22| Comme au bon vieux temps

Le lendemain matin, la sorcière fut réveillée par des bruits de pas dans le couloir. Furtifs, mais nombreux, ils indiquaient le retour des sorciers au château alors que le soleil se levait sur les montagnes. La courte oasis de paix dont Credence et elle avait profité la veille était désormais terminée. Elle força son corps endormi à se lever et posa ses pieds sur le tapis doux qui recouvrait le plancher à côté de son lit. Le grincement caractéristique de la porte de chambre de Florien parvint à ses oreilles tandis qu'elle enfilait un peignoir et s'arrêtait face au miroir sur pied qui se tenait près de sa propre porte. Esther passa une main dans ses cheveux tout en s'étonnant du visage rayonnant qui se reflétait face à elle. Aux souvenirs de la veille, un sourire fleurit sur ses lèvres, encore sensibles, mais elle les refoula et sortit dans le couloir désert.

Ses pas la menèrent face à une porte en bois mat contre laquelle elle frappa deux coups légers avant de pénétrer dans la pièce. Elle trouva Florien assis à son bureau, occupé à retirer ses chaussures. Son manteau avait déjà été lancé sans cérémonie sur un fauteuil.

Esther referma la porte derrière elle tandis que Florien la saluait distraitement, ses doigts fatigués se battant avec ses lacets. Le jeune homme était trempé de la tête au pied et ses cheveux gouttaient sur le sol.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? Demanda Esther, en désignant du menton la flaque d'eau qui grossissait aux pieds de son fiancé.

— Un peu de grabuge avec des Aurors, lui répondit-il avec un sourire. Il nous a fallu rester quelque temps sous la pluie.

Dans un grognement de satisfaction, il laissa tomba sa deuxième chaussure au sol et s'affala sur sa chaise. Quelques mèches de cheveux noirs tombèrent devant ses yeux et camouflèrent le regard qu'il lui lança à la voir ainsi figée, à le jauger de loin.

— Tu es bien distante, ce matin.

— Tu as l'air fatigué, je ne vais pas te déranger plus longtemps.

— Ne dit pas de bêtises, viens.

Il tendit les bras vers elle et ce geste seul attira le corps d'Esther jusqu'à lui. Elle s'assied sur ses cuisses humides et se laissa aller dans ses bras, l'espace d'un instant fugace, avant de demander.

— Comment s'est passé son discours ?

— Sans souci. Grindelwald prêchait des convertis. Il n'y a eu aucune protestation dans l'assemblée, souffla Florien en caressant le dos de la jeune femme. Et pourtant, il y avait quasiment quatre cents sorciers.

Esther écarquilla les yeux. Ils avaient été moins nombreux à Paris.

— Le bouche-à-oreille fonctionne, s'extasia-t-elle.

Florien acquiesça, puis déposa un baiser dans le cou d'Esther.

— Tu te souviens de ce que nous faisions avant que je doive partir ? Demanda-t-il en glissant ses mains sous le peignoir de la jeune femme.

Esther ne ressentit rien au contact des doigts froids de Florien sur sa peau nue et préféra se lever avec douceur, déposant, dans le même mouvement, un baiser sur les lèvres de son fiancé.

— Je suis dans mes mauvais jours.

Florien soupira, mais la laissa s'éloigner. La fatigue sur ses traits sembla s'accentuer.

— Est-ce que tu penses être suffisamment en forme pour nous accompagner demain, au raid prévu à Moscou ? Ça me ferait plaisir que tu viennes. Comme au bon vieux temps.

Esther ne se voyait pas lui refuser de nouveau quelque chose, alors elle accepta. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas participé à un raid et elle savourerait sûrement plus la compagnie de son meilleur ami dans ces conditions.

— Nous partons au coucher du soleil, demain soir, lui indiqua-t-il en se levant et en retirant son pull trempé pour se préparer au coucher. N'en parle pas à Aurelius.

— Il n'y a aucun risque, le rassura-t-elle en sortant de sa chambre sur la pointe des pieds.

Elle passa les minutes qui suivirent son entrevue avec Florien à réfléchir à une excuse pour justifier son absence du lendemain soir auprès de Credence, mais elle n'eut même pas à l'utiliser. Lorsque, un peu plus tard, elle croisa l'Obscurial dans les escaliers menant au deuxième étage, il lui annonça son départ, le lendemain matin, en compagnie de Grindelwald.

— Où partez-vous ? S'enquit Esther.

— Je ne sais pas, il ne m'a rien dit.

La sorcière fronça les sourcils, interloquée, mais décida de ne pas creuser le sujet. De toute évidence, Grindelwald éloignait délibérément Credence du château et ce n'était pas Esther qui allait se plaindre. Cela lui épargnait un mensonge.

— C'est sûrement en rapport avec ta famille, conclut la sorcière en touchant distraitement son pendentif, caché sous sa chemise.

Credence haussa les épaules, il paraissait peu enclin à y réfléchir. Ses pensées semblaient être distraites par tout autre chose, et ce furent ses yeux, qui s'attardaient continuellement sur la bouche d'Esther, qui en trahi le contenu.

La jeune femme se mordit la lèvre et Credence se rapprocha subrepticement. Cet infime mouvement mit le corps d'Esther en surchauffe. Elle posa ses mains sur le torse de l'Obscurial, savourant la douceur de son veston et s'aventurant à quelques caresses qui firent se teinter de rose les joues de Credence.

— J'aurais aimé que la journée d'hier ne s'arrête jamais, chuchota-t-elle en relevant la tête.

— Moi aussi.

Leurs nez s'effleurèrent et d'un commun accord, sans échanger une parole, ils s'embrassèrent. Le même frisson de nouveauté et de pudeur que la veille enveloppa Esther, qui savoura chaque seconde qu'elle osa s'accorder de ce baiser, avant de se détacher de Credence et de jeter un coup d'œil à la cage d'escalier. Heureusement pour elle, aucun sorcier n'était en vue, mais Esther n'était pas dupe et elle savait qu'un tel château avait des yeux et des oreilles dissimulés partout. Florien avait beau ne plus l'espionner, elle ne souhaitait pas pour autant tomber dans la complaisance et se montrer imprudente. Elle devait encore garder cette jeune étincelle entre elle et Credence secrète, ne serait-ce que pour lui permettre de s'enflammer et de résister, ensuite, aux flots qui s'abattraient sur eux. Elle lui lança donc un sourire ravi et dit :

— On ferait mieux de ne pas s'attarder, sinon Mme Jombart va venir te chercher.

Aussi simplement que ceci, leurs pas se synchronisèrent de nouveau sur les marches grinçantes de l'escalier en bois. Esther irait passer sa journée dans un petit bureau, à gérer la correspondance de Grindelwald, et Credence occuperait les prochaines heures en compagnie de sa professeure de la journée. Si Esther se souvenait correctement de leurs conversations, Suzanne Jombart lui enseignait l'histoire de la magie, et cela, de la manière la plus ennuyeuse possible : en citant de vieux livres poussiéreux et en s'attardant sur la vie de sorciers d'importance mineure morts depuis des siècles. Pourtant, Credence semblait captivé par tout ce que lui racontait la vieille dame.

— Nous étudions actuellement la vie d'Elfrida Clagg, lui indiqua-t-il en atteignant le deuxième étage. C'est passionnant !

— Je n'en doute pas, s'amusa Esther en s'arrêtant devant la porte ouverte de la bibliothèque. Tu me raconteras tout ce soir ?

Credence salua Suzanne Jombart, qui l'attendait à l'intérieur de la bibliothèque, puis fit un léger oui de la tête à Esther. Il était étrange, pour les deux amis, de se quitter ainsi, sans chercher à s'envelopper une dernière fois dans la chaleur de l'autre, mais ils n'avaient plus le choix, le regard scrutateur de la vieille sorcière était rivé sur eux. Alors Esther s'éloigna, laissant une partie de son cœur derrière elle.

La journée fut laborieuse pour la jeune femme, autant pour son esprit que pour son corps. Vinda lui avait assigné l'écriture d'une centaine de lettres afin de remercier les partisans les plus impliqués de Grindelwald de leur présence au discours de Berlin la veille. Chaque missive devait être soigneusement pensée pour être la plus personnelle possible. Pour cela, Abernathy avait été désigné pour souffler à Esther les phrases les plus appropriées, sa langue fourchue s'évadant de sa bouche à chaque nouvelle intervention. La jeune femme essaya le plus possible de faire attraction de son compagnon d'infortune dont les spécificités physiques la rendaient particulièrement mal à l'aise. Heureusement pour elle, Vinda rappela Abernathy quand le soleil entama sa descente derrière les montagnes. Le sorcier griffonna à la va-vite les informations nécessaires à la rédaction des lettres restantes et s'éclipsa dans le bureau de Grindelwald. La tension dans les épaules d'Esther diminua au fur et à mesure que la conversation entre ses aînés s'éternisa.

La jeune femme continua sa tâche, les doigts crispés autour de sa plume. Dans son dos, le ciel se para d'étoiles aux lumières vibrantes. Le sommeil commençait à courber ses épaules quand Esther apposa le point final de sa dernière lettre. Elle cacheta aussitôt le parchemin et le déposa délicatement dans le panier débordant à ses pieds. Un soupir d'aise lui échappa malgré la raideur de ses doigts. Elle soulagea la tension de ses mains en faisant craquer ses articulations, puis fit de même avec plusieurs vertèbres de son dos. Un bâillement lui échappa. Elle n'avait pas besoin de lire l'heure qu'affichait l'horloge murale pour savoir qu'il était tard. Elle se frotta le visage, déposa le panier de lettres sur le bureau et s'éclipsa.

Dans le couloir menant à sa chambre, toutes les portes étaient closes. Esther s'arrêta devant sa porte, mais son regard coula en direction de celle de Credence. Son corps lui intima de rejoindre le sorcier, comme elle le faisait régulièrement. Elle se demanda ce que cela ferait de dormir avec lui, maintenant que les circonstances avaient changées. Leur rapprochement se prolongerait-il dans l'intimité de sa chambre ou était-il encore trop tôt pour cela ?

La jeune femme posa son front sur sa porte. Les yeux fermés, elle prit une grande inspiration puis pénétra dans sa propre chambre. Elle ne voulait pas prendre le risque de gâcher ce qui naissait entre eux. Elle préféra s'endormir seule dans un lit qui lui parut bien trop grand pour elle.

Elle regretta amèrement cette décision lorsque, à son réveil, elle réalisa que Credence était parti. Vers une destination inconnue et pour une durée indéterminée. Esther combla le vide qui se creusa en elle en redoublant d'ardeur dans son travail. Elle passa la matinée dans la volière, à distribuer chacune de ses lettres manuscrites aux chouettes sauvages de Nurmengard. Couvertes de légères morsures, elle passa ensuite l'après-midi à dénicher le lieu parfait pour le prochain discours de Grindelwald à Vienne. Quand elle le trouva, elle obtint l'accord de Vinda pour envoyer Abernathy en éclaireur sur place. Le temps lui fila entre les doigts si bien qu'elle fut étonnée quand Florien vint l'arrêter dans son travail.

— On va bientôt partir, tu es prête ?

Esther lâcha sa plume de surprise. Une tache d'encre enfla sur le document qu'elle recopiait et elle jura à voix basse.

— Je m'en occupe, intervint Florien, la baguette déjà à la main. Va te changer.

La sorcière le remercia du regard et, alors qu'elle passait à côté de lui, il l'arrêta d'une main sur sa taille fine. Ses yeux sombres étaient affamés. Esther savait qu'elle ne lui avait que trop longtemps dénié l'intimité qu'il désirait. Alors, elle l'embrassa et il lui répondit avec fougue. L'absence de Credence n'en fut qu'amplifiée. Esther ressentit, plus fortement qu'auparavant, que leurs lèvres n'étaient pas faites pour se sceller, que l'échange n'était pas aussi naturel et agréable que celui qu'elle avait eu avec un autre sorcier brun.

Tandis que la langue de Florien caressait ses lèvres, Esther se mit à penser qu'elle pouvait duper son cerveau. Elle n'avait qu'à penser que les mains qui remontaient le long de son dos étaient celles noueuses de Credence, que la nuque contre laquelle elle reposait ses doigts était celle de l'Obscurial. En fermant suffisamment les yeux, elle put l'envisager. Son corps s'arqua et sa langue se mêla à la partie.

La réalité ne reprit sa place que lorsque Florien mit fin au baiser, le souffle court.

— Même si je passe un excellent moment, il est temps de s'arrêter, chuchota-t-il en remettant délicatement une mèche blanche derrière l'oreille d'Esther.

Il regarda sa montre avant d'ajouter :

— Les portoloins partent dans quatorze minutes. Je me dépêcherais si j'étais à ta place.

Esther se retira de la pièce en acquiesçant. L'esprit trouble, elle se rendit jusque dans sa chambre où elle remplaça sa jupe longue par un pantalon Jodhpur marron et son chemisier en soie par une chemise rigide et une veste cintrée. Cette tenue lui rappela de vieux souvenirs de raids passés et l'aida à s'ancrer de nouveau dans le présent.

Sa baguette glissée dans la poche intérieure de sa veste, elle rejoignit la cour, deux minutes à peine avant le départ des portoloins. Une vingtaine de sorciers, répartis en groupes de trois ou de quatre, occupait l'espace. Chaque personne présente ce soir-là était triée sur le volet parmi les plus proches partisans de Grindelwald. Peu de sorciers avaient l'étoffe pour ce type de raid éclair.

Esther ne connaissait jamais les détails des raids et comment Grindelwald prenait la décision d'en organiser, mais elle avait vite compris l'intérêt de ces rares évènements. C'était une manière efficace d'éliminer leurs opposants tout en distillant la terreur chez les moldus et en satisfaisant les besoins de ses plus proches fidèles. Grindelwald récoltait aussi, parfois, la gratitude des sorciers locaux. En définitive, il était gagnant sur toute la ligne, même s'il ne participait jamais à ces évènements.

Parmi tous les sorciers présents ce soir, Esther rejoignit, comme de coutume, Eugen et Florien, qui la saluèrent d'un vague hochement de tête.

— Que regardez-vous ? Demanda-t-elle en se tournant, comme eux, en direction du château.

— Tu avais raison, chuchota Eugen en ignorant royalement la question d'Esther. C'est sur nous que ça va tomber.

Le visage de Florien s'assombrit.

— Par la barbe de Merlin...

La sorcière fronça les sourcils jusqu'à ce qu'elle aperçoive Vinda marcher droit sur eux, suivie de près par Florentina Coller.

— Déjà ? Mais elle n'a que-

— Elle a l'âge requis. C'est juste qu'elle ne les fait pas, répondit Eugen en inspirant une bouffée de sa cigarette.

Esther reporta son attention sur Florentina. Un visage rond et de longs cheveux roux qui lui donnaient quatorze ans. Pourtant, si elle se trouvait ici, c'était qu'elle en avait déjà seize.

— Florien, Eugen, Esther, ce soir, votre escouade vient de gagner un membre, annonça Vinda en s'arrêtant face à eux. Montrez les bases du travail à Florentina, puis assignez-lui l'une des éliminations.

Florien ouvrit aussitôt la bouche pour protester, mais Vinda le coupa de son regard hypnotique :

— Ce sont vos ordres.

Elle dévisagea chaque sorcier tour à tour, s'attardant plus que de raison sur Florentina qui triturait sa baguette. Sa présence en leur compagnie était le fait de sa mère, Ariana ; tout le monde le savait. Florentina n'avait pas l'étoffe d'une guerrière, elle passait plus de temps le nez dans des romans qu'à perfectionner sa magie. Ils leur semblaient improbables qu'elle sache se protéger d'une attaque et encore moins qu'elle puisse en être l'instigatrice. Mille Vélanes, elle n'était déjà pas capable de se protéger de Marcus Carrow ! Sans la protection de sa mère, elle se serait déjà retrouvée mariée de force au sorcier depuis belle lurette.

— Préparez-vous, nous partons, conclut Vinda en les quittant.

Le silence se fit à mesure qu'elle se déplaça jusqu'au centre de la cour, au niveau des portoloins.

Les épaules affaissées, tout enthousiasme les ayant quittés, le trio devenu quatuor se rapprocha d'une des quatre chaussures marron qui trônait dans la cour. Eugen écrasa sa cigarette sans ménagement, tandis que Vinda observa sa montre à gousset, un sourcil haussé. Tous les sorciers attendaient son signal, le bras tendu, prêts à toucher l'une des chaussures autour de laquelle ils s'étaient rassemblés. Le signal fut donné quand Vinda ferma sa montre d'un claquement sonore. Les mains se ruèrent en avant, puis tout devint flou. Les corps se déformèrent, se mélangèrent, les couleurs se brouillèrent et Esther tourna sur elle-même. Encore et encore. Jusqu'à ce que ses pieds s'écrasent sur de l'herbe verte, légèrement humide, et que le souffle froid du vent repousse ses cheveux de son visage. Elle chercha aussitôt Florentina du regard et la découvrit recroquevillée sur elle-même, le contenu de son estomac se répandant sur le sol. Eugen s'esclaffa, suivit de bien d'autres, mais Vinda coupa de nouveau court à toute distraction :

— Cette nuit, nous attaquons le district d'Izmaïlovo, à l'est de la ville. De nombreux moldus, anti-sorciers, y vivent. Des rumeurs de persécutions de sorciers moscovites sont parvenues jusqu'à Grindelwald. Nous sommes ici pour y mettre un terme. Je vais attribuer à chaque groupe plusieurs adresses. Vous avez pour ordre de vider les habitations de leurs habitants. De tous leurs habitants. Pas de survivants, siffla-t-elle en tendant un morceau de parchemin au groupe de John Tulfow, connu pour épargner les enfants. Pas de détour non plus. Lorsque votre mission est terminée, vous revenez immédiatement ici.

Vinda menaça Marcus Carrow de son regard inflexible et ce dernier prit à contrecœur le parchemin qu'elle lui tendait.

— Les portoloins repartent dans une heure. Ne soyez pas en retard.

Vinda tendit un morceau de parchemin à Florien avant de faire de même auprès du cinquième et dernier groupe.

— Qui sont nos cibles ? Demanda Esther.

— Dimitri et Yulia Magomedov. Anton Chernov. Yvan et Anja Alieva. Par contre, les adresses sont écrites en russe.

— Je m'en occupe, intervint Eugen en sortant de la poche intérieure de sa veste une carte de Moscou, très vraisemblablement arrachée à un livre de la bibliothèque du château.

Esther se pencha sur la carte. Trois disques de lumières dorés se mirent à étinceler autour du parc Izmaylovsky.

— Les maisons sont proches les unes des autres. Ça peut faciliter, comme compliquer, notre mission.

— On tâchera d'être discret. Transplanons ici, proposa Florien en désignant l'extrémité sud du parc. On a une cible chacun-

— Et la cinquième est pour moi, annonça d'emblée Eugen avec un sourire carnassier.

— Seulement si tu es le plus rapide, contrecarra Florien.

— Si vous étiez gentleman, vous me la laisseriez, intervint Esther.

Florien passa un bras autour de ses épaules.

— Comme si tu avais besoin de notre permission pour te servir. Que le meilleur gagne !

Sur ces mots, Eugen et Florien transplanèrent, abandonnant Esther en compagnie de Florentina. Cette dernière n'avait pas encore prononcé un seul mot.

— Tu es prête à transplaner ?

Florentina acquiesça, ses longs cheveux roux cachant ses yeux.

— Tu veux que je te guide ? Proposa-t-elle.

L'adolescente hésita. Sa main diaphane tremblotant au-dessus du bras que lui tendait Esther.

— D'accord, souffla-t-elle finalement.

À la seconde où Esther sentit une prise suffisamment ferme sur son bras, elle transplana. Sans aucun repère pour se diriger autre qu'une carte très rapidement étudiée, Esther les fit apparaître toutes les deux dans un buisson. Le bruit de branches se cassant en mille morceaux alerta leurs compagnons de leur arrivée. Florien aida Esther à se dégager, mais personne ne tendit la main vers Florentina. Eugen leur faisait déjà signe de le rejoindre à la sortie du parc. De là, il leur montra une petite maison carrée à une dizaine de mètres d'eux. Les murs sombres étaient entrecoupés de deux fenêtres éclairées.

— Il fait déjà nuit noire, ça va être un jeu d'enfant ! Même pour toi, se moqua Eugen en posant sa main sur l'épaule de Florentina.

Le geste brusque la fit sursauter et lâcher sa baguette. Florien lança un regard désespéré à Esther, par-dessus la silhouette de la jeune fille. Florentina n'était pas prête et il était évident qu'ils allaient devoir batailler toute la nuit pour réussir à tirer un sort de sa baguette.

Eugen se garda de tout commentaire, mais dès que Florentina fut de nouveau armée, il ouvrit la voie. Leur approche se fit en silence. La porte d'entrée ne résista pas à son sort et il s'engouffra à l'intérieur de la maison, suivi par trois ombres qui disparurent dans les tréfonds de la demeure.

Les sorciers débouchèrent dans un salon, éclairé faiblement par une lumière orangée qui s'évadait de la cuisine. Une conversation en russe faisait vivre cet intérieur, entrecoupé par des tintements de vaisselle. Esther sortit sa baguette, Eugen se recoiffa et Florien se tint légèrement plus droit. Tous trois profitèrent de l'instant, grisés par l'adrénaline de pénétrer chez des inconnus et de savoir que, quelques instants plus tard, ils auraient eu le pouvoir de mettre un terme à plusieurs vies. Esther pouvait se complaire dans ce sentiment de toute-puissance longuement, mais Eugen était impatient et l'attente lui était insoutenable. Déjà, il leva trois doigts pour faire un compte à rebours. Esther se tint en retrait, laissant Florien se tenir derrière Eugen. Elle ne connaissait que trop bien l'appétit de mise à mort des deux sorciers. Ces deux premières cibles leur étaient vitales. Alors, elle ne bougea pas quand ils s'exposèrent à la lumière.

La voix d'un homme retentit, plusieurs mots en russe furent prononcés. Il sembla, aux oreilles d'Esther, entendre une question teintée de choc et de peur. Il n'eut pour réponse qu'un éclair vert. Florien tâcha de faire taire la femme, avant qu'elle n'ait le temps de crier.

C'en était terminé de Dimitri et Yulia Magomedov.

Esther pénétra alors dans la cuisine pour s'imprégner de leur premier succès, mais dès lors, leur victoire lui parut teintée d'amertume. Entre les corps sans vie d'un homme et d'une femme, avachis sur leur chaise, se trouvaient deux jeunes enfants.

Le plus âgé, d'environ quatre ans, regardait ses parents, les yeux noyés de larmes, mais le plus jeune regardait les sorciers avec curiosité. Une cuillère à soupe à la main, il babilla en reproduisant le geste du sort.

— Florentina, à ton tour ! appela Eugen.

La jeune sorcière s'avança jusqu'à lui.

— Que dois-je faire ?

— Eugen... avertit Florien, une main posée sur sa nuque.

— Tue-les. C'est pour ça que nous sommes ici. Et tu n'auras pas meilleure cible d'entraînement.

Florentina écarquilla les yeux, puis faisant force d'un caractère qu'aucun d'eux ne lui avait connu auparavant, elle s'exclama :

— Il en est hors de question.

Eugen se tut, probablement impressionné par l'aura autoritaire, digne de sa mère, que Florentina revêtit brièvement. Par la suite, ses épaules s'affaissèrent et elle se réfugia dans l'entrée, loin des enfants et de la cuisine.

— Laisse tomber, fit Florien en haussant les épaules. Elle n'est sûrement déjà pas capable de tuer un adulte, alors des enfants.

— Ce sont les plus faciles, s'étonna Eugen.

— Est-ce qu'on doit vraiment les tuer ?

Esther sentit le regard de jugement de ses deux camarades se poser sur elle, mais elle ne put détourner son visage des deux jeunes enfants. Le plus jeune s'était remis à manger, tandis que le plus âgé les dévisageait tous les trois, comme si, malgré son jeune âge, il avait compris que sa vie était en jeu.

— Tu n'es pas sérieuse ? Tu n'as pas entendu Vinda ?

— Évidemment que je l'ai entendu, mais... je ne pense pas que ce soit correct.

Eugen leva les bras en l'air.

— Comme si on n'avait pas assez de l'autre, il faut que tu te trouves des scrupules !

— Si nous ne les tuons pas, ils grandiront pour se venger. Ça ne sert à rien de nettoyer la crasse si c'est pour la laisser revenir quelques années plus tard. Tu le sais, pourtant, ce n'est pas la première fois que nous faisons ça, s'étonna Florien. C'est Aurelius qui te met ces idées dans la tête ?

Esther se détacha enfin des jeunes moldus.

— Quoi ? Non, il ne sait même pas que nous faisons ça.

Florien la regarda, perdu. Esther l'était tout autant. Elle était la première surprise de sa réaction.

— Ne m'écoutez pas, je ne sais pas pourquoi j'ai dit ça. Je suis dans mes mauvais jours, ça me détraque sûrement. Finissons-en.

Esther se concentra de nouveau sur les enfants, mais elle sentait l'incompréhension de Florien suivre ses gestes.

— Les femmes, marmonna Eugen en levant sa baguette. Avada Kedavra.

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