Chapitre XXXV
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Paige Wells.
Je me retrouve rapidement à l'arrière d'une cheminée d'un immeumble et fouille mon sac de sport. Je l'avoue, ma combinaison ne me quitte pas. Malgré qu'elle soit apparemment conçue des mains de Fearless, son côté pratique est bien trop important pour que je puisse m'en séparer. Par contre, je n'ai pas hésité à brûler le sweat-shirt gris que j'avais l'habitude de porter par dessus. En fouillant mes affaires de sport, je tombe sur un large pull à capuche noir que j'apprécie porter pour ce cours. Alors je me déshabille, hors de la vue de qui que ce soit et enfile la combinaison avant de passer ce sweat par dessus. Mes cheveux ont poussés et retombent sur mes épaules et le décolleté de ma tenue laisse apparaître mes écailles qui s'estompent au niveau du haut de ma poitrine pour redevenir une banale peau humaine. Avant, j'avoue avoir trouvé ça répugnant de posséder des écailles, c'était une drôle de sensation. À présent je m'y suis attachée; elles sont une partie de moi après tout. La touche finale reste mon bandeau sur mes yeux, c'est fou à quel point cet accessoire peut vous sauver alors qu'on le pense si futile! Grâce à lui, quiconque me connait en tant que Paige ne reconnaîtrait pas la forme de mes yeux en tant que Raven. Enfin prête, je cache mon sac dans la cage d'aération de l'immeuble et me lance dans ma course folle. Je n'ai pas d'explication, j'en ai simplement besoin à tout prix. Je veux sentir sur mon visage le vent souffler à toute allure alors que je saute de toits en toit en oubliant l'espace de mon périple ma peur du vide. Le vide est loin d'être une phobie pour moi. Seulement, avant tout ça, je n'aimais pas ça du tout. À présent il est bon de sentir mes sens décupler me propulser à travers New-York, avoir ce sentiment de pouvoir voler, que tout nous appartient... Que nous sommes libres.
Je m'autorise à pousser un cri de joie tant l'émotion est forte, je lève les bras, saute du bord d'un immeuble en survolant un petit écart pour finalement retomber sur un autre et effectuer le même périple encore et encore sur plusieurs pâtés de maisons. Souple, légère, indépendante, agile, ce sont les adjectifs que je m'approprie en ce moment même. Enfin, je comprends ce que ça fait de ne plus dépendre de personne, de ne plus avoir une Nedra sur le dos pour me dire quoi faire, de ne plus avoir cette impression de tomber contre ma volonté dans la folie, la criminalité. De ne plus angoisser sur quand et comment elle me contactera à nouveau. Aujourd'hui je n'ai plus à tabasser un innocent dans la rue pour pouvoir m'infiltrer quelque part sans encombres, j'ai juste à sauter sans plus jamais m'arrêter pour oublier les ennuis que je me suis créés.
Et puis je m'arrête, je regarde autour de moi avec un soudain émerveillement. De cet endroit, précisément, je vois le paysage urbain s'étendre autour de moi, brillant de mille et unes lumières en cette belle matinée. Ainsi, l'adolescente que je suis se rend compte à quel point la vie qu'elle mène est exceptionnelle. Je m'assieds sur le bord du bâtiment qui est sans doute le moins élevé de la rue et laisse aller mes pieds dans le vide en m'appuyant sur mes deux mains. Je sens l'air frais me caresser le visage, ici, pas d'odeurs d'échappement comme en bas. Une vie exceptionnelle, c'est bien ça! Quand je pense à toutes ces choses que j'aurais pu faire au lieu de choisir le côté le plus obscur de mes capacités... Et si au lieu d'aider au mal, je faisais le bien? Et si seulement je pouvais arrêter ces étranges manigances entre les mutations génétiques? C'est vrai que seule, se serait du suicide. Mais j'imagine simplement une autre jeune fille ou même un jeune homme, un peu perdu qui ne sait pas où se placer dans la société car comme moi, il se trouve pourvu de capacités inconnues. Je pense à Nedra qui l'aurait entre les mailles de son machiavélique filet, lui qui la suivrait, qui douteraient de sa santé mentale pour au final laisser de côté ses scrupules pour se transformer en monstre sanguinaire avide de sang. Peut-être que je ne pourrais pas m'attaquer à eux moi-même mais si de mon côté j'aidais à la réduction de la criminalité en général, peut-être que je culpabiliserai moins. C'est vrai, j'ai les moyens d'aider à réduire le mal dans ce monde brutal, comme bien d'autres personnes! Certains ont l'argent, moi j'ai mes dons... Et ceux qui préfèrent ignorer la détresse d'autrui alors qu'ils sont dans la possibilité de les aider, participent d'un certain point de vue à la destruction de notre civilisation. Souvent ce sont ceux qui n'ont rien qui donnent. J'ai quelque chose, je ne peux me résoudre à le garder. De l'agitation dans la rue me sort de ma rêverie, en baissant les yeux je ne peux qu'apercevoir que le paysage est tout simplement différents de la vue qu'offre l'horizon; c'est un quartier pauvre au premier coup d'oeil et apparemment pas fort fréquenté. La preuve, il n'y a personne, personne hormis cette jeune femme et cet homme. Je plisse les yeux, ils sont loins et un poteaux électriques me bouche la vue. C'est avec un peu de concentration que je réussis à faire un zoom sur la scène et analyser avec plus de précisions la situation. C'est une dame, la trentaine, elle porte une élégante robe rouge et arbore de longs cheveux bruns. Sa peau est matte et son rouge à lèvre vif; rien ne colle avec l'endroit où elle de trouve en ce moment précis. Je tourne la tête à l'opposé de la rue, une station de métro. C'est certainement pour cette raison qu'elle ose s'aventure dans ce milieu. En face d'elle, un homme, la cinquantaine, une barbe mal taillée et un bonnet bleu rayé sur sa tête. Il porte une veste d'hiver sans manche, matelassée et surtout, il semble poser problème à cette femme. Elle le repousse poliment, certainement dans l'espoir de passer son chemin mais il revient à la charge. Je ne sais pas pourquoi je reste là alors que je sais qu'il se passe quelque chose d'anormal. C'est comme si il me fallait quelque chose en plus avant d'agir; je suis bloquée là, à les observer. Peut-être que c'est le signal; il sort un canif, plus le temps d'observer. Le coeur battant à cent à l'heure, je dévale l'issue de secours le long du bâtiment et traverse la rue en deux temps trois mouvements avant d'aller asséner un coup de pied droit dans le flan de l'homme. Cette adrénaline maladroite me fait tituber sous les cris de la femme et l'homme en rogne qui se relève en me toisant d'un air sombre.
-PARTEZ! je cris à la dame qui reste muette, plaquée contre le mur.
Elle ne bouge pas d'un centimètre et me regarde avec de grands yeux, pendant que je lui cris de s'en aller, l'homme me lance un coup de poing que je me prends dans l'épaule. En sifflant avec fureur, je me jette sur lui; ce départ maladroit fait prendre un coup à ma dignité, et c'est peut-être la chose que je déteste le plus en ce monde. Il se débat en s'armant de son canif que je m'empresse de flanquer à plusieurs mètres loin de lui. L'homme est tenace, il continue de se débattre de ses poings quand alors je perds patience et dégaine mes griffes. Mon geste est accompagné d'un cri de la part de la femme ainsi que du fauteur de trouble. Profitant de cet instant de frustration, je rengaine mes griffes et m'apprête à donner le coup fatal à cet homme de mon poing dans ses tympans pour qu'enfin il tombe inconscient. De cette manière, je pourrais rapidement le livrer à la police. Je lève le poing, le regarde avec fureur et soudain, un éclair me barre la vue et je m'écroule sur le sol.
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