Chapitre 16
Jeux 1 : partie 2.
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« Que s'est-il passé ? Pourquoi étais-tu avec eux ? Ce sont ces brutes qui te font du mal au lycée ? »
Je regarde attentivement les arbres décorant le parc où il m'a emmenée. Des insectes tournent autour du plus gros d'entre eux, un papillon course un second, quelques fourmis ramènent au pied de l'arbre des aliments, surtout des fruits, qu'elles portent fièrement malgré leur petite taille. Ma contemplation s'interrompt lorsqu'il entre dans mon champ de vision.
« Tu m'écoutes ?
- ...
- Tu peux me dire qui ils sont ? Je vais en parler avec la police et ils seront jugés pour ce qu'ils t'ont fait. Même si leur âge sera une barrière à une sentence juste. Enfin, juste, il n'y a rien qui puisse remplacer ce qu'ils ont fait ni réparer le mal qu'ils t'ont causé.. Mais je peux t'aider. T'aider à avancer et à ne plus tomber entre les mains de personnes de ce genre.
- ...
- Pourquoi ne veux-tu pas simplement tout me dire ? Je te promets de t'aider, je ne vais pas rire ou me moquer, je suis sincère, je veux t'aider.
- ... Pourquoi ?
- Hein ?
- Pourquoi voulez-vous m'aider ? À quoi ça vous sert ? Pourquoi ne pas m'avoir laissée là-bas ?Pourquoi avoir appelé ?
- Une question à la fois.. Tu veux que je réponde d'abord à laquelle ?
- La dernière.
- Ce n'est pas moi qui t'ai appelée. Je n'ai pas ton numéro.. C'est la personne que j'ai eu au téléphone qui l'a fait. Peut-être s'est-elle trompée de contact.
- Ne mentez pas, je n'ai pas non plus votre numéro. »
Il se tait, réfléchit, puis continue :
« Alors ce gamin devait l'avoir. Tu pourrais me le décrire ? »
Je me remémore les rares fois où je l'ai aperçu sans détourner le regard. La première fois surtout, quelques semaines avant ma rentrée au lycée.. Je marchais pour m'enfuir.. encore.. Mon père venait de lever la main sur moi, alors qu'il s'était arrêté depuis un bout de temps, il était complètement sous l'emprise de l'alcool et je ne voulais être sous son emprise. J'ai alors quitté l'appartement, erré dans les rues et me suis assise sur un banc dans une ruelle peu éclairée et peu fréquentée. À un moment, il est arrivé, lui et ses cheveux noirs. Il avait sa couleur naturelle à ce moment-là. Je me demande d'ailleurs pourquoi il s'est teint en gris-bleu, j'aimais la couleur sombre de ses cheveux noirs.. Une capuche sur le crâne, le vide dans les yeux, il s'est finalement installé à côté de moi sur le banc. Chacun de nous tenait l'extrémité et il ne m'apparaissait pas méchant, plutôt triste et seul. Voilà, il me paraissait vivre la même chose que moi. Je me rappelle qu'il avait levé la tête et que ce mouvement avait découvert sa belle figure. Une figure tâchée de bleus, aussi sombres que ses yeux. Ses beaux yeux bleus.. Il m'a remarquée et on a commencé à discuter. Quelques mots, quelques phrases, quelques échanges qui duraient bien deux trois heures. Il a dû partir quand sa mère l'a retrouvé.. Il m'a remercié pour le moment et s'est enfui pour échapper à sa mère. En y repensant, peut-être était-ce elle qui le frappait.. Peut-être qu'il allait mal et qu'il va toujours aussi mal. Mais cela n'excuse en aucun cas son inaction. En aucun cas.
« Alors ? Tu peux me le décrire physiquement ?
- ... Cheveux gris avec des reflets bleus comme ses yeux. Il est plus petit que moi.. C'est tout ce dont je me rappelle.
- Rien d'autre ? Tu es sûre ?
- Oui.
- D'accord. Laisse-moi le temps de voir si je le connais. »
Il sort son téléphone et fait défiler des photographies.
J'avais de la peine pour lui. Quand j'ai vu que son état était semblable au mien, j'ai voulu l'aider, ou lui dire qu'il n'était pas seul.. Mais dès la rentrée, il n'était plus le même, comme si les semaines entre l'avaient profondément changé, comme si il était une autre personne, comme si j'avais simplement rêvé éveillée. Oui, j'avais dû rêver. C'est ce que je me suis répété depuis que j'ai connu ses amis.. Mais ce qu'il s'est passé tout à l'heure me fait douter de cela aussi.
« Regarde, ça c'est toi. »
Je tourne la tête et il me montre une photo où j'apparais aux côtés de mon père et de ma mère. J'avais cinq ans à l'époque, ou moins..
« Je comprends maintenant pourquoi ton père m'a envoyé une photographie aussi vieille.. Tu ne dois pas en avoir pris d'autres depuis..
- Non.
- Je cherche toujours mais aucun garçon aux cheveux gris.. il y a bien un patient aux yeux bleus qui aurait aujourd'hui ton âge mais il avait les cheveux noirs.
- ... Il les avait noirs cet été.
- Ah... mais c'est quand même impossible que ce soit lui. Il est mort. »
Il laisse un long silence dériver à nos côtés. Je baisse la tête et pense à la condition de cette personne. J'aurais tellement voulu mourir.. Une larme s'échappe d'un de ses yeux. A-t-il des sentiments ?
« C'était mon tout premier patient.. Je l'ai rencontré quand il avait dix ans. Il venait d'emménager dans la ville avec sa mère qui le battait. Il voulait en finir et est passé à l'acte. Il a été pris en charge dans un hôpital mais aucun psychiatre ne voulait prendre comme patient un gamin sans argent. Alors je me suis dévoué, parce que aider quelqu'un est plus important pour moi que percevoir de l'argent. Il venait chez moi quand sa mère devenait trop violente et cette relation a duré des années. Il n'était pas réellement un patient, plutôt un ami qu'on veut aider. Et il y a quelques mois, j'avais enfin réussi. Je venais d'obtenir sa garde après une lutte acharnée contre sa mère et les juges incompétents. Il avait juste à récupérer ses affaires chez sa mère. Je lui avais demandé de m'attendre, d'attendre que j'ai fini mes rendez-vous avec d'autres patients.. Mais il a voulu montrer qu'il était fort. Alors il y est allé.. Et a probablement trouvé sa mère chez lui.. parce que leur appartement a brûlé et le feu était si puissant que les pompiers n'ont pu retrouver que des morceaux aléatoires de cadavres..
- ... Il est peut-être encore en vie..
- Non, je n'ai eu aucune nouvelle de lui après cet incident. Pourtant il connaissait mon lieu d'habitation, avait mon numéro, savait où j'habitais. C'est impossible qu'il soit vivant. »
Une larme dévale sa joue, suivie par une multitude d'autres. ... M'aurais-je trompée intégralement sur son compte ?
« Vous avez une photo de lui ? »
Il sèche son visage d'un revers de manche et me regarde.
« ...
- Le garçon dont je vous parle, il n'avait pas les cheveux gris quand je l'ai rencontré la première fois..
- ... Oui, j'en ai plein. Regarde, si tu veux.. »
Il me donne son téléphone qui affiche l'album photo qu'il a créé regroupant des photos d'eux au fil des ans. Ces preuves me font découvrir la vérité : il est gentil. Il l'est réellement. Malgré son mauvais caractère, son discours, il l'est.. Je fais défiler les photos voulant voir celles récentes. Arrivée à la fin, je clique sur l'une d'elles. Je vois le psychiatre accompagné du fameux garçon. Celui qui m'avait parlé avant la rentrée..
« C'est lui. »
Son visage s'éclaircit. Il pose ses mains sur mes épaules et me tourne mieux vers lui.
« Tu en es sûre ? C'est lui ?? Il n'est pas mort !?
- Sûre. »
Il éclate une deuxième fois en sanglots. Je le regarde amusée. Je ne l'imaginais pas si sensible. Mais en même temps, il a l'air d'y tenir à cet être.. Seulement, je ne comprends pas. Pourquoi reste-t-il insensible s'il a connu la même chose que moi ? Pourquoi n'a-t-il pas contacté son ami ?
Trop de questions liées à celles-ci tourbillonnent dans ma tête, elles se lient aux souvenirs récents, à la fatigue, et réussissent à me faire m'endormir une seconde fois dans un lieu peu rassurant. Mais au moins, cette fois-ci, je ne suis pas totalement seule. Une personne de confiance est à mes côtés.
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« Bien dormi ?
- Mh..
- Ta tête va mieux ? Tu étais bouillante hier soir..
- Oui.. Merci. On est où ?
- Chez moi. Désolé, je t'aurais bien demandé ton avis.. mais tu n'étais pas en forme pour.. Et je n'allais pas te laisser chez ton père.. J'ai fait l'erreur une fois, je ne la ferais pas une seconde fois.
- Non c'est bon. Merci. »
Il me tend un verre d'eau.
« Hydrate-toi. Je t'aurais bien proposé autre chose mais je ne sais pas ce que tu aimes.. et avec les allergies j'ai préféré faire simple. J'ai préparé deux plats aussi. Je mangerai celui que tu ne veux pas.
- Merci beaucoup. Ne vous tracassez pas, je ne vais pas rester longtemps.. il ne faudrait pas que je dérange.
- Tu ne déranges pas. Pas du tout. Je n'aime pas être seul. Ne t'inquiète pas. Pour ton père non plus, il n'a pas daigné s'intéresser à ta disparition quand je suis venue le voir.
- ... Merci. »
À l'entente de mon murmure, il sourit. Je crois que je vais enfin pouvoir vivre.. essayer en tous cas. Je vais essayer de suivre ses conseils et de vivre.
Et je vais y arriver.
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Le pas a été fait. Elle s'engage du haut d'un précipice. À lui de fabriquer un pont solide pour la conduire jusqu'au bonheur.
Bisou :3
PS :
La suite arrivera dans la semaine ou celle prochaine puisque de longs chapitres sont à venir ^^.
(10/06/19)
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