16| Qui est Corvus Lestrange ?
La nuit avait déjà recouvert le cimetière du Père Lachaise d'un manteau épais lorsque Esther et ses compagnons arrivèrent. Un aigle brillant d'une lueur argentée les y accueillit. Flottant doucement dans l'air frais de cette soirée de mars, il les guida en direction d'un mausolée.
Immense et oppressant, le bâtiment sombre les accueillit avec froideur. Le nom de la famille Lestrange était écrit en toutes lettres sur sa façade. Esther n'avait entendu que des rumeurs sur cette famille, des ragots qui passaient de bouche en bouche lors de soirées ainsi que des histoires inquiétantes soufflées à bas mot par quelques adolescents téméraires en quête de popularité. Il sembla à Esther qu'elle ne connaissait rien de tangible sur cette famille de Sang-Pur, à part l'existence d'une fille, qui avait depuis longtemps quitté la France pour se réfugier au Royaume-Uni.
Cela n'empêcha pas la sorcière de se sentir gênée lorsqu'elle poussa la lourde porte en bois qui menait à l'intérieur du caveau funéraire ; le sentiment de violer l'intimité de cette famille lui serra le cœur et elle accentua son emprise sur le bras de Credence, qu'elle n'avait pas quitté depuis que Florien et Eugen s'étaient évaporés.
Nagini fut la dernière à passer entre les deux colonnes ivoire de l'entrée et à se retrouver face au tombeau érigé au centre de la pièce. Il était surmonté d'une statue blanche, luisant dans la pénombre. Aucune plaque n'ornait ses côtés.
Le regard rivé sur le pied lisse de l'homme sculpté, Esther sentit la fraîcheur de l'air lui hérisser les poils de la nuque. Si elle faisait abstraction de sa propre respiration, le caveau était d'un silence de mort.
Tout son être lui soufflait de ne pas s'attarder dans cette pièce, mais la possibilité de découvrir un indice sur la véritable identité de Credence l'empêcha de partir. Alors, Esther scruta les murs de pierre, quadrillés de part et d'autre pour abriter d'innombrables urnes funéraires. Celles qui se trouvaient au niveau du plafond étaient si hautes que la lumière des brasiers, qui brûlaient à intervalles réguliers, ne les atteignait pas.
Credence fut le premier à apercevoir une ouverture sur leur droite et à les y guider. Ils se retrouvèrent dans une allée entreposant d'autres urnes et eurent à peine le temps de faire quelques pas que la silhouette d'un homme à l'embonpoint prononcé se découpa dans l'ombre. Les bras levés, il se rapprocha d'un brasier. L'expression résignée qu'il affichait par-dessus sa moustache interpella la sorcière qui fit un mouvement pour sortir sa baguette.
— Ne bougez plus ! Ordonna un deuxième homme, dans son dos.
Esther écarta les mains pour les mettre bien en évidence tandis qu'elle se retournait en direction de la voix. Devant Nagini se trouvait un homme à l'air revêche et au teint mat qui menaçait non pas Esther, mais Credence de sa baguette.
— Nous avons été envoyés ici, souffla Credence avec prudence. Nous ne cherchons pas les problèmes.
— Corvus, fit l'homme, pour toute réponse, comme si ce prénom était la solution à tous ses maux.
Esther sentit son pouls accélérer. Elle n'aimait pas l'intonation de l'homme, entre le soulagement et la hantise. Credence y entendit autre chose, car il fit un pas en avant, sans quitter des yeux l'individu qui le menaçait.
— Qui est Corvus ? Demanda-t-il.
— C'est toi, Corvus. Je t'ai longtemps cherché, reprit l'homme. Et te voilà. Enfin...
La sorcière lança un regard en biais à son ami : son visage perplexe recelait une pointe d'espoir.
— Pourquoi l'appelez-vous comme cela ? Demanda-t-elle.
L'homme ne sembla pas l'entendre. Ou alors, choisit-il simplement de l'ignorer, car un sourire amer orna ses traits, comme si ce qu'il s'apprêtait à faire ne lui procurait aucune joie. L'atmosphère lugubre du lieu ne laissait présager aucune issue positive à cet échange.
— L'heure de ma vengeance a sonné.
L'homme resserra sa prise sur sa baguette, le visage tendu par la détermination, mais ni Nagini ni Esther ne lui laissèrent le temps de lancer son sort. Comme une seule entité, elles formèrent un bouclier devant Credence.
— Poussez-vous ! S'emporta l'homme. Poussez-vous ! Si je dois vous tuer, ainsi que Corvus, je le ferai.
Esther releva le visage, le défiant de mettre ses menaces à exécution.
— Arrêtez ! S'interposa une nouvelle voix.
Une femme fit son apparition derrière l'homme. Petite et fine, elle ne payait pas de mine, mais la détermination de son visage poussait à la prudence.
La baguette levée, elle força l'homme à se retourner vers elle.
— Yusuf.
L'interpellé ne put camoufler sa surprise.
— C'est vraiment toi ? Fit-il en baissant sa baguette, aussitôt imité par la femme. Ma petite sœur ?
Esther observa les deux individus face à elle avec un mélange de stupeur et d'incompréhension. Tout cela faisait-il partie du plan de Grindelwald ? Credence était-il réellement ce dénommé Corvus ? Cette nouvelle venue serait-elle celle qui saurait éclaircir cette histoire ?
L'incompréhension de la sorcière augmenta quand deux nouvelles personnes firent leur apparition derrière la femme à la longue robe pourpre. Esther n'avait jamais vu l'homme aux cheveux bouclés et à la mallette, mais elle reconnut la femme au carré noir. Leur chemin s'était croisé le jour de l'évasion de Credence et de Nagini du cirque. Comme ce soir-là, leurs regards s'entrechoquèrent et elle vit l'inconnue la reconnaître, elle aussi.
Credence ne laissa pas le temps aux nouveaux arrivants de s'immiscer dans la conversation. Le regard fixé sur la jeune femme aux longs cheveux bruns, il s'impatienta :
— S'il est votre frère, qui suis-je ?
— Je ne sais pas, répondit-elle.
— J'en ai assez de vivre sans nom, sans passé, déplora-t-il d'une voix remplie de détresse. Racontez-moi juste mon histoire, après vous pourrez y mettre fin, supplia-t-il le dénommé Yusuf.
— Non, souffla Esther si bas qu'elle fut la seule à s'entendre.
Elle n'avait jamais réalisé que le désir de Credence de connaître sa véritable identité était si fort qu'il était prêt à y laisser sa vie. Elle ne pouvait pas laisser faire ça. Elle mit la main sur sa baguette et vint se placer à côté de son ami, les yeux rivés sur Yusuf.
— Ton histoire est notre histoire, fit ce dernier en observant Credence.
Puis, en se retournant vers la femme, il répéta :
— Notre histoire.
— Non, Yusuf, dit-elle en secouant la tête.
Le désespoir envahissait ses traits, mais Yusuf ne le voyait pas. Il ne sembla même pas écouter la sorcière. Il passa par l'ouverture qui donnait sur la pièce principale du mausolée et, malgré l'expression désemparée de la femme, qui cachait une histoire sombre qu'elle paraissait réticente à partager, elle le suivit. Lentement, les autres spectateurs firent de même. Esther suivit Credence de près, même si elle aurait préféré s'éloigner de tous ces visages qu'elle ne connaissait pas. Elle n'avait pas oublié que le prénommé Yusuf cherchait à tuer Credence, ou du moins, Corvus, et sans savoir où résidait la loyauté des autres sorciers, elle restait sur ses gardes.
Si Credence n'avait pas eu un tel besoin de savoir la vérité, au point même de mettre sa vie en péril, elle aurait transplané avec lui loin d'ici depuis longtemps.
— Mon père était Mustafa Kama, sang-pur d'origine sénégalaise, entama Yusuf d'une voix claire qui emplit la pièce. Un homme remarquable. Et ma mère, Laurena, était tout aussi noble, connue pour sa beauté. Ils s'aimaient profondément. (Sa voix durcit quand il continua :) Ils connaissaient un homme influent, d'une famille Sang-Pur française. Il désirait ma mère. Lestrange utilisa le sortilège de l'Imperium pour la séduire et l'enlever. J'ai voulu l'en empêcher, mais il m'a attaqué. Je ne l'ai plus jamais revue. (Il fit une pause, déglutit.) Ma mère est morte en mettant au monde une petite fille.
Son regard se tourna vers la femme à la robe pourpre.
— Toi, Leta, fit-il.
Esther commença enfin à comprendre cette histoire. La sorcière au visage désemparé était donc Leta Lestrange. Celle dont elle avait tant entendu parler, celle qui avait fui au Royaume-Uni, celle qui était promise à ce caveau à sa mort. Et les histoires qu'elle avait entendues au coin du feu durant son adolescence n'étaient donc pas simplement des mensonges destinés à faire frissonner de peur les plus jeunes.
— La nouvelle de sa mort précipita mon père dans la folie. Avec son dernier souffle, mon père me chargea d'accomplir sa vengeance. Tuer la personne que Lestrange aime le plus au monde. J'ai pensé que ce serait facile. Il n'avait qu'un parent proche. Toi. Mais...
— Dis-le, répondit Leta d'une voix dure.
— Il ne t'a jamais aimée.
Esther admira l'impassibilité que Leta réussit à conserver sur son visage à la suite de ces mots. Elle savait à quel point cela n'était pas un exercice aisé.
— Il se remaria moins de trois mois après sa mort, continua Yusuf. Il ne l'aima pas plus qu'il ne t'aimait. Mais un jour, son fils, Corvus, naquit enfin. Et cet homme, qui n'avait jamais éprouvé l'amour, en fut empli. Seul lui importait son petit Corvus.
Leta ne pipa mot, mais le regard lourd de tension qui passa entre elle et Yusuf créa un moment de flottement que Credence brisa, en s'adressant à la sorcière :
— Donc, c'est la vérité ? Je suis Corvus Lestrange ?
Le frère et la sœur répondirent en même temps. De deux réponses diamétralement opposées. Yusuf confirma d'un oui sonore, mais Leta fut celle qui se répéta avec le plus d'ardeur :
— NON.
Esther sentit l'incompréhension tendre les épaules de Credence. Son regard fit la navette entre les deux sorciers. La jeune femme préféra agripper sa baguette plus fermement. Elle n'aimait pas cette histoire familiale qui se dévoilait face à eux. Yusuf fut celui qui reprit la parole. Tourné vers Credence, une détermination lugubre emplissait sa voix :
— Apprenant que le fils de Mustafa Kama cherchait vengeance, ton père voulut te cacher là où je ne te trouverais pas. Alors, il te confia à sa domestique, qui embarqua pour l'Amérique.
Leta, qui faisait désormais les cent pas, s'exclama :
— Il a envoyé Corvus en Amérique, mais...
— La domestique, coupa Yusuf, Irma Dugard, était une demi-elfe.
Ses mots poussèrent Credence à se détourner de Yusuf pour la première fois depuis le début de sa tirade. Il lança un regard hanté par les événements de la matinée à Esther et Nagini.
— Sa magie était faible et ne laissait aucune trace repérable. Je venais de découvrir comment tu t'étais échappé quand je reçus une nouvelle inattendue. Le navire avait coulé en mer. Mais tu as survécu, n'est-ce pas ?
Credence se retourna vers le sorcier. Dans son regard, Esther lisait qu'il cherchait à se remémorer ce que l'homme lui disait.
— On ne sait comment, par on ne sait qui, tu avais été repêché. « Un fils banni des siens, une fille en grand chagrin, le vengeur reparaît, sorti des flots, ailé. » Voici la fille désespérée, aboya-t-il en direction de Leta puis en pointant sa baguette sur Credence. Toi, tu es le corbeau ailé sauvé des eaux, mais c'est moi... Moi, qui suis le vengeur de ma famille anéantie.
Yusuf fit face à Credence, la baguette pointée sur le jeune homme au regard résigné.
— Je te plains, Corvus, mais tu dois mourir.
Esther eut à peine le temps de lever sa baguette en réponse que Leta cria :
— Corvus Lestrange est déjà mort, je l'ai tué !
Une inspiration étranglée ponctua sa phrase. Elle cacha sa douleur sous une voix déterminée.
— Accio.
Une boîte noire, recouverte de dorures, tomba au milieu de la pièce, résonnant contre la pierre. Yusuf se détourna de Credence. Esther abaissa sa baguette, mais ne put se résoudre à quitter des yeux le désespoir qui hantait son ami. Une nouvelle fois, sa véritable identité semblait lui glisser entre les doigts. Esther déglutit. Cette conversation à n'en plus finir se révélait plus éprouvante qu'elle ne l'avait anticipé. Son ami ne souhaitait pas connaître le récit de toutes les familles Sang-Pur de France, il voulait simplement savoir qui il était réellement.
— Mon père possédait un arbre généalogique étrange, présenta Leta Lestrange en s'agenouillant face à la boîte qui s'ouvrit pour révéler un arbre en trois dimensions. Il n'indiquait que les hommes. Les femmes y étaient représentées en fleurs.
Le silence qui régnait dans le caveau était hantant ; tout le monde était pendu aux lèvres de Leta.
— Magnifiques.
Yusuf s'agenouilla face à elle et aux portraits dessinés des hommes de la famille Lestrange.
— À part, souffla-t-elle.
Esther se détourna de la mâchoire serrée de son ami pour observer cet arbre généalogique ; à la fois d'une beauté poétique et d'une violence brutale pour toutes les femmes de cette famille.
— Mon père m'envoya en Amérique avec Corvus. Irma devait se faire passer pour notre grand-mère. (Leta fit une pause pour observer la dernière branche de l'arbre prendre forme). Corvus pleurait sans cesse. Je ne voulais pas lui faire de mal... Seulement en être délivrée, pendant un instant. Un tout petit instant.
Sa voix fêlée et lourde de honte fit le récit de l'échange de bébé qu'elle entreprit avec celui de la cabine en face de la leur. Elle leur fit ressentir, avec une émotion intense, la panique qui s'empara des passagers du bateau quand ils apprirent que ce dernier prenait l'eau et comment, dans la confusion et les cris, Irma s'empara du bébé que tenait Leta. Du mauvais bébé. Et les emmena tous deux dans un canot de sauvetage.
— Le canot dans lequel se trouvait l'autre femme, et... Corvus fut percuté par une vague et il se retourna. L'océan était agité... Ils disparurent dans l'eau, sans jamais refaire surface.
Sur l'arbre généalogique, le portrait du bébé Corvus s'assombrit et flétrit, confirmant les dires de Leta Lestrange. Les traits d'Esther s'effondrèrent et elle n'eut nul besoin de regarder Credence pour savoir que les siens avaient fait de même.
D'abord avec Irma, puis désormais avec Leta. Sa vérité ne faisait que l'étreindre avant de disparaître entre ses doigts. La plaie béante de sa douleur ne faisait que s'ouvrir, encore et encore, sans qu'il puisse faire quoi que ce soit pour la soulager.
— Leta, savez-vous qui est Credence ? demanda la femme aux cheveux noirs. Le saviez-vous, lors de l'échange ?
De nouveau, toute l'assemblée s'accrocha aux lèvres pulpeuses de Leta.
— Non.
Esther sentit sa gorge se serrer. Credence avait détourné le regard, le visage fermé. Et dans le silence, tous purent entendre les pierres au fond du caveau coulisser pour former un passage.
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