6| L'hypnotiseur
Couchée dans le hamac qu'elle avait maintenant appris à considérer comme le sien, sous le géant appelé Hector et face au sombre Credence, Esther passa de longues heures à ruminer ce qu'elle avait vu.
Malgré tous ses efforts, il lui était impossible de repousser le souvenir du moment d'intimité qu'elle avait espionné entre Credence et Nagini. L'image de ce lien qui les unissait et qui les poussait à se rapprocher, autant physiquement qu'émotionnellement, malgré les barreaux d'une cage.
Esther ne voyait plus que ça. Comme si son subconscient tentait de lui faire passer un message qu'elle n'arrivait pas à déchiffrer et qui ne faisait que ressurgir des souvenirs profondément enfouis de son enfance.
Les courses poursuites dans le manoir qui se situait avenue Foch, à Paris. Les messes basses sur les chaises du réfectoire de Beauxbâtons. Les danses partagées lors des nombreux bals de son école. Et à chaque souvenir, le même visage revenait inlassablement. Celui magnifique de Florien. Esther et lui avaient grandi ensemble, tout partagé à deux. Jusqu'à la concrétisation de leur relation. Cependant, lorsque la sorcière se remémorait leur existence commune, c'était toujours à travers ces instants de vie enfantins, quand tout était si simple. Elle n'arrivait pas, et ne voulait pas, invoquer les caresses et les baisers qu'ils avaient échangés depuis et qui étaient pourtant si nombreux.
Elle se demanda alors si, de l'extérieur, les moments qu'elle avait partagés avec Florien avaient ressemblé à celui qu'elle avait aperçu entre Nagini et Credence. Si, peut-être, son duo avec son meilleur ami transmettait plus d'émotions de l'extérieur qu'il ne le faisait de l'intérieur. S'il pouvait rendre jaloux ceux qui les entouraient.
Ou si, plus probablement, tout le monde pouvait se rendre compte de la supercherie.
Le trouble ne la quitta pas lorsqu'elle s'endormit. Ni quand elle se réveilla. Ses pensées convolaient encore entre Credence, Florien, Nagini ainsi que tant d'autres personnes rencontrées dans sa vie. Aux relations intimes qui se créaient, se brisaient et reliaient chacun de ces êtres entre eux.
La journée défila dans un brouillard. Esther se souvint avoir tenu son poste, avoir fait ce que l'on attendait d'elle, mais rien de plus. Elle voyait vaguement les visages de ses collègues défiler dans sa mémoire : Harish lui demandant de l'aide au réfectoire, les larmes de Fredrick après son spectacle, le regard transperçant de Borys alors qu'il passait devant elle et les sourires timides de Credence dans sa direction. Elle n'avait prêté attention à pratiquement aucun d'entre eux. Elle avait été déconnectée de son corps et de son esprit et ce ne fut qu'alors qu'elle prenait son dîner dans le réfectoire, qu'elle se sentit s'ancrer à nouveau sur la terre ferme.
Elle savait ce qu'elle devait faire pour alléger, ne serait-ce que provisoirement, son fardeau.
Esther déposa la cuillère en bois sur la table pour observer sa main. Un anneau doré, surmonté d'un diamant, habillait son majeur. La bague était magnifique, mais trop petite pour ce doigt. Elle serrait sa peau, coupait l'afflux sanguin, alors Esther avait pris l'habitude de la retirer. Elle le fit de nouveau ce soir-là.
Elle déposa sa bague de fiançailles sur la table, devant son bol de haricots froid, et la contempla.
Esther avait réussi à garder cet élément intime de sa vie secret en retirant la bague de son annulaire à son arrivée au cirque. Cela lui avait évité bien des questions indiscrètes, et elle n'en aurait pas plus ce soir. La sorcière avait expressément tardé à son poste et attendue que le réfectoire se vide avant de s'y engouffrer à son tour. Comme durant le reste de la journée, elle n'avait voulu voir, ni parler, à personne.
Elle dévisagea le bijou plusieurs secondes, en se massant distraitement l'annulaire, avant de détacher le pendentif qui ornait son cou. Sans plus de réflexion, elle fit glisser la bague le long de la chaîne, jusqu'à ce qu'elle se place à côté de son médaillon.
Un souvenir de Florien à côté de son seul souvenir de ses parents.
Esther n'avait pas besoin d'ouvrir le médaillon pour se représenter les deux minuscules portraits qui se trouvaient à l'intérieur. Elle serra le bijou dans son poing en pensant aux cheveux blancs magnifiques de sa mère, Catriona, dont elle avait hérité, ainsi qu'au sourire charmeur de son père, Peter.
Il y avait tellement de choses qu'elle ne savait pas sur eux. Ils étaient morts trop abruptement, ils lui avaient été arrachés trop jeune.
Elle repoussa ses larmes pour attacher le pendentif autour de son cou. La bague et le médaillon s'entrechoquèrent doucement contre son sternum tandis qu'elle les camouflait sous son chemisier beige.
La jeune femme sentit les bienfaits de cette décision sitôt ses mains revenues à ses côtés. Le voile flou qui l'avait suivi toute la journée s'évapora et Esther vit clairement son environnement, comme pour la première fois. Elle expira d'un coup sec et se leva, bien décidée à profiter de sa lucidité retrouvée pour se balader sous le clair de lune, loin des pensées hantées qui l'avaient habitée toute la journée.
Un vent frais la cueillit dès sa sortie du chapiteau. Il la porta le long de l'esplanade, camouflant le bruit de ses pas sous ses grondements sonores. Le fleuve était agité, lui aussi, parcouru d'un courant violent qui claquait contre le bois sombre. Esther ne fut donc pas surprise quand le tonnerre éclata non loin de là. Les nuages menaçants n'étaient que de l'autre côté du fleuve, mais déjà une fine pluie s'attaquait à recouvrir les stands et les boutiques de l'esplanade.
La sorcière ne se précipita pas vers le chapiteau, qui ne se trouvait toujours qu'à une trentaine de mètres, pour se mettre à l'abri. Elle continua de s'éloigner, laissant les gouttelettes d'eau gelées glisser le long de son cou et pénétrer sous sa cape. Esther se moquait bien d'être trempée, elle savait qu'il ne lui suffirait que d'un sort pour régler le souci.
« La magie est une bénédiction », pensait-elle toujours. « Et vivre sans signifiait ne pas vivre du tout. »
Elle profita de la solitude de sa balade encore de nombreuses minutes avant de rebrousser chemin sous la pression de son corps, désormais gelé. Le chapiteau n'était pas très loin et elle pouvait voir, par-delà les stands abandonnés, ses lumières l'appeler.
Esther accéléra le pas, non sans un sourire. Son souffle créait des nuages de vapeurs devant son visage, ce qui lui rappelait les hivers dans les montag—
La sorcière s'arrêta net.
Entre la fatigue et le froid qui lui tenaillaient le corps, elle avait mis du temps à apercevoir les deux silhouettes qui marchaient côte à côte, à une dizaine de mètres d'elle. Leur pas rapide les dirigeait, comme elle, vers le cirque.
La jeune femme resta stupéfaite un instant. Son instinct lui souffla que quelque chose n'allait pas et, précipitamment, elle reprit sa marche.
Elle avala les mètres en longues enjambées. Ses bottines claquaient sur le sol, sans répit, mais le vent et le tonnerre, lointain, camouflaient les sons qu'elles provoquaient.
Alors qu'Esther gagnait du terrain sur le couple, elle mit le doigt sur ce qui l'avait interpellé : la démarche de la jeune femme était saccadée... Forcée.
Esther savait reconnaître ce genre de chose. Elle porta alors toute son attention sur l'homme, grand et fin, qui tenait la femme par la hanche, la guidant et l'entraînant à sa suite. Avant même que les loupiotes de la devanture du chapiteau éclairent sa silhouette, elle sut à qui elle avait affaire.
Un frisson la parcourut aussitôt.
Borys.
Désormais, elle le voyait plus clairement, avec son costume gris anthracite raide et, quand il se tourna vers la jeune femme blonde pour lui prendre la main, les bords recourbés de son horrible moustache à l'anglaise.
La femme réagit au toucher de l'hypnotiseur et se tourna vers lui. Esther capta alors une partie de son regard et se figea. Ses pieds semblaient l'engluer au sol et elle se demanda, bien plus tard, si elle n'avait pas été victime d'un sortilège du saucisson plutôt que de ses propres émotions.
Les yeux de la femme blonde étaient comme morts. Il n'y avait aucune étincelle dans son regard. Elle était aussi déconnectée de ce moment qu'Esther l'avait été toute la journée.
Cela fit sortir la sorcière de sa torpeur et elle se précipita à la suite du duo, qui venait tout juste de s'engouffrer dans le chapiteau. Elle n'avait que quelques secondes de retard sur eux et pourtant, quand elle entra en trombe dans le chapiteau et qu'elle atteignit le hall aux couloirs sombres et indiscernables, ils avaient déjà disparu.
Elle les avait perdus. Elle tourna sur elle-même, à l'écoute des bruits alentours, se refusant à imaginer ce qui allait arriver à cette pauvre sorcière, hypnotisée par Borys.
Ses pensées furent interrompues par un bruit de pas léger et rapide. Esther se retourna au moment où Nigelle sortait de l'ombre. La sorcière eut de nouveau un frisson. Elle ne s'était jamais retrouvée seule avec la femme lézard auparavant.
— As-tu vu Borys ? Questionna-t-elle aussitôt.
Nigelle plissa les yeux, les fentes noires qui lui servaient de pupilles semblèrent s'aiguiser sous le coup de la surprise et de la méfiance.
— Que lui veux-tu ?
— Je veux l'empêcher de s'attaquer à la sorcière qu'il a hypnotisée, répondit la jeune femme de but en blanc.
Nigelle siffla entre ses dents, sa langue fourchue en profitant pour glisser entre ses lèvres. Elle baissa les yeux et s'avança vers Esther. Son visage écaillé paraissait affaissé et triste.
— Tu ne peux rien y faire, Esther. Ne t'en occupe pas.
La jeune femme ouvrit la bouche, interloquée. Elle en oublia, pendant un instant, l'urgence de la situation.
— Où est sa chambre ? Demanda-t-elle, préférant ignorer la remarque précédente de Nigelle. Je sais que Borys ne dort pas avec nous. Et vu qu'il a le droit à des repas particuliers, j'imagine qu'il a aussi le droit à des quartiers privés, non ? Où sont-ils ?
Nigelle secoua la tête.
— Je n'en ai aucune idée. Je n'ai jamais cherché à le savoir.
Esther s'apprêtait à contre-attaquer, mais Nigelle se hissa sur ses deux jambes arrière pour se grandir et reprit :
— Et je te conseille de faire pareil. Le jour où tu apprends où se trouvent ses quartiers, alors c'est qu'il est déjà trop tard pour toi.
Esther en resta bouche bée. Elle demanda, prise d'horreur :
— Ce n'est pas la première fois qu'il fait ça, n'est-ce pas ? Qu'il kidnappe une sorcière pour... pour lui faire je ne sais quoi ?
— Non, ce n'est pas la première fois. Et ce ne sera pas la dernière.
— Depuis combien de temps est-ce que ça dure ? Déglutit Esther.
— Je ne sais pas. Il a toujours fait ça, d'aussi longtemps que je me souvienne, mais je ne suis dans ce cirque que depuis huit ans.
— Huit ans ? Et tu n'as jamais rien fait ?
Esther dévisagea la créature face à elle. Sa peau verdâtre et brillante, qui semblait poisseuse. Son pagne miteux, presque mangé aux mites. La colère prenait désormais le pas sur l'écœurement et le choc.
Nigelle siffla de nouveau, dardant sa langue devant elle.
— Que veux-tu que je fasse ? M'as-tu regardé ? Skender m'accorde un laissez-passer, celui de me balader librement dans le cirque plutôt que de m'enfermer dans une cage avec ses autres possessions. Je ne suis pas assez bête pour mordre la main de la personne qui me nourrit.
— Ce sont des sorcières qu'il moleste, je ne peux pas le laisser faire ça.
— Dans l'état dans lequel elles sont, elles pourraient tout aussi bien être de simples moldues.
Esther recula sous le coup de ses paroles. Sa bottine glissa sur la flaque d'eau qui se créait autour d'elle. Elle en avait oublié que chaque centimètre carré de ses vêtements gouttait depuis leur passage sous la pluie.
Nigelle sembla s'étonner de cette réaction démesurée à de simples mots, mais ne s'empêcha pas de faire valoir son point de vue.
— Tu n'es plus à l'école, ma petite. C'est la vraie vie, ici. La plupart des monstres, des véritables monstres, sont intouchables. C'est la loi du plus fort qui règne dans ce cirque et si tu veux survivre, il faut savoir faire des compromis.
Cette dernière phrase remit aussitôt Esther d'aplomb. Faire des compromis, elle savait faire. Elle ne le savait que trop bien. Mais pas aujourd'hui. Pas maintenant. Pas pour ce genre de personne.
S'il y avait bien une chose qu'elle détestait plus que tout au monde, c'était de voir des sorciers s'attaquer à d'autres sorciers. Faire du mal à sa propre communauté lui semblait irréel et malveillant au possible. Elle se promit, à cet instant même, que si elle ne pouvait pas confronter Borys ce soir, alors ce n'était que partie remise. Un passage éclair sous l'emprise du sortilège Doloris suffirait probablement à lui remettre les idées en place. Et si jamais ce n'était pas le cas, eh bien... Elle connaissait d'autres méthodes. D'autres sortilèges.
En attendant, elle ne put empêcher le jugement d'assombrir le regard qu'elle dardait sur Nigelle.
— Je ne peux pas croire que tu cautionnes cela.
— Je ne le cautionne pas. Borys a gâché la vie de beaucoup de personnes, mais tu apprendras, comme nous tous, à fermer les yeux. Va te coucher et oublie tout cela, si tu ne veux pas subir le même sort.
Sur ces belles paroles, Nigelle se remit à quatre pattes et s'engouffra dans le couloir éclairé le plus proche, que la sorcière reconnut comme étant celui qui menait au dortoir.
Alors que la longue queue verte de Nigelle disparaissait à un tournant, Esther se demanda si forcer la femme lézard à parler était possible. Elle fit glisser son doigt le long du manche de sa baguette, prête à l'utiliser pour ramener Nigelle dans le hall. Le bois d'if était réconfortant sous sa main, suffisamment pour lui faire reprendre ses esprits.
Esther avait beau être fatiguée, autant moralement que physiquement, elle savait qu'elle ne pouvait pas faire tout et n'importe quoi. S'attaquer à Nigelle pouvait compromettre gravement sa couverture et quitter le cirque avant d'arriver à Paris n'était pas une option. Elle ne pouvait pas tout gâcher à cause d'une sorcière incapable de se défendre par elle-même.
Elle devait faire attention. Choisir ses actions avec prudence. Et surtout, elle ne devait pas donner à Skender une raison de se rebeller. La paix, qui s'était installée entre eux deux à la suite de leur discussion plusieurs jours plus tôt, était ténue. Un rien pourrait la faire exploser en plein vol : comme blesser une de ses attractions ou tuer son hypnotiseur.
Esther soupira. Elle ne pouvait plus rien faire. En dernier recours, elle aurait pu utiliser le sortilège d'Empreinte et ainsi repérer le couloir emprunté par Borys mais Esther n'avait jamais jugé bon d'apprendre ce sort. Si Eugen avait été là, il aurait sorti sa baguette et l'aurait exécuté sans aucune difficulté. Ce crâneur avait toujours été meilleur sorcier qu'elle. Pour faire bonne figure, elle fit un tour complet sur elle-même, pour observer chaque couloir, mais ils se ressemblaient tous.
À quoi bon se battre contre un ennemi introuvable ?
Elle se décidait enfin à suivre les conseils de Nigelle quand Credence sortit du couloir qui menait au dortoir.
— Décidément, marmonna-t-elle, surprise de croiser autant de monde.
Pourtant, elle le salua avec un demi-sourire. Étrangement soulagée de tomber sur son visage amical et compréhensif. Deux adjectifs qu'elle n'aurait jamais attribués à une personne telle que lui avant de le rencontrer. Un changement de perception qui l'inquiétait légèrement.
— Tu es là, chuchota-t-il.
— Tu me cherchais ?
— Oui, je voulais m'assurer que ça allait. Tu n'avais pas l'air très en forme aujourd'hui.
La sorcière eut un sourire amer : ne pas avoir l'air « très en forme » était une façon bien aimable de décrire la chose.
— La journée a été éprouvante, comme souvent. Je ne t'apprends rien.
Credence acquiesça.
— Tu te sens mieux ?
Esther observa les couloirs enténébrés qui les cernaient. Les secrets et monstruosités qu'ils décelaient et qui la rendaient impuissante, pour ce soir du moins.
Elle haussa les épaules en soupirant.
— Oui...
Le fendillement dans sa voix rendit le regard de Credence sur son visage plus intense.
— Tu trembles, fit-il remarquer, d'une voix bien plus forte. Et tu es trempée.
La sorcière baissa les yeux sur son propre corps : ses longs cheveux blancs goûtaient sur son chemisier, la chair de poule hérissait les poils de ses avant-bras et ses bottines marron étaient recouvertes de centaines de minuscules gouttes d'eau. Elle pointa aussitôt sa baguette sur elle-même et, bougeant à peine les lèvres, laissa un souffle d'air chaud l'envelopper.
Son corps frigorifié se réchauffa et les tremblements s'atténuèrent, mais ils ne s'arrêtèrent pas pour autant. Credence le remarqua lui aussi, malgré la tentative d'Esther de camoufler ses deux mains dans les poches de son pantalon.
— Tout va bien. Je voulais me promener un peu avant de me coucher, se justifia-t-elle en reprenant une contenance, mais la pluie m'a surprise. Et elle était rudement glaciale ! (Elle força un rire, peu convaincant, avant de reprendre son sérieux.) Je vais aller me coucher, pour me remettre de cette expérience.
Credence ne la quitta pas des yeux et Esther avait appris à comprendre que le léger froncement de sourcils qui marquait son front était une indication qu'il voyait clair à travers ses mensonges. Pourtant, il n'en exprima rien.
— Puis-je te demander un service avant ?
— Tout dépend de ce que tu souhaites, répondit la sorcière, intriguée.
Credence jeta un regard sur le côté et Esther comprit la teneur de sa demande avant même qu'il n'ouvre la bouche. La bague autour de son cou sembla brusquement lui brûler la peau. Elle croisa les bras sur sa poitrine en déglutissant.
— Qu'est-ce qui se passe ? Demanda-t-elle, en essayant de paraître agréable malgré son appréhension.
— Pourrais-tu déposer ceci à Nagini ? Questionna-t-il en lui tendant le sachet en tissu qu'il avait eu avec lui tout ce temps.
Une douce odeur émanait du baluchon qu'Esther prit dans ses mains.
— Je sais bien que Skender ne souhaite pas qu'on donne de la nourriture extérieure à ceux qui sont en cage, dit Esther avec autant de tact qu'elle le pouvait, mais pourquoi me demander à moi de le faire ? Pourquoi ne vas-tu pas lui donner toi-même ?
— Je ne peux pas... murmura-t-il en fixant son regard sur un point derrière Esther. Skender m'a surpris en compagnie de Nagini hier et il m'a formellement interdit de revenir la voir. (Une ombre passa sur le visage de Credence et Esther crut y déceler une pointe de fureur et de haine, comme s'il se débattait avec une sourde colère. Elle s'obligea à ne pas s'éloigner du jeune homme.) S'il nous surprend de nouveau... je n'ose imaginer ce qu'il nous fera à tous les deux.
Esther ne fut pas surprise. Elle avait beau ne pas connaître Skender depuis très longtemps, elle avait suffisamment étudié le personnage pour se douter que ses motivations étaient douteuses et impliquaient rarement le bien-être de ceux qui vivaient sous son chapiteau.
Elle se résigna à accepter cette demande. C'était une belle opportunité de gagner la confiance de Credence, même si cela impliquait de mettre les pieds dans la fosse à monstres du cirque Arcanus.
— Je vais m'en occuper, tu peux me faire confiance, chuchota-t-elle, mais avant, est-ce que je peux te poser une question ?
Credence acquiesça.
— Toi et Nagini, ça fait longtemps ?
Le jeune homme fronça les sourcils, confus.
— Ça fait longtemps que tu la courtises ?
— Nous sommes amis, c'est tout, chuchota-t-il, les joues roses de gêne. C'est juste que nous n'avons personne d'autre...
Esther, qui avait dû tendre l'oreille pour entendre la fin de sa phrase, observa le trouble envahir le visage de son interlocuteur. Elle ne savait pas si elle le croyait sur son utilisation du mot « ami », cependant elle le croyait aisément pour le reste.
— D'accord, tu peux compter sur moi pour lui donner ça, en tout cas.
Esther lui accorda un sourire rassurant puis s'éloigna en direction du couloir sombre menant aux créatures. Ce ne fut qu'au bout de quelques pas qu'elle se rendit compte qu'en quittant Credence, elle avait déposé sa main sur la sienne un court instant. Pour le réconforter et le rassurer. Et elle en était la première surprise.
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