Chapitre 14


Jeux.

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Le jour de ma sortie est enfin arrivé. Étonnamment, mon « sauveur » est venu demander après moi chaque jour de mon internement, et ce même si je ne l'ai pas revu depuis mon réveil. Une infirmière me le disait à son entrée et à sa sortie lorsqu'elle venait prendre soin de sa patiente, moi. Je l'ai aperçu une fois lorsque l'infirmière refermerait la porte de ma chambre. J'ai aperçu sa tête appuyée sur le mur accolé à ma pièce.. Bref, on s'en fout. Je m'en fous du moins. Et de votre avis j'en ai rien à faire non plus, vous qui souhaitez que je sois internée davantage de temps, que je sois un sujet d'étude pour voir comment se sentent ceux que la société rejète, que vous rejetez délibérément.

Une petite infirmière — même si elles le sont toutes devant mon imposante taille.. si imposant est un terme qui peut encore me définir, frêle comme je suis — vient me donner les vêtements que je portais à mon arrivée. Elle me laisse, je me change non sans en éprouver la difficulté puis lance un bref « adieu » à cette chambre si confortable que mon inconscient en a fait un lieu idéal à recréer dans mes cauchemars. Prête à tout quitter, je fais glisser la porte coulissante et passe le pas.

Le couloir est désert.. je m'attendais à y voir mon père.. ou d'autres patients déambulant au hasard dans l'immense hôpital pour occuper leur temps. Mais non. On dirait que tous m'évitent.. même les infirmières qui ont pour habitude de faire claquer sur le sol leur hauts talons à toutes heures de la journée ne traînent pas dans les couloirs blancs. L'idée de me voir est peut-être repoussante et ils sortiront tous quand j'aurais définitivement, si ce n'est pour atteindre la morgue, quitté la bâtisse. Mais au moins, cela me facilite le passage. Je continue ma marche jusqu'à l'accueil où une infirmière d'un âge très avancé me regarde apeurée, comme si j'étais un monstre. Qu'ai-je encore ? Tous les fils médicaux sont hors de mon corps, mes blessures cachées, qu'ai-je donc ?

Ne comprenant pas son attitude, je continue de marcher et sors enfin de l'hôpital. L'odeur du vent frais et la brise dans mes cheveux me font aimer l'extérieur, pour une fois. Je me dirige vers les voitures en stationnement mais aucune n'est celle de mon père. Il n'a pas été prévenu ? Je pencherai plutôt sur le fait qu'il n'ait pas voulu venir, ça lui ressemble plus. Et puis, il a payé les frais d'hôpital donc sait pertinemment quand je ne dépends plus de lui. Dans les deux cas, je ne peux que rentrer à pieds.. Je devrais y être dans deux heures si je ne tombe pas sur des connaissances.. si je ne suis pas détournée de cet objectif par un autre plus tentant... et si je me rappelle du chemin jusqu'à sa maison depuis l'hôpital.. Ce dernier point est acquis : j'ai en mémoire la route vu que j'ai passé huit ans de ma vie à voyager entre ces deux lieux de torture, je m'en souviens. J'ai été forcée de m'en souvenir. J'exagère un peu.. le nombre d'années peut se réduire de deux ans.. avant il ne prenait pas la peine de m'y emmener car il disait que ses coups n'étaient pas assez forts pour demander de l'aide.. Si il ne m'en avait jamais donné, il n'aurait pas eu à dépenser des centaines d'euros pour mes soins.. Enfin, peut-être que si, au moment où j'aurais été dans la même condition que ma mère c'est-à-dire complètement amorphe, incapable de faire quoi que ce soit.


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Une heure est passée depuis que j'ai quitté l'hôpital.. Enfin, je pense.. j'aurais pu regarder sur mon portable si celui-ci n'avait pas été laissé près de l'eau ou avait été récupéré par cet aimable être.. Je suis d'ailleurs en route pour aller le chercher s'il n'a pas déjà fait l'objet d'un vol. J'espère que non. Toute ma vie est dedans. Ma vie.. Quelle ironie.. Le numéro de tous mes amis, celui de ma gentille famille, des photos d'eux, des mots adorables, mes comptes sur tous les réseaux sociaux où je converse allègrement avec ma bande, tout ça est stocké et enregistré dans mon portable. Si on me le vole je suis foutue.. Hum.. non. Quand je parle de ma vie, je parle d'autre chose, voyez-vous, je n'ai pas le même loisir que vous puisque vous me l'avez dérobé. Mon portable renferme tous mes secrets.. des histoires glauques aboutissant à la mort — mon idole —, la liste de ceux qui m'ont fait du mal de toutes les manières possibles, des histoires plus gaies, tantôt exprimant de la romance, tantôt mêlant imagination et aventure. Mais la chose la plus précieuse qui est stockée dans mon téléphone est ma musique. Je dis 'ma' mais ce n'est pas réellement la mienne, je ne l'ai ni créée, ni interprétée, je ne fais que l'écouter et me délecter de sa douce mélodie, de ses harmonieuses composantes, de ce flux si agréable à mes oreilles. La musique est une des seules choses qui sur Terre soient grandioses bien qu'elles soient le fruit de l'être humain. La nature est bien des fois incroyable par sa conceptualisation, ses formes, ses couleurs.. mais la musique.. la musique est un art qu'il fallait que je connaisse. C'est un art qui me fait vivre et exister. Sans lui, je n'aurais pas résisté à la tentation aussi longtemps.. Et dieu — s'il existe — sait à quel point ce fut dur !

Bref, il me faut absolument mon portable. Si je ne le retrouve pas, je me laisse crever de faim.. au moins de cette manière je devrais réussir. Pourquoi ne pas m'en racheter un ? J'ai pas d'argent, voyez-vous. Et mon père ? Vous avez l'impression qu'il m'aiderait ? Déjà payer l'hôpital lui a valu un dépassement énorme de lui-même alors ça.. Arrêtez de voir la vie rose.

Vous manquez tellement de nuances..

De belles nuances..

Un vrai bonheur visuel..

Et d'autres plus sombres que j'assimile à un bien-être, à un but à atteindre, au vrai sens de la vie. Puisque finalement, à quoi sert cet état si ce n'est que nous conduire, par des chemins plus ou moins tortueux, vers la mort.


J'arrive près du lac. Beaucoup de monde s'est attroupé au niveau des barrières indiquant l'ancienneté d'une enquête à ce lieu. Pourquoi enquêter ? Ce n'est pas comme si la raison de ce « crime » non abouti n'était pas connue.

Je m'éloigne du regroupement puisque l'endroit d'où j'ai commencé à m'enliser était autre. Lorsque j'y suis, je commence à chercher l'objet de ma venue mais ne trouve rien au sol. Il a disparu, quelqu'un a pris ma vie.. J'ai envie, une folle envie cette fois-ci, de retenter ce chemin, de laisser mon corps s'enfoncer à nouveau dans l'eau froide de mes larmes. Mais il y a trop de monde, ce serait vouloir un autre séjour en enfer enfermée dans une chambre glauque d'hôpital. Alors je me contente d'observer avec attention la surface tranquille de cette étendue.

« N'y allez pas ! »

À l'entente de cette voix qui me semble devenue beaucoup trop familière, je me retourne et me retrouve face à ce médecin fou. Il en fallait peut-être un pour traiter avec les fous que la société rejette, car vous ne pouvez pas rester longtemps au même endroit que vos victimes sans que vos mains ne vous démangent... et qu'elles viennent trouver satisfaction en se claquant à leurs corps faibles.

« Si vous y allez, je vous en empêcherais. »

Il commence à avancer vers moi alors que je détourne seulement le regard. L'eau calme est plus envoutante que ses paroles inutiles.

« Vous n'avez pas réfléchi à ma proposition ? » Si, bien entendu.. et j'ai même pensé à l'accepter.. mais la vision de votre visage hypocrite me suggère de refuser. « On peut se voir en dehors du cabinet, si cela vous dérange.. » Pour que vous abattiez votre colère et votre insatisfaction sur moi sans que personne ne soit dans la confidence ? Non merci. « Je peux vous exempter des frais des séances.. j'ai envie, je voudrais vous aider. »

Bien que sa proposition soit plus qu'alléchante, mon refus ne se volatilisera pas. Je n'ai aucune confiance en lui et ce n'est pas maintenant que ça va changer.

Sans même prendre la peine de lui répondre, je le passe et continue mon chemin. Tant pis pour mon téléphone, je reviendrais le chercher plus tard.. avec un peu de chance, il réapparaîtra. J'arrive près de la route, devant une voiture un peu vieillotte qui pourtant attire le regard et l'admiration. Là, je m'arrête pour l'observer puis engageant un pas, mon épaule se fait réquisitionner par cet imbécile. Je lui fais face la colère dans les yeux, la peur parcourant mon corps..

« Tu as oublié ça la dernière fois. » Il me tend mon téléphone. Je l'attrape, l'allume, vérifie le son. Il est intacte. Je souffle de soulagement et de bonheur.

« Merci.. »

Oui, je viens de le dire à ce fou.. mais en même temps, il vient de me donner la seule chose à laquelle je tiens. Il mérite de ce fait un peu, même manifestée en un murmure à peine audible, de politesse. Et je prie intérieurement qu'il ne l'ait entendu..

« Ce n'est rien. » Merde, il fallait bien que ce monde ne me lâche pas. « Je vous raccompagne chez vous ? Il est tard. »

Je vérifie sur mon téléphone. Il est 20h.. Il me faut environ une heure pour regagner la maison de mon père et je doute qu'il m'ouvre.. Je n'ai pas le choix, je dois le forcer, et la présence de cet adulte devrait suffire.

« D'accord.

- Montez alors. Il pointe la belle voiture ancienne.

- C'est la vôtre ? Je m'autorise à demander.

- Oui. Jolie, n'est-ce pas ? »

J'acquiesce d'un hochement de tête évasif puis monte à bord. Le trajet fut calme, il a arrêté de me poser d'innombrables questions pour écouter de la musique. Certaines que j'écoute sont passées ce qui a provoqué la montée de mes lèvres en quelques discrets sourires.. mes yeux pétillaient.. la joie pouvait se lire sur mon visage.. Il n'a pas remarqué je crois, j'espère. Arrivés chez moi, il gare sa voiture et attend au portail. Lorsque mon père ouvre, il se retrouve dans l'obligation de me faire entrer et de sur-jouer son bonheur de m'accueillir. Sans doute satisfait, le psychiatre part. J'entre et subis l'indifférence de mon père puis pendant la nuit, ses coups, ces coups violents dont je ne voulais plus jamais revoir les traces entacher ma peau, s'échouent sur mon corps. Le réveil fut difficile.. soutenir son regard impossible.. m'opposer à sa décision impensable.. alors je dus aller au lycée comme si rien ne s'était produit, encore une fois.


J'entre dans la salle après que le professeur m'en ai donné l'autorisation. S'est-elle trompée de salle ? est marqué à l'encre indélébile sur son front. Je l'ignore et vais m'asseoir à la place qu'on m'a attribué sans aucune pitié. Le prof en me voyant faire continue son cours.

« Alors ? Encore une semaine, hein ? Tu es sûre de vouloir retourner en cours ?

- Franchement, je suis déçu. Je pensais que cet acte t'aurait éloignée de nous plus longtemps si ce n'est définitivement.. » déclare le châtain.

Si il savait comme j'en ai envie.. J'ai également envie de sortir, de les insulter, de les frapper, de montrer à tous à quel point ce sont des connards mais je me tais et je reste sur ma chaise.. tétanisée. Si ces actions affecteront quelqu'un, ce sera moi et non eux.

« Et si on jouait à un jeu ? » Mon voisin me parle, les yeux posés sur le professeur, la main feignant d'écrire. « Ce jeu s'appelle 'chat'. »







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[Voilà un très long chapitre (2 000 mots environ), du coup, je vais un peu tarder à publier le prochain. Je le publierai cependant dans la semaine.]


Pourquoi selon vous l'hôpital était désert ? 🤔 (Si vous n'en avez aucune idée, ce sera expliqué plus tard, un peu de patience..)

Est-ce que votre vision du psy change aux cours des chapitres ? J'attends énormément de ce personnage... 😂😅

(D'ailleurs, psychiatre ou psychologue ?)

Quelqu'un voudrait me décrire ce qu'il/elle pense des deux personnages vus ? (+ le père si vous le souhaitez) .. Je voudrais être sûre que ce que mes mots renvoient s'accorde avec ma manière de les voir.. 😅    😘 Merci d'avance pour ceux/celles qui le feront.

Vous vous imaginez quoi comme "chat", vous ? Moi personnellement, le jeu d'enfant, on court, on nous touche, on devient celui qui touche.....



😘😘😘



Ps : Dans le tag : 18 >> 19.

(27/05/2019)

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