☆ chapitre 4 ☆

Avalanche

Hyunjin avait peut-être le soutien qu'il attendait de sa mère, mais il n'était toujours pas mieux traité au lycée par les autres élèves. Les regards étaient difficiles à encaisser, mais les insultes et les coups l'étaient bien plus. Il savait qu'il devait en parler, ne pas garder tout ça pour lui, mais il était dans un tel état de peur constant qu'il craignait que la situation s'empire s'il venait à dénoncer certains comportements. Et il y avait tant de personnes qui se moquaient de lui qu'il s'imaginait déjà devoir quitter l'établissement pour en trouver un autre, chose qu'il ne pouvait pas concevoir. Cela impliquait beaucoup trop de changements et surtout, un coût supplémentaire. Là, à Colewood, les transports étaient totalement pris en charge afin qu'il puisse se rendre au lycée. S'il venait à étudier ailleurs, dans une autre ville, il serait obligé d'assumer une partie des frais et sa famille ne pouvait pas se le permettre à cet instant. De plus, ce serait probablement deux fois plus fatigant pour lui. Se lever plus tôt, rentrer plus tard, tout ça combiné à son emploi au fast food, ce n'était pas viable. Il allait s'épuiser et perdre espoir.

Il n'avait pas le courage nécessaire pour fuir sans même savoir si sa situation serait mieux ailleurs. Cette vidéo pouvait le suivre partout, et d'autres pouvaient même être dévoilées. Ici, il avait Jeongin, et il n'imaginait pas devoir repartir de zéro. Alors il encaissait. Parfois, il avait envie de tout abandonner, de ne plus jamais sortir de sa chambre et de rester enfoui sous les couvertures, mais à quoi bon ? Sa vie n'en serait pas meilleure, et il ne le savait que trop bien. S'il commençait à s'enfoncer dans cet engrenage infernal, il n'en sortirait pas. S'il était bien conscient d'une chose, c'était qu'il ne devait pas se laisser abattre même si tout semblait compliqué. Ses bourreaux allaient continuer leur petite vie tranquille, ils allaient avoir leur diplôme de fin d'année, entrer à l'université et aspirer à un bon emploi, et il en avait tout autant le droit. Même si c'était dur, même s'il devait se faire violence pour continuer ce chemin vers l'avenir, il ne voulait pas abandonner.

Jeongin avait beau lui répéter qu'il devait en parler, il refusait. Comme il refusait de se rendre au commissariat. C'était trop de responsabilités qu'il ne voulait pas assumer. Trop de situations sérieuses dans lesquelles il ne voulait pas s'impliquer. La vidéo, il voulait l'oublier, et il pouvait l'oublier. Les moqueries et les insultes ne portaient plus sur cette dernière, mais plutôt sur son orientation sexuelle. Pourtant il n'était pas le seul homosexuel dans cet établissement, d'autres étaient concernés et le montraient en faisant partie du club LGBTQIA+, mais peut-être que la manière dont tout ceci avait été dévoilé engendrait ce genre de comportement.

Las de toutes ces réflexions, Hyunjin soupira et se laissa tomber sur le dossier de sa chaise. Cela faisait de longues minutes qu'il se trouvait dans la bibliothèque de la ville, à proximité du lycée, à tenter de travailler un peu son devoir d'Histoire qu'il devait rendre la semaine prochaine, mais il éprouvait quelques soucis de concentration. Il jeta un coup d'œil par la fenêtre, la nuit était tombée et cette obscurité ambiante lui noua la gorge. Il n'avait même pas fait attention à l'heure, la bibliothèque restait ouverte jusqu'à vingt-deux heures en semaine, cela permettait aux étudiants d'y faire des recherches jusque tard le soir et aussi de réviser dans le calme. Hyunjin n'aimait pas forcément y aller, mais sans ordinateur chez lui et avec un forfait de téléphone qui ne lui donnait pas beaucoup accès à internet, il trouvait cette solution utile plutôt que de toujours demander à Jeongin de l'aider. Il voulait aussi se débrouiller par lui-même.

Il avait déjà bien avancé sur son devoir et il devait rentrer, sinon sa mère serait inquiète. Elle devait encore se trouver sur son lieu de travail, mais elle avait sans doute bientôt terminé. Et puis, il commençait à avoir un peu faim. Avec un nouveau soupir, il rangea ses affaires dans son sac et se leva, un manuel d'étude à la main. D'autres élèves présents dans la grande salle lui lancèrent de brefs regards, mais ils étaient insignifiants comparés à ceux qu'il recevait à longueur de journée. Ici, il se sentait un peu plus en sécurité que dans la cour, exposé à tous.

Le manuel d'Histoire remis à sa place, il quitta le bâtiment et inspira l'air frais à pleins poumons. L'obscurité était aussi terrifiante qu'un soulagement. Il avait l'impression que là, engouffré par la pénombre, personne ne pouvait le voir, personne ne pouvait l'atteindre et en même temps, il tremblait à l'idée qu'une ombre surgisse de nulle part. Un frisson lui parcourut l'échine tandis qu'il marchait sur le trottoir pour rejoindre le centre-ville et aller chercher de quoi prendre un dîner rapide à l'épicerie. Il pressa le pas et passa devant le lycée, les lumières du terrain de football étaient encore allumées. Il se demanda si l'entraînement était terminé.

Les joueurs de l'équipe étaient particulièrement odieux avec lui, mais il ne pouvait pas se résoudre à dénoncer leur comportement. Dans le fond, il savait qu'il aurait dû le faire.

Il ferma les yeux une fraction de seconde et ce fut le visage du quarterback qui apparut dans son esprit. Un mouvement de tête le fit disparaître, Hyunjin passa une main dans ses cheveux ébène pour les rabattre vers l'arrière. Pourquoi pensait-il à lui ? Ça ne faisait aucun sens. Enfin… à bien y réfléchir, peut-être que si finalement. Lee Minho n'avait jamais réellement été virulent à son égard. Froid, hautain, un peu dédaigneux peut-être, mais jamais mauvais. Il ne semblait pas être la personne la plus tolérante et s'était déjà moqué de lui en présence de ses coéquipiers et amis, mais ça s'arrêtait là.

Voilà qu'il essayait de lui trouver des excuses !

Hyunjin se reprit, cherchant à chasser de sa tête le visage un peu trop parfait du jeune homme. Bien sûr, il le trouvait beau, même à son goût, et il comprenait aisément pourquoi toutes les filles l'admiraient. Son visage inexpressif présentait des traits assez durs ; une mâchoire anguleuse, un nez droit et des pommettes saillantes. Ses cheveux noirs tombaient sur son front, lui barraient presque le regard, mais se mariaient parfaitement avec sa peau hâlée. Et puis, pour un adolescent de presque dix-huit ans, il avait un corps plutôt robuste et des épaules larges. Comme chaque joueur de l'équipe, il représentait le parfait petit ami que toutes les romances mettaient en avant. Le bad boy, le sportif mystérieux et inaccessible.

— Hé mais c'est pas la pédale du lycée ?

Alors qu'il passait par une petite rue parallèle à l'axe principal de Colewood, Hyunjin pressa le pas sans se retourner. L'endroit était peu éclairé et ce qu'il venait d'entendre lui fit froid dans le dos.

— Si, c'est lui !

De toutes ses forces, il s'accrocha aux bretelles de son sac à dos et accéléra encore. Il entendait les voix derrière lui, de plus en plus proches. De plus en plus menaçantes. Les insultes. Les rires.

La peur.

— Attends, tu vas où comme ça ?

Une main agrippa son poignet avec tant de force qu'il laissa échapper un cri de douleur. Il ne voulait pas se confronter à quiconque, alors il ferma juste les yeux. C'était comme si ce qu'il ne voyait pas n'existait pas.

— Lâchez-moi, bredouilla-t-il.

Des rires éclatèrent et il se retrouva très vite plaqué contre un mur. Le choc lui fit ouvrir les yeux malgré lui et son regard se planta dans celui qui le maintenait fermement. Une main sur son épaule, l'autre toujours autour de son poignet, Hyunjin resta tétanisé.

— T'es pas gêné de te balader comme ça dans la rue.

Il jeta un coup d'œil à droite pour constater que deux autres garçons étaient là. Trois contre un, ce n'était absolument pas fair-play. Il allait se faire écraser comme une vulgaire mouche. Il n'avait pas la force de lutter, et il savait qu'il ne faisait pas le poids dans une telle situation. La seule fois où il décidait de rester un peu plus longtemps en ville pour travailler, il tombait sur des gens qui voulaient s'en prendre à lui. Même les week-ends où il avait été de service au fast food et qu'il finissait à plus de minuit, tout s'était bien passé. Pourtant, il en avait croisé des élèves de son lycée, des personnes qui se moquaient ouvertement, qui le touchaient de manière inappropriée pour s'amuser, mais jamais qui voulaient s'en prendre violemment et physiquement à lui.

— T'allais où ?

Hyunjin déglutit.

— À… à la supérette.

Le jeune homme face à lui haussa un sourcil.

— Pourquoi ?

— Je… je…

Il n'arrivait pas à aligner deux mots et cela fit éclater de rire les trois garçons. Lui, il avait juste envie de fondre en larmes. Il se sentait tellement vulnérable là, contre ce mur, où personne ne pouvait venir à son secours.

— Laissez-moi, s'il vous plaît.

— Et pourquoi on ferait ça ? Parce que tu nous le demandes ? Dommage, la parole des pédales à pas vraiment d'importance pour nous.

Il lui asséna une petite tape sur la joue qui résonna à peine dans la rue et Hyunjin ferma les yeux. Les larmes commençaient à monter, mais il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour ne pas les laisser couler. Les secondes qui s'écoulaient lui parurent durer une éternité. Il attendait le moment où tout exploserait, où il recevrait le premier coup qui le ferait défaillir. Mais un bruit plus loin dans la rue détourna brièvement l'attention de tout le monde.

— Putain, y'a quelqu'un ! s'exclama l'un des garçons.

— Mais non ! Tu vois bien qu'il y a personne !

Le cœur de Hyunjin s'emballa. Il le sentait battre dans ses tempes, dans sa gorge, et ses oreilles se mirent à bourdonner. Les voix des agresseurs résonnaient dans la rue sombre et amplifiaient ses craintes. Sa respiration s'accéléra, chaque souffle court et saccadé, trahissait son état de panique. Il se sentait piégé, comme un animal acculé, incapable de s'échapper. Intérieurement, il priait pour que quelqu'un débarque, n'importe qui tant qu'il pouvait enfin retrouver sa liberté.

Il tourna la tête pour regarder au bout de la rue et une silhouette se dessina, de plus en plus clairement, sous les lampadaires. Les rires se turent, remplacés par des murmures et des regards échangés. Les trois garçons semblèrent hésiter.

— On ferait mieux de filer, marmonna l'un d'eux.

— Ouais, on dégage, retorqua l'un des assaillants, jetant des coups d'œil nerveux autour de lui.

Hyunjin sentit la pression sur son poignet se relâcher, mais ses jambes restaient clouées au sol, comme paralysées par la peur. Il n'osait pas bouger, pas même respirer profondément. Les garçons échangèrent quelques murmures rapides avant de s'éloigner, ricanant encore à demi-voix. Il les regarda partir, son corps tremblant de la tête aux pieds. Une fois sûr qu'ils étaient assez loin, il laissa enfin les larmes couler librement et s'effondra au sol, les genoux recroquevillés contre son torse.

Il resta là un moment, le dos contre le mur, le souffle saccadé. La rue était de nouveau silencieuse, à l'exception de ses sanglots étouffés. Reprenant peu à peu ses esprits, il essuya ses joues d'un revers de manche et se força à se redresser.

— Ça va ?

La voix qui retentit près de lui le fit sursauter et, s'il n'était pas aussi tétanisé, il aurait fui à grandes enjambées. Mais l'angoisse l'empêchait de bouger et quand ses yeux croisèrent ceux de Minho, tout se bouscula dans sa tête. Il dut se retenir au mur derrière lui et le jeune homme tenta de le rattraper, mais Hyunjin ne lui en laissa pas l'occasion. Son corps tout entier refusait que quiconque le touche. Encore une fois, il s'effondra et se mit à pleurer comme un enfant. La présence du quarterback le rendait nerveux et en même temps, il se sentait presque rassuré qu'il soit là.

— Ils ne t'ont pas fait trop mal ?

Hyunjin releva les yeux vers lui et secoua négativement la tête. Tout était flou, il se sentait incapable de parler. Les larmes coulaient encore et encore et Minho restait face à lui, debout, immobile. Il l'observait pleurer, et il se demanda s'il ressentait une certaine satisfaction à le voir aussi misérable. Mais il finit par s'accroupir et lui tendre un mouchoir en papier que Hyunjin accepta. Il estompa ses joues humides et se moucha, puis le quarterback se redressa.

— Allez, debout.

Il lui présenta une main qu'il hésita à saisir. Des tonnes de questions se heurtaient dans son esprit et il resta focalisé sur le geste de Minho qu'il peinait à comprendre.

— Debout, insista-t-il.

Tremblant de tout son être, Hyunjin obéit et lui attrapa la main. Avec une force impressionnante, le quarterback l'aida à se remettre sur ses deux pieds et Hyunjin lui lâcha aussitôt la main. Ses jambes tremblaient encore, mais la présence de Minho, aussi surprenante fut-elle, lui apportait un semblant de réconfort. Ils commencèrent à marcher en silence, leurs pas résonnaient lourdement les uns à côté des autres.

— Pourquoi t'as fait ça ? murmura finalement Hyunjin, la voix brisée.

Minho resta silencieux. Ils tournèrent à gauche, là où se trouvait l'épicerie où le jeune homme devait se rendre.

— Tu voulais acheter quelque chose ici, non ?

— Oui, mais…

— Tu en parles à personne, d'accord ? l'interrompit Minho.

Hyunjin cligna des yeux à plusieurs reprises.

— De…

— Ce qui s'est passé ce soir. Tu ne dis rien à personne. Tu ne m'as pas vu.

Le ton de Minho était ferme, presque autoritaire, et Hyunjin hocha lentement la tête, encore trop secoué pour protester ou poser plus de questions.

— Merci.

Minho le fixa mais ne répondit pas, puis il tourna les talons pour disparaître. Hyunjin pénétra dans le petit magasin. À l'intérieur, les lumières brillantes et la musique douce tentaient de créer une atmosphère chaleureuse, mais il se sentait étrangement détaché de tout. Chaque geste lui semblait mécanique, automatique. Il attrapa un sandwich, une bouteille d'eau et quelques collations avant de se diriger vers la caisse. Ce qui venait de se produire ressemblait plus à un rêve qu'autre chose. Il se sentait toujours fébrile, comme s'il flottait entre deux mondes. Les images de l'agression tournaient en boucle dans sa tête, mélangées aux éclats de voix de ses agresseurs et au regard intense de Minho. Il avait du mal à croire ce qui venait de se passer et à comprendre son attitude. Le quarterback, si distant et parfois méprisant, venait de lui porter secours d'une manière inattendue.

Il déposa ses achats sur le tapis de la caisse, le regard perdu dans le vide. La caissière lui demanda distraitement si tout allait bien, mais il se contenta d'un hochement de tête. Il paya avec quelques pièces qu'il gardait dans ses poches et sortit du magasin, les pensées toujours embrouillées. Il devait rentrer chez lui, retrouver un semblant de normalité.

Arrivé dans son quartier après un trajet en bus pendant lequel il était resté focalisé sur le siège face à lui, il se hâte jusqu'à sa maison. Il déverrouilla la porte et la poussa, sa mère n'était pas encore rentrée. Il avala son repas, alla se laver, puis se glissa dans sa chambre. Avec un lourd soupir, il se laissa tomber sur son lit. Le silence de la pièce fut à la fois apaisant et écrasant. Il respira profondément et tenta de calmer les battements frénétiques de son cœur. Les événements de la soirée le hantaient. Les insultes, les rires cruels, la peur paralysante, puis Minho.

Hyunjin ne comprenait toujours pas ce qui s'était passé. Était-ce de la compassion ? Un simple acte de bonté ? Ou y avait-il une autre raison derrière tout ça ? Ces questions le tourmentaient, mais il était trop épuisé pour y chercher des réponses pour l'instant.

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