationnelles ».

Jude ne semblait plus si sûr de lui.

— Je suis sûr que d'autres occasions se présenteront.

La voix douce d'Eden brisa le chaos angoissant de ses pensées :

— T'en fais pas, mon p'tit Jude. On a déjà fait ça plusieurs fois Mahé et moi, et il ne nous ai jamais rien arrivé.

— Elle a raison, continua le jeune brun, tout ce qu'on risque de trouver à la limite sont de gros rats ou un SDF endormi.

— Bien sûr, le ton ironique employé par Jude les firent hausser un sourcil. C'est pour ça que vous avez pris ces...trucs, avec vous.

Du menton, le garçon pointa le petit boîtier en plastique noir qui pendait à la ceinture de Mahé. Celui-ci leva les yeux au ciel, vexant légèrement le grand blond.

— Ce truc, comme tu dis, c'est un K2. C'est rien qu'une babiole et ça m'amuse de l'emmener avec nous sur les lieux.

— À quoi ça sert ?

— À rien.

Tous les yeux se baissèrent vers Eden qui venait de parler, précipitamment. Trop précipitamment. Elle faisait les gros yeux à Mahé pour lui intimer de ne rien ajouter mais il en fut autrement.

— C'est pour voir si y a pas des fantômes qui te collent à la peau pendant que tu visites les lieux.

Jude n'aurait pas apprécié se recevoir le grand coup de coude que la jeune fille envoya dans les côtes de leur compagnon.

— L'écoute pas, il dit n'importe quoi.

Il hocha la tête avec lenteur et suspicion en tâchant de détendre le moindre de ses muscles. Il savait pertinemment que s'il n'arrivait pas à s'apaiser rapidement, il ne profiterait pas de cette escapade ni de la présence de ses amis. Un dernier regard échangé entre eux et les deux jeunes gens s'avancèrent de quelques pas vers l'entrée de la bâtisse. Dans sa tête, Jude comptait trois secondes avant d'expirer puis de prendre une nouvelle inspiration.

Un.

Deux.

Trois.

Il ferma les yeux un instant pour se recentrer sur lui-même et les rouvrir en ayant une autre vision de la soirée, plus positive, moins angoissante. D'un simple regard, il fit comprendre à ses compagnons qu'enfin, il était prêt à entrer.

L'intérieur était...banal. L'électricité n'étant plus en marche et l'hôpital étant abandonné depuis des lustres désormais, la vaste salle dans laquelle ils s'étaient trouvés juste après avoir poussé les battants de la grosse porte principale était sombre. Très sombre. Seule la lune réussissait à prêter quelques-uns de ses rayons de lumière pour leur permettre de distinguer les éléments qui se présentaient à eux dans un rayon de trois mètres.

D'après ce que pouvait en voir Mahé avec l'aide de sa lampe torche, et par la logique des choses, ils devaient se trouver dans le hall principal qui accueillait également l'accueil de l'hôpital. Dans ce silence lourd de sens, les trois étudiants pouvaient ressentir toute la peine, la douleur, la détresse et l'inquiétude qu'avait pu accumuler le lieu. Ils pouvaient facilement s'imaginer une mère attendant péniblement les résultats des examens de sa fille miraculée d'un accident de voiture ; un homme s'évertuant à ne pas presser les médecins environnants à lui révéler si l'accouchement de sa bien-aimée s'était bien passé ; une famille angoissée attendant des nouvelles d'un grand-parent souffrant ; un père de famille s'autorisant à verser quelques larmes de détresse lorsqu'on lui annonça le risque de perdre l'un de ses enfants...qui finalement serait hors de danger.

Eden s'aventurai plus en profondeur à l'intérieur dans la pièce, munie de sa lampe torche pour lui indiquer le chemin à suivre. La peinture des murs et des plafonds s'écaillait sur plusieurs zones, et de nombreux tags colorés plus ou moins compréhensibles témoignaient du passage plus ou moins inoffensif de sans-abris ou de squatteurs. Un frisson d'agitation glissa le long de sa colonne vertébrale : elle adorait ce genre de sensation, cette angoissante excitation de peut-être découvrir quelque chose de bien plus intéressant que sa vie actuelle.

Elle se retournait régulièrement pour s'assurer que ses amis, en particulier le plus apeuré des deux, la suivait et n'était pas seul au milieu de l'obscurité. Légèrement décalé sur leur droite, elle longea un couloir étroit qui les emmenait vers un escalier. Après une courte examination de la part de Mahé qui en conclut que les marches étaient encore en bon état, ils s'aventurèrent sur ce chemin, tous en allant à leurs propres analyses : en tête de file, le cerveau d'Eden fulminait de toutes les possibilités de choses qu'ils pourraient trouver arrivés en haut. Quelques marches plus bas, Mahé tentait difficilement de rassurer Jude quant à l'efficacité de leur lampe torche pour faire fuir n'importe quel animal – généralement les rats.

— Hm, c'est pas très intéressant pour l'instant votre histoire. On arrive encore dans un couloir.

— T'es dans un hôpital mon pote, pas dans un musée.

Les deux garçons terminèrent leur ascension quelques secondes plus tard puis se postèrent quelques mètres plus loin. L'étage semblait avoir été moins atteint par les taggeurs que le rez-de-chaussée du bâtiment. Cependant, ils se trouvaient plus près des nombreuses fenêtres attenantes et pouvait sentir le froid hivernal s'engouffrer dans leurs entrailles. Jude frissonna.

— Je sais que c'est l'hiver, mais quand même.

En écho à ses paroles, une violente bourrasque éclata à l'extérieur, faisant claquer dans un bruit sourd les semblants de volets qui restaient encore maladroitement accrochés à l'encadrement des fenêtres, coupant ainsi un peu l'arrivée du froid. Les deux jeunes échangèrent un regard, perplexes. Comme si un éclair de bon-sens avait soudainement traversé son esprit, Mahé regarda autour de lui en fronçant les sourcils.

— Où est passé Eden ?

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