Chapitre 41
>> Smother, daughter.
Cela va faire deux ans que j'ai écrit les premiers mots de Don't forget how to breathe. Quelques mois que je les fais lire, que je vous les partage. Ce week-end j'ai enfin pu écrire le chapitre qui me tient le plus à cœur. Je vous demanderai donc de respecter mon travail, en vous installant confortablement, en attrapant vos écouteurs pour écouter la musique que j'ai choisi et en vous plongeant dans les mots que j'ai écrit. Je rappelle également que ce n'est pas le dernier chapitre de cette histoire. Bonne lecture <3
Je riais. J'étais heureuse. Il m'aimait. Il riait. Il était heureux. Je l'aimais. Et tout s'est arrêté. J'ai ouvert cette fichu porte. Cette porte que j'ai franchi toute ma vie. Elle était là. Ses cheveux blond platine coupés au carré, volant gracieusement autour de son cou au rythme de son rire. Puis, ma mère a tourné la tête dans notre direction, Will a passé la porte, et son regard a croisé le mien. Cachés derrière une épaisse couche de mascara, ses yeux bleus m'ont fixée. Je pouvais y percevoir toute la souffrance qui la ronge depuis des années. Elle n'a pas changé. Je me suis raidie, paralysée. J'ai cessé de respirer... Et j'ai explosé. Quelque chose s'est brisé en moi, m'a tuée de l'intérieur. Et tout s'est arrêté.
Logée tout contre Will, sa respiration confondue avec la mienne, poitrine contre poitrine, je me concentre sur les battements de son cœur. Le tissu épais de son pull caresse ma joue et je respire à pleins poumons son odeur. Sa main s'emmêle dans mes cheveux, alors que je tremble comme une feuille. Une feuille morte, desséchée, qui s'accroche aux miettes qui lui restent pour ne pas être emportée par le vent. Je ne sais comment nous nous sommes retrouvés ici, dans ma chambre, debout l'un contre l'autre, les larmes démangeant ma peau. Je sens la chaleur des lèvres de Will sur mon front, et il me berce doucement. Je n'entends pas les voix venant du salon, pourtant je sais qu 'elles sont là. Je n'ai pas non plus entendu quand mes parents ont accouru vers moi, et quand Will les a suppliés de le laisser s'occuper de moi. Je ne sais pas non plus combien de temps il s'est écoulé depuis le premier pas que j'ai franchi dans cette maison ce soir. Je ne sais rien. Et je sais tout à la fois. Mais lui, ce garçon qui s'obstine à me serrer fort contre lui, ne sait rien. Pourtant, il connaît mes tourments, ma peur, ma douleur. Sans rien savoir. Lorsque je commence à déplier mes poings fermés, coincés entre nos deux poitrines, je sens Will décoller sa bouche de ma peau. Lentement, je lève le regard vers lui. Son si beau visage. L'inquiétude que j'y perçois me brise le cœur. Je pose mes paumes sur ses joues, et du pouce je les caresse délicatement. Son regard, ne me quitte pas une seule seconde, il exprime une telle tendresse que j'en suis bouleversée. J'entrouvre mes lèvres sèches, et avec une force que je ne me connaissais pas, je murmure d'une voix rauque :
- Je t'aime.
Sous l'effet de la surprise, je vois ses yeux s'agrandir légèrement et sa bouche s'entrouvrir. Ses iris se baladent sur le tableau désolant qu'est mon visage, et je ferme les yeux lorsqu'il touche ma peau de ses doigts comme si je n'étais qu'une illusion.
- Je t'aime aussi, souffle-t-il d'une voix rocailleuse.
Je serre avec force mes yeux, submergée par cette vague d'émotion, et des perles transparentes dégringolent sur mes joues. Il continue de me toucher comme si j'étais sur le point de disparaître, comme si mon corps allait se transformer en sable et lui glisser entre les doigts. Mais je suis là, en chair et en os. Tout en eau et tout en sel. Vivante, comme jamais. De son pouce, il explore ma lèvre inférieure, mon menton. Avec soin, je décolle un à un mes cils collés par mes larmes et aventure mon regard dans les glaciers que m'offrent ses yeux. Ils n'ont jamais été aussi brillants, humides. Tous les deux, nous semblons retenir nos respirations, notre peine respective concernant ce moment. Il y a tellement de choses à dire, à exprimer, mais je ne connais pas tous ses mots, je ne sais même pas s'ils sont griffonnés dans n'importe quel dictionnaire. Mais je sais qu'en face des mots « émotion », « incompréhension », « soutien », « amour », il y aurait nos noms gravés entre les lignes. C'est évident, comme tous ceux qui traversent des épreuves similaires. Tant de noms, pour si peu de mots. Ça semble impossible, surtout pour tant de sentiments.
Intérieurement, je hurle, je lutte pour rester debout. Extérieurement, je ne dis rien, je pleure, et je suis dans ses bras. Comme un bateau à la dérive, je m'accroche pour ne pas être emportée par l'océan. Cet océan qui m'a déjà voulue auprès de lui.
- La noyade... Je murmure.
- Oui Nia ? Me répond Will sur la même tonalité.
J'ai failli mourir. Être emportée par la énième vague contre laquelle je continuais de lutter. La mort a failli m'atteindre. La mort ... Ça n'existe pas. Ce n'est qu'un mot, une idée, un concept. Un mot pour remplacer un autre, le vide. La mort désigne le claquement de doigt de la vie qui nous ramène à l'état de vide. C'est la machine à voyager dans le temps qui nous emmène en arrière, au jour où nous n'étions pas nés. Où nous étions rien, qu'un vaste vide. Un vide dans l'atmosphère et dans la vie des autres. La mort, ce n'est rien de plus que ça. Mais je me suis battue, j'ai lutté contre ce vide qui m'habitait et qui prenait beaucoup trop de place. Et j'ai ouvert les yeux. Dans cet hôpital, où j'ai rencontré ce garçon aux yeux si beaux, qui m'a permise d'oublier le vide, et plus encore, de le combler.
- Je dois te dire quelque chose.
La peur de tout avouer me broie tellement le ventre que mes mots ne sont que le claquement de ma langue contre mes dents. Il plonge son regard dans le mien, descend ses mains à la naissance de mon cou, et avale difficilement sa salive.
- Qu'est-ce que tu dois me dire ? Dit-il, la voix nouée.
Je prends une grande inspiration, ma poitrine frôlant son torse.
- Tout.
Il ouvre la bouche, comme pour dire quelque chose, mais se ravise. Il ferme les yeux, et je peux assister à toute la force qui émane de lui alors qu'il respire profondément.
- Tu voulais tout savoir, non ? J'insiste en me rapprochant un peu plus de lui, autant qu'il est encore possible d'être aussi proche de quelqu'un.
Il soulève ses paupières. Et dans l'obscurité de la chambre, seulement percée par les lampadaires diffusant une lumière orange dans la rue, je peux lire dans ses yeux un soulagement et une appréhension dignes des plus grands paradoxes. Il est temps de tout dire, j'ai grandi, je dois tourner la page, effacer ses images de ma mémoire en les montrant à quelqu'un d'autre que moi. Il hoche doucement la tête.
- Dis le, je souffle.
-Pourquoi ?
-Parce que c'est réel.
Il approche sa bouche de la mienne, et l'attire dans un profond baiser. Tout contre ma peau, il prononce les mots qui nous bouleverseront à jamais, car malgré moi, je ne suis pas seule dans mon histoire, il en fait partie.
- Je veux que tu me dises tout.
Je remue lentement la tête de haut en bas plusieurs fois.
- D'accord.
Hésitants, nous nous décollons l'un de l'autre, et ressentons en même temps ce froid qui vient envahir nos tissus. Les bras le long du corps, crispés contre mes hanches et mes côtes je le suis jusqu'à mon lit. Il s'y assoit tout en suivant chacun de mes mouvements de son regard perçant. Je caresse du bout des doigts la surface douce de la couette, cherchant à y puiser la force dont j'ai terriblement besoin. Puis, je replis mes mains sur mes genoux, tout contre moi, m'isolant dans ma propre mémoire. A mes côtés, Will attend patiemment que je parle, que je dise à haute voix les mots qui me tourmentent depuis des mois. Et pire encore, agissent sur chacun de mes actes.
- Kiara ... Elle s'appelle Kiara.
Je ferme les yeux, et serre plus fort mes doigts les uns contre les autres pour calmer le tremblement qui me gagne.
>> C'est ma cousine, je poursuis. La fille que tu as vu, de notre âge, c'est Kiara.
J'ouvre les yeux, et risque un regard vers lui. Il fronce les sourcils et semble perdu.
- Continue, m'encourage-t-il.
- Elle m'a fait du mal ... Beaucoup de mal.
Subitement, je me relève et arpente les recoins de ma chambre. Je plaque ma main contre mon front, et tente de détendre ma gorge.
- Pourtant c'est elle qui souffre le plus, je continue d'une voix brisée.
- Je comprends pas, comment ça ?
Toujours assis sur mon lit, il ne me lâche toujours pas du regard, près à bondir si je m'écroule.
- On était très proche, comme des sœurs jumelles. Et quand on avait quinze ans, quelque chose a changé. Elle a changé. Dans son regard ... Je m'arrête un moment, fixe ma rue à travers ma fenêtre. Il n'y avait plus cette lueur joyeuse que je lui connaissais. Elle était comme morte de l'intérieur. Un matin... La main de Will vient se poser sur mon épaule et il presse son buste contre mon dos. Un matin, je reprends, comme tous les matins, je ... Je suis passée chez elle pour qu'on prenne le petit déjeuner ensemble et qu'après on parte ensemble en cours. Elle n'a pas répondu quand j'ai frappé à la porte de chez elle. Mon oncle et ma tante travaillent tôt, elle était donc seule chez elle, et elle ne m'a pas ouvert...
- Oh Nia ...
Je me retourne face à lui, la vue brouillait par mes larmes.
- Elle était dans sa putain de baignoire jaune !
- Nia ...
- Il y avait du sang partout ! Elle était dans sa baignoire, et elle ne m'a pas ouvert. Qu'est-ce qui se serait passé si je n'étais pas rentrée ? Je hurle presque, dévastée par ce frêle souvenir.
Il secoue la tête, les larmes lui mordillant les coins des yeux .
- Nia, répète-il, presque suppliant.
- Elle serait morte, je lâche, étouffée par son propre sang.
Will fait un pas en arrière,comme giflé par mes mots, par cette vérité et retourne s'asseoir sur le lit. L'air grave, il attend la suite. Je reste appuyée contre la fenêtre, et achève mon discours.
- Je sais même pas comment j'ai fait pour la sortir de l'eau. Je me souviens qu'elle portait ce joli pull ... La laine était imbibée de sang, c'était horrible. Je sentais plus son pouls, il était tellement faible. Elle avait coupé ses cheveux, c'est uniquement quand j'ai vu ses cheveux courts tachés de rouge sale, que j'ai remarqué les longues mèches blondes sur le sol, et ... Et... Je hoquette. Et ce couteau. Il y avait tellement de sang, il y avait même des morceaux de peau Will... Je détourne mon visage, le sien exprimant trop de douleur. J'ai appelé les urgences et mon oncle et ma tante... Et quand elle s'est réveillée, elle me l'a fait payé cher. Elle m'a pourrie la vie pour avoir sauvée la sienne. Elle a passé quelques semaines en hôpital psychiatrique après ça, et quand elle est revenue ... Je prends une grande inspiration. Elle m'a détruite autant qu'elle voulait que je le sois. J'étais seule, la peau marquée et la tête pleine de mots que je n'aurais jamais dû entendre, pendant des mois. Tout ça parce que je l'aimais trop pour la voir partir ...
Je m'avance vers lui, et me mets à genoux devant lui. Je prends ses mains dans les miennes, et plante mon regard dans le sien. Il exprime tellement de douleur que la mienne se fait plus vive. Son regard rend les choses réelles, et ça me tue. Mes larmes coulent encore et encore sur mes joues et mes poumons me brûlent.
- Un jour, je me suis inscrite à un stage de surf organisé par mon lycée. Ou plutôt, mes parents l'ont fait pour moi. Pour prendre l'air, ils disaient. Ça s'est passé cet été, au mois d'août.
Je vois la mâchoire de Will se contracter et ses yeux se faire durs.
>> Un soir, alors que je dormais ... J'étais en train de dormir quand j'ai entendu du bruit. Et ... Quelqu'un, je n'ai jamais su qui c'était... M'a mise un sac sur la tête.
Les poings de Will se resserrent dans mes mains et sa respiration s'accélère. Je les caresse tendrement, affectée par sa réaction.
>> Ils m'ont jetée à l'eau. En pleine nuit, avec un sale sac qui m'empêchait de respirer sur le visage. Quand j'ai réussi à le retirer ... J'ai heurté un rocher et je suis tombée dans le coma. Je me suis réveillée à l'hôpital trois mois plus tard, et je t'ai rencontré....Voilà, tu sais tout.
Je lâche ses mains et me relève, la douleur m'étreignant le ventre, un poids en moins sur la poitrine, et dans mon âme. Je marche mécaniquement vers ma fenêtre, attirée comme un aimant vers la vie qui se déroule à l'extérieur, alors qu'ici tout ne tourne qu'autour de la mort, du mal-être et de la folie auquel j'ai failli succomber, le fruit des deux premiers facteurs.
- Comment veux-tu que je ne sois pas perturbée après ça ... Je murmure.
L'air chaud de ma bouche forme de la buée sur la vitre fraîche, et la nuit se fait plus prononcée, comme un drap noir que l'on jette négligemment sur un corps. Cette pensée, faisant écho à la situation, m'arrache presque un rire froid. A nouveau, je sens sa présence dans mon dos, avertie par le bruit lourd et assuré de ses pas.
- Merci. Son souffle chaud vient chatouiller la peau dégagée de mon cou.
Mon visage se renferme sous l'incompréhension de ses mots.
- Pour.. Pourquoi tu dis ça ?
- Tourne toi.
Je m'exécute. La confiance et l'assurance, mais aussi la douceur et l'amour que je lis sur son visage m'atteignent en plein cœur.
>> Merci de me faire confiance.
- Mais ... Je commence, surprise.
- Je t'aime, me coupe-t-il. Je suis amoureux de toi. Et contrairement à tous les abrutis de cette Terre, je ne vais pas te dire que je suis tombé amoureux de toi au premier regard. Il n'y a pas de moment précis qui détermine violemment nos sentiments Nia ... Je le sais, je l'ai compris. Sa voix, je l'aime tellement, je pense. Il fait une pause pour caresser mes pommettes. Puis, il reprend de cette voix que j'aime tant. Nia, tous les morceaux que j'ai trouvé de toi, je les ai pris. Même si je n'avais pas la colle nécessaire pour les recoller. Mais peu importait car je t'aimais, petit à petit au fil des jours où j'ai attrapé en plein vol ces morceaux. Je t'aime, Nia. Et rien ne changera ça. Mais ce soir, tu viens de me confier cette colle. Et contrairement à ce qu'on pourrait penser, c'est moi qui me sent entier à présent. Parce que je sais. Parce que j'ai compris. Parce que je t'aime encore plus. Cette confiance me fait t'aimer encore plus. Merci de me permettre de t'aimer encore plus.
Cette fois mes larmes ne sont plus le sang de mon cœur malade, douloureux, tourmenté, mais proviennent de celui qui est plus vivant que jamais. J'en ressens chaque pulse, jusqu'au bout de mes doigts. Tous ses mots, ils seront à jamais gravés dans ma mémoire, autant qu'ils seront éternellement griffonnés dans un dictionnaire au fond de mon grenier.
<3
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