29| La vérité
Aucun mot n'aurait pu défendre Esther face au regard meurtrier de Vinda.
Elle avait fauté et protester ne lui aurait été d'aucun recours. Elle accepta de retourner à Nurmengard et supporta sans se plaindre la poigne dévastatrice de sa belle-sœur sur son avant-bras.
Vinda lui fit poser une main sur la montre à gousset qu'elle tenait, puis il y eut un flottement. Un échange silencieux entre Vinda et Grindelwald qui résulta en une séparation. Credence, le visage froissé par l'incompréhension, resta à Paris, en compagnie de Grindelwald, tandis que les deux femmes s'évanouissaient dans l'air.
Vinda ne lâcha pas Esther à leur arrivée dans la cour de Nurmengard. Au contraire, elle l'entraîna dans son sillon, droit vers l'entrée du château et, plus précisément, le bureau du maître des lieux. En chemin, Vinda n'accorda pas à un regard à Eugen, adossé contre un lampadaire, la cigarette à la bouche. Si elle l'avait fait, elle aurait lu sur son visage que ce dernier comptait rapporter fidèlement la scène à son plus proche ami. Esther en eut l'estomac noué. Après tous les évènements de la journée, elle savait qu'elle n'aurait pas la force d'échanger avec son fiancé, elle n'était même pas sûre d'en avoir suffisamment pour faire face à Grindelwald. Elle ne souhaitait qu'une chose, se recroqueviller sur son lit, dans les bras de Credence.
À la place et d'un geste brusque, Esther fut poussée dans l'un des fauteuils qui se trouvaient face au bureau de Grindelwald. La sorcière s'enfonça dans le velours en retenant une grimace. Seule sa main, qui vint se poser sur la peau rougie de son avant-bras, trahit sa douleur.
Vinda ne s'attarda pas près d'Esther. Comme si sa proximité pouvait l'infecter, elle se posta aussi loin d'elle qu'il lui était possible. Elle se tint bien droite, de l'autre côté de l'immense bureau en bois massif. Dans son dos, les fenêtres permettaient d'apercevoir le sommet Grossglockner, rendu sombre et inquiétant par les nuages bas. Il semblait presque aussi menaçant que le regard inflexible de Vinda, ombre à peine dissimulée de Grindelwald.
Le silence s'éternisa entre les deux femmes. Lourd et oppressant, comme le temps.
Esther prit conscience de chaque minute, chaque seconde qui s'égrena, comme de la neige fondant entre ses doigts. L'absence prolongée de Grindelwald l'inquiéta, car elle signifiait que Credence n'était pas encore revenu. Elle essayait de se rappeler des paroles de sa grand-mère, de tout ce qui avait été dit et qui aurait pu expliquer l'expression confuse de celui qu'elle aimait, mais son esprit n'y mettait pas du sien. Ses pensées revenaient sans cesse à ses parents, tués par celui qu'elle considérait comme son mentor. Et à la peur sous-jacente qui grandissait en elle d'être confronté à sa version des faits.
— Je ne te pensais pas aussi inconsciente.
Ce fut Vinda qui rompit le silence la première. Retenir son venin aussi longtemps avait déjà été un exploit.
— Après tous les sacrifices que nous avons faits pour convaincre Aurelius de nous rejoindre, pour l'emmener en lieu sûr... De quel droit te permets-tu de lui faire quitter les lieux sans notre autorisation ? Sans même nous en parler ?
Le besoin de se protéger du poison de ces mots gonfla en Esther. Elle faillit croiser les bras sur sa poitrine, mais se retint. Elle savait l'image que cela renverrait d'elle. Celle d'une petite fille blessée.
À la place, elle leva le menton et garda le silence. De toute manière, il ne valait mieux pas qu'elle fasse entendre le fond de sa pensée. Après tout, n'était-ce pas elle qui avait fait tous les sacrifices ?
— Tu ne pourras pas rester silencieuse éternellement, prévint Vinda.
Ce fut comme si ses mots avaient conjuré l'entrée de Grindelwald. Le sorcier pénétra dans son bureau et retira son pardessus noir qu'il accrocha au porte-manteau près de la porte. Puis, d'un pas lent et maîtrisé, il rejoignit Esther en s'installant sur le fauteuil à côté du sien.
La jeune femme déglutit, mais soutint le regard vairon de son mentor.
— Esther, souffla-t-il, ma chère enfant.
Sa voix était tendre, étrangement conciliante, comme si cette confrontation le peinait d'avance.
— Que s'est-il passé à Paris ?
La sorcière haussa vainement les épaules. Il s'était passé tant de choses dans la Ville Lumière qu'il lui paraissait impossible d'en faire un condensé.
— Que voulez-vous savoir ?
Grindelwald dévisagea intensément la jeune femme. Elle sentit le poids de son attention jusque dans son crâne. Une brèche, dans son esprit, un éclair de souvenirs, détourné juste avant son éclosion par la voix amère de Vinda :
— Commence par nous dire pourquoi tu t'es rendue là-bas.
Esther prit un instant à répondre, laissant son corps se remettre de l'étrange vertige qui l'avait saisi.
— Tu cherchais des réponses sur l'identité de tes parents, supposa Grindelwald en s'enfonçant dans son fauteuil. C'est pour ça que tu as rendu visite à Suzanne.
La sorcière acquiesça.
— La quête d'Aurelius a déteint sur toi, n'est-ce pas ?
— Il semblerait, concéda Esther, mais ce n'est pas sa faute. J'y pensais depuis plusieurs années déjà.
— Je sais, avoua Grindelwald. Ce n'était qu'une question de temps... Mais pourquoi as-tu emmené Aurelius avec toi ?
— Il voulait m'aider à découvrir la vérité, comme je l'avais aidé le mois dernier.
— Mais il n'était pas obligé de t'accompagner sur place, si ?
— Non, bien sûr, mais c'était plus simple qu'il soit là, pour convaincre madame Jombart de nous aider. Elle ne m'aurait pas parlé autrement.
Vinda entrelaça ses doigts, essayant tant bien que mal de contrôler son agacement.
— Pourquoi n'as-tu pas attendu qu'elle revienne au château ? demanda-t-elle.
Le silence d'Esther fut éloquent. Grindelwald la dévisagea de nouveau et elle se prépara à un impact qui ne vint jamais.
— Ne te souviens-tu pas de tous les efforts que nous avons entrepris pour qu'Aurelius quitte Paris ?
— Si, évidemm-
— Qu'aurais-tu fait si vous étiez tombé sur des Aurors ? Renchérit-il. S'ils avaient reconnu Aurelius et tenté de l'arrêter ?
— Je les en aurais empêché.
— Et si tu n'en avais pas été capable ?
Esther se tourna vers Vinda et répéta les mots qu'elle lui avait tant seriné :
— L'échec n'est pas une solution envisageable.
Sa belle-sœur se fendit de l'esquisse d'un sourire. Un semblant de fierté brillant dans ses pupilles.
— Bien, reprit Grindelwald. Maintenant, dis-moi, qu'as-tu découvert à Paris ?
Esther baissa le visage sur ses mains, se concentra sur ses mots.
— Que ma mère s'appelait Catriona Malefoy. Qu'elle est enterrée au cimetière du Père Lachaise.
— Quoi d'autre ? interrompit Vinda.
Grindelwald la fit taire d'un geste de la main.
— Que j'ai une grand-mère du nom de Marietta, continua Esther.
— J'en déduis que tu l'as rencontré ? (Esther approuva.) Charmante femme, n'est-ce pas ? Dit Grindelwald avec un demi-sourire.
Esther sentit ses épaules se détendre quelque peu.
— Elle aimerait être invitée au prochain raid, se sentit-elle obligée de transmettre à Vinda, comme on le lui avait demandé.
— C'est noté, répondit sèchement sa belle-sœur.
— Et que t'as dit Marietta ? demanda Grindelwald.
— Elle m'a dit que vous connaissiez mes parents, commença Esther en serrant les poings. (Faisant attention à garder sa voix aussi stable que possible, elle ajouta :) Et que vous les aviez tués.
Vinda se transforma en une statue de pierre. Inflexible et illisible. À l'inverse, Grindelwald posa un coude sur l'accoudoir de son fauteuil et soutint le regard de la jeune sorcière en face de lui. Il ne semblait nullement peiné par cette accusation.
— T'a-t-elle exposé les raisons de mon geste ?
Esther sentit la dague logée dans son cœur se déplacer, aggravant la plaie déjà béante de ses sentiments. Une infime part d'elle, celle qui n'avait pas souhaité y croire, venait de succomber à ses blessures. Alors la sorcière pâlit, mais répondit :
— En représailles de la dénonciation de mon père.
— Ce sont les mots qu'elle a utilisés ? S'étonna son interlocuteur.
— Non, avoua Esther.
— C'est ce que tu crois ?
Esther ne croyait réellement en aucune des hypothèses. Tout lui paraissait désormais possible et n'importe laquelle des vérités la blesseraient tout autant. À quoi bon choisir sa préférée ?
— Je dois te parler de Peter, Esther. Tu ne te souviens pas de lui et nous ne t'avons jamais parlé de lui non plus. Il y a une raison à cela.
Grindelwald se leva pour se placer en face de la sorcière. Appuyé contre son bureau, il continua :
— Peter n'était pas un homme mauvais, bien au contraire, il était aimable et agréable. Ta mère l'aimait et cela en disait déjà beaucoup sur lui. Mais, le souci, c'était qu'il n'avait pas de vision, il ne comprenait pas mon ambition et même pire, il la craignait. Il pensait que je voulais régner, alors que mon but premier est de rendre notre monde meilleur. De se séparer de la peur et des masques et d'accepter notre puissance. Mais tout cela, tu le sais déjà. Tu y crois, tout comme moi. Tout comme Catriona y croyait.
Le charisme de Grindelwald suintait de chaque pore de sa peau. Pour la première fois de sa vie, il ne discourait que pour Esther et cette dernière s'accrochait à chacun de ses mots comme s'ils représentaient une bouée de sauvetage.
— Un soir, alors que nous dînions chez les Fauchet, j'ai expliqué à ton père que pour permettre aux sorciers de s'élever, alors les moldus devraient s'abaisser. Ce ne fut que quelques mots, au détour d'une conversation, mais Peter en a fait un esclandre public. Il a protesté... en faveur des moldus. Ta mère en avait rougi de honte, confia Grindelwald en posant une main réconfortante sur l'épaule d'Esther. Forcément, Peter ne s'est pas arrêté à cette scène. Dès le lendemain, il a rapporté mes paroles au Ministère et comme te l'a sûrement mentionné Marietta, leur enquête n'a rien donné. Mais désormais, le Ministère me connaissait et, à partir de ce jour-là, il m'a surveillé et cela m'a fermé les portes de nombreuses grandes familles parisiennes. Des familles qui, encore aujourd'hui, hésitent à m'accueillir de nouveau dans leurs rangs. Ton père ne m'a pas seulement fait passer une journée très éprouvante en compagnie des Aurors français, il a aussi décrédibilisé notre cause et affaibli le réseau de partisans que je commençais à bâtir dans ce pays. J'ai perdu de nombreuses années à cause de lui. Nous tous, nous avons perdu de précieuses années. Ton père voulait nous empêcher de revendiquer notre place légitime. Pour le plus grand bien, je devais l'empêcher de continuer à polluer les esprits des sorciers parisiens. Et c'est ce que je fis. Comprends-tu à présent ?
Esther acquiesça.
— Pourquoi était-il comme ça ? Pourquoi ne voyait-il pas l'évidence ?
— Certains sorciers ne sont simplement pas assez instruits pour savoir ce qui est le mieux pour eux. Ils ne peuvent appréhender une telle vision de l'avenir et c'est impossible d'y remédier. Heureusement pour toi, Esther, tu n'as pas hérité de ce défaut. Comme nous tous, tu vois clairement le chemin qui est tracé en face de nous et tu n'en as jamais dévié. Je suis fier de toi et de ton parcours.
La sorcière se sentit rayonner. Elle n'avait jamais souhaité que la reconnaissance de ses pairs et, pour la première fois, elle lui était offerte. Malgré ses errances et ses doutes, Grindelwald venait de lui pardonner. Il ne lui tenait même pas rigueur des erreurs de son père. Elle sentit, dans l'expression presque paternelle de Grindelwald, que c'était à elle de redorer le blason de sa famille.
— Je ne regrette pas ce qui est arrivé à Peter, reprit Grindelwald. Par contre, je m'en voudrais toujours pour Catriona.
Le sorcier contempla Esther quelques instants.
— Tu lui ressembles tant. Je lis la même force de caractère dans tes yeux, et la même loyauté sans faille. Catriona était une sorcière admirable, elle avait assimilé très jeune que sa place en tant que femme était aux côtés de son mari. Quelles qu'auraient été leurs divergences d'opinion, elle aurait toujours soutenu Peter. Malgré ses torts, elle l'a protégé. Même si le destin a utilisé mon bras pour lancer le sort, c'est son serment de fidélité à un homme défaillant qui l'a tué.
Vinda s'approcha, le claquement de ses bottines à talons étouffé par l'épais tapis qui recouvrait le parquet.
— Je n'ai pas tant côtoyé Catriona, mais je suis persuadée qu'elle serait fière de te savoir à nos côtés, de se rendre compte que sa fille agit pour le bien commun, comme elle aurait aimé pouvoir le faire.
— Je me doute qu'il est difficile d'apprendre la vérité de cette manière, reprit Grindelwald. Nous te l'avons caché, car nous ne voulions pas que les erreurs de tes parents pèsent sur tes épaules. Tu n'es pas responsable de leur manque de foi et je ne t'en tiendrai jamais rigueur. Malgré cette légère incartade, tu m'as suffisamment prouvé ta fidélité.
— Merci, murmura Esther. Mais je ne referai plus une telle erreur.
Grindelwald approuva d'un signe de tête.
— Je n'en doute pas une seconde.
Esther posa ses doigts fins sur le médaillon qui reposait sur son sternum. D'une certaine manière, sa présence à Nurmengard réparait les torts de ses parents. Et, malgré leurs défauts, elle se rendait compte que cela n'avait pas altéré les sentiments qu'elle éprouvait pour eux. Ils étaient moins éclairés qu'elle et, comme Grindelwald le faisait avec elle, elle ne leur en tiendrait pas rigueur.
— Tu peux disposer, conclut Grindelwald en s'installant dans le fauteuil derrière son bureau.
Alors qu'Esther atteignait la porte, il reprit :
— S'est-il passé quelque chose entre Aurelius et toi à Paris ?
La sorcière prit quelques secondes pour se repasser le film de l'après-midi dans sa tête.
— Rien de particulier.
— Pourtant, quand nous vous avons rejoint, je l'ai trouvé très incertain. Perdu, presque. Il n'a pas osé me faire part de son trouble, mais j'ai bien senti qu'il semblait réticent à revenir ici. Tu n'as vraiment aucune explication ?
— Non, avoua Esther.
La déception se lut sur le visage du sorcier. La jeune femme sentit ses épaules s'affaisser.
— Dans ce cas, découvre-la, ordonna-t-il.
Son ton n'offrait pas le droit à l'échec.
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