-À ta place, je n'hésiterais pas une seule seconde, Romuald.

La remarque de mon meilleur ami m'a exaspéré et m'a obligé d'hausser les sourcils, sans que je cherche à m'en cacher.

-Tu es un animal, Mathias. Tu ne penses qu'au sexe. Je crois que tu es nymphomane, ai-je dit en rangeant mon cahier de mathématiques dans mon sac.

-Ce mot est utilisé uniquement pour les femmes, pour ton information.

Je ne l'ai pas regardé et ai continué mon chemin. J'aime beaucoup ce garçon, ce n'est pas mon meilleur ami pour rien mais je ne peux cacher que ses remarques incessantes ont réellement tendance à me mettre hors de moi.

-Je ne faisais pas vraiment allusion au sexe. Ce que je disais était que tu devrais tenter ta chance avec Héloïse car vu ce qu'elle a osé faire la fois dernière, tu as toutes tes chances, s'est-il réexpliqué.

-Elle a uniquement fait ça par amitié et ce n'est pas pour autant que j'ai envie de tenter un truc avec elle, ai-je révélé.

Exactement à cet instant, la fameuse Héloïse est passée à côté de nous accompagnée de sa meilleure amie, une certaine Florine, comme si ça avait été écrit. La première nous a souris à tous les deux de ses magnifiques dents.

-Tu as vu!, s'est empressé de s'exclamer Mathias une fois qu'elle était partie. Elle t'a matté et bien correctement.

Je commençais vraiment en avoir plein les reins des films qu'il se faisait constamment pour des raisons inconnues. Il ressemblait à une vieille femme qui vivait grâce à tous les ragots du village. Enfin, ce n'était pas vraiment pareil mais le résultat final était largement semblable.

-Et toi, avec Jeanne, ça dit quoi?, ai-je changé de sujet.

Je n'avais pas spécialement envie qu'il me raconte sa vie amoureuse mais je préférais cela plutôt que de l'entendre parler inutilement et qu'il essaie de me caser avec une fille qui ne m'intéressait pas en tant que petite amie.

Mathias n'a pas parlé durant plusieurs secondes. Pour la première fois depuis bien longtemps, il me paraissait gêné, timide et ça me faisait fortement plaisir de le voir dans cet état, lui si courageux d'habitude.
Bizarrement, lorsqu'il se retrouve dans cette situation, je me sens moins seul et beaucoup plus fort par la même occasion.

-Tu sais, ça ne dit plus grand chose. Elle est en Allemagne pour encore trois mois, c'est donc difficile d'entretenir la relation à distance étant donné qu'aucun de nous deux n'est adepte au téléphone, m'a-t-il expliqué.

Il semblait déçu et contrarié. Je l'ai tout de suite deviné au rouge qui lui est monté aux joues et à son regard baissé. Il n'osait pas me regarder dans les yeux et avait certainement aucune envie de discuter durant des heures au sujet de la prénommée Jeanne.

Dans tous les cas, nous n'aurions pas pu continuer car nous nous sommes très rapidement faits arrêtés par un groupe de jeunes garçons qui devaient avoir un an ou deux en moins que nous.
L'un d'eux, au physique agréable mais aux airs prétentieux a été le premier à parler.

-On vous a vus la fois dernière, à la soirée déguisée et on tenait à vous dire que vous étiez très sexy en pompom girls.

Le jeune garçon était sarcastique et la façon dont il nous parlait me déplaisait fortement. J'étais capable de sentir la moquerie à travers sa voix qui était en train de muer. Mon ami, lui, prenait évidemment cela à la rigolade et a amicalement échangé une poignée de main avec les trois garçons.
Pour ma part, je me contentais de rester en retrait et de les reluquer indiscrètement. Ces personnes me déplaisaient et j'aurais pu parier le peu de mes économies qu'ils n'avaient pas de bonnes intentions.

J'ai réussi à rester silencieux durant plusieurs minutes avant d'exploser, de m'exprimer. J'en avais marre de rester immobile comme une pauvre statue que personne ne respecte.

-Pourquoi vous êtes venus nous parler?, ai-je lancé.

-Pour complimenter votre choix de costume, a bêtement répliqué un petit blond.

-Mais qu'est-ce qu'on en a à foutre de votre avis minable et moqueur?, ai-je méchamment craché.

Mathias m'a envoyé un regard d'incompréhension et avait l'air de me questionner de ses yeux foncés.
Il ne semblait pas comprendre la raison pour laquelle je m'emportais de cette manière mais s'il était un peu plus réfléchi et méfiant, il aurait réagi exactement comme moi.

-Certainement rien, a répondu le troisième. En fait, en tout honnêteté, la prof de religion nous oblige de faire un travail stupide sur l'homosexualité et l'on aimerait que tu nous expliques les changements que tu as eus lorsque ton entourage a appris que tu étais une tarlouze.

Les yeux de mon meilleur ami se sont enfin assombris. Il commençait à penser comme moi. Ces garçons étaient des gros débiles qui étaient juste venus chercher les emmerdes.
J'avais vraiment envie de répliquer et des les frapper mais le problème était que leurs paroles m'avaient touché et que j'étais, par conséquent, incapable de faire quoi ce que soit.

-Oh, tu ne veux pas parler de ta sexualité devant tout le monde! Je suis désolé, je ne savais pas, a dit le blond prénommé Hervé.

-Mais lâche l'affaire, petit! On te fait chier, nous car t'es un petit puceau de première catégorie? Non, alors dégage, m'a défendu mon ami.

Au début, les trois jeunes de quatorze ans ont rigolé en faisant semblant d'être effrayés pourtant, ils sont rapidement partis lorsqu'une professeur de mathématiques a fait son apparition. Cette dernière était l'épouse du directeur donc beaucoup la redoutaient.

Je n'affectionais pas véritablement cette professeur. Pour être tout à fait honnête, sa manière de parler et de se tenir m'insupportaient au plus haut point mais j'étais plutôt heureux qu'elle soit arrivée et ait réussi à faire déguerpir ces vermines par sa simple présence.
Ces dernières commençaient sincèrement à me courir sur le haricot mais aussi à me donner des envies suicidaires. C'était stupide mais j'en avais marre d'entendre à longueur de journée que j'étais homosexuel, que j'avais un style féminin et tout le reste.
Personne ne semblait comprendre que ce n'était rien de cela.

Être transgenre est bien plus réfléchi, bien plus profond.
Cela est la suite logique d'un malaise intérieur, un mal-être destructeur.
En effet, je ne me suis jamais senti bien dans un corps comme le mien, dans celui d'un homme.
Je n'ai jamais demandé à personne d'avoir un torse volumineux, des épaules deux fois plus épaisses que celles des femmes, des poils au menton ou encore une voix grave. Néanmoins, on n'a pas toujours ce que l'on veut.

Mathias a remercié la jolie jeune femme- elle restait jolie malgré son ingratitude- et ensuite, il m'a attrapé le bras pour m'emmener plus loin.
Nous sommes allés au réfectoire et nous sommes installés sans dire mot. Mon ami me connaissait assez que pour deviner que les paroles des garçons m'avaient très profondément blessé et qu'il me faudrait du temps pour penser à autre chose. Toutefois, il restait silencieux parce qu'il savait que c'était absolument ce dont j'avais besoin.

Assis l'un en face de l'autre, il a directement sorti son sandwich de son sac tandis que je restais inerte, en face de lui.

-Tu devrais manger, Romuald, ça te ferait du bien, m'a-t-il conseillé en mordant dans son pain.

J'ai accepté son conseil et ai machinalement attrapé mon dîner. J'ai alors commencé à le manger sans grande faim et dans un silence de plomb, presqu'inquiétant.
Pour une fois, j'avais quasiment envie que mon meilleur ami se mette à parler comme il a l'habitude de le faire et qu'il me raconte des choses que je considère habituellement d'inintéressantes.
Il ne l'a pas fait mais Morgane est arrivée et a brisé le silence.

-Ça va, les gars?, a-t-elle demandé en s'installant à ma gauche.

Mathias s'est contenté d'hausser les épaules tandis que j'ai préféré rester silencieux.

-Oulah, quelle ambiance!, a-t-elle constaté d'elle-même. Je peux vous laisser, si vous voulez.

J'ai bêtement eu le réflexe de la rattraper par la manche. Je n'avais aucune envie qu'elle parte et nous laisse à nouveau seuls.

-OK, je reste mais alors, dites-moi ce qu'il ne va pas. Vous vous êtes disputés?

Le garçon en face d'elle a été le premier à répondre en hochant négativement de la tête. Il n'avait certainement aucune envie qu'une rumeur disant que nous étions en dispute ou même en couple ne débarque dans cette école.

-Des petits cons sont venus nous parler par rapport à notre déguisement de vendredi et ils ont terminé par agresser Romuald sur sa sexualité, a raconté Mathias.

La jeune fille a posé ses yeux sur moi et inconsciemment, les miens se sont embués à la pensée des méchancetés qu'on m'a lancées tout à l'heure.
Elle m'a gentiment attrapé le bras de ses petites mains et l'a doucement caressé pour que je sache qu'elle était là physiquement si j'en avais besoin.

-Il ne faut pas écouter des abrutis pareils. Ils n'ont rien de bien à t'apprendre sur toi-même, a-t-elle dit.

Je lui ai attrapé la main à mon tour et l'ai serrée quelques instants. J'avais envie de rester fort mais j'ai fini par baisser les yeux car des larmes salées ont commencé à couler le long de mes joues creuses.
Je me sentais sincèrement débile d'être si faible mais en toute honnêteté, j'aurais été incapable de retenir mon chagrin.

-J'en ai marre que tout le monde juge mon physique ou ma sexualité. Qu'est-ce qu'ils en ont à foutre de savoir que j'aime telle ou telle personne?, me suis-je énervé en essuyant frénétiquement les quelques larmes le long de mon visage.

Mathias était mal à l'aise, je le savais car il déteste voir les gens pleurer, surtout ceux qu'il apprécie.
Morgane, elle, semblait désolée pour moi et m'a entouré l'épaule de son bras.

-Moi, je trouve que tout ce que cette personne t'a reproché est ce qui te rend si génial.

-Merci.

Nous nous sommes échangés un sourire sincère et lumineux.

-Ouais, allez, embrassez-vous, les tourtereaux, s'est exclamé notre ami, assis en face de nous.

J'avais une envie folle de prendre la jolie rousse par la taille et de l'embrasser tendrement pourtant, je me suis contenté de lui faire la bise. C'était pathétique de ma part et j'allais certainement regretter cet acte durant un petit moment mais je ne m'étais pas senti capable de faire autre chose.

-Je t'aime bien, moi, Romuald, m'a chuchoté la jeune fille à l'oreille.

Ces paroles ont rendu le moment un peu meilleur, un peu plus agréable.

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[14/11/2016-#19 catégorie nouvelle]
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