Chapitre X

Paige Wells.

  J'ouvre difficilement les yeux à la lueur du jour qui passe par la fenêtre entre ouverte de ma chambre. Je me retourne sur le côté; il est midi.
Je geins en me frottant le visage. Qu'est-ce que je suis mal... Là, tout de suite, je pourrais rendre l'âme. La porte s'ouvre et la tête de ma grand-mère apparaît derrière. Avec ses cheveux bleus coupés courts et son rouge à lèvre vif. Pourtant, cette fois sa mine me parait inquiète, elle qui d'habitude est toujours souriante.
Je me redresse difficilement en passant une main dans mes cheveux emmêlés.

"Bonjour grand-mère Jody." dis-je d'une voix aiguë et endormie.

"Tu pourrais bientôt dire bonsoir." dit-elle avec un sourire triste. "Est-ce que ça va Paige?"

Je fronce les sourcils.

"Oui, pourquoi?"

"Je t'ai trouvée cette nuit endormie sur le sol alors que je montais me coucher. Et la fenêtre était ouverte."

Je me fige à l'entente de ces paroles alors que les événements de la veille me reviennent brusquement en tête. Tout d'abord je panique et je regarde mes bras; ils sont tout à fait normaux. Étrange. Bon, Paige, trouve quelque chose. Tu ne peux pas lui dire que tu t'es vue te pousser des écailles, impossible, alors...

"Hm, oh. Oui, il m'arrive de faire du somnambulisme très rarement. Maman me disait parfois le matin qu'elle venait voir si je dormais et que j'étais à la fenêtre en disant avoir trop chaud. Alors je l'ouvrais et je m'endormais toujours... A côté du lit."

Bien joué. Maintenant, il faut qu'elle y croit.

"Oh, je ne savais pas. Tu t'en souviens?"

"Pas du tout." dis-je en essayant de paraître honnête.

Elle sourit, apparement rassurée. Mais quelque chose dans son sourire n'est pas naturel, ce qui me fait me poser des questions.

"Je te laisse t'habiller. J'ai fais des sandwichs, tu pourras descendre quand tu seras prête."

Je hoche la tête et une fois la porte fermée, me jette sur le lit en écrasant mon oreiller sur mon visage.

Mais qu'est-ce qui cloche chez moi?

***

  J'attrape mon sandwich sur la plateau-repas dans la cuisine et marche avec jusqu'au salon pour y retrouver Jody. Mais étrangement, elle n'est pas là. Je fronce les sourcils en mâchouillant le pain, d'ailleurs, ma grand-mère m'avait clairement dit lors d'une petite conversation entre elle et moi dans la cuisine qu'elle trouvait ça vulgaire de faire des sandwichs pour diner. De son tempérament extravagant, elle aimait concocter des petits plats farfelus nés de son imagination, chose qui me plaisait évidemment. Chez elle je goûtais chaque jour une nouvelle saveur et s'en était très satisfaisant. Ce sandwich au jambon ne ressemble pas à ma grand-mère. Peut-être que je suis un peu parano depuis les événements de la veille mais j'ai cette forte impression que quelque chose chez elle ne tourne pas rond. Et non pas dans le sens où Jody Grimmey est de toute façon une grand-mère comme je n'en ai jamais vue; folle, amusante, drôle et pleine de vie avec un petit grain soit dit en passant. Mais j'avais appris à l'aimer comme ça, ce n'est pas tous les jours que l'on rencontre une grand-mère aux cheveux bleus avec un véritable talent pour la cuisine et avec la discussion facile.

"Mamie Jody?" dis-je après avoir avalé mon morceau de pain.

Dubitative, je laisse mon repas à la traine pour fouiller la maison. La salle de bain est vide, la cave aussi ainsi que sa chambre. J'ouvre la porte de son bureau et la vois assise justement devant la table, une main sur le front.

"Grand-mère?"

Elle sursaute et se retourne brusquement vers moi.

"Paige! Ton repas est suffisant? Tu veux un autre sandwich?"

Je secoue négativement la tête en la penchant sur le côté.

"Non merci. Tout va bien? Qu'est-ce que tu fais?"

Elle affirme en riant et fait un tour de passe-passe avec toutes ses paperasses alors qu'elle ressort une photo d'un tiroir.

"Je... Regardais seulement les vieilles photo de ton père et de mon mari. Viens voir."

Je n'aurais pas vue ma grand-mère comme une personne nostalgique, je m'avance vers elle et m'accroupis à ses côtés pour regarder ce qu'elle me montre. Sur ce petit bout de papier jaunis par le temps, on voit un petit garçon avec ses lunettes rondes et un chapeau trois fois trop grand pour lui, portant une canne à pêche sur l'épaule qui parait bien trop lourde pour son petit corps. Il sourit à pleine dents, un sourire qui n'a pas changé depuis lors hormis quelques dents manquantes à l'époque et que je reconnaîtrais entre mille. À côté de lui, je présume qu'il s'agit de son père. Il regarde son petit garçon avec tendresse et affection en portant le même chapeau et la même canne. On le voit rire et même d'ici, je peux imaginer le rire de cet homme mêlé à celui de Jody qui prend la photo des deux personnes qui lui sont le plus chère.
Je souris en posant une main sur l'épaule de Jody.

"Papa n'a pas beaucoup changé. Sauf depuis..."

"Je sais Paige." dit-elle avec un sourire triste. "Ta maman était une personne formidable. Il l'aimait tellement."

Je hoche la tête en sentant une sensation nouvelle m'envahir. Pas de la tristesse, non, du bonheur. Le bonheur d'entendre quelqu'un dire que ma mère et mon père étaient des personnes exceptionnelles et qu'ils s'aimaient sincèrement.

"Il a toujours été le même. Ce sont ses yeux qui sont devenus différents, presque fous." dis-je en détournant le regard de la photo.

Elle me regarde tendrement en posant sa main sur mon crâne.

"Il s'est lancé dans des projets désespérés. J'ai essayé de le résonner mais personne n'a pu lui sortir ses idées de la tête."

Je confirme en sourpirant alors que ma grand-mère m'aide à me lever et me sert dans ses bras.

"Paige, tu es une jeune femme admirable. Je suis vraiment heureuse de t'avoir avec moi."

Je souris en enfuyant ma tête dans le creux de son épaule.

"Et moi donc. Tu as changé ma vie." dis-je sincèrement. Et ça fait du bien.

Elle ébouriffe mes cheveux en me sortant de la pièce. Mais avant de me retrouver dans le couloir avec elle, j'ose un coup d'oeil à la paperasse sur son bureau.

Ce sont loin d'être des photos, ce sont des enveloppes officielles de la banque. Du moins,de ce que j'ai pu en déduire de loin.

Ma grand-mère me cache des choses et c'est réciproque. Apparement, nous avons toutes les deux nos petits secrets qui ne tarderont pas à devenir des soucis.

***

  [Peter:] Va à la fenêtre de ta chambre.

Je regarde le message que je viens de recevoir avec stupeur alors que je suis assise sur le sol contre mon lit et que je rédige un texte pour le cours de français. Je me lève en déposant mes affaires par terre -oui, je dispose d'un bureau. Mais il sert plus à stocker mon bazar qu'à travailler- et rejoins la fenêtre que j'ouvre grand pour passer la tête dehors. Je regarde en bas de la rue, personne. Près de la porte, toujours personne.

"Bonjour, Wells."

Je sursaute en titubant sur quelques pas à l'intérieur de ma chambre, Peter était assis sur le petit toit à droite de ma fenêtre depuis tout à l'heure.

"Parker! Qu'est-ce que tu fiches... Sur mon toit?" dis-je en posant une main sur ma poitrine.

"Je n'ai pas compris ceci." dit-il en levant devant son visage le devoir de français que je faisais il y a moins de cinq minutes.

Je soupire en riant.

"Je vois. Entre, on peut faire le devoir ensemble au parc. Mais je préférais qu'on sorte par la porte." dis-je en croisant les bras sur ma poitrine avec un sourire moqueur.

Il hausse les épaules et passe par le fenêtre de ma chambre que je referme derrière lui. Fourrant mes affaires dans mon sac, je le jette sur mon épaule et lui dit de me suivre.

"Oh, salut mamie. Je... Je te présente Peter Parker. On allait faire un devoir au parc."

"Peter Parker... Je connaissais bien ton oncle et ta tante." dit-elle en souriant au jeune homme. "Mais dis moi, comment est-il entré?"

Je hausse les épaules en tournant le dos.

"Je me le demande."

Elle reste perplexe alors que je sors.

"Vous ne voulez pas des biscuits?" demande-t-elle avant que je ne ferme la porte.

Je ris en lui disant que ça ira et que je reviendrai pour le souper; nous voilà en route pour le parc.

***

  "Peter, je ne peux pas t'expliquer si tu es plus concentré sur cette pâquerette que sur le devoir." dis-je en levant les yeux de mon cahier pour le regarder, allongé dans l'herbe à observer sa fleur.

"Hm? Laisse tomber le devoir, je l'ai déjà fait." dit le brun en jettant sa pâquerette sur moi.

Je fronce les sourcils en la repoussant d'un souffle.

"Quoi? Mais pourquoi tu m'as demandé de l'aide?"

Il hausse les épaules et tapote l'herbe à côté de lui pour que je m'y allonge, ce que je fais. Nous avons le visage tourné vers le ciel sans trop savoir quoi dire.

"Je crois que c'était l'envie de monter sur ton toit qui m'a poussé à venir te voir." dit-il au bout d'un moment.

"Tu as des pulsions hors du commun. Tu montes souvent sur des toits?"

Il rit en fermant les yeux.

"Plus que ce qu'on ne pourrait le croire"

Je profite de l'air frais sur mon visage en riant avec lui.

"Est-ce que tu crois que Cassidy en pince pour Flash?" dit Peter.

Je fronce les sourcils en réfléchissant.

"C'est difficile à dire. Et Flash?"

"Il est difficile à cerner"

"C'est vrai, ça se voit qu'il aime séduire et plaire. Alors peut-être qu'il plait à Cassidy mais que le fait qu'il soit un courreur de jupes la bloque." dis-je d'un air penseur en revoyant Flash me faire des avances à moi ou à maintes autres filles.

"Au départ j'ai cru que tu lui avais tapé dans l'oeil." annonce-t-il en souriant.

Je grimace à l'entente de ces mots et secoue la tête.

"Non, il y a un truc entre eux. J'ai cru qu'ils étaient en couple la première fois que je les ai vu."

Il se retourne vers moi en souriant et fait tourner un brin d'herbe entre ses doigts.

"Un truc? Et moi, j'ai ce truc?"

J'esquisse un sourire en fermant les yeux.

"Qu'est-ce que tu veux dire Parker?"

Je me retourne dans la même position que lui alors que nous nous regardons ainsi un moment en souriant.

"Pas grand chose. Comme tu reconnais si bien les trucs, je me disais que peut-être il y en aurait un entre nous."

Je hausse les sourcils en mordant l'intérieur de mes lèvres.

"Je n'en sais rien. Tu en penses quoi?"

Pour toute réponse je sens sa main se lever et glisser le long de ma joue en une douce caresse. Mes joues deviennent brûlantes et mon coeur bat fort alors que je le regarde dans les yeux et qu'il regarde sa propre main se balader sur ma joue.
Soudain, il en vient à lever mon menton et à s'approcher un peu de moi. A ce moment, je sais qu'il va m'embrasser et je sais que je répondrai à son baiser. Même si on ne se connait pas plus que ça, l'instant présent m'empêche d'y penser. Il ferme les yeux, ses lèvres à quelques centimètres des miennes, nos visages si proches...

I'm just a sucker for pain.

Je sursaute et lui aussi alors qu'il cligne plusieurs fois des yeux en se redressant. Je le regarde, perplexe alors qu'il me dévisage sans savoir quoi faire.

Take my hand trough the flames.

"Peter, je crois que c'est ton portable qui sonne." dis-je d'une petite voix.

"Ah... Ah oui. Oui, c'est ça." repond le brun sans rien faire.

"Tu devrais décrocher."

"C'est vrai." il sort son téléphone de sa poche et prend l'appel avec l'air en colère. "Ouais. ah, merveilleux, Flash." dit-il avec un sarcasme non dissimulé dans la voix.

Je le regarde se lever avec une expression cramoisie sur le visage et essayer d'ecouter le charabia de son ami alors que je me sens complètement idiote. J'ai failli embrasser Peter Parker. Mais qu'est-ce qu'il m'a prit de laisser aller les choses de la sorte? Certes, il est très mignons et sympathique, je dois avouer qu'il me plaît beaucoup mais ça va beaucoup trop vite à mon goût, tout compte fait. Et si nous nous étions embrassés? Aurais-je pensé de la même façon? Je me réveille et sors de mes pensées quand son regard désolé croise le mien.

"Mouais, d'accord. C'est ça, salut."

Et il raccroche.

Les bras ballants, il me regarde assise dans l'herbe avec l'air perdu.

"Hm, Flash organise une soirée avec l'équipe de basket du bahut. Juste un verre ce soir. Tu veux venir?"

Je baisse le regard en y réfléchissant mais tout compte fait, la seule chose dont j'ai envie c'est de partir en courant et de rester seule.

"Et bien..." je cherche une excuse mais rien ne sert d'inventer quoi que ce soit. "Non. Non, désolé Peter. Je vais y aller."

Regroupant mes affaires, je me lève d'un bon et me retourne. Mais quelque chose me bloque, je ne peux pas partir comme une voleuse alors la moindre des choses est de lui adresser un petit sourire crispé et de partir pour de bon.

***

  Assise sur mon lit, je repense à ce moment où je me suis perdue dans ses yeux et qu'il s'est avancé vers moi dans la tentative de m'embrasser. Est-ce que je lui plaît? Avait-il l'intention de le faire depuis le début? Je secoue la tête en essayant de chasser mes idées stupides et regarde en direction du miroir face à moi.

Et puis il y a ces choses anormales.

Complètement bouleversée par les événements passés, je me retrouve à me dire;

Paige, tu as mal depuis si longtemps. Tes douleurs ne vont pas s'arrêter. Si elles se développent de façons étranges... Autant aller jusqu'au bout des choses et découvrir ce qu'il t'arrive réellement.

Oui, pendant un moment j'ai cette curiosité qui m'envahit par rapport à moi-même et à tout ce qu'il m'arrive. J'ai cette impression de penser comme mon père, avec engagement, folie et volonté.

Je regarde mes cheveux et les prends entre mes doigts, ils m'arrivent jusqu'à la poitrine. Je tends mes mains devant moi comme si les mêmes écailles noirs de la veille allaient apparaître, je fixe mon propre regard comme si mes yeux allaient à nouveau changer.
J'attends comme si j'allais une fois de plus me transformer en monstre et cette fois, sans éprouver autre chose que de la fascination. Mais rien ne se passe et pourtant je garde cette volonté de recommencer et de m'observer de plus près. Alors dans un acte de désespoir, je ferme les yeux et me concentre en essayant de me revoir en détail comme la veille. Des yeux verts émeraudes virant au jaune et leurs pupilles réduites en fentes noires. Ces écailles sur le long de mes bras qui s'estompaient au niveau de ma poitrine et de mes mains pour revenir à de la peau humaine. Cette... Sensation de bien-être qui m'a envahi sous ma peur et mon angoisse. Car à partir de ce moment, toutes mes douleurs avaient disparues. Cette sensation à laquelle je pense si fort avec ce désir intense de la retrouver. J'en ai tellement envie qu'une forme de confort s'installe dans mon corps. Mais c'est absurde. L'effet placebo m'atteint bien trop vite.

Et si hier soir n'avait été qu'un rêve?

J'ouvre grand les yeux en imaginant cette perspective.
Et le regard que je croise n'est pas le miens.
Il est vert, presque fluorescent.
Et mon corps est totalement transformé et recouvert d'une magnifique couche brillante variant du vert au bleu avec certaines nuances de noir.

J'ouvre la bouche avec stupéfaction en me découvrant ainsi et bon sang, je me sens bien. Tremblante, je me lève pour me regarder de plus près dans la glace. Mes lèvres sont naturellement rouges comme si je m'étais maquillée et même mes traits ont l'air plus fins. J'ai cette impression de ressembler à... A une femme. Et non pas à une adolescente. Je tourne sur moi même sans vraiment me rendre compte de ce qu'il m'arrive. Mais qu'est-ce qu'il m'arrive donc? Qu'est-ce que je suis? Et pourquoi suis-je ainsi? Quel en est la source..?

Je me pose à nouveau sur le lit en observant mes bras, non plus apeurée mais émerveillée. J'essaye de répondre moi-même à mes propres questions.

Depuis quand? Depuis l'incident de papa.

Qu'est-ce que je suis? Difficile à dire. Et pourtant, la seule chose qui me vient à l'esprit est un serpent, ça me paraît évident.

Un serpent.

Quelque chose remue dans ma tête. Un serpent. Papa. Tout me parait si clair maintenant! Ses produits dans son laboratoire qu'il a essayé de s'injecter. Des images atroces me reviennent à l'esprit en me forçant à me coucher la tête dans l'oreiller pour y repenser plus clairement. Les bouts de verre, mes plaies ouvertes... Il ne fallait pas s'injecter ces produits pour ne faire plus qu'un avec le serpent, il fallait que le sérum s'introduise en nous de lui même via des écorchures à vif.

Si seulement il avait su ça, il serait encore en vie. À moitié serpent, un monstre mais encore en vie. Je me dis en versant une larme. Je suis un monstre.

Des pas se font entendre dans les escaliers; je panique. Et comment faire pour reprendre une apparence normale? Je ferme a nouveau les yeux en désirant plus que tout redevenir la même qu'avant; Paige Wells, la fille totalement humaine sans quelconque ressemblance avec un fichu reptile. Trop tard, la porte s'ouvre et ma grand-mère débarque.

"Paige? Qu'est-ce tu fais?"

J'ouvre les yeux, le cœur battant. Elle m'a vu, elle m'a... Ah. Je suis redevenue normale, la seule chose qu'elle a vu c'est moi me tenant la tête comme une forcenée.

"je... J'ai une migraine atroce." dis-je en frottant ma tête. "Je vais aller me coucher tôt."

"Je vais t'apporter un cachet et de l'eau, mets toi à l'aise, j'arrive."

Je soupire de soulagement en m'exécutant et me glissant sous la couette en attendant son retour. Je n'ai pas de migraine, c'est vrai, mais un peu de repos ne me ferait pas de mal.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top