Chapitre 3 : Judy
L'eau qui coule sur mon corps me brûle. Tel un feu en moi. L'eau de l'orphelinat est comptée, en effet j'en utilise beaucoup... Je m'autorise une grosse douche par semaine.
Je suis née sous X, ma mère ne s'est pas déclarée à ma naissance. Elle a préféré rester anonyme. Tout ce que je garde d'elle c'est mon prénom. C'est elle qui l'a fait écrire sur le papier à la maternité : Judy. Quatre lettres.
Après quelques jours à l'hôpital où les infirmières ont écrit dans un carnet, mon poids, ma taille, comment se sont passés mes premiers jours. Elles se sont même amusées à deviner ma couleur favorite, mon futur métier, mon animal préféré... Je l'ai lu et observé tout au long de mon enfance. Elles ont écrit les traces de mes premiers jours. Sinon, personne n'aurait pu me le raconter.
J'ai été placée sous pouponnière, c'est un établissement qui accueille les enfants abandonnés jusqu'à leur 3 ans.
J'ai lu beaucoup d'articles, je me suis renseignée sur ce qu'il m'était arrivée pourquoi je n'étais pas comme les autres. Pourquoi je n'avais pas de parents ? Pourquoi je ne savais même pas ce qu'ils étaient dans la vie ? Étaient-ils morts ? Je ne connais même pas leurs prénoms. Et je ne pourrai le savoir que si ma génitrice le veut. Mais je ne suis même pas sûre de vouloir le savoir. Ils ne voulaient plus de moi, alors pourquoi voudrais-je d'eux ?
Mes parents avaient deux mois pour changer d'avis et ma famille en avait trois s'ils souhaitaient être adoptifs. Personne ne s'est manifesté.
Sur ce, je sors de la douche. Je m'essuie et je descend. L'orphelinat dans lequel je suis maintenant est grand mais c'est pas le plus grand de ceux où j'ai été. Avant celui-ci, il y a 5ans, j'étais dans un orphelinat plus grand à près de six étages. C'était limite un château. Puis après j'ai été déplacée dans un orphelinat plus petit où j'ai pu faire mes études du collège avec une des professeures. Pour le lycée ça va être très différent. Je ne serai plus à l'orphelinat avec la professeure que je connais depuis quatre ans et qui m'apprend toutes les matières. Je suis sûre que pour avoir toutes les connaissances qu'elle a il faut au moins un bac plus 15 !
Bref, plus rien ne sera pareil. La gérante de l'orphelinat, Mme Rofel, appelle ça "le grand saut". Une jolie métaphore mais elle ne sait pas vraiment comment ça se passe pour les enfants car elle n'a jamais eu d'enfants de mon âge, je suis la première dans son orphelinat. Elle est plutôt jeune, je sais que dans les contes c'est souvent de vielles dames et tout ça mais dans cet orphelinat c'est différent. Son histoire est assez dûre, sa famille l'a reniée simplement parce qu'elle était enceinte à 15ans. Elle a ensuite perdu le bébé. Elle était seule, personne n'était là pour elle, elle a expliqué à sa famille qu'elle avait perdu le bébé et que le papa était parti à des centaines de kilomètres après avoir su qu'il avait mis sa copine enceinte. Mais rien n'y faisait, sa famille ne voulait plus d'elle, définitivement. C'était une famille très riche et avoir une "tâche" (comme ils l'avaient appelée) était une pure honte ! Elle s'est donc débrouillée seule sans personne, puis elle a trouvé cette grande maison, et le manque de ce bébé qu'elle avait porter huit mois avant sa mort in-utero lui avait fait bien réfléchir sur son avenir. Elle décida d'acheter cette maison sans même la visiter. Puis elle l'appela "Disowned Family" en hommage à son histoire. Elle ne voulait pas que des enfants se sentent rejetter par leur propre famille. Elle ouvrit cette orphelinat il y a 7ans. Elle m'a raconté toute cette histoire lors de notre première réunion pour parler du lycée.
Je met la table, nous sommes six, je suis la plus grande. Il y a deux jumeaux de 4ans, une jeune fille de huit ans et un garçon de 7ans et demi. Et moi qui ai 15ans, et bien je suis seule... Mais c'est pas grave, en septembre je suis décidée à me faire des amies. Tout plein d'amies, je ne veux plus me sentir seule. Et je veux avoir quelqu'un avec qui parler quand ça ne va pas... Parce que Mme Rofel est très gentille, douce, réceptive et compréhensive mais elle n'est pas ma mère. Et j'ai beaucoup de mal avec ça, je n'ai jamais confiance pleinement en quelqu'un. Puisque je n'ai jamais eu de mère ou de père je ne connais pas vraiment l'affection, la douceur, les contacts comme les câlins ou les petits bisous avant d'aller se coucher. Ça fait de moi une personne assez agressive mais il faut juste être patient avec moi, j'ai besoin de temps pour accepter la personne et ensuite créer un lien de confiance.
En arrivant, Mme Rofel me tend le courrier de la journée puis elle part préparer le repas dans la cuisine. Comme d'habitude, j'ai le droit au journal quotidien pour m'enrichir de la vie extérieur ! (Paroles de Mme Rofel une seconde fois).
Dans le journal il y a un article sur les droits des mères je lit cette phrase au moins une quinzaine de fois et elle se fige dans ma mémoire :
"Refuser d'être mère est un droit que la loi leur accorde."
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