Chapitre XVI
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Paige Wells.
Sur mon lit sont éparpillées quelques pièces et plusieurs gros billets, signant mon salaire rond pour ces longues soirées de travail. Résultat? C'est pitoyable. Je soupire en sentants ma lèvre inférieure trembler. Nous n'en sortirons jamais ainsi. Stupide société de consommation où tout tourne autour de l'argent et des sommes. Une larme coule sur ma joue contre mon gré; combien de fois aurais-je donc pleuré? Trop de larmes ont été versées en trop peu de temps, ça ne me ressemble pas. Dehors la lune apparait timidement dans le ciel en se fondant avec allégresse dans le décore. Je me dis que ce serait bien de rester là à la contempler éternellement sans rien faire d'autre... Ce serait si facile.
Soudain, je sursaute en manquant de tomber de mon lit, un cri coincé dans ma gorge me laissant une sensation désagréable. Peter vient d'apparaître à la fenêtre en posant un doigt sur ses lèvres pour m'intimer de me taire. Dans le ciel qui s'assombrit avec pour seule clarté la faible lune et les vieux lampadaires, il se dégage de lui une lueur surnaturel et presque mystique. Je me mord la lèvre inférieure pour ravaler mes larmes et fais discrètement glisser l'argent sour ma couette. Je lui ouvre alors qu'il me sourit à pleines dents.
"Alors Wells, tu es d'humeur à flaner sur un toit?"
Je souris faiblement en essayant de cacher mon visage tiré par la tristesse derrière ma mèche. Pour toute réponse je hoche la tête et me retourne pour aller fermer ma porte à clé. Peter se décalle alors que je grimpe sur le rebord de la fenêtre en la callant avec une trousse de crayon pour pouvoir revenir par le même chemin en rentrant. Nous nous retrouvons sur mon toit, je le regarde sans trop savoir quoi faire ni quoi dire. Muette comme une tombe, je n'ose prononcer un seul mot de peur de me mettre à sangloter devant lui. À vrai dire, je n'ai envie que de ça, pouvoir me blottir dans ses bras et tout lui raconter... Ou ne rien dire, juste verser mes larmes et sentir sa chaleur corporelle se mêler à la mienne un instant pour retrouver ce sentiment de sécurité qui me manque depuis que j'ai commencé ce travail.
"Viens, je vais te montrer un endroit que j'aime beaucoup."
Peut-être vais-je enfin savoir comment il en arrive à se promener sur mon toit aussi fréquemment? Je l'observe agripper la gouttière accrochée à la façade de la maison et glisser avec une facilité alarmante le long du tuyau pour finalement atterrir sur pied dans le jardinet. Je le regarde, les pieds ballants dans le vide en hésitant un moment. Il m'encourage d'un regard doux alors je ferme les yeux quelques secondes pour me reprendre en main; cette nuit ou je me suis enfuie de la maison desWagner sans trop savoir où aller, mes doigts sont restés accrochés à la branche d'arbre en m'évitant une chute terrible. À présent j'en connais la cause, je sais que j'ai des capacités -qui entre autre m'inquiètent- mais qui peuvent s'avérer utiles. Cette fois je vais enfin m'autoriser à les utiliser pour ma propre personne, si elles sont là, autant s'en servir. Je me lève avec toujours cette sensation d'être trop lourde pour cette légère toiture aux allures si fragiles; si elle s'écroulait sous mon poids en ce moment, j'aurais l'air maline devant ma grand-mère en essayant de justifier ma présence sur le toit. J'aggripe le métal froid en me concentrant, faisant circuler la volonté de rester accrochée du bout de mes doigts dans l'entièreté de mon corps. Alors je les ressens, ces caractéristiques frétillements presques imperceptibles qui me caressent la peau comme un souffle en me donnant la chaire de poule sur mes avants bras. Je m'accroche et descends, de plus en plus vite avec une facilité qui m'étonne et qui m'emplit de satisfaction l'espace d'un instant. Le bout en plastique de mes baskets glisse dessus avec aisance tandis que j'ai cette impression à la fois assez surprenante et agréable de scratch sur la paume de mes mains. Je me retrouve sur le sol plus rapidement que je ne l'aurais cru et me tourne vers Peter avec émerveillement. Lui, n'a pas l'air plus impressionné que ça. C'est normal, il ne vient pas de vivre cette sensation étrange de se découvrir des capacités physiques digne de la science-fiction pure et dure. Les fourmillements dans mes mains cessent aussitôt, elles deviennent moites alors que je les essuies sur mon jean. Remarquant mon geste, le brun n'hésite pas à entrelacer ses doigts avec les miens tandis que je le regarde faire sans rien dire; il se met en route dans la rue en silence, son sourire se dévoilant à la lueure des hauts lampadaires. Je resserre l'étreinte de ma main dans la sienne; je n'ai jamais tenu la main d'un garçon au paravant. À vrai dire, je n'étais pas le genre de fille qui attirait l'attention sur elle; les gens ne me trouvaient pas aussi intéressante que les bimbos qui se pavanaient autour de moi. Dans mon école, c'est vrai que je faisais tâche. Mais peu importe, je ne m'en souciais pas plus que ça... À présent c'est le garçon le plus mignon du bâtiment -à mes yeux- qui s'intéresse à moi, qui me tient la main et qui m'emmène passer la nuit à regarder les étoiles sur un toit dans un bel endroit. N'importe quelle jeune fille aurait les yeux brillants d'excitation et le coeur lourd de joie. Mes yeux à moi sont brillants de récentes larmes et mon coeur est lourd, mais pas de joie. Romantiques adolescentes, elles auraient cette impression de vivre un conte de fée. Moi, je suis simplement heureuse de pouvoir me changer les idées et penser à autre chose qu'à cette somme d'argent qui me hante. Après tout, je n'ai jamais su comment ça marchait l'amour entre une fille et un garçon, je n'ai jamais su comment m'y prendre et je n'ai pas forcément envie de devoir m'y préparer. Je suis certaine que si il se passe quelque chose entre lui et moi, il saura me guider comme je l'attends depuis si longtemps et le temps construira ce que je m'efforce de détruire chaque jours pour ne pas surcharger mon esprit. Nous voilà déjà arrivés, je n'ai rien vu venir!
"On monte? Tu commences à devenir aussi douée que moi question ascension de batiments."
Je hausse les épaules.
"Dit comme ça tu pourrais passer pour un personnage assez inquiétant."
Il rit et me pousse légèrement vers l'avant pour m'inciter à monter. C'est un grand bâtiment fait d'appartements comme on en voit partout dans New-York avec ses issues de secours sur le côté. Nous passons justement par là; je me sens rapidement démoralisée en prenant conscience du nombre d'échelles à grimper avant d'atteindre le toit. Après avoir gonflé les joues comme une enfant mécontente, j'attrape les échelons à deux mains sans rien demander de supplémentaire à mon corps; je peux tout de même faire ça comme une grande sans aide. Me voilà partie dans une interminable ascension entourée d'infinis échelons métalliques et glacés qui m'irritent les doigts. Mais l'heure n'est pas aux complaintes, j'avance sans broncher en entendant chacunes de chaussures de Peter se poser sur les barres grisâtres derrière moi. J'ai peur de lui envoyer mon pied dans le nez. Mon regard se perd de temps en temps à l'intérieur des appartements où les volets ne sont pas tirés et où la lumière laisse deviner des silouhettes en mouvement. Un jeune garçon sur son ordinateur, un couple devant un film... Une petite fille à la fenêtre, deux figurines de princesses amovibles entre les mains qui m'adresse un grand sourire que je lui rends. Son beau sourire avec une dent de lait manquant à l'appel suffit à me réchauffer le coeur et à m'encourager. Je gravis cet interminable labyrinthe sans soucis après cet épisode. Essoufflée, je pose mon derrière dans les graviers sur le toit sans me préoccuper de mon jean certainement salit à ce niveau. Peter arrive en s'épongeant le front.
"C'est long, c'est difficile mais bon sang, ça en vaut la peine!" dit-il en écartant les bras pour prendre une grand inspiration et souligner le paysage.
Je tourne le menton vers la nouvelle vue qui s'offre à moi, les lumières de la ville créent un halo lumineux et mystique, comme un cocon dans lequel nous serions tous en sécurité. Je ramène mes jambes vers ma poitrine tandis que le brun vient me rejoindre en laissant nos épaules se toucher. C'est magique, ces batiments de tailles variantes, tous illuminés en créant comme une immense guirlande de Noël réconfortante. J'enroule mes bras autour de mes genoux en fixant cette superbe vue, les yeux emplis d'une admiration sans égale. Je sens les mouvements du brun à mes côtés, ses longs et fins doigts qui viennent effleurer mon visage; des millions de frissons me traversent comme une décharge. Ce soir, je découvre à quel point je suis faible et insignifiante. Je me sens petite et fébrile face à l'immensité de la ville. Je me sens vulnérable et sensible face à ces tremblements agréables qui s'emparent de moi dès que son corps entre en contact avec le miens. Je tourne la tête vers lui en souriant faiblement. J'avais froid avec la douce brise qui souffle sur le haut des toits mais son sourire a suffit à me réchauffer entièrement. Ses doigts viennent courir le long de ma mâchoire jusqu'à s'arrêter à mon menton pour le soulever d'une légère pression; il me montre les étoiles. Plus émerveillée que jamais -si ce n'est possible- je reste bloquée face à ce ballet de cristaux par millier avec cette sensation d'oppression pourtant douceâtre qui m'envahit. Le ciel, il est si vaste et les astres si nombreux... Je peux ressentir chacune des particules de mon corps reposer sur le sol tant j'ai cette impression d'être accrochée à la terre ferme tandis qu'au dessus de ma tête, tout est si fluide et libre. Je souris et je ris, je regarde Peter. Il me regarde. Je me décale et vais m'asseoir juste devant lui, écartant ses jambes pour pouvoir me mettre entre et coller mon dos contre son torse en entourant volontairement ses bras autour de mon corps. Je me sens alors complète et rassurée.
Heureuse.
Il rit face à mon action plutôt surprenante et pose son menton sur le haut de mon crâne en me serrant fortement contre lui. La chaleur de son corps et l'impression de partager la même veste que lui me font me sentir bien et à mon aise, je me blottis confortablement contre sa poitrine et reste ainsi à regarder le paysage, les étoiles, la lune et même parfois ses grandes mains enfermants les miennes, toutes petites et veineuses. J'hume son parfum, il sent le savon avec une pointe d'anis. Je sens un mouvement au dessus de moi, ses lèvres viennent déposer un baiser doux et humide sur le haut de mon crâne, entre mes cheveux.
C'est officiel, de simples amis ne font pas ce genre de choses ensemble.
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