Chapitre 42

>> The night we met, Lord Huron.

Un an plus tôt ...

Je monte les escaliers, une marche après l'autre avec concentration. Mon sac à dos vissé sur mon dos, j'arpente les couloirs de mon lycée. Un vide important me secoue les entrailles et soude mes mâchoires entre elles, le regard triste et la tête dans le gaze, les murs gris défilent devant moi. Mes cheveux lâchés encadrent mon visage, certaines mèches sont coincées entre mes cils collés de mascara épais. Mes lèvres gercées resteront closes toute la journée, en silence, j'attendrai que la cloche sonne pour pouvoir rentrer chez moi. Cinq semaines. Il a suffi de ce laps de temps pour que mon quotidien s'écroule. Que les rires et les sourires soient effacés de ma vie. Pour que les bleus et les insultes les remplacent. Soudain, mon pied heurte quelque chose et je tombe, le visage contre le sol. Je me redresse en tremblant et porte mes mains à mon nez. Une douleur aiguë s'en y échappe, et je regarde avec horreur le sang tâcher mes doigts. Des gouttes rouges tombent les une après les autres sur le sol. Des bruits de pas précipités se font entendre, et je devine qu'ils s'éloignent. Je me réfugie contre le mur, et me renferme entre mes bras. Je sors avec effort un mouchoir de mon sac et essuie tout doucement mon nez douloureux. Il n'a pas l'air cassé, juste amoché. Ce n'est rien. Mon visage se crispe et des larmes roulent sur mes joues. Ce n'est pas rien, mon dieu. Ce n'est pas rien.

-  Elle est toujours à l'intérieur ? Je demande à Will, quand il vient me rejoindre sur les marches de la porte de derrière.

Il hoche la tête.

- J'arrive pas à croire qu'elle se soit mise à faire une scène ... Je lâche en me mordillant le pouce.

- Elle m'a l'air fragile. 

Je lui jette un regard vif. Le sien est perdu parmi les arbres se balançant dans la nuit.

- J'ai vu comment elle t'a regardée quand tu as traversé le salon sans lui jeter un regard.

- Et ? Je demande, presque agressive.

- Je sais pas Nia... Sa voix douce contraste avec le ton de la mienne.

Je souffle et fait sauter mon genou d'un geste nerveux.

- Je veux qu'elle parte.

- Je sais.

- Non mais tu as vu mes parents ? Tous autour d'elle pour la réconforter !

- Nia, calme toi. 

Ses bras chauds viennent m'entourer, et je me détends un peu.

 - Calme toi, continue-t-il.

- Je la hais.

- Je sais, je sais...

- Elle avait pas le droit, elle avait pas le droit de se mettre à pleurer comme si je lui avais fait mal !

- Je sais.

- Non tu sais pas ! 

Je me dégage de sa chaleur, et rentre mes mains dans les manches de mon pull, en baladant mon regard vers ces grands arbres dont les feuilles exécutent une douce mélodie sous l'effet du vent.

- Je me sens invisible. Je lui confie.

Je dirige mes yeux vers les siens.

- Explique.

Je prends une grande inspiration et reporte mon attention sur les arbres.

- J'aurais mieux fait de me noyer cette nuit là...

- Qu... 

- Will. Je le coupe. Ca ira jamais mieux.

- Et c'est une raison de penser ça ? Rit-il amèrement.

- Will...

- Non Nia ! Il se lève et fait les cent pas devant moi. Et dans toute ta douleur, je suis où moi ? Je vaux pas la peine que tu arrêtes juste une minute de penser à ta vie dramatique ? 

J'écarquille les yeux, surprise. Mon cœur bat de manière désordonnée.

- Arrêtes de te raconter des conneries ! Tu es plus forte que ça Nia ! Cette fille qui est à l'intérieur, il pointe un doigt vers la porte, et aussi détruite que toi... Finit-il plus bas.

Mes iris se promènent sur lui, et un malaise m'envahit, venant de nulle part.

- Vous êtes nocives l'une pour l'autre. Mais moi je partirai pas, même si tu me le demandais. Je partirai pas , Nia . Alors mets-toi dans le crâne que je vais tout faire pour que tout aille bien pour toi. Pour nous. Alors je te demande d'aller dans ce salon, de t'asseoir à cette table où se trouve ta famille, et de faire semblant de manger. Ignore cette fille, t'es plus forte qu'elle. Tu as une famille, ne lui tourne pas le dos parce que tu te crois invisible. Alors...

Il arrête son monologue quand il me voit me lever.

- Je suis prête. On peut y aller.

Je ne peux éviter son sourire fier quand je passe à côté de lui. 

********

C'est avec un sourire chaleureux que ma tante me tend la purée de pomme de terre. Je la remercie d'un hochement de tête. Je m'en serre un peu et en picore avec le bout de ma fourchette. Je souris presque en voyant Will manger avec appétit. C'est étrange, ce repas. Je pensais pouvoir y échapper, que tout le monde aurait compris que c'était impossible qu'on soit tous rassemblés ainsi. Lorsque je relève la tête de mon assiette, c'est avec mépris que je croise celui de Kiara, des traces de mascara sous ses cils. Ses cheveux ont poussé, après sa coupe à la garçonne improvisée, ils lui arrivent aux épaules, ondulant légèrement. Je me surprends moi-même d'avoir oublié notre ressemblance. Seule la couleur de nos yeux et de nos cheveux change, nous avons pris les traits de nos mères, parfaites jumelles.Pourtant, on est si différente. Et heureusement.

- Vous ne parlez pas les filles ? Ca ne vous ressemble pas ! Lance mon oncle avec un rire.

Malgré sa joie, je le fusille du regard, et je sens Will se crisper à mes côtés.

- Pardon ? Je lance.

- Nia... Me souffle Will, une mise en garde silencieuse, mais pas suffisante. 

Mon oncle gigote sur sa chaise, mal à l'aise, alors que ma mère nous lance des regards inquiets.

- T'as envie de parler toi ? Je crache à la fille maigre en face de moi.

Ses iris d'un bleu transparent me dévisage. C'est la première chose que je lui dis depuis près d'un an. D'un geste du menton je l'encourage à répondre.

- Non, dit-elle d'une faible voix.

- Voilà. 

Mon père se prend le visage entre les mains. Ma tante et ma mère se regardent en silence, et mon oncle explose :

- Bon sang ! Mais qu'est-ce qui s'est passé entre vous !

La colère me fouette les veines, et j'éclate moi aussi :

- Qu'est-ce qui s'est passé ? Sérieusement ?

- Hé ... Will me prend la main.

- J'ai sauvé ta fille, voilà ce qu'il s'est passé. 

Je me lève de table.

- J'ai essayé, passer cinq minutes dans la même pièce que toi. Mais trois minutes , c'était déjà trop, je dis en l'attention de la fille habillée de noir. Mais je suis sûre que pour toi, c'était bien pire, tu sais ... Savoir que je respire.

Je vois les larmes brillaient dans ses yeux avant de partir par la porte d'entrée. Je ne vais pas très loin, je vais juste m'asseoir sur le tronc d'arbre qui fait office de banc au milieu de mon jardin. J'y reste pendant ce qui me semble une éternité. Puis, j'entends des bruits de pas, je m'apprête à dire à Will que j'ai besoin de temps pour me calmer, mais ce n'est pas lui.

- Tu venais souvent t'asseoir sur ce tronc.

Kiara s'installe à côté de moi. Elle sort un paquet de cigarettes de la poche de sa veste.

- Tu fumes, toi maintenant ? Je lui lance, un sourcil arqué.

Elle rit faiblement en calant une cigarette entre ses lèvres.

- Il y a pleins de trucs que je fais, répond-t-elle en dirigeant la flamme de son briquet.

 De la fumée s'échappe de sa bouche, et je l'observe en silence, bien trop calme. Une douce sensation me saisit l'estomac, et je serre les dents quand je la reconnais et qu'une pensée l'accompagnant me vient à l'esprit : « elle m'a manquée ». Un épais trait de khôl noir dessine ses yeux clairs et une fine frange lui tombe librement sur le front, se soulevant à chaque brise. La maigreur de ses jambes cachées dans un jean noir troué et les fines marques sur sa peau me donnent des frissons.

- T'as changé, je lâche.

Elle sourit.

- Toi aussi.

- Ouais ... Je regarde ailleurs, gênée, c'est tellement imprévu comme situation. 

L'odeur de la cigarette me chatouille, mais malgré ça, je reconnais sans mal son parfum.

- On est comme des étrangères, pas vrai ?

- Tu mérites pas mieux, je dis d'un ton sec en revenant vers elle.

- Ca se pourrait bien.

- Ca se pourrait bien ? Je répète. 

Elle respire à pleins poumons la fumée, puis expire.

- Je t'ai fait du mal. 

Je ris, ironique.

- Dégage.

- Non, dit-elle fermement.

- Quoi ?

- Les cinq minutes sont pas encore écoulées, je veux tenir plus longtemps que toi.

- T'es pathétique.

- Je sais. Et dis donc, il est pas mal ton chéri là !

Je la fusille du regard.

- Roh c'est bon, j'ai un copain moi aussi.

- Ah bon ? J'arque un sourcil, faisant mine de m'y intéresser.

- Ouais, Andrew.

- Tatoué ?

- Et comment !

J'esquisse un sourire, me souvenant du jour où elle m'avait dit, alors habillée d'une jupe d'écolière, ses cheveux soigneusement coiffés en une tresse, qu'elle craquait pour les tatoués.

- Pourquoi j'ai pas su voir que quelque chose n'allait pas chez toi ... Je dis en un souffle.

Elle plonge son regard dans le mien.

- Tu étais bien trop lumineuse pour le voir. Mais aujourd'hui, moi, je peux voir que toi, tu ne vas pas bien.

- Par ta faute.

- Ouais ... Chacun sa douleur et sa manière de la gérer hein.

Je ne réponds rien, par peur d'exploser. Je ne sais pourquoi je la laisse être là, alors que tout mon être me pousse à la faire partir, à la sortir de ma vie.

- Je te hais, je lui dis, la sincérité me brûlant la peau.

- Moi aussi, je me hais. On est d'accord sur un point.

 Les larmes me montent aux yeux, sans que je puisse les contrôler. Si seulement je pouvais remonter le temps.

- Mais je t'aime, t'es comme ma sœur, continue-t-elle.

- T'as voulu me faire du mal ...

- Je te demande pardon. 

En voyant mes yeux briller, je la vois déglutir.

- Je ne veux pas de tes excuses, et surtout, sors de ma vie.

Je me lève, chancelante, l'odeur de la cigarette dans les narines. Quand je rejoins la porte d'entrée, un coup de poing m'arrive en plein cœur quand je vois Will, appuyé contre la poutre. Il m'ouvre ses bras et je m'y loge avec soulagement. 


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