30| Confrontation

Esther était face à une évidence déplaisante.

Durant les quelques heures que Credence et elle avaient passé à Paris, le sorcier avait entendu ou assisté à quelque chose qui l'avait décontenancé. Cela ne l'avait pas simplement et provisoirement surpris ou choqué. Non, cela semblait avoir été suffisamment profond pour entacher la relation de confiance qu'il avait bâtie avec Grindelwald.

Et tout cela était la faute d'Esther. Le plus inquiétant étant qu'elle n'arrivait même pas à mettre le doigt sur la source du problème. Elle n'était pas à la hauteur à l'instant précis où elle se devait de l'être.

Elle s'avachit sur le canapé le plus proche, acceptant le message que son corps lui envoyait. Même assise, la sorcière sentit sa colonne vertébrale ployer sous le poids des révélations de la journée. Journée qui ne souhaitait décidément pas l'épargner.

Elle avait une nouvelle mission à accomplir. Encore une. Trouver la raison du tracas de Credence et espérer que ce dernier soit facilement réparable. Après tout ce qu'elle venait d'apprendre sur ses parents, et malgré les paroles de Grindelwald, elle savait qu'elle ne pouvait pas se permettre d'empirer la situation.

Afin d'apaiser la tension qui grandissait en elle, elle posa les deux mains sur la table basse qui lui faisait face et ferma les yeux. La clé était de se concentrer sur sa respiration et de laisser le bois dur calmer les tremblements de ses doigts. Elle compta jusqu'à dix, puis s'immergea de nouveau dans la lumière déclinante du jour.

Un paquet de cigarettes, à moitié entamé, attira son attention et elle s'empara d'une cigarette qu'elle alluma du bout de sa baguette. Un nuage de fumée envahit sa bouche, sa gorge, ses sinus. Elle le garda prisonnier, s'empoisonnant à petit feu, puis l'expira. Aussitôt, son esprit sembla s'extirper de la brume dans laquelle il s'était engoncé.

Il lui parut alors clairement que sa quête de vérité l'avait mené bien plus loin qu'elle ne l'aurait pensé. Elle ne saurait dire si elle regrettait les nouvelles données qui inondaient encore son cerveau, mais elle imaginait que le futur se chargerait de répondre à cette interrogation. Drapée de sa nouvelle mission, Esther se leva et se dirigea vers la bibliothèque. Elle n'y trouva pas Credence, seulement son jeune phénix, somnolant sur le lustre.

— Il n'est pas ici, indiqua une voix douce dans son dos.

Queenie déposa une main ferme sur l'épaule d'Esther. Sa chevelure ondulée paraissait plus terne sans les rayons du soleil pour la faire briller.

— Où est-il ?

— Dans ta chambre.

Esther remercia la sorcière d'un signe de tête, pourtant elle ne s'éloigna pas. Elle sentait que la Legilimens n'avait pas tout dit, alors elle reprit une bouffée de sa cigarette et demanda :

— Qu'y a-t-il ?

Queenie observa les nuages qui s'emparaient du ciel, puis le visage gracieux d'Esther.

— Je te conseille de tout lui dire, si tu veux espérer le garder à tes côtés.

Esther sentit sa peau se couvrir de chair de poule. Queenie ne lui donna pas le temps de la questionner :

— Je n'en dirai pas plus, va le voir.

Puis, elle s'éloigna, sa robe rose poudré flottant derrière elle. La jeune femme tira une nouvelle taffe de sa cigarette avant de l'écraser sous sa bottine. Elle abandonna son mégot dans le couloir, au soin des elfes de maison, et s'enfonça dans le château.

Chaque pas sembla faire battre son cœur plus fort, mais il ne s'emballa réellement que quand elle s'arrêta devant la porte ouverte de sa propre chambre. Credence était assis sur son lit, les avant-bras posés sur ses cuisses et le visage perdu en pleine réflexion. Esther ne l'avait jamais trouvé aussi beau qu'au moment où elle sentait qu'elle allait le perdre.

Un seul pas dans la chambre suffit à annoncer sa présence. Le parquet grinça et Credence releva la tête. Ses yeux trahirent alors une méfiance et une gêne qui frappa Esther de plein fouet. Cette expression, souvenir de leurs premiers échanges, n'aurait jamais dû refaire surface sur le visage de celui qu'elle avait embrassé à peine quelques heures plus tôt.

— Je te cherchais, commença Esther d'une voix qui lui sembla fragile. Grindelwald m'a tout expliqué, il faut que je te rac-

Credence se détourna de la sorcière. Un non sec résonna dans la pièce tandis que le jeune homme se levait. Il se posa près d'une fenêtre. Le vent qui frappait les carreaux assourdit sa phrase :

— Dis-moi la vérité.

Malgré ses bonnes résolutions de la journée et le conseil de Queenie, Esther ne sut que répondre. Elle souhaitait toujours en finir avec le poids des mensonges, mais prise devant le fait accompli, elle se trouva soudain bien incapable de faire autre chose que d'endosser le rôle de l'ingénue, en sachant pertinemment que cela ne la sauverait pas.

— De quoi tu parles ?

Credence posa ses paumes sur le rebord de la fenêtre. La pression de ses bras était si forte que les veines de ses mains se dessinaient sous sa peau.

— Plus tôt dans la journée, ta grand-mère nous a parlé de tes parents adoptifs. Elle les a appelés Pierre et Elena, tu t'en souviens ?

— Évidemment, acquiesça Esther qui revoyait très distinctement Marietta mentionner ses parents.

— Quel est leur nom de famille ? Demanda Credence.

La jeune femme scella ses lèvres, son cerveau tournant à plein régime. Pourquoi cette question ? Que savait-il ? Qu'avait-il déduit des paroles de sa grand-mère ?

Pendant quelques secondes, rien ne lui vint. Puis, tout d'un coup, elle écarquilla les yeux. Sa grand-mère, devant la statue funéraire de Catriona, mentionnant le lien de proximité entre Esther et les Rosiers. Ce n'étaient que quelques mots, lancés à la dérobée, mais cela avait-il été suffisant pour que Credence fasse le lien ?

Sans réponse de sa part, Credence se porta volontaire :

— C'est Rosier, n'est-ce pas ? Tes parents adoptifs s'appellent Pierre et Elena Rosier ?

L'expression de stupeur qui élu domicile sur les traits d'Esther suffit à confirmer la déduction de Credence, qui continua sur sa lancée :

— Ce sont les parents de Vinda et Florien, c'est exact ?

Le corps bouillonnant et transpirant, Esther retira la cape qu'elle portait depuis son retour au château. Elle la laissa tomber au sol tout en empêchant ses jambes de faire de même et de s'écorcher sur le tissu rêche du tapis. Elle préféra se traîner jusqu'au fauteuil de son bureau, d'où elle finit par énoncer sa première vérité.

— Oui... Leur nom de famille est Rosier et ce sont bien les parents de Vinda et Florien, confessa Esther, non sans éprouver un certain soulagement. J'ai grandi chez eux, dans leur manoir à Paris, et j'ai côtoyé leurs enfants toute ma vie. Nous sommes allés à Beauxbâtons ensemble.

Le temps des révélations était finalement arrivé. Certains diraient que cela n'avait que trop duré. Pour Esther, cela semblait arriver bien trop tôt. Malgré ce qu'elle s'était imaginé, elle n'était pas préparée à la secousse que représentait ce premier aveu. Une secousse faible qui ne provoquerait pas l'effondrement de son château de cartes, mais qui était tout de même suffisamment intense pour en ébranler les fondations. Sa relation toute entière avec Credence reposait sur cette structure désormais vacillante. Avec son effondrement, ce n'était pas simplement celui qu'elle aimait qu'elle risquait de perdre, elle déshonorerait aussi la mémoire de ses parents et la confiance de Grindelwald. Cela représenterait l'échec de sa vie.

Pourtant, quand Credence continua son interrogatoire, elle ne se détourna pas de la vérité.

— Est-ce que cela veut dire que tu vivais déjà au château, avec eux, avant d'arriver au cirque ? Demanda-t-il.

Cette question n'en était une que par sa forme grammaticale. Le ton de Credence indiquait qu'il se doutait déjà de la réponse, même s'il la redoutait.

— Cela fait six ans que j'habite ici.

— Alors, tu les connais tous ? Eugen, Florentina, Marcus, Abernathy ?

— Oui, nous n'avons fait que prétendre ne pas nous connaître.

La mâchoire de Credence se serra, ses joues se creusèrent.

— Vous vous êtes tous moqués de moi.

— Non, ce n'est pas ça. Nous ne faisions qu'obéir aux ordres.

Credence repoussa cet argument d'un revers de la main.

— Un jour, tu m'as dit que tu avais cherché refuge au cirque pour échapper à ta famille adoptive, est-ce que c'était aussi un mensonge ?

Esther garda le silence. Elle ne se souvenait que trop bien de cet échange, leur premier moment d'intimité. Illuminés par les étoiles du ciel lisboète, une Pastéis de Nata comme monnaie d'échange et la Tage qui noyait leurs confessions. Ce souvenir paisible lui sembla si lointain, et pourtant, sur le visage de Credence, il était aussi tangible que les murs de pierre de cette chambre. Il était aussi souillé, désormais. L'ampleur de la tromperie dont il était la victime semblait faire jour dans son esprit, et la douleur menaçait de fissurer tout son être.

— J'avais prévu de tout te dire, Credence.

— Pourquoi es-tu venu ?

— Est-ce que ce n'est pas évident ? Fit-elle d'une voix bien trop faible tandis que la pluie commençait à frapper les carreaux.

— Dis-le.

— Je suis venue pour toi.

Au loin, le tonnerre accueillit cette déclaration d'un grondement.

— Que me voulais-tu ? S'enquit-il, presque perdu.

— Je... Moi ? Rien, je ne te voulais rien...

Credence fronça les sourcils. Esther se mordit la langue de sa propre stupidité.

— Est-ce Grindelwald qui t'a demandé de me retrouver ?

Esther déglutit. L'air semblait chargé d'électricité.

— Oui, c'est lui qui m'a donné ton adresse. (Credence écarquilla les yeux, stupéfait.) Mais ce n'est pas ce que tu crois ! Il te savait en danger, des Aurors te cherchaient. Alors, il m'a confié la mission de te contacter. Il voulait que tu nous rejoignes, pour te mettre à l'abri.

— Pourquoi ne me l'as-tu pas dit ?

— À l'époque, c'était plus prudent que tu ne saches pas les raisons de ma présence. M'aurais-tu fait confiance si tu l'avais su ?

Les épaules de Credence se tendirent.

— Tu ne m'en as pas laissé l'opportunité.

La sorcière baissa les yeux tandis que le sorcier se frotta le visage. La première était honteuse et le dernier, frustré.

L'éclair d'une pensée immobilisa Credence. Il fit retomber ses mains sur ses flancs et dévisagea Esther.

— Est-ce que c'était toi ? L'enveloppe contenant l'adresse d'Irma ?

Esther acquiesça.

— Est-ce que tu savais ? Fit-il d'une voix grave. Est-ce que tu savais ce qui allait lui arriver ? Est-ce vous qui l'avez tué ?

Cette seule possibilité sembla faire surgir une vague de colère en lui. Il se redressa, mais la lumière du chandelier ne put rien contre la noirceur qui l'enveloppa soudainement.

— Non, je n'en avais aucune idée, répondit Esther aussitôt. Personne n'aurait pu le prédire. C'est pour ça que Grindelwald voulait te retrouver, tu étais en danger et par extension, tes proches aussi.

La jeune femme se releva et s'approcha de Credence, autant qu'il l'autorisa. Son corps était de nouveau baigné par la lumière chaleureuse du luminaire. L'ombre de son Obscurus refoulée aussi brusquement qu'elle était apparue.

Esther savait que chacun de ses mots devait être soigneusement choisi.

— Credence, je te promets que je ne savais quasiment rien avant de te rencontrer. Je ne savais même pas que tu étais un Dumbledore. C'est toi qui me l'as appris. Je ne voulais même pas faire ça, à la base. Quitter le château pour te rencontrer... Je n'avais pas anticipé tout ce qui allait suivre. Tu ne peux pas savoir à quel point je suis désolée... J'ai hésité tellement de fois à tout te dire, mais j'avais trop peur de te perdre.

Elle voulut prendre sa main dans la sienne, mais Credence la lui refusa. Il désigna leurs deux corps, séparés par quelques centimètres seulement.

— Est-ce que... Est-ce que c'était un ordre, ça aussi ?

Esther repensa aux paroles de Grindelwald, à son autorisation subtile d'approfondir leur relation naissante. Mais cela avait-il été un ordre ? Esther aurait-elle poussé son double jeu aussi loin si elle n'avait pas eu des sentiments réels pour Credence ? Au fond, cela importait peu. Elle n'avait obéi qu'à son corps et à son cœur.

— Non, je te le promets. Je n'ai jamais fait semblant. J'en ai été la première surprise, tu sais. Je ne m'attendais pas à... à éprouver tout ce que je ressens pour toi.

L'éclat d'un espoir brilla dans les yeux de Credence avant qu'il ne le fasse disparaître et ne se détourne.

— Comment est-ce que je pourrais te croire ? Tu n'as fait que me mentir.

Écartelée entre le choc des révélations, la douleur de la trahison et la colère née des mensonges, Credence paraissait aussi perdu qu'à son arrivée au château.

— Dans ce cas, crois-moi quand je te dis que cette fois-ci, c'est la vérité.

— Tes promesses ne valent plus grand-chose.

Esther recula d'un pas. Même méritée, cette attaque lui sembla plus violente qu'une gifle.

— Je te faisais confiance...

— Je sais.

— J'ai convaincu Nagini de t'inclure dans notre plan de quitter le cirque. Elle se méfiait de toi...

— À juste titre, soupira Esther.

Cette confession sembla souffler sur les braises de la colère du sorcier.

— Nous l'avons abandonné derrière nous. Je l'ai abandonné. Pour te suivre jusqu'ici.

Ses yeux n'étaient plus qu'un puits de noirceur effrayant. Pour la première fois depuis leur rencontre, Esther eut peur de lui. De la colère, froide et brutale, qui émanait de son corps en filaments noirâtres.

— Tu n'aurais jamais appris la vérité sur ton identité si tu ne m'avais pas suivi, tenta Esther.

— Tu n'en sais rien, souffla-t-il, exaspéré et inconscient de son ombre grandissante.

— Credence, ton Obscurus, contiens-le.

— M'aurais-tu dit la vérité ?

— Oui, je comptais le faire.

— Quand ? Dans plusieurs mois ? Années ?

— Bientôt, je te le jure. Je n'en pouvais plus de te cacher tout ça ! Mais je réfléchissais au meilleur moment pour tout te dire, je ne voulais pas te blesser.

Le visage de Credence se tordit de douleur. Sa réponse ne quitta pas ses lèvres, mais Esther la lut dans son regard juste avant qu'il ne se fasse engloutir par son Obscurus.

C'était trop tard.

Esther l'avait déjà blessé.

Si elle ne lui avait jamais menti, ils n'en seraient jamais arrivés là.

Cela lui aurait évité de se retrouver projetée contre le mur de sa chambre. De se contusionner le dos contre les pierres apparentes. De sentir ses poumons se vider de leur oxygène. De s'écrouler au sol, dans le même souffle.

La chute de plusieurs livres couvrit son couinement de douleur. La vision floue, l'esprit brumeux, Esther ne se releva pas immédiatement. La pluie battait les carreaux avec acharnement. Au loin, une horloge sonna quinze coups.

Haletante, il lui fallut un effort incommensurable pour se redresser sur ses avant-bras. Ses membres tremblaient tant qu'il lui fallut plusieurs essais pour retirer les cheveux qui obscurcissaient ses yeux. Quelques mèches collèrent à sa joue ; blanc teinté de rouge. Sous ses doigts, elle sentit une fine estafilade.

— Pardonne-moi.

L'Obscurial était à genoux, face à elle. Les mains posées au sol, il retenait ses sanglots. Sa colère s'était évanouie en même temps que la noirceur qui l'avait envahi. Il ne restait que l'autre moitié de son être, dévastée par les révélations auxquelles elle avait été soumise. Une tristesse sourde causée par celle qui prétendait pourtant l'aimer.

— C'est à moi de m'excuser, chuchota Esther, criblée de culpabilité.

Les larmes inondèrent leur visage, comme si toute l'eau de leur corps cherchait à rejoindre sa congénère en dehors des murs. Plusieurs coups de tonnerre retentirent avant que Credence ne se relève.

— Je ne peux pas rester ici, chuchota-t-il.

— Je comprends.

Il se traîna jusqu'à la porte, le dos courbé et les jambes lourdes. Il semblait avoir vieilli d'une cinquantaine d'années en quelques secondes. Alors qu'il atteignait la porte, il se retourna.

Les deux amants se dévisagèrent, cherchant sûrement à mémoriser chaque infime détail de l'autre.

— Je suis désolée, répéta de nouveau Esther. Je n'aurais pas dû te faire ça. Ou j'aurais dû te dire la vérité plus tôt. J'avais juste peur de te perdre... (Un sourire amer fleurit sur ses lèvres.) Je t'aime.

C'était une première pour Esther. Dire ces mots et les penser. Pourtant, elle ne ressentit aucun soulagement, car le temps des déclarations d'amour était révolu.

Credence posa le front sur la porte. Ses doigts étaient crispés autour de la poignée. Son silence fut une réponse à part entière. Peut-être aurait-il mieux valu qu'il s'en tienne à ça ?

— Je t'aimais aussi, avoua-t-il dans un souffle avant de la quitter.

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