Chapitre XXXIV

Paige Wells.

Ce matin, en allant en cours, je me sens nauséeuse au possible. Je n'arrive toujours pas à réaliser. Est-ce que je viens réellement de renoncer à cette vie? Si je regarde autour de moi, je regarde toutes ces choses que j'ai pu perdre en accordant plus d'importance à ma seconde identité. Et à présent, elle aussi je l'ai perdue. Je me retrouve tellement misérable et démunie que j'ai cette impression que jamais plus rien ne rentrera dans l'ordre. À la table du déjeuner, je n'ai pas osé accorder un regard à ma grand-mère. Comment vais-je faire à présent pour que l'on s'en sorte? Certes, j'ai des réserves, je pense qu'à nous deux nous avons assez pour leur donner la somme demandée mais... Et pour après? Nous aurons tant donné qu'il ne nous restera même pas assez pour un pain. Dans le couloir, en enfilant ma veste, je croise mon regard dans le miroir et ferme immédiatement les yeux; c'est comme si je mourrais à petit feu tant mon état se dégrade. Ces cernes sous mes yeux sont si profondes que je ne prends même pas la peine de les cacher avec quelconque produit cosmétique. Mes joues sont creuses, mon teint blafard et ma démarche aussi éprouvante que celle du bossu de notre dame.

"Paige? Est-ce que tu es sûr que ça va? Tu ne veux pas rester à la maison?"

Je hoche négativement la tête.

"Non, ça va aller ne t'inquiètes pas."

Je suis surprise par ma voix si rauque et mes mains se mettent à trembler, je m'empresse à les cacher dans la poche de mon sweat.

"Ma chérie... Tu as une mine affreuse, on dirait que tu n'as rien avalé depuis une semaine."

Je me pince la lèvre en évitant une énième fois son regard.

"En rentrant, on ira voir un docteur. Ça ne peut pas continuer comme ça Paige. Si tu ne me dis pas ce qu'il t'arrive, alors lui, il nous le dira."

Je hoche à nouveau la tête, pressée d'en finir et me retourne en direction de la rue. Je suis absolument terrifiée par l'énergie que pompe mon second état, comme si j'allais me décomposer jusqu'à devenir poussière si je ne me transforme pas à nouveau. L'idée de procéder à une nouvelle transformation pour me sentir mieux me passe par la tête mais je résiste, je risque simplement de me sentir encore plus mal une fois revenue à la normale. C'est comme une drogue, sans elle je ne suis rien. Réduite à un cadavre sans vie avec des doubles valises sous les yeux.

***

"Ça va Paige?" demande Cassidy alors que nous prenons nos affaires dans nos casiers.

Je lève les yeux en commençant à être exaspérée par cette question. Si c'est seulement maintenant qu'elle se rend compte de mon état, elle devrait recevoir l'oscar de la meilleure amie de tous les temps. Notez mon sarcasme.

"Oui, ça va." dis-je sèchement en tournant les talons

Elle trottine derrière après avoir fermé notre casier.

"Calme toi, c'était juste une question. T'as pas bonne mine."

"Et alors? J'ai un rhume, on va pas en faire toute une histoire non plus."

Elle s'arrête et fronce les sourcils.

"Pourquoi t'es si froide tout d'un coup?"

"Et toi pourquoi tu te contentes pas de me lâcher? Tu l'as bien fait pendant plus d'un mois quand tu trainais avec Flash, mon absence ne t'as pas géné apparement. T'es plus avec lui pour que tu reviennes vers moi comme ça ou quoi?" dis-je en le regardant droit dans les yeux.

Son regard se transforme, d'abord exprimant de la surprise et puis une dure colère.

"Tu veux rire ou quoi? C'est toi qui te barrais tout le temps on ne sait où! Si on s'est pas vues pendant tout ce temps, t'es la seule fautive. Peter aussi était avec nous, on te cherchait, on t'appelait, tu ne répondais jamais! Et tu veux porter la faute sur moi?!"

Elle s'approche de moi et pose son index sur ma poitrine en se dressant que la pointe des pieds alors que je sens une boule de colère se former dans le creux de mes entrailles.

"On s'inquiète pour toi bordel! C'est quoi ton soucis Paige? Il se passe quoi dans ta vie?"

Je la repousse avec rage en serrant les poings.

"Des choses que j'aurais préféré ne jamais vivre, tu vois? Ferme là Cass, et laisse moi tranquille."

Je tourne les talons en entrant en cours d'espagnol que je nous n'avons pas en commun avec soulagement. Après quelques minutes, le professeur referme la porte et commence à distribuer les résultats de nos interrogations de la semaine dernière. Épuisée, je fixe un point sur le mur en face de moi, les pensées perdues dans la vague, en me disant que tout est en train de partir en vrille dans ma vie, que je ne sais pas comment en sortir.

"Paige? Vous m'écoutez?"

Qu'est-ce qu'on me veut encore?

"Quoi?" dis-je avec lassitude avant de me rendre compte qu'il s'agit du professeur, "pardon, je voulais dire, qu'est-ce qu'il y a?"

Il fronce les sourcils et me remet ma note que je regarde avec dégout. Un cinq sur vingt, ça ne me ressemble pas. Surtout pas en langues.

"Mademoiselle Wells, ce contrôle était très important... Qu'est-ce qu'il vous arrive? Vous êtes une de mes meilleures élèves d'habitude."

Je saisis la feuille en fixant la note.

Qu'est-ce qu'il t'arrive?

Ça va?

Tu n'as pas l'air bien.

Tu es certaine que tout va bien?

Ma main balance d'elle-même la feuille contre la table en la faisant claquer.

"J'en sais rien." dis-je avec encore plus de froideur, retenant la vague de colère qui me submerge.

Le professeur semble vouloir ajouter quelque chose mais une retardataire l'interrompt.

"Excusez-moi professeur."

Il lui signe d'aller s'asseoir avant de se concentrer à nouveau sur moi. Pourtant, je ne l'écoute pas. Ce qu'il me dit devient vague et flou quand je reconnais cette jeune fille, ses cheveux rouge et ses tâches de rousseurs... Elle était présente lors de ma première rencontre avec Nedra, à la banque. Comment ai-je fais pour ne pas la remarquer avant? Alors que je regarde autour de moi en prenant conscience que depuis tout ce temps je ne sais même pas avec qui je suis en cours d'espagnol, une phrase du professeur me tire de ma rêverie.

"Je ne sais pas trop ce qui cloche chez vous en ce moment, Paige, mais peut-être vos parents devraient-ils venir à la réunion demain soir."

"Mes parents?" je répète, légèrement déboussolée.

"Oui, c'est ce que je viens de dire. Est-ce que vous m'avez écouté au moins?" dit-il avec exaspération.

"Excusez-moi, je ne me sens pas bien."

Sur ce, je me lève et sors en trombe de la classe. J'entends la porte s'ouvrir derrière moi, le professeur qui crit mon nom mais je vois surtout la sortie, que je prends à toute allure.

***

"Qu'est-ce que je vais faire..." je murmure en rabâchant ma capuche sur ma tête, marchant tête baissée dans une rue qui m'est totalement inconnue

Je sais que c'est dangereux, que je suis exposée à Nedra et à ses troupes et que si ça se trouve, ils me recherchent activement... Mais peut-être que ça ne me dérangerait pas qu'ils me retrouvent. Là, tout de suite, j'estime que ce serait même la meilleure solution. Peut-être vont-ils à nouveau me soumettre à l'épreuve des chiens et peut-être que cette fois, je n'userai pas de mes pouvoirs pour les arrêter. Je secoue la tête pour chasser cette idée morbide en me rendant compte à quel point je pense à des choses navrantes et stupides. L'odeur du café torréfié me parvient en chatouillant mes narines; un café, c'est tout ce dont j'ai besoin. J'entre dans ce café moderne et express pour les gens devant immédiatement se rendre au travail ou encore pour les étudiants.

"Un café noir s'il vous plait... Le plus fort possible."

La dame derrière le comptoir me lance un regard désolé en voyant l'état dans lequel je suis, que j'ignore royalement. Une fois mon café servit, je songe à sortir et à trouver un endroit où me terrer pour le restant de mes jours. Mon lit serait l'idéal mais si je rentre, ma grand-mère m'emmènera immédiatement voir un médecin.

"Paige!"

Et merde.
Je tourne la tête et vois Flash assis sur une banquette qui me fait de grands signes d'un air enjoué. Je ne fais même pas semblant d'être heureuse de le voir et contourne la courte file pour le rejoindre.

"Salut." dis-je avec ennui.

"Ça va? T'as pas l'air d'aller..."

"Tais toi. Ça va. Ne me demande plus jamais ça." dis-je en m'installant face à lui avant d'entamer une gorgée de mon café.

Je grimace tout d'abord avant de laisser la chaleur du liquide m'envahir entièrement.

"Pourquoi t'es là?" dis-je à son intention.

"J'ai pas cours les deux premières heures mais je me suis reveillé tôt alors... Puis j'aime bien cet endroit, on vient souvent avec Cassidy et Peter."

Je lui lance un regard furtif avant de me reporter mon attention sur le café. Je ressens ces paroles comme un coup de poigard droit dans le coeur; c'est comme si je ne faisais déjà plus partie de la bande. Et c'est entièrement ma faute.

"C'est dommage que t'étais pas avec nous." dit-il comme pour se faire pardonner.

Je hoche la tête négativement pour faire mine que ce n'est pas grave et que ça ne me touche pas alors qu'en réalité, c'est tout le contraire.

"Et toi, pourquoi t'es là? T'as pas espagnol les deux premières heures?"

"Oui, je devrais, c'est vrai." dis-je en regardant par le mur entièrement vitré derrière le blond.

"T'as séché? Paige qui sèche? Mais qui êtes-vous?" dit-il en riant.

Je me laisse aller à un sourire fatigué. Flash, je l'adore. Je sais qu'il voit que je ne suis pas bien mais n'insiste pas. Pas comme les autres.

"Ça va avec Cassidy?" dis-je en commençant à regretter mon attitude avec cette dernière.

"Très bien même. Et toi, avec Peter?"

Je manque de m'étrangler. Bon sang, ça fait si longtemps que je ne l'ai plus vu...

"Je... On s'est pas vu depuis un moment." dis-je d'une petite voix.

"Et ça ne te fais rien?" dit-il en devenant un peu plus sérieux.

"Qu'est-ce que tu veux dire?"

La panique commence à monter en moi. J'ai déjà tout perdu, je n'ai certainement pas l'espoir de récupérer Peter. Il doit vraiment m'en vouloir d'être si distante. Le problème étant que je n'avais pas vraiment le choix à cause de cet ancien mode de vie. Je ne voulais plus vraiment continuer à le voir en sachant que plus je le fréquente, plus je tombe amoureuse, plus nous souffrons tous les deux.

"Je crois qu'il n'est pas bien." dit Flash en baissant les yeux.

"À cause de moi, c'est ça?"

"Non, je ne voulais pas dire ça mais... Bon, d'accord, oui."

Je pose mon café et recule un peu ma chaise en fixant la marque sur le gobelet en carton. Encore quelque chose que je foire; je détruis tout ce que je touche, c'est officiel.

"Non, Paige, réagis pas comme ça... On sait tous les deux qu'il t'aime bien et inversement mais si tu ne te sens pas prête alors on ne peut pas forcer le jeu."

Je secoue la tête, ce n'est pas que je ne suis pas prête, mon coeur hurle qu'il a besoin de lui... Mais ma raison me dit de tout laisser tomber pour son bien.

"Seulement, tu devrais lui dire et arrêter de le faire mijoter. Je suis sûr qu'à cette heure-ci encore il se demande combien de temps ça va durer. Il a encore espoir. Et si tu n'attends rien de lui, alors va lui dire, je t'en pris. Ne le fait pas espérer, les déceptions amoureuses sont les pires."

Je lève mon regard triste vers Flash, il semble si sincère et si inquiet pour nous deux... Je me lève et il fait de même, certainement en croyant que je m'apprête à partir. Mais avec un geste auquel il ne s'attendait certainement pas, je m'approche de lui et le sers dans mes bras avec affection.

"Merci, Flash."

Je relève la tête vers lui, toujours dans ses bras et lui souris, sourire qu'il me rend tendrement.

"Je serais toujours là petite Wells."

Avec un élan d'espoir, je prends mon café et sors du bâtiment en courant.

"À tantôt!" je lui lance avant de débouler dans la rue.

En lançant le carton de café vide dans la poubelle la plus proche, je sens mes sens s'aiguiser et la chaire de poule se faire sur toutes les parties de mon corps. L'adrénaline s'empare de moi, mes yeux pétillent et je siffle de joie. À nouveau je me sens bien, en pleine forme et je cours sans perdre mon souffle; Raven a subitement une petite envie de courir sur les toits. Mais cette fois, aucune banque ne sera cambriolée.

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