Chapitre 3
Je suis là pour toi, Cait. Dis-moi que tout va bien.
Je repose mon portable d'une main lourde et me laisse retomber en arrière, sur mon lit. Ses vibrations m'ont tirée de ma torpeur un instant, mais je ne me sens pas capable de répondre à Inès pour le moment. Je ne me sens capable de rien, en fait. Juste de rester allongée, les yeux dans le vague. Depuis combien de temps maintenant suis-je là ? Bonne question. Trente minutes au moins. Peut-être une heure. Voire deux, pour ce que j'en sais. Je suis seule avec mes pensées et la déchirure en moi. Et avec un bracelet vert qui n'a plus aucun sens mais que je triture tout de même inlassablement entre mes doigts depuis que je suis rentrée à la maison. Je brûle de le jeter. Mais alors, ce serait vraiment fini entre Maël et moi. Si bien que je le garde dans ma main, et j'attends.
Des musiques tristes s'élancent dans mes oreilles via mes écouteurs. Back to December de Taylor Swift, Let me down slowly d'Alec Benjamin, Before you go de Lewis Capaldi, Le Dernier Jour des Icebreakers. J'imagine que ça ne doit pas améliorer mon humeur. Mais je ne veux pas aller mieux. Pas encore. Tant que la douleur existe, ma relation avec Maël a de l'importance. Si je me console, elle n'existera plus. Et cette pensée m'est insupportable.
Après dix heures, la journée est passée étonnamment vite. Entourée d'une brume d'incrédulité, j'ai traversé le reste des cours de la matinée comme sous anesthésie. Je me suis persuadée que ce que je venais de vivre n'était qu'un rêve. Ou qu'un quelconque retournement de situation allait me démontrer que toute cette histoire n'était qu'une vaste farce.
C'est quand j'ai retrouvé Inès à la cantine que je me suis mise à pleurer. Son air désolé, ses paroles pleines de compassion m'ont fait comprendre que tout était bien réel.
L'estomac noué, incapable d'avaler quoi que ce soit, je lui ai raconté la... rupture – j'ai encore du mal à accepter ce mot. Je lui ai répété les paroles de Maël. Qu'Élodie et lui s'étaient pas mal rapprochés au cours des dernières semaines. Qu'il n'avait pas l'intention de faire les choses derrière mon dos, mais que samedi dernier, les événements l'avaient dépassé. Que, l'irréparable ayant eu lieu, il ne souhaite pas revenir en arrière.
« L'irréparable. » Je me suis demandé ce qu'il voulait dire par là. Qu'il a embrassé Élodie ? Ça, c'est sûr. Il n'y aurait pas toute une histoire pour moins que ça. Mais est-ce qu'ils ont fait... plus ? Ce que je lui refusais encore, avec de moins en moins de conviction à chaque fois que nous nous retrouvions seuls chez l'un de nous ? Possible. Probable. L'alcool aidant, à quel point lui aura-t-il été facile de tomber dans d'autres bras que les miens ?
J'ai encaissé ses propos sans pouvoir lui répondre. Je voulais juste qu'il se taise. Mais il parlait, sans s'arrêter. Comme si au fond, il cherchait à ce que je l'excuse.
Je le connais bien, Maël. Je ne serais pas sortie avec lui s'il n'avait pas un bon fond. Je percevais la gêne en lui... mais je sentais aussi ce qu'il cherchait à me faire comprendre à demi-mots : même s'il n'y avait pas eu la soirée de samedi, il m'aurait quittée de toute façon. C'est simplement arrivé plus tôt qu'il ne l'attendait. Quand ses sentiments ont-ils commencé à changer ? Je n'ai rien vu venir. Il n'a jamais cessé d'être prévenant, comme au tout début de notre histoire, il y a huit mois, quand il m'a fait chavirer en glissant tous les jours un petit mot dans mon casier. J'adorais cette manière qu'il avait de me faire sentir spéciale, qu'il m'ait remarquée, moi, parmi toutes les autres filles du lycée. Il me disait qu'à ses yeux, j'étais la plus belle de toutes, et dans le miroir de ses prunelles, c'est aussi ainsi que je me voyais...
Et désormais, j'étais là, debout dans la cour, sous le regard moqueur d'Élodie et celui, curieux, des élèves qui passaient par là. Je sentais la honte me ronger. Malgré tout mon amour, tous mes efforts, je n'avais pas réussi à garder le cœur de Maël...
Quand ses paroles se sont taries, ça a été à mon tour de lui poser des questions. Pourquoi ? Qu'est-ce qui n'allait pas chez moi ? Tu es sûr que nous ne pouvons rien sauver ? Qu'est-ce qu'elle a de plus que moi ? Et puis, la plus importante pour moi :
— Est-ce que tu m'as au moins aimée ?
Maël s'est tu un long moment quand j'ai demandé cela. Pendant toute la durée de son silence, j'ai entendu un « non ». Finalement, il a eu le courage de me répondre :
— Sûrement, Caitlin. Mais je ne t'ai jamais comprise.
Qu'est-ce que ça voulait dire ? Je ne sais pas. J'ai repensé à notre relation dans un flash. J'avais l'impression que nous allions bien ensemble, moi... Maël était gentil, il me faisait rire, et je m'efforçais d'être toujours là pour lui quand il en avait besoin. C'est vrai, il lui arrivait de s'étonner que je puisse me plonger aussi profondément en moi-même lorsque je dessine – il a toujours été plus terre-à-terre que moi –, mais je croyais qu'il trouvait ça mignon... Il plaisantait souvent en disant que j'avais une « âme d'artiste », une « vision du monde bien à moi ». À chaque fois, je prenais ses remarques comme des compliments : peut-être aurais-je dû comprendre qu'il s'agissait de signaux d'alarme ? Qu'il me reprochait de le laisser sur le seuil de mon jardin secret ? Pourtant, je n'avais pas l'impression de lui en avoir barré l'accès...
J'aurais voulu lui poser davantage de questions, mais j'ai eu le sentiment qu'il ne pourrait rien me dire de plus, et je ne pouvais plus supporter le regard d'Élodie. Alors je suis partie, à pas lents, un peu sonnée. Avec une larme au coin des yeux.
Quand je me suis tue, Inès m'a adressé un regard compatissant, et en retour, elle m'a donné les informations qui me manquaient sur la soirée de samedi. Maël et Élodie se sont bien embrassés, sans être gênés par le regard des autres élèves présents à la fête. Ils sont partis ensemble. On ne sait pas où ils ont dormi. En tout cas, le lendemain, Élodie est venue avec Maël à l'après-midi Netflix organisé par ses amies, et ils sont restés collés l'un à l'autre sous un plaid en enchaînant les épisodes de la série qu'ils regardaient.
J'ai pleuré, beaucoup. Le récit d'Inès faisait surgir dans ma tête des images insoutenables. Je connais la douceur de la peau de Maël. J'avais l'impression qu'on m'arrachait la mienne quand je me représentais sa main dans celle d'une autre.
À la fin de la pause de midi, j'avais les yeux rougis et gonflés, et les larmes m'avaient donné mal à la tête. Je suis allée à l'infirmerie et j'ai prétendu être malade. Comme je l'ai été vraiment en fin de semaine dernière, je n'ai pas eu de mal à faire passer mon état pour une rechute. J'ai réussi à obtenir un mot de sortie, et j'ai quitté le lycée.
Je sais que demain, j'aurai à affronter une dose de rumeurs en plus, que mes camarades ne manqueront pas de commenter ma fuite. Mais tant pis. Je n'étais pas de taille à affronter celles d'aujourd'hui.
Je ne suis pas rentrée chez moi j'avais besoin d'air. Je suis allée dans un parc, et je me suis assise sur un banc. J'ai pleuré, encore. J'ai regardé le bal des pigeons. À un moment, j'ai sorti un cahier et un crayon et j'ai commencé à griffonner. La tête de Maël revenait souvent, mais pas comme dans les dessins de lui que j'ai tant fait par le passé. Son regard n'était plus brillant, mais dur, sombre. Ses membres aussi secs que les barreaux d'une prison.
Finalement, mon cahier a cessé de se parsemer des ronds humides de mes larmes. Sûrement n'en avais-je plus à verser. C'était l'heure à laquelle je sors de cours habituellement : j'ai donc pris le chemin de ma maison, pour ne pas inquiéter Maman.
Quand elle est rentrée, une demi-heure après moi, je ne lui ai rien dit. Elle a dû remarquer que mes yeux étaient rouges, et que je n'ai prononcé que des onomatopées pendant tout le repas. Mais elle a sans doute cru que j'étais encore fatiguée par la maladie qui m'avait cloué au lit ce week-end, car elle ne m'a pas posé de questions.
Après manger, je suis montée dans ma chambre. Et me voilà, assise sur mon lit, à ressasser mes pensées, à écouter de la musique et à triturer mon bracelet vert. Pour combien de temps encore ? Je ne sais pas. Je pense que je pourrais rester là des heures encore, à l'abri du jour à venir...
Les images dansent dans ma tête, le bracelet fait de même autour de mes doigts. Maël. Élodie. Son rictus. Inès.
Un tour de bracelet.
Est-ce que tu m'as au moins aimée ?
Un tour de bracelet.
Sûrement, Caitlin.
Un tour de bracelet.
Mais je ne t'ai jamais comprise.
Le bracelet vert se casse.
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