Épilogue

22 décembre 1932.

Le crissement de la neige ponctuait chacun de ses pas.

Dans ce pays qu'Esther n'avait jamais visité, l'hiver était tenace, le froid omniprésent. La sorcière n'en avait plus l'habitude, s'étant adaptée aux températures clémentes de San Francisco, cette ville qui l'avait accueilli un an et demi plus tôt. Elle regretta les capes en fourrure qu'elle avait abandonnées derrière elle à Nurmengard et qui auraient pu la tenir au chaud plus efficacement que celle en coton léger qu'elle portait.

Pourtant, haut dans le ciel, le soleil rayonnait, mais sa lumière lointaine peinait à réchauffer les os d'Esther. Alors, elle essayait d'oublier ce froid mordant qui picotait son visage, en étudiant avec attention les devantures des boutiques et des pubs de la petite bourgade dans laquelle elle se trouvait. Régulièrement, les façades disparaissaient derrière le nuage de vapeur de son souffle, l'empêchant durant quelques brèves secondes de confirmer si l'endroit qu'elle recherchait se trouvait face à elle.

Voilà près d'une heure qu'Esther se perdait entre les bâtiments, louvoyant dans la neige sans croiser âme qui vive, comme si tout le village avait choisi de rester calfeutré chez soi. Seuls les hiboux du bureau de poste l'accompagnaient dans sa recherche ainsi que, parfois, quelques rires d'enfants et d'adolescents qui résonnaient au loin. Cela la faisait toujours se tendre, comme si l'ombre de Poudlard se mettait à planer au-dessus d'elle. Esther évitait consciencieusement de poser les yeux sur les tourelles de cet immense château qui se dessinait au loin, de crainte d'attirer sur elle l'attention de ses occupants.

La sorcière était anxieuse depuis son retour sur le continent européen. Elle savait qu'elle n'avait pas disparu depuis suffisamment longtemps pour que son identité et son ancienne allégeance à Grindelwald soient oubliées des ministères. Les ordres qu'elle avait exécutés, les lois qu'elle avait transgressées, seraient sa perte en cas d'arrestation, alors même qu'elle avait perdu la protection de son ancien mentor. Elle prenait donc de grands risques en posant le pied sur le territoire britannique, deux mois à peine après la tentative de manipulation électorale de Grindelwald pour devenir manitou suprême.

Il fallait que ça en vaille la peine.

Entre ses doigts, la lettre qu'elle avait reçue il y avait de cela plusieurs semaines était abîmée. Le papier se déchirait aux pliures et l'encre avait bavé à force d'être lu et relu, parfois même sous la pluie. Malgré la signature de Credence au bas du message, Esther essayait de ne pas nourrir trop d'espoir. Elle pouvait très bien se diriger droit dans un piège. Alors, elle vérifia une nouvelle fois l'adresse qui lui était indiquée dans la lettre, puis leva les yeux sur la devanture de l'auberge qui lui faisait face.

La Tête de Sanglier.

Elle y était enfin.

Esther posa la lettre sur son cœur, ferma les yeux et expira doucement, s'enveloppant du brouillard de son propre souffle. Elle entreprit de compter jusqu'à dix, et fut obligée de s'arrêter à cinq lorsqu'un sorcier à l'expression revêche la bouscula. Il grommela une insulte qu'Esther ignora. L'auberge l'attendait.

L'endroit ne payait pas de mine. C'était l'un des seuls bâtiments qui n'étaient pas décorés pour Noël et rien que son enseigne, une tête de sanglier ensanglantée suspendue à une potence, n'inspirait pas un accueil chaleureux. Esther poussa tout de même la fine porte d'entrée.

Elle pénétra dans l'auberge accompagnée du grincement strident du bois, pourtant personne ne lui accorda la moindre attention. Une poignée d'habitués marmonnaient à voix basse dans un recoin sombre de la pièce et un serveur s'affairait derrière un bar, loin des fenêtres crasseuses qui ne laissaient filtrer que peu de lumière. À l'intérieur, l'air était plus doux, à même de réchauffer les doigts frigorifiés d'Esther, même s'il transportait une effroyable odeur de chèvre. Plissant le nez, la sorcière foula le sol de pierre jusqu'à se glisser devant le bar. L'homme à la moustache fournie ne releva pas la tête du verre qu'il essuyait.

— Je vous sers quoi ?

Esther se contenta de déposer, à contrecœur, sa lettre sur le bois ciré. Un instant de flottement s'étira entre les deux sorciers, tandis que le serveur arrêtait son geste pour mieux regarder l'objet qu'elle lui soumettait. Il le reconnut instantanément, ne chercha pas à le cacher. Il se mit plutôt à dévisager Esther, comme si une énigme fascinante venait de s'offrir à lui.

Quelque chose dans son regard, dans ses gestes, lui rappela Credence. Loin d'être une ressemblance saisissante, Esther sentit un lien évident entre les deux hommes qu'elle ne pouvait définir. Néanmoins, elle sut que ce sorcier était un Dumbledore, au même titre que Credence.

Peut-être avait-elle eu raison de faire confiance à ce message ?

Rassérénée, elle repoussa la capuche qui camouflait son visage. Ses cheveux attirèrent l'attention de son interlocuteur qui retrouva alors la parole.

— Nous ne t'attendions plus, indiqua-t-il en déposant son torchon.

— Le voyage fut long, se contenta-t-elle de répondre avec amabilité.

Elle se refusa à partager plus de détails sur son itinéraire, sur son long trajet en train pour relier l'ouest à l'est des États-Unis, ou sur sa traversée chaotique de l'Atlantique. Elle récupéra sa lettre et attendit.

— Il est à l'étage, se contenta d'indiquer l'homme en désignant du menton un escalier sur sa droite.

— Merci, souffla-t-elle.

Le sorcier la suivit du regard jusqu'à ce qu'elle disparaisse en haut de l'escalier. Chaque marche annonçait son approche d'un nouveau grincement. Bientôt, Esther atteignit une porte entrouverte et n'eut d'autre choix que de la pousser.

La pièce qui s'offrit à elle était large, aux murs de pierre rustiques et travaillés par le temps. Une table en bois entourée de chaises se trouvait à quelques pas, ainsi que deux fauteuils en cuir qui faisaient face à une immense cheminée. Ce fut assis devant le feu qu'Esther trouva Credence.

Elle s'approcha de lui, tremblotante. Il ne remarqua sa présence que lorsqu'elle fut presque à sa portée. Son visage émacié s'éclaircit lorsqu'il murmura :

— Tu es venu.

Le simple fait de parler parut lui demander un effort soutenu. La fatigue envahissait toujours ses traits, son corps tout entier. L'année et demie qui les avait séparés n'avait pas été tendre avec lui. Pourtant, il résidait dans son regard sombre une force certaine, un éclat de l'homme qu'il avait été autrefois. Cette lueur, Esther s'y accrocha comme à un radeau. Elle ne souhaitait pas avoir fait tout ce chemin simplement pour le voir mourir dans ses bras. Pas alors que la vie semblait enfin avoir ôté les obstacles qui les séparaient.

— Évidemment que je suis venu. Et toi, tu as fini par partir.

— J'ai fini par suivre tes pas, même si cela m'a pris plus de temps que je l'aurais souhaité.

— Je suis contente que tu l'aies fait.

Credence baissa les yeux. Une mèche de ses longs cheveux tomba sur sa joue, camouflant le rosissement qui avait temporairement éclipsé la pâleur de son teint. À l'abri de son regard, Esther se trouva plus encline à détailler les cernes qui dévoraient ses joues et le creusement de sa mâchoire. La maladie avait planté ses racines plus profondément encore que la dernière fois qu'elle l'avait vu. Elle se demanda quel miracle gardait encore Credence en vie.

— Assieds-toi, s'il te plaît, reprit ce dernier en lui désignant le fauteuil à son côté.

Esther s'exécuta, tout en essuyant discrètement une larme qui s'était faufilée au coin de son œil.

— Merci de m'avoir contacté, souffla-t-elle en dirigeant son regard sur les flammes qui dansaient dans l'âtre.

— Je voulais te revoir, confia-t-il sans embarras.

La sorcière s'enfonça dans les coussins de son fauteuil.

— Je n'étais pas sûre que tu le veuilles. Si j'avais su, je t'aurais contacté dès ton départ de Nurmengard. J'en ai eu l'opportunité...

Esther repensa au jour où Queenie était apparue sur le seuil de son appartement. À toutes les nouvelles que lui avait données son amie, qui n'avait épargné aucun détail. À la note pliée qu'elle avait laissée sur la table à manger à son départ.

De quoi le contacter, avait-elle murmuré avec un sourire attendri.

Esther n'avait pas osé y toucher. Désormais, elle regrettait ces semaines perdues.

— J'aurais dû t'envoyer cette lettre plus tôt, s'excusa Credence. Mais j'avais peur que tu ne viennes pas.

— Pourquoi ne l'aurais-je pas fait ?

— Nous avons été séparés longtemps.

La sorcière se détourna de la danse hypnotique du feu. Son regard virevolta sur le tapis puis sur Credence lui-même avant de se fixer sur son visage. Aussi beau que dans ses souvenirs.

— Je n'ai jamais cessé de t'aimer, avoua-t-elle.

Son cœur ne lui avait jamais accordé l'opportunité de l'oublier, semblant se satisfaire de battre pour deux. Esther avait accepté son sort depuis bien longtemps, mais pour la première fois depuis des années, elle se mit de nouveau à nourrir de l'espoir.

Credence embrassa ses yeux bleutés de ses propres iris sombres avant de confier :

— Moi non plus.

Le soulagement se peignit sur les traits de la sorcière et la joie qui aurait dû éclater en elle se teinta de tristesse quand elle prit la main de Credence dans la sienne. Quand elle sentit ses doigts gelés, raidis par le froid de son propre corps que même la chaleur du feu de bois ne semblait pouvoir endiguer.

Elle recouvrit leurs doigts entremêlés de son autre main, partageant le peu de chaleur qu'elle avait en elle. Ce simple contact lui rappela de nombreuses caresses passées. Elle frissonna du souvenir de leur dernier échange, avant sa fuite du château. Elle se demanda s'il y pensait, lui aussi.

Par-dessus le bruit des bûches qui craquaient dans l'âtre, Esther entendit la voix du serveur qui l'avait renseigné. Elle accueillit cette distraction et demanda :

— L'homme au bar. Qui est-ce ?

Credence pencha la tête sur le côté, observa le sol de pierre comme s'il pouvait voir à travers.

— C'est mon père.

Esther haussa un sourcil, surprise. Elle avait été persuadée que Queenie lui avait tout révélé, mais elle avait eu tort. Elle la remercia intérieurement de lui avoir caché le plus important. Cela lui permit de savourer cet instant de flottement, annonciateur de confidences à venir. Ce moment intime où ils chercheraient tous deux à rattraper le temps perdu, à savoir tout ce qu'ils avaient manqué. Credence plongea ses yeux dans les siens, attendit son signal.

— Raconte-moi tout, finit-elle par demander.

— Ça risque d'être long, la prévint-il.

Esther lui sourit, se laissa bercer par l'illusion des années qu'ils avaient devant eux.

— J'ai tout mon temps.


FIN

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