Chapitre III
⁂
Paige Wells.
Il s'est passé trois jours depuis mon escapade.
Et ces trois jours étaient merveilleux.
Enfin, je me suis sentie replongée dans l'ambiance d'une famille, et seul Dieu sait depuis quand je n'ai plus ressentis ça. Les Wagner sont passés au dessus de l'accident de la salle de bain et depuis lors il ne s'est plus rien passé d'étrange, sauf peut-être mes cheveux qui continuent de pousser à une vitesse alarmante et mes yeux qui s'irritent de plus en plus en m'obligeant à prendre des gouttes et d'aller voir un ophtalmologue.
Ce matin je descends les escaliers en frottant de mes poings mes paupières endolories pour rejoindre la cuisine. Jason leur fils est déjà attablé avec son éternel air morose et mange ses gauffres avec une lenteur indescriptible. Ce garçon est ma hantise en ce moment, je ne le comprends pas; il vit dans une famille qui peut lui procurer tout ce dont il a besoin et il tire une tête de trois pieds de long du matin au soir! J'ai tant envie de le prendre face à moi et de lui dire clairement; "Écoute moi bien, t'as une baraque, une famille complète, de la bouffe plein le frigo et tes parents chient des billets. Moi je n'ai rien. J'en suis au point où on m'oblige à emprunter la maison des gens pour pouvoir dormir dans un lit, alors mets toi ça dans le crâne, souris et va voir tes amis dehors comme tous les ados au lieu de les tuer sur des jeux vidéos, derrière un écran! "
Son attitude me met hors de moi mais bon, je ne suis pas dans la tête de ce gamin. Madame Wagner arrive vers moi et fait glisser dans mon assiette une pile de gauffres. J'en profite pour inonder cette pile en question d'une vague de sirop d'érable et de l'entamer avec appétit. Ma nouvelle relation avec cette famille est récente, troublante mais agréable, je dois le dire. Une fois mon repas terminé, je m'apprête à remonter dans ma chambre quand une main se pose sur mon bras.
"Paige, Patrick et moi ne serons pas là quand tu rentreras du lycée. J'ai laissé des plats préparés dans le frigo pour Jason et toi, vous n'aurez qu'à les réchauffer au microonde ce soir. Nous ne rentrerons pas trop tard."
Je hoche la tête pour la remercier et prends mon sac au pied de mon lit, rejette mes cheveux bruns -ou devrais-je dire noirs à présent- sur mes épaules pour faire en sorte qu'ils retombent sur ma poitrine et claque la porte. J'enfonce dans mes oreilles mes écouteurs et lance la musique; me voilà partie à pied pour le lycée. Et bien, on ne change pas ses habitudes! Mon ancienne maison se trouve non loin de celle de Wagner. L'avantage ici est que je peux aller à l'école à pied et ne suis pas obligée de prendre le bus ou la voiture pour m'y rendre.
J'entre par la porte principale parmis tous les élèves attroupés, qui discutent gaiment ou avec des airs plus sérieux. Je passe par le coin maudit comme je l'appelle, où deux élèves, toujours les mêmes, s'engloutissent mutuellement l'un l'autre, passe les escaliers et retrouve mon casier. Mes cours sont toujours là et dans quelques minutes la cloche sonnera la première heure pour le cours d'histoire avec mon professeur principal, Monsieur Janson. Justement, je le disais, la sonnerie retentit en laissant se diriger une foule d'élèves dans les couloirs qui rejoingnent tous leurs classes respectives. Je reste adossée à mon casier pendant que le chahut se passe et rejoint mon local de base. Les élèves sont encore debout et discutent entre eux alors que le professeur n'est pas encore arrivé. On me dévisage quand je passe entre les bancs et un lourd silence s'installe dans la pièce quand tous le monde se rend compte que je suis à nouveau parmis eux. En effet, je ne suis pas venue depuis trois semaines, il y a de quoi intriguer les plus curieux. Je fais mine de rien en m'installant comme il le faut; sauvée par le gong, le professeur fait son entrée en faisant s'installer les étudiants.
"Vous êtes bien calmes aujourd'hui." dit-il en plaisantant.
Ne voyant aucune réaction de la part de sa classe, il lève les yeux pour l'embraser d'un regard. Regard qui tombe évidemment sur moi.
"Ah tient. Vous êtes de retour parmis nous mademoiselle Wells."
Je hoche la tête et me lève pour lui tendre mon papier d'absence qu'il range immédiatement dans sa mallette sac en cuire. Il est au courant comme les autres professeurs et la direction du décès de mon père et de mon placement en famille d'accueil, je le vois d'ailleurs dans leur manière de me parler et de m'interroger. Mais je ne veux pas de leur pitié, ça me fait plus de mal qu'autre chose. Ça me rappelle que j'ai belle et bien vécu un nouvel événement tragique et que je suis une enfant à plaindre contre ma volonté.
Trois heures se passent dans le même local, je laisse tous les élèves sortir pour ne pas avoir à subir leurs questions dans les couloirs et sors à leur suite, quelques mètres plus loin. Malgré mes tentatives, elles restent veines.
"Alors Wells, on se prend des vacances?"
Je regarde Margot et ses sbires de compagnie qui sont adossées aux casiers face à moi, en train de faire les yeux doux à Creg, le "beau gosse" si on peut l'appeler comme ça, de la classe. C'est une scène bien cliché qui me donne envie de vomir plus qu'autre chose.
"Ouais, j'ai le droit de m'accorder un peu de répit de temps en temps non?" dis-je en la regardant d'un air blasé.
Dans ce lycée, j'ai toujours trainé avec des plus grands que moi que je n'ai jamais considéré comme mes amis. Je ne les voyais pas en dehors des cours, on ne s'envoyait jamais de SMS... Je reste avec eux pour ne pas être seule et c'est tout. Apparement ils m'aiment bien et trainer avec eux m'a forgé une certaine réputation plutôt discrète. Alors qu'en réalité, je suis plus une personne solitaire. Ce n'est pourtant pas cette réputation qui empêche Margot et ses robots de compagnie de me faire la misère dès qu'elles en ont l'occasion. Elles ne comprennent d'ailleurs pas pourquoi je ne suis pas la honte de tout le lycée avec leur influence. Peut-être parce que j'ai toujours fais comme si elles ne m'intéressaient pas et que leurs propos ne m'atteignaient pas le moins du monde, et pourtant, j'y reconnais parfois une triste réalité.
"Sérieusement, t'aurais peut-être dû rester à ta place, ça nous a fais du bien." dit-elle d'une voix suave en essayant de faire rire Creg qui reste impassible.
Je comprends pourquoi il ne laisse pas les autres filles indifférentes. Il est brun, grand, bronzé, musclé avec ses yeux bleus... Encore un parfait cliché qui me fait fuir plus qu'il ne m'attire.
"Ça t'aurais trop manqué de me faire des remarques débiles, je me suis dis que je ne pouvais pas te laisser sans distraction. C'est quoi ta vie sans une pauvre Paige à tenter d'anéantir sans succès depuis des années?" dis-je avec la même fausse douceur dans le fond de ma voix.
Je vois du coin de l'oeil Creg sourire en prenant plus appuie sur les casiers, attendant la réponse de la fausse blonde.
"C'est ça, en vérité ils t'ont renvoyés du strip-club parce que tu n'étais pas assez entreprenante avec les clients, n'est-ce pas?"
"Tu es ridicule Margot."
"Ben quoi alors, t'as dû louper la fête des mères du coup, c'était la semaine dernière."
Information totalement fausse. Je vois rouge et me retourne brutalement vers Margot, le calme qui stagnait en moi s'est totalement dissipé alors qu'une colère infernale prend le dessus. La blonde s'est approchée de moi pour pointer ses mots là où ça fait mal.
"Il y a un problème Paige? Tu vas le dire à ton père ?"
Je prends littéralement feu et fonce sur cette petite garce pour aller la plaquer aux casiers à quelques mètres de ses accompagnateurs qui font plus partie du décor qu'autre chose. Je la regarde dans les yeux comme si j'essayais de la transpercer par la seule force d'un regard sans me rendre compte que je la soulève en réalité complètement du sol rien qu'en la tenant par les épaules.
"Mon père," dis-je en articulant chacun des mots, "est mort."
Elle me regarde avec un air complètement tétanisé, les joues rouges comme ses yeux. Ses traits virent soudainement au mauve et il me faut bien ce temps pour me rendre compte que quelque chose ne va pas. Je la lache sous la surprise et elle perd l'équilibre en devant se retenir aux casiers pour tenir debout. Je regarde les caissons métalliques contre lesquels je l'avais plaquée et remarque avec un grand choc que le métal est légèrement enfoncé et que Margot porte à ses épaules deux traces rouges comme si je lui avais brulé la peau. Elle respire difficilement, comme si je l'avais étouffée. Je ne comprends pas, tout ça est... Humainement impossible. Je garde mon sang froid et relève la tête pour ne pas que les autres ni Margot ne considèrent mon air troublé.
"Alors au lieu de t'acharner sur moi, regarde autour de toi, regarde tes chers amis qui n'ont pas levés le petit doigt pour t'aider alors que j'étais sur le point de t'étriper."
Et sur ce je lance un regard méprisant à la bande de la blonde qui rougît immédiatement avant d'accélérer le pas et sortir du bâtiment pour rejoindre les plus grands devant le lycée, qui sont certainement en train de fumer devant la porte, comme à leur habitude.
***
Je rentre tard ce soir, sachant que les Wagner seront absents. J'ai passé la soirée près du lac avec les autres et Creg nous a rejoint. Le brun m'a félicité pour mon audace et m'a assuré qu'il n'appréciait pas Margot plus que ça. Après ces aveux, il ne m'a pas laché d'une semelle de toute la soirée en enchaînant les clins d'oeils et les approches de drague indiscrètes; j'ai prétexté devoir rentrer plus tôt car l'on m'attendait pour aller manger au restaurant ce soir alors qu'en réalité il n'en est rien. J'en avais juste assez que ce type se colle à moi et n'osait pas lui dire le fond de ma pensée. En rentrant, les parents de Jason n'étaient toujours pas là, il était vingt et une heure, je suis montée à la salle de bain pour me débarbouiller et me sentir plus confortable. Je m'arrête dans mon élan juste devant la porte de la salle de bain quand j'entends la porte d'entrée s'ouvrir et les Wagner pénétrer dans la maison. Ce qui attire mon attention est bel et bien le fait qu'ils chuchotent. Je m'approche des escaliers pour mieux entendre et tends l'oreille. Oui... Je suis de nature curieuse. Ça ne m'avantage pas toujours, c'est bien vrai.
"Je n'aurais pas cru que ce serait aussi rapide."
"Le juge est formel, elle s'en ira pour New-York demain."
"Mais je ne comprends pas, c'est un choc, c'est l'arracher à ses origines..."
"Melinda, c'est justement ça qu'ils recherchent. Ils ne veulent pas attendre qu'elle s'attache à notre foyer pour l'envoyer là-bas."
Je manque de perdre l'équilibre sous le choc et dois me rattraper au mur pour ne pas valser dans les escaliers. Le couple s'interrompt brusquement certainement à cause du bruit que je viens de faire.
"Allons parler de ça dans la cuisine, tu veux?" dit Patrick en chuchotant.
Je vois le père de famille entourer les épaules de sa femme qui a l'air anéantie d'un geste réconfortant pour la diriger vers la cusine. Ma tête se cogne contre le mur alors que je ferme les yeux et respire avec lenteur en essayant de comprendre. C'était de moi qu'ils parlaient, c'est certain. Mais pourquoi? Pourquoi irais-je à New-York? Chez qui? J'imagine un instant un pensionnat pour les jeunes sans parents comme moi où je passerais ma vie jusqu'à ma majorité. Bon Dieu, non... J'ai besoin de réponses, c'est insoutenable... Et pourtant, je dois me résoudre à aller me coucher pour changer mes idées. Tout se passera demain.
Oui, demain, ma vie changera.
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