Chapitre 15
>> Six feet under, Billie Eilish
En entendant ces mots, mes paupières se soulèvent automatiquement. Je cligne plusieurs fois des yeux, pour mieux m'habituer à l'obscurité. Je perçois alors, juste devant moi, le siège conducteur. Je suis allongée à l'horizontale, sur la banquette arrière, et ma tête repose sur une surface. Je bouge lentement la tête, et c'est alors que je l'entends :
- Tu es réveillée ? Il pousse un soupir. Mon dieu, tu m'as fait peur !
Je réalise alors immédiatement que je repose sur ses cuisses. Je me relève d'un mouvement vif. Tellement rapide, que ma tête me tourne. Je tiens celle-ci d'une main frêle, et demande de ma voix cassée :
- Qu'est ce que tu ne veux pas me dire ?
Malgré mon état, et l'obscurité, je peux voir son expression changée.
- Comment ça ?
- Je... J'ai cru vous entendre parler avec Tomy...
- Oui... Il me demandait si je comptais te réveiller, je lui ai répondu que non. Alors il est parti rejoindre les autres. Ils doivent tous être rentrés maintenant.
Je le détaille un moment, analyse sa sincérité. Mais je dois reconnaître que je n'ai pas toute ma tête ce soir, j'ai dû rêver. Je hoche la tête.
Je tente de remettre de l'ordre dans mes pensées, et je me souviens. La fête foraine, les manèges, les rires, la plage... Un sentiment d'impuissance vient alors m' étreindre toute entière. Je réalise que les murs que je me suis construits, ne me protégeront jamais, me cacheront seulement.
Je peux craquer à n'importe quel moment . Un souvenir peut surgir n'importe quand, et me mettre à genoux, me briser, m'empêcher de respirer. De tourner définitivement la page. Je respire profondément en fermant avec désespoir mes paupières. Je sens alors Will me prendre la main. Une décharge électrique parcours mon corps lorsque je me souviens. C'est lui qui m'a trouvée sur la plage ce soir et... Oh mon dieu j'ai fait allusion à mon accident !
Mon cœur s'affole, j'ai besoin d'air, de sentir le vent sur ma peau pour réfléchir clairement.
Je dégage ma main de celle de Will, et sors en trombe de la voiture en laissant la portière ouverte derrière moi. Je cours à en perdre haleine, si vite que mes muscles encore faibles ne suivent pas le mouvement et me tirent. Mes poumons me brûlent, et jamais sentir le sol sous mes pieds m'a semblé si nécessaire. Le sang me frappe les tempes, et ma vue se trouble.
Je cours comme une folle, comme poursuivie, comme effrayée à en mourir. L'air m'irrite la gorge alors que je traverse le chemin menant à la plage. Je ne sais pourquoi j'y retourne mais j'en ressens un besoin vital, ça m'appelle, se répercute dans chacune de mes terminaisons nerveuses.
Arrivée sur le sable, j'accélère mon allure, autant que cela paraît possible. Lorsque l'eau s'infiltre dans le tissu épais de mon jean , remonte jusqu'à ma taille , je ressens une véritable libération. Mes jambes me lâchent et je coule. Remuée par les vagues.
Des bras viennent alors me remonter avec force à la surface. Je crache toute l'eau salée que je peux, et inspire désespérément. Mes cheveux me collent les joues, et mes vêtements sont lourds. Je ne vois que l'océan qui s'étend devant moi, ainsi que les vagues qui dansent en rythme et me frappent de plein fouet.
4 mois plus tôt....
Les vagues m'emportent, bougent à un rythme incessant, elles sont si fortes qu'elles me font mal, me déchirent la peau, ma conscience. Je lutte, tente de remonter à la surface à chaque fois que je touche le fond. Quelle belle métaphore...
Le sel me pique la langue, comme la peur me pique les entrailles. Mes larmes se mêlent à l'eau, et mes cris, au vent. Je n'ai rien à quoi me raccrocher, au figuré comme au propre. Mon cerveau me hurle de survivre, de me battre. Mais mon cœur dit stop. La fatigue l'étreint si fort, et la tête dans du coton, je suffoque. Mon corps s'enfonce dans ce paradis bleu qu'est l'océan, lorsqu'une vague en décide autrement, elle me chuchote à l'âme, " Nia, tu vas vivre" . Je me retrouve donc propulsée vers l'horizon. Soudain, quelque chose se dessine devant moi. Le dernier grain de sable vient de tomber dans le sablier, quand ma tête heurte violemment un rocher. L'ultime épreuve et la première du reste, de leur jeu pervers.
- Nia laisse toi faire !
Sa voix me ramène brutalement à la réalité, à cette nuit. Je suis en train de me débattre physiquement de mes souvenirs, le dos pressé contre lui, ses bras verrouillés autour de moi.
Ma gorge me fait mal. C'est alors que le son le plus déchirant que je n'ai jamais entendu de ma vie me parvient aux oreilles. Le bruit de mon esprit qui se brise. Je suis en train de devenir folle. Complètement, totalement, folle.
Des images plus horribles les unes que les autres défilent devant mes yeux, mon corps ressent tout ce que j'ai ressenti cette fameuse nuit.
Le rocher me parvient à nouveau en mémoire, et je m'écroule dans ses bras. Je glisse le long de son corps, pour me retrouver effondrée sur la rive.
Ses mains et ses bras viennent me trouver, et je me retrouve le visage à sa hauteur, ressentant chacun de ses mouvements alors qu'il me porte sur la plage.
Quelques pas plus tard, il me dépose avec douceur sur le sable. Il retire de mes épaules son sweat trempé, dégage mes cheveux mouillés de mes yeux. Je claque des dents, frigorifiée. Je réalise que ce n'est pas la première fois que nous sommes dans cette position, lui et moi. Je pose enfin mes yeux sur lui. Il me regarde avec attention, j'ai l'impression que nous sommes assis exactement à la même place que quelques heures plus tôt. Mais, cette fois c'est différent, il n'est plus perdu. C'est pire. Il comprend.
- Nia, regarde moi, me demande-t-il d'un ton ferme.
Je relève les yeux vers le gris des siens. Il soupire.
- C'était quoi ça ? T'aurais pu te tuer ! J'ai eu super peur là ! Tu t'en rends compte ?!
- Will...
- Nan ! Je ne veux pas encore t'entendre me dire que ça ne me regarde pas ! Je vais devoir te le dire combien de fois ? Je suis là, point, alors ne me repousse pas ! Et non je ne sais toujours pas pourquoi je fais tout ça Nia ! Putain j'ai vraiment flippé Nia ! Ne refais plus jamais ça !
Je le dévisage, bouche bée. Ne revenant pas d'avoir entendu tous ces mots sortir de sa bouche. Sa voix était de plus en plus forte, et la sincérité que j'y lisais m'a brisé le coeur. Pour une raison que j'ignore ma gorge se serre, et mes yeux me piquent. Ne sachant que faire, que dire, je pose ma main sur la sienne. Surpris, il repose le regard sur mon visage, puis sur nos mains, ses épaules s'affaissent.
- Merci, je murmure, pour tout, William.
À l'entente de son prénom entier, quelque chose s'illumine dans ses yeux. Ses bras m'enveloppent aussitôt, et je laisse ma tête retomber sur son épaule, alors que je réponds à son étreinte.
***
Le bruit du sèche-mains cesse lorsque je retire mon tee-shirt de sous son capteur. Je m' accroupis et remets mes chaussures. Will se penche également et m'aide à lacer mes lacets. Je le laisse faire, n'ayant aucune notion de mes moindres gestes. Une fois la dernière boucle nouée, il m'aide à me redresser, et m'entraîne vers la sortie des toilettes. Je le suis, tête baissée, essayant d'échapper à mon reflet dans le miroir.
Lorsque nous sortons par la petite porte des cabinets, les lumières fortes et colorées des manèges nous éblouient, et l'odeur sucrée des friandises nous chatouillent les narines. Mon odorat est attiré par la bonne odeur qui se dégage d'un stand de barbe à papa. Will capte mon regard et suit des yeux où les miens se sont posés . Un large sourire apparaît alors sur son visage. Il frappe dans ses mains, puis attrape une des miennes.
- J'en connais une qui n'a pas été sage ce soir, pourtant elle a bien besoin d'un petit remontant.
Il ponctue sa phrase d'un clin d'œil.
- Allez, viens.
Sur ce, il me guide vers le marchand. Mes pieds suivent le rythme des siens bien que mon esprit se réveille petit à petit. Je ne sais d'ailleurs comment mais, je suis à présent assise sur un banc à ses côtés, un bâton en bois recouvert de rose dans les mains.
- T'en manges pas ?
Je sors de ma rêverie.
- Si, si.
J' arrache un bout, et le fourre dans ma bouche. Le sucre fond sur ma langue, c'est trop bon. C'est alors que mon estomac gargouille bruyamment, je n'avais pas remarqué à quel point j'avais faim avant maintenant. Will le remarque lorsque je finis en moins de deux la friandise, et me laisse seule cinq minutes pour aller nous chercher des hot- dogs, qui eux aussi sont terminés en un temps record.
Après avoir jeté les assiettes en carton et serviettes tachées de ketchup et de moutarde, Will se poste devant moi. Je relève la tête vers son visage. Une lueur joueuse traverse son regard.
- Que dis-tu d'une séance nocturne d'attractions ?
J'explose de rire. Qui aurait cru qu'à minuit passé je serai encore là. Encore heureux, Will a envoyé un texto à mes parents de mon portable, pour les prévenir que je passais la nuit chez Sarah, ignorant ainsi ma crise. Je me lève à mon tour.
- Ça marche.
***
- Raté ! Mais t'es vraiment nulle ! S'exclaffe Will.
Je le tape de mon fusil en plastique.
- Les cibles sont super loin ! Je me plains.
- Ouais c'est ça ! Allez, à mon tour.
Je lui cède le jouet, et il atteint toutes les cibles avec les flèches oranges.
Je boude alors qu'il s'éloigne récupérer son prix. Il revient illico vers moi, tout sourire. Je lui tire la langue, il rit. Il sort sa main de derrière son dos et me tend sa récompense.
- Tiens, je te l'offre, mauvaise joueuse.
Je saisis la peluche moelleuse, et souris de toutes mes dents.
- Touchée, je chuchote.
Je relève la tête et le vois sourire de son célèbre sourire en coin, spécial fossettes.
- Ça te fait plaisir ?
- Oh oui, merci beaucoup, je lui réponds.
Je repose les yeux sur l'ours en peluche, où est inscrit dans un petit coeur rose " you're my friend " . Je souris à nouveau.
- On fait quoi maintenant ? Je demande.
- Eh bien... À 2 heures du matin, beaucoup d'attractions sont fermées, mais .... Il analyse les environs. Que dis-tu de prendre un peu de hauteur ?
Je lève un sourcil interrogateur.
***
Du haut de la grande roue, nous avons une magnifique vue sur l'océan, les lumières et les étoiles se reflétant sur l'eau. J'entends Will prendre sa respiration alors qu'il s'apprête à prendre la parole.
- J'aurais dû prendre ma guitare.
- C'est vrai, je confirme.
Un silence s'abat sur nous alors que nous montons encore d'un cran sur la roue. Une question me brûle les lèvres. Au bout de quelques secondes, alors que la cabine vient de se stabiliser, je me lance :
- Pourquoi tu es bénévole à l'hôpital ?
Sous ces mots, je le sens se tendre à mes côtés. Il soupire.
- C'est compliqué...
Ses yeux croisent les miens. J'appuie ma tête sur la paume de ma main, les coudes sur mes genoux . Le visage tourné vers lui, je le détaille.
- J'ai tout mon temps, je souffle.
Il inspire, puis expire. Cela pendant un certain temps.
- OK... Tu te souviens quand je t'ai dit qu'on avait tous un passé ?
Je hoche la tête. Il ferme les yeux, puis les rouvre.
- Il y a deux ans, ma mère est tombée malade... Gravement malade. Sous mon regard appuyé, il approfondit. Je le regrette aussitôt car ça me déchire le cœur.
Cancer du col de l'utérus, il a été diagnostiqué trop tard...
Sa voix se brise.
- Will...
Je culpabilise de lui avoir posé cette question, quelle idiote !
- Elle a vécu ses derniers mois à l'hôpital, alors je passais aussi ma vie là-bas . Elle adorait que je lui joue des morceaux à la guitare, ça lui faisait du bien ... Et quand elle se reposait, je me suis mis à jouer dans la salle des enfants...
Je serre sa main . Puis, quand elle est ... Partie, j'ai continué à y aller. Je me sens utile comme ça, et ça en vaut la peine, de voir la joie de ces enfants sur leurs visages quand je viens.
Une larme coule sur ma joue, je l'essuie en une fraction de seconde, et expire bruyamment, sonnée.
- Ouais... Me confirme-t-il, plutôt déprimant hein ?
J'acquiesce.
- Et ton père ? Je demande tout bas.
Je vois sa mâchoire se crisper et son regard se détache du mien pour venir se poser sur un point imaginaire, à l'horizon.
- Je ne l'ai jamais connu .
- Oh... Will je suis désolée j'aurais pas...
- Non, c'est bon, ne t'inquiète pas, ça me fait du bien d'en parler, me coupe-t-il.
- C'est pour ça que tu vis avec ton frère ?
- Ouais, Theo était majeur, alors il est devenu mon tuteur.
Ses yeux se posent à nouveau sur moi.
- Il a quel âge ?
Nia, chut, tu es trop curieuse, me siffle ma conscience.
- 23 ans.
Je hoche la tête.
Je reste silencieuse jusqu'à ce que la cabine touche le sol. Alors que nous nous dirigeons vers sa voiture en repassant par la plage. Je m'arrête. Il se retourne et s'immobilise à son tour . Je respire profondément, puis, à pas rapides, je me réfugie dans ses bras. Lorsqu'ils se referment sur moi, mon cœur s'allège un peu, j'ai tellement mal pour lui. Tout bas, je me fais une promesse, lui fais cette promesse. Un jour, moi aussi je lui confierai un peu de mon histoire. J'ai confiance à présent. Un jour, oui, peut être....
Voilà pour le chapitre 15 ! Commentaires, votes sont les bienvenus ! Merci de prendre le temps pour lire ce roman !
Insta : Sofeatherbooks .
À la semaine prochaine 🌌❣
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