15| Florien
Pour la deuxième fois de la journée, Esther marchait.
Elle marchait en direction du cimetière du Père Lachaise, en compagnie de Credence et de Nagini. Ils avaient déjà fait une bonne partie du chemin, mais encore de nombreux kilomètres les séparaient de leur destination. Il aurait été si simple de les parcourir en transplanant, mais malgré la proposition faite par Esther, Credence le refusait. Il évoqua les mêmes raisons que le matin même, lorsqu'ils cherchaient à atteindre l'immeuble d'Irma Dugard : il ne voulait pas qu'Esther se fatigue pour eux, que le manque de nourriture était pesant pour tous. La jeune femme ne comprenait pas cet argument, car la marche les fatiguait tous les trois bien plus qu'un simple transplanage. Cependant, à aucun moment, elle ne chercha à faire valoir son avis, puisque, au fond, elle savait que Credence avait besoin de ce temps de marche pour se préparer et envisager la suite.
Ils marchèrent donc. D'un pas qu'il n'était ni lent, ni rapide. À les regarder, il était évident qu'ils ne se baladaient pas, tout comme il était indéniable qu'ils n'étaient pas pressés par le temps. Ils marchaient simplement dans une direction précise, sans bavardage. Ils marchaient droit vers la fin d'un long voyage. Du moins, ce serait le cas pour deux d'entre eux. Pour la Maledictus, Esther n'avait pas encore trouvé de solution miracle. Elle improviserait. Même si, secrètement, elle comptait surtout sur la faculté de Grindelwald d'obtenir ce qu'il souhaitait.
Esther s'avançait donc sans trop se tracasser. Même si une once d'anxiété rongeait son esprit, lui intimant que tout n'était pas gagné, la sorcière se sentait globalement soulagée. Elle était notamment impatiente de découvrir la suite de son aventure avec Credence. Elle n'aurait jamais imaginé ressentir un tel sentiment plusieurs semaines auparavant, mais la présence constante de son ami à ses côtés avait fini par fendiller l'armure durement forgée d'Esther. L'Obscurial s'y était engouffré discrètement, sans qu'aucun des deux jeunes gens impliqués ne semble réellement s'en rendre compte.
Credence marchait devant elle, en compagnie de Nagini. Son veston marron et sa chemise rouge délavée étaient étincelants de propreté grâce au sort que la sorcière avait lancé avant leur départ. Elle n'avait cependant pas pu réparer l'usure de leurs vêtements et cela ferait sûrement lever quelques sourcils lorsqu'ils seront entourés de Sang-Pur.
— Mille gorgones !
Esther tituba en arrière en retenant une grimace. Son pied l'élança douloureusement et elle jura de nouveau.
Elle inspecta le trottoir pour trouver le responsable de sa douleur, mais n'aperçut qu'un sol parfaitement plane et désencombré. Elle fronça les sourcils et tendit une main devant elle. À travers la surface lisse et solide qui rencontra ses doigts, elle vit Credence et Nagini continuer leur chemin, sans se rendre compte qu'Esther était bloquée derrière eux.
La barrière invisible s'évapora bien vite sous ses doigts, la libérant, mais une poigne ferme l'empêcha de reprendre sa route. Un frisson glacé parcourut la sorcière lorsqu'elle fut tirée dans le sortilège d'invisibilité. Elle atterrit dans une ruelle étroite, jonchée de détritus. L'individu qui l'avait agrippé se trouvait face à elle et elle resta momentanément bouche bée.
— Esther, souffla Florien en l'attirant dans ses bras. Tu m'as tant manqué !
Décontenancée, la sorcière réussit tout de même à refermer ses bras autour du buste de son fiancé. Cependant, la surprise empêcha les mots de sortir de sa bouche. Esther n'aurait pas su quoi dire de toute manière. Alors, elle laissa la joie qu'elle ressentait à l'idée de retrouver son ami d'enfance renforcer leur étreinte et enfouit son visage dans le col doux du manteau en laine noir qu'il portait. Elle inspira l'odeur de lilas qui émanait toujours de ses vêtements ; signe du travail acharné et respectueux des elfes de maison de la famille Rosier.
— Je ne pouvais pas attendre plus longtemps pour te voir, murmura-t-il en déposant un baiser dans son cou avant de remonter jusqu'à sa bouche.
Florien n'était pas beaucoup plus grand qu'elle, ce qui lui permettait un accès facile aux lèvres de sa fiancée, sur lesquelles il déposa un baiser avide, qui effaça momentanément l'élan de joie de la sorcière. Pourtant, cela ne l'empêcha pas de le lui rendre, avec autant de vigueur qu'elle l'avait toujours fait. Florien embrassait bien et constamment avec amour et passion, comme si ses sentiments ne trouvaient d'exutoire qu'à travers ses lèvres. Néanmoins, Esther fut soulagée quand il y mit fin pour mieux la regarder.
— Tu es si belle, murmura-t-il en glissant ses doigts dans la chevelure blanche de la sorcière.
Florien n'était pas en reste. Depuis sa mâchoire carrée jusqu'à ses cheveux noir de jais, il incarnait une perfection digne d'une statue grecque. Il était d'ailleurs la source de convoitise de nombreuses sorcières, mais Esther ne jalousait que sa peau dorée qui se teintait au soleil. Si elle l'avait pu, elle aurait laissé les autres femmes le conquérir, car elle ne voyait en lui que son ami d'enfance. Et cette étreinte de retrouvailles, après tant de semaines séparées, ne faisait que rendre ce sentiment plus évident.
— Je suis soulagée que cette histoire arrive enfin à son terme, soupira-t-il en déposant un nouveau baiser sur ses lèvres. Je n'en pouvais plus de te savoir en compagnie de ces bêtes de foire et de cet Obscurial contre-nature.
La sorcière se raidit, mais Florien, qui s'était détourné pour tendre la main, ne s'en rendit pas compte.
Derrière lui, Eugen, que la sorcière n'avait jusque-là pas remarqué, venait de sortir un paquet de cigarettes de son manteau et en donna une à son ami. Il salua Esther d'un signe de tête. Adossé contre le mur opposé de la ruelle, au niveau de l'intersection avec la rue d'où provenait Esther, il faisait le guet.
— Comment ça se passe avec le monstre ? Demanda-t-il avec un fort accent autrichien, tandis que Florien allumait leurs deux cigarettes.
Si Esther ne s'était pas déjà raidie, elle l'aurait fait à cette question. Florien, la cigarette à la bouche, se retourna vers elle. Ses cheveux, plaqués sur le côté, refusaient au vent de dicter leur conduite.
— Il commence à adhérer à l'idée de nous rejoindre, répondit-elle évasivement, ne pouvant se résoudre à dire du mal de son ami. Et de votre côté ?
— Ça prend forme, répondit Eugen, tout aussi allusivement, alors qu'il libérait un nuage de fumée dans l'air.
— Le caveau va être bondé ce soir, s'enorgueillit Florien.
Une étincelle de fierté brilla dans ses iris sombres qu'Esther avait longtemps crus noirs avant de se perdre dans ceux de Credence.
— Et il n'y a aucun risque ? S'inquiéta-t-elle. Si quelque chose tourne mal, je ne pourrais peut-être pas empêcher l'Obscurial de s'échapper.
— Tout est sous contrôle, la rassura Florien en lui tendant sa cigarette.
Esther prit une longue taffe pour apaiser ses nerfs. Elle n'aimait pas fumer, mais, occasionnellement, c'était la seule chose qui lui permettait de se détendre. Ce que Florien ne savait que trop bien. Tout comme Esther savait que ce dernier ne fumait que pour contrarier son père, Pierre Rosier.
Alors qu'elle lui rendait sa cigarette et que son souffle opaque s'élevait au-dessus de leur tête, il se pencha pour l'embrasser de nouveau. Esther se servit de son élan pour l'entraîner dans une nouvelle étreinte. Florien laissa échapper un rire affectueux. Il s'était habitué à ce qu'il appelait « sa manie étrange ». Eugen, cependant, toujours le plus perspicace des trois, n'était pas dupe. Il avait souvent surpris Esther faire ce geste et, à chaque fois, il se contentait de fixer sur elle ses profonds yeux verts, surmontés d'un froncement de sourcils réprobateur, comme un parent fatigué.
Eugen Keiffer était le meilleur ami de Florien. L'autrichien vivait avec eux depuis des années, dans le château de Nurmengard de Grindelwald. C'était un véritable frère de sang pour Florien. De ce fait, et par son omniprésence dans leur vie, Eugen savait qu'Esther n'était pas amoureuse de Florien, mais il ne disait rien. Il ne gardait pas le silence par solidarité à l'égard d'Esther. Les deux amis s'appréciaient, mais ils n'étaient pas véritablement proches. Eugen se taisait pour Florien. Car il savait pertinemment que parler n'arrangerait rien. Parce qu'il savait, tout comme Esther, que tout avouer ne mettrait pas un terme à ce mariage, prévu de longue date. Il connaissait l'instigatrice des fiançailles, la sœur de Florien, Vinda, et il ne souhaitait pas se mettre en travers de son chemin.
Que Florien soit tombé amoureux d'Esther fut sans doute une bénédiction pour lui, car les fiançailles auraient eu lieu dans tous les cas. La sorcière se souvenait encore du jour, quelques heures après la demande en mariage, où elle avait osé avouer à Vinda qu'elle n'était pas amoureuse de son frère.
« L'amour n'est qu'une faiblesse », lui avait-elle dit. « Un mariage d'amour est fait pour les moldus. Souhaites-tu devenir comme la fille des Fontaine ? Souhaites-tu engendrer des sang-mêlés ? Devenir le paria de ta famille ? Trahir la cause ? Ou bien comptes-tu faire honneur à la famille qui t'a recueillie alors que tu n'étais qu'une orpheline ? Qui t'a tout donné et permis de voir au-delà d'une simple vie de sorcière, qui t'a permis d'aspirer à un but plus noble et qui t'offre un mariage rêvé par toutes les sorcières Sang-Purs de Paris ? »
Sous le regard glacé de Vinda, Esther s'était décomposée. Aucune échappatoire ne lui serait offerte. Aucune aide pour atténuer la douleur qu'elle infligerait à Florien en lui avouant la vérité. Ce jour-là, elle comprit que son avis ne comptait guère. Quelle que soit sa réponse, l'enjeu resterait le même. Les Rosier n'accepteraient pas de voir Esther leur dire non. Ils la forceraient dans ce mariage s'il le fallait. Alors la sorcière accepta de se sacrifier pour la cause. Pour préserver la pureté du sang de sa famille d'adoption.
Et depuis ce jour-là, Esther attendait de tomber amoureuse de son meilleur ami. À chaque nouvelle étreinte, elle espérait ressentir une émotion nouvelle et forte. Pendant longtemps, elle n'avait pas su à quoi cette émotion allait ressembler, mais ce n'était plus le cas désormais. Elle savait qu'elle l'avait ressenti seulement quelques heures auparavant. Le seul problème était qu'elle ne l'avait pas ressenti pour la bonne personne.
Sa cigarette à la main, Eugen plissa les yeux. Un point d'interrogation se forma si clairement sur ses traits qu'Esther mit fin à l'étreinte qu'elle partageait avec Florien. Le regard de son ami autrichien ne la quitta pas, cherchant à découvrir ce que la sorcière cachait sous le masque d'impassibilité qu'elle venait de revêtir.
Florien lui offrit une échappatoire en prenant la main blanche de la jeune femme dans la sienne.
— Tu ne portes pas ta bague.
— J'ai dû l'enlever pour être convaincante dans mon rôle. On m'aurait posé trop de questions si je l'avais gardé à mon doigt, mais elle ne m'a jamais quitté, confia-t-elle en tirant sur la chaîne qu'elle portait autour du cou.
L'anneau surmonté d'un diamant étincela dans la pâle lumière de la ruelle. Florien déposa un baiser sur la main de sa fiancée.
— J'ai hâte de te voir de nouveau avec ton alliance.
— Bientôt, soupira Esther, ne sachant que dire d'autre.
Dans le dos de Florien, Eugen roula des yeux puis se pencha dans la rue. Il se redressa en un éclair.
— Ils reviennent !
Il fit tomber sa cigarette, quasiment entièrement consumée, au sol et fit un signe de tête à son ami. Dans sa précipitation, Florien écrasa la bouche d'Esther contre la sienne, les poussant tous les deux contre le mur de l'immeuble qui assombrissait la ruelle. Le baiser fut terminé aussi vite qu'il avait commencé et les deux sorciers transplanèrent, laissant voler dans l'air une phrase énoncée avant de disparaître :
— À ce soir, ma belle.
Le sortilège d'invisibilité tomba au moment même où Credence et Nagini apparurent. Ils découvrirent Esther, seule dans la ruelle, les yeux écarquillés et le souffle court.
— Tu vas bien ? S'inquiéta aussitôt Credence en se postant devant elle, comme l'ombre de Florien.
La sorcière acquiesça, trop chamboulée par son changement d'interlocuteur pour faire confiance à sa voix. Mais son corps réagit à la proximité de l'Obscurial et se détendit. L'angoisse fugace qu'elle avait pu ressentir à l'idée de se faire surprendre fut chassée aux tréfonds de son être.
— J'ai eu un vertige, je me suis arrêtée pour reprendre mon souffle.
— Tu n'as pas assez mangé, dit Credence. Je vais te trouver quelque chose.
Alors qu'il se retournait vers Nagini, Esther s'accrocha à son bras, ramenant l'attention de son ami sur elle.
— Tu as raison, j'ai besoin de manger, allons-y !
Esther entraîna Credence dans la rue, laissant Nagini derrière eux. La sorcière n'osait pas se retourner pour la regarder.
Quelques instants plus tôt, à travers sa confusion temporaire, Esther avait vu la Maledictus s'arrêter de l'autre côté de la ruelle et observer le sol avec intérêt ou, plutôt, les deux mégots de cigarettes encore fumants qui y avaient été abandonnés.
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