Chapitre XIX
⁂
Paige Wells.
Quand je vous parlais d'ennuis, vous vous en souvenez?
Et bien me voilà en plein dedans.
Je lance un regard en coin à Nedra qui est adossée au mur de briques, un sourire distinct imprimé sur ses lèvres. Ses yeux pétillants croisent les miens en me faisant frissonner. Alors qu'elle ne me regarde plus, je ne peux m'empêcher de dériver mes yeux vers les larges entailles laissées sur sa poitrine encores visibles sous son t-shirt. Ce n'est pas possible qu'elle ne ressente plus de douleur alors que le sang est encore frais! Quoi que... Qu'est-ce qui est encore réellement impossible dans cette fichue ville? Il y a quelques mois, jamais je n'aurais soupçonné le fait que mon père meurt, que j'ai encore une grand-mère dans ma famille, que je sois envoyée à New-York, que je rencontre de nouveaux amis et par dessus le marché... Que je me découvres des pouvoirs.
Alors braquer une banque? Franchement, si on vous disait que dans deux semaines vous serez en train de vider les coffres forts d'une banque alors que jusque là vous viviez une vie barbante d'adolescents, le croiriez-vous?
Honnêtement, non. Et bien il faut croire que la vie soit faite d'éternels rebondissements. Et non pas des rebondissements communs comme chez la plupart des gens. Par rebondissements communs dans une vie de jeune fille de dix-sept ans, je veux dire; faire de nouvelles rencontres, avoir un petit ami, avoir un bonne ou mauvaise note à un test, organiser des sorties, aller à une fête... Mais non. Mes rebondissement à moi jusque là se résument à découvrir que je suis un monstre, travailler pour un psychopate et braquer une banque avec une autre psychopate. Tout va bien, je vous l'assure... Bon, ce n'est pas comme si j'avais eu le choix.
Dis moi ce dont tu as besoin et je te le donnerai.
Très bien, c'est mon désespoir qui ne m'a pas laissé le choix, je capitule.
"Tu ferais mieux de rabattre ta capuche." me lance-t-elle de sa voix sifflante.
D'un geste tremblant, je ferme ma fermeture éclair et rabat ma capuche sur ma tête après avoir noué mes cheveux d'un chignon.
"Et mon visage?"
La blonde rit doucement en me regardant; je m'insurge.
"Tu voudrais que je me fasses choper? C'est ça que tu appelles une coéquipière?"
Je sors mes griffes en grognant, lui lançant un regard meurtrier en espérant lui rappeler sa fameuse blessure visible sur sa poitrine. Elle passe sa langue sur ses lèvres meurtries en secouant la tête de gauche à droite.
"Non, évidemment que non. Je devrais te trouver quelque chose là dedans..."
Son support à sabre métallique de tout à l'heure à reprit la forme de son sac à dos en toile noir banal. En effet, arriver à la banque avec deux sabres en mains et son accoutrement de métal n'aurait peut-être pas plu au personnel. Elle fouille un instant dans son sac et me lance une cagoule noire. Super... La totale. Pour avoir ce genre de chose dans son sac, elle ne peut-être qu'une habituée.
"Avec quoi je dois me battre?"
"Tu ne vas pas devoir ta battre ma chérie, tu vas seulement t'occuper de sortir les griffe et tenir les gens à l'écart pendant que je me servirai."
Oui, en gros si un des clients s'avère être un catcheur professionnel, à moi de me debrouiller, voir de devoir commettre un meurtre pour m'en sortir. J'avais déjà du mal à anticiper l'idée de devoir tuer Nedra avec mes propres ongles -ce qui est très gore, je vous l'accorde- alors tuer un innocent pour qu'elle puisse voler ces pauvres gens... Je déglutis avec difficulté en fermant les yeux.
"Attend un instant..." dit-elle en s'approchant de moi.
Elle prend ma main pour la regarder alors que mes espèces de griffes se sont rétractées. Elle l'observe avec attention en détaillant chaque écaille avec minutie, alors, elle souffle sur une vitre du batiments déserté à notre niveau pour y laisser une trace de buée. Je sursaute quand elle va plaquer la paume de ma main contre la trace laissée qu'elle vient créer. En la retirant, je suis surprise de la voir complètement intacte, comme si je n'étais jamais passée par là. La blonde se met à nouveau à rire aux éclats. Elle me fait penser à ces pimbêches dans les lycées qui rient pour tout et pour rien, surtout aux mots des garçons... Sauf que elle, son rire est dingue, fou, psychotique. Si nous continuons sur cette voie, je vais devoir m'y habituer. Bon sang Paige, ne pense déjà pas à devoir comploter avec elle par le futur.
"C'est ce que je me disais."
"Tu te disais quoi?"
"Souvent, les gens comme nous ne sont plus dotés d'empruntes digitales dans notre deuxième état." dit-elle en lâchant ma main.
Mon bras retombe mollement le long de mon flanc.
"Des gens comme nous? Des empruntes digitales? Notre deuxième état?"
"T'es bièce ou quoi? C'est pas difficile à comprendre."
Je serre les dents en la fusillant du regard, qu'est-ce qu'elle m'agace!
"Tu parles d'un second état, je ne comprends pas."
"Cocotte, il y a une légère différence entre la jolie petite Raven, l'adolescente banale et la Raven avec des écailles jusqu'aux orteilles. Ce sont tes deux états."
Je me pince les lèvres, c'est vrai, c'est idiot. Pourquoi n'ai-je pas tout de suite compris la nuance?
"Tu veux dire que toi aussi tu n'as plus d'empruntes?"
"Toi et moi ne sommes pas si différentes, tu sais."
Je plisse les yeux tandis qu'elle remet son sac convenablement sur son épaule, je la suis dans la ruelle jusqu'à la banque.
"Comment ça?"
"Des aberrations génétiques, c'est tout ce que nous sommes."
Je sens mon moral faiblir en la regardant, pourtant un sourire vient orner son visage comme si être une aberration génétique à ses yeux n'était pas un terme si rabaissant.
"Et c'est un privilège."
Je la regarde, ébahie. Je mentirais si je prétendais ne pas ressentir une pointe d'admiration pour son tempérament loufoque et casse-cou. C'est clair, cette fille n'a peur de rien.
"Tu attends ici, fais ton entrée quand tu verras un idiot sortir en criant. Là, tu verras un groupe de gens entassés dans un coin, je veux que tu les menace pour qu'ils ne bougent pas d'un centimètre le temps que j'aille piquer notre butin."
Je hoche la tête, complètement effrayée mais excitée malgré moi. J'ai cette impression que je joue une scène de film et que rien n'est réel. Que bientôt, je vais me réveiller et vivre ma vie de tous les jours comme si je n'avais jamais braqué une banque de ma vie.
"Et n'oublie pas ton second état."
Alors elle entre et j'attends, plaquée contre le mur en sentant déjà la sueur couler sur mes tempes entre mon visage et ma cagoule.
***
Pas de doute, ce petit maigrichon est certainement le dit idiot qui est censé sortir en criant. Alors c'est le moment de paniquer. Minute, non, de passer à l'action. Pourtant mon corps ne tilt pas immédiatement, je reste un moment là à regarder le jeune homme traverser la route en hurlant à pleins poumons, ne craignant pas de se faire écraser pour un sous. Si je perds une minute de plus, le groupe de personnes risque de se diviser à grande vitesse. Tenant ma fermeture éclaire à deux mains, j'entre dans le petit batiment; heureusement qu'elle n'a pas prévu de braquer la grande banque du coin... Pour l'instant. Je déglutis avec difficulté. Bien, je n'ai pas vraiment l'air crédible à cet instant précis. Debout sur le seuil, les mains tremblantes, triturant le col de mon gilet, je fixe les gens au fond de la salle qui ne savent plus où se mettre tant ils sont effrayés. Si je continue comme ça, ils ne seront plus effrayés bien longtemps. Alors j'essaye de me rattraper et plisse les yeux, me concentrant pour faire sortir mes griffes du bout de mes ongles pour faire de l'effet. Il faut dire que le résultat n'est pas trop mal; quand je les dégaines, tous poussent une exclamation de surprise. Ma dégaine n'est pas trop mal pour jouer les dures, mon jean noir est troué et ensanglanté, ne parlons pas de l'état de mes baskets ainsi que mon gilet additionné de la cagoule ne sont que pour déplaire aux bons citoyens.
Qu'est-ce qu'il m'arrive? Pourquoi je pense comme ça?
Mes pensées dérivent vers Nedra qui n'hésitera pas à faire de moi une brochette de Paige avec ses deux sabres et me déguster avec ses amis les tarés en apéritif. L'instinct de survie reprend le dessus, je me lève sur le comptoir libre en face de cette masse compacte de corps effrayés et met en valeur mes griffes dont je peux être fière. Ou pas, à voir suivant les situations. Pour menacer des gens innocents que vous n'avez aucunement envie de blesser ou même d'effrayer dans la vie de tous les jours, c'est parfait. Par contre, en tant qu'adolescente anglaise bien élevée, mieux vaut ne pas se venter de pouvoir lacérer de la chaire humaine avec ses mains.
Le silence se fait pendant un long moment tandis que tous les clients me dévisagent et que je fais de même. Il y a un vieil homme, une dame de la quarantaine, une adolescente au cheveux rouges et coupés au carré, une mère noire avec son fils et un jeune homme à lunettes ainsi qu'un plus âgé au ventre assez imposant avec une chemise aux airs d'homme d'affaires. Ils ne sont que sept et pourtant j'ai cette impression de tenir en hottage un nombre incalculable de personnes. Tout est flou dans mon esprit, je ne cesse de me demander comment j'ai réussi à me retrouver là.
"Qui êtes-vous?"
C'est la dame noire de peau qui rompt le silence, elle a un joli visage et de longues tresses blondes et brunes tombent sur ses épaules, je me sens de plus en plus mal en regardant son fils accroché à sa main avec ferveur. Je ne dois pas dire qui je suis, je ne dois pas réveler mon identité pour un sous. Même pas celle de Raven.
"Une personne tout aussi innocente que vous." dis-je dans un souffle.
Je regrette immédiatement mes paroles quand je vois une lueur d'espoir s'allumer dans certains regards, ça me fait d'autant plus mal.
"Alors pourquoi faites-vous ça?" dit la jeune fille aux cheveux rouges.
Elle a les bras croisés et ne semble nullement impressionnée par cette mise en scène. Je ne réponds pas, je suis déjà en train de dévoiler mes faiblesses à un public qui devrait me craindre.
"Elle est obligée." couine la femme noire.
"Si vous êtes innocente, laissez nous sortir..." lance fébrilement le jeune homme à lunettes avec ses allures d'informaticien.
Très bien, apparemment je viens de perdre toute crédibilité. Déjà que ça me vaudrait un châtiment aux yeux de Nedra, ça me donne un coup à mon estime. Bon sang, je suis influençable.
Mais si il faut jouer aux méchants, autant jouer jusqu'au bout.
Je déploie mes griffes de plus belles en faisant sortir du plus profond de mes entrailles un sifflement que je ne me connaissais pas jusque là. Avec fureur, je semble m'imposer de toute ma hauteur sur ces petits êtres qui ne doivent plus m'impressionner, du moins, le temps d'un braquage. Il va falloir que je mette mes scrupules de côté le temps d'une soirée pour pouvoir rester en vie, tant que je ne blesse personne alors c'est le principal. Il n'y a pas de mal à effrayer un peu quelques personnes tout en omettant le fait que la banque se fait cambrioler pendant ce temps.
"Mais si vous faites le moindre faux pas, je risque de ne plus être aussi innocente qu'avant."
Chacun baisse le regard et ils se resserrent les uns contre les autres. Le temps passe, j'ai l'impression que les minutes sont des heures et les secondes des minutes...
"C'est pas bientôt fini ce cinéma? Vous n'allez donc pas craindre une gamine!"
C'est l'homme en chemise avec ses airs d'homme d'affaires qui se prononce en bombant le torse. Une gamine? Réellement? Je sens mes poings se serrer, j'ai vécu beaucoup trop de choses pour être considérée comme une gamine. C'est vrai que je ne suis pas quelqu'un d'impressionnant aux premiers abords mais bon sang, celui-là je lui lacèrerai bien le torse.
"Qui es-tu à la fin?"
Je le regarde dans les yeux et sens mes globes oculaires chauffer comme si j'allais me mettre à pleurer, sauf que ce n'est nullement mon intention, non, c'est autre chose. Tout autour de moi devient net, tellement net et précis que j'ai l'impression de pouvoir distinguer n'importe quels détails. Et certains auraient mieux fait de rester imperceptible à l'oeil nu, tel que les points noirs peu ragoûtant sur le nez de notre cher monsieur. Il recule d'un pas en prenant un air horrifié.
"Bordel, c'est quoi ce merdier?"
Mes oreilles chauffent tandis qu'un intense sifflement traverse ma boîte crânienne en emplissant mes oreilles pour finalement s'estomper en me laissant une légère migraine, j'essaye de ne pas laisser paraître le fait que je sois troublée. Soudain, je perçois le vieillard qui renifle discrètement comme si il était juste à côté de moi.
"Regarde ses yeux, maman."
Ce n'est qu'un souffle, un murmure du petit garçon à l'oreille de sa mère mais à nouveau, c'est comme si il était dans ma propre tête.
Mes sens se décuplent à une vitesse effroyable, c'est à peine si je m'entends penser.
Tic, tac, tic, tac.
Mon regard dévie vers la montre au poignet de la jeune fille.
Ding.
Je passe par le téléphone de l'informaticien qui s'éclaire à travers la poche de son jean.
Shhhhrt.
C'est la dame plus âgée qui passe une main nerveuse à travers ses cheveux.
Je sers les dents en fermant les yeux, tous ces bruits paraissent résonner dans ma tête comme un baffle poussé au maximum de sa puissance.
"STOP."
Tout le monde s'arrête de bouger tandis que je relève la tête vers eux en sifflant à nouveau avec ferveur. Le petit retient ses larmes et dans un dernier sanglot sonore à travers mes oreilles, le son redevient comme il l'avait toujours été.
"C'est quoi cette sorcellerie!" cri l'homme corpulent à la chemise.
"Tu veux que je t'explique?" dis-je en sautant au sol pour venir me placer devant lui. "Dis-moi simplement de quelle façon tu veux que je procède. De la gauche ou de la droite?"
Je dégaine mes ongles aux aspects de serres aiguisée, d'abord la gauche et ensuite la droite pour lui faire comprendre que je ne plaisante pas.
"Vous êtes tous fous..." dit-il en reculant d'un pas. "Ce n'est qu'une mauvaise blague."
Je lui dévoile mon sourire le plus carnassier en pointant un doigt vers lui. Mon ongle ou ma griffe de l'index se plante lentement dans le tissu de sa chemise de mauvais goût sans toucher sa peau et trace une longue déchirure verticale sur son torse.
"J'ai vraiment l'air de rire?"
Je ne voulais pas faire subir ça à cet enfant, ces deux dame, ce vieil homme et aux autres. C'est juste cet imbécil de première qui m'agace au plus haut point.
Si mes sens se décuplent, est-ce semblable pour mes émotions?
"Y en a un dans la salle qui n'a pas l'air de venir de New-York!" tonne une voix à l'arrière.
Nedra rit aux éclats en arrivant de sa démarche la plus assurée dans son costume à la fois imposant et sexy. Elle porte sur ses épaules deux sacs remplis de son butin et prend la pose en les fixant avec un sourire, elle va même jusqu'à faire de grands signes de la main à la caméra de surveillance. Elle, n'a pas à se soucier de son identité contrairement à moi.
"Les mutations génétiques ne sont pas des blagues mon chou, tu as loupé un épisode je crois!"
La voilà repartie dans un rire tonitruant.
"Allez viens ma jolie, on est repartit. Merci pour l'accueil!"
Elle ouvre les portes d'un geste théâtrale tandis qu'à l'extérieur résonnent les sirènes de police. Entre deux vols, ils ont dû être débordés... Nedra reste là un instant à se délecter de cette mélodie à laquelle elle doit être habituée et m'intime de courir à sa suite; je ne me fais pas prier et me lance à l'assaut de la blonde à travers les ruelles, comme la dernière fois je cours avec elle jusqu'à sentir mes poumons brûler à l'intérieur de ma cage thoracique.
"Bon boulot petite. Tu m'impressionnes."
Je soutiens son regard en attendant la suite tandis qu'elle me tend un sac à main qui s'avère être le mien; je l'avais totalement oublié celui-là.
"On se retrouvera."
Et sur ce elle s'en va, me laissant seule dans cette ruelle déserte, en pleine nuit dans un quartier de New-York qui m'est totalement inconnu. Je soupire, je l'ai aidée et c'est ainsi qu'elle me remercie? Au moins je suis en vie... Je porte alors ma main à mon sac noir pour prendre mon téléphone et regarder l'heure qu'il est.
Mais juste à côté de celui-ci, ma main rencontre une importante liasse de billets.
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