Chapitre 45

Elisabeth

Au petit matin, je me réveille dans les bras brûlants d'un Kai encore plongé dans le sommeil. Nous avons dormi serrés l'un contre l'autre toute la nuit. Sa présence était aussi berçante qu'un somnifère. Je ne me suis réveillé à aucun moment, hormis les fois où nous étions occupés à tout autre chose...

Allongée contre son torse, je promène mon regard sur son visage assoupi. Le garçon qui partage mon lit est d'une beauté à couper le souffle, même quand il dort. Si je pouvais le manger, je le ferais sans hésitation.

Ses paupières s'ouvrent comme s'il avait senti que je le fixais.

— Bonjour, dit-il d'une voix éraillée.

— Bonjour.

Je fais courir mes doigts le long de sa poitrine tandis qu'il entame des papouilles dans mes cheveux. Des raies de lumière traversent les interstices de la fenêtre. Il va bientôt falloir que nous nous levions, sinon ma mère va trouver mon absence au salon plus que suspecte.

— Tu as fait de beaux rêves ? s'enquiert Kai.

— Tu n'imagines même pas. J'ai l'impression d'avoir dormi comme un loir.

Il s'esclaffe.

— Ah, ça. Ce sont les bienfaits d'une bonne nuit de galipettes, pour sûr.

— Tout de suite les grands mots ! fais-je en levant les yeux au ciel. Qui te dit que les galipettes étaient plaisantes ?

— Eh bien, si je me base sur ce que tu répétais en boucle quand...

— Non, ne termine pas ta phrase !

Penaude, je relève le draps pour me réfugier en-dessous. Il évoque cela avec tant de facilité ! Je sais ce que nous avons fait, mais contrairement à lui, je ne peux pas me résoudre à en parler à voix haute. C'est beaucoup trop gênant.

— En voilà, des manières de me remercier, rit Kai en glissant à son tour sous les draps.

— Ne te fais pas trop d'illusions. C'est vrai que c'était agréable, mais je ne suis pas une obsédée pour autant...

— À peine.

Je lui donne un petit coup même si en vrai, un sourire fait son apparition sur mes lèvres.

— Les griffures dans mon dos parlent d'elles-mêmes, Frida. Seules les perverses font ça, je n'invente rien.

— Tu sais aussi bien que moi que c'est...

— Vrai.

— ... faux, dis-je en même temps que lui.

Oh, lui alors ! Il est irrécupérable.

— Je viens de me souvenir que j'avais un deuxième cadeau pour toi. Attends, bouge pas de là.

Kai dépose un baiser sur le haut de mon front puis s'extraie de sous les draps. Je glisse le pan du draps jusque ma bouche. Alors qu'il descend du lit pour aller chercher quelque chose dans son sac à dos au pied de mon bureau, j'étudie le creux de sa colonne vertébrale qui sillonne la courbe de son dos musclé, ainsi que les deux fossettes enfoncées de part et d'autre de ses lombaires. Le boxer noir qu'il porte moule comme il se doit ses fesses galbées. La première fois que j'ai vu Kai, j'ai songé qu'il était fait pour apparaître sur la couverture du magasine GQ. Je le pense davantage en le voyant aussi dénudé. Son physique est très inspirant. Vêtu d'un costume à la James Bond, le regard sombre tourné vers l'objectif et la mèche retombant devant ses yeux, il représenterait à merveille le gars désintéressé que la vie a malmenée.

Et voilà que je me remets à fantasmer sur lui. Je l'ai obstinément dans la peau, ce n'est pas possible !

— C'est bon, je l'ai trouvé, s'exclame Kai en brandissant une clé USB dans les airs.

D'un coup d'œil, je comprends que c'était ce qu'il y avait dans la housse noire dans son sac à dos au diner.

— Qu'est-ce que tu comptes faire avec ça ?

— Tu vas voir...

Il revient vers moi avec l'ordinateur portable qui était posé sur le bureau. Tandis qu'il l'allume, je le vois qui tapote nerveusement les doigts contre une touche du clavier.

— Ça fait un moment que je prépare ça. J'espère que tu vas aimer. Tu peux entrer le mot de passe, s'il te plaît ?

— JeffHardyElisaDawsonloveX99, récité-je avec embarras. Oui, je sais. Pas besoin de me regarder comme ça. C'était une lubie quand j'étais plus petite.

Désolé, lâche Kai. C'est juste que... pouaaaah, t'étais vraiment amoureuse de Jeff Hardy, le drogué maquillé à la Joker ?

C'était mon catcheur préféré ! Quand il a quitté la WWE après sa défaite contre CM Punk, j'ai tellement pleuré que j'en ai pas dormi de la nuit.

— Oui, je m'en souviens. C'était un match en cage où le départ du perdant était mis en jeu. Mon préféré à moi, c'était John Cena. Je gueulais You can't see me à chacune de ses entrées.

Oh, moi aussi !

Kai m'attire vers lui et m'embrasse sur le bout du nez.

J'arrive pas à croire que tu regardais le catch. On a eu la même enfance, c'est dingue. Pourquoi on ne s'est pas rencontré plus tôt, Frida ?

Je me pose la même question.

L'ordinateur s'ouvre sur la page d'accueil. Le fond d'écran n'est pas plus fameux que le mot de passe : c'est une photo des One Direction.

— Depuis combien de temps tu n'as pas utilisé ton ordinateur, au juste ? se moque Kai.

— Chut.

Il insère la clé USB. Un fichier s'ouvre, suivit d'une notification qui demande si l'ordinateur peut se fier à l'appareil. Kai clique sur Oui, et en un rien de temps, une liste de documents défile sur l'écran.

— Est-ce que tu as un vidéoprojecteur ?

— Je crois que oui.

Je passe au peigne fin les tiroirs de mon bureau, avant de me rappeler qu'il est rangé sous mon lit, là où ont échoué tous les objets dont je ne me suis pas servi depuis belle lurette.

— Tiens. Désolée, il a un peu pris la poussière.

Kai souffle dessus, envoyant valser un nuage de flocons gris dans la chambre.

— Ça fera l'affaire.

Il branche le câble qui relie le vidéoprojecteur à l'ordinateur portable, place l'appareil de sorte qu'il soit projeté sur le mur en face du lit ; après quoi, il démarre une vidéo et revient s'assoir à côté de moi.

La musique arrive avant l'image. Les trois premières notes suffisent pour que je reconnaisse le début de Collateral, le son de The Midnight que j'ai tant écouté ces dernières semaines. Mon pouls bat de plus en plus vite. Sur fond noir éclot une phrase : Pour celle qui fait battre mon cœur un peu trop à mon goût. Là-dessus surgit le profil d'une jeune fille photographiée à son insu, assise sur un banc dans un jardin, des écouteurs dans les oreilles et le regard rivé droit devant elle. Il fait nuit et sa silhouette n'est pas nette. Elle est loin de se douter que quelqu'un la filme ; pour dire vrai, elle est à des années lumières de la fête qui se déroule à l'intérieur de la maison. Je me souviens de ce jour comme si c'était hier. C'était chez Fabianna, après que la partie d'Action ou Vérité tourne au vinaigre et que Shirley finisse par s'endormir à l'étage. Je m'étais éclipsée dehors pour prendre l'air et me vider les esprits. Kai m'avait rejoint peu de temps après : c'est là que nous avons réellement commencé à apprendre à nous connaître. Je n'étais pas au courant qu'il était là depuis le début, qui plus est en train de me prendre en photo avec son téléphone.

Le deuxième cliché apparaît. Je distingue les néons de la boîte de nuit dans laquelle nous sommes allés, avec Shirley et Bill. Là encore, je suis seule dans un coin, à l'écart des autres. J'ai le visage fermé et les poings serrés. Si j'étais quelqu'un d'autre et que je tombais sur cette photo, je dirais que cette fille ne semble pas être bien dans sa peau et qu'elle en veut à la terre entière – à l'époque, ce n'était pas loin d'être le cas. L'image s'efface pour laisser place à une vidéo. Moi encore, cette fois-ci en train de jouer de la batterie chez Andy. Joues marquées par l'effort et regard concentré sur les cymbales, je ne prête attention ni à Kai, ni à personne d'autre. Le volume de Collateral baisse afin qu'on puisse écouter les accords de guitare de Marc, les frottements de basse d'Andy, la voix de Tallulah et les coups rythmés de mes baguettes. Ce n'est pas pour frimer, mais on fait du super bon travail ! Pas étonnant que Andy voulait qu'on refasse un bœuf ensemble.

La dernière vidéo à apparaître a été tournée le jour où Kai et moi étions à la fête foraine. Nous sommes dans la grande roue, assis l'un en face de l'autre dans la nacelle. Le visage mortifié, je pousse des cris qui sonnent étonnamment hystériques à mes oreilles. Les rires de Kai se font entendre derrière la caméra. Me revoir dans cet état alors qu'il se marre me fait grincer des dents. Il avait réussi son coup haut la main ! Cela reste néanmoins un bon souvenir, car je sais ce qui suit : pour me calmer, je pars me réfugier dans ses bras et nous finissons par nous embrasser, comme l'atteste si bien la vidéo.

Ce montage de toutes les photos et les vidéos qu'il a prises de moi est, je crois bien, la plus belle preuve d'amour qu'il m'ait jamais faite. Parce que c'est Kai et qu'il ne fait jamais dans la demi-mesure, il a pris le temps de créer quelque chose de complet et d'authentique afin de faire exprimer tout ce qu'il ressentait pour moi. Plus que des mots, il m'a offert des couleurs et des sons, des instants partagés et significatifs qui ont marqué notre histoire. Il m'a offert rien de moins que le monde que l'on a construit à deux. Comment ne puis-je pas l'aimer davantage après cela ?

Submergée par les émotions, mon cœur s'emballe et je sens les larmes poindre.

— Avant toute chose, je tiens à dire que je n'ai jamais utilisé ces photos à mauvais escient et que je ne suis pas un stalker, dit Kai au moment où l'écran redevient noir. Comme tu le sais, je suis passionné par l'audiovisuel et... Mais tu pleurs ?!

Il passe un bras autour de mes épaules. Je me sens ridicule de chouiner ainsi, alors que l'occasion est propice à tout sauf à ça.

— Ne t'en fait pas, ce sont des larmes de joie. Je suis émue. Ta vidéo... elle est... je n'ai même pas les mots. Enfin si, je les ai : je t'aime tellement, Kai !

Au comble du bonheur, je me jette dans ses bras au point de m'affaler sur lui de tout mon long. Kai me serre fort, comme moi, il n'a pas envie de me lâcher.

— Prêts à entamer le... ça ferait combien de round, cette fois ?

— Espèce de gros pervers ! dis-je en mordillant la peau de son biceps. On ne l'a pas fait tant de fois que ça, arrête tes enfantillages.

— Ben raison de plus pour recommencer, non ?

J'ouvre la bouche pour contester, mais il m'embrasse pour me faire taire. Oh, et puis merde, on a qu'une vie ! J'accueille sa langue avec délice tout en m'agrippant à lui. Son boxer glisse doucement jusque ses jambes...

Soudain, la porte s'ouvre.

Kai est le premier à sauter du lit. Effrayé, il attrape un coussin qu'il ramène près de son entrejambe et fuit à l'autre bout de la pièce. J'ai une vue imprenable sur ses fesses, et je ne suis pas la seule : après avoir annoncé sa présence avec un toussotement exagérément bruyant, Robert pâlit en voyant qu'il y a quelqu'un avec moi dans la chambre.

Je me redresse brusquement du lit et affiche une mine à mi-chemin entre l'embarras et la sidération.

— Euh...

— Je te jure que j'ai toqué trois fois consécutives ! s'empresse de dire mon beau-père. Pardon. Vraiment, vraiment pardon !

Ses joues sont aussi rouges qu'un camion de pompier. Les miennes ne doivent pas être mieux à voir. Cette situation est tellement gênante !

Un bruit sourd résonne dans le fond de la chambre. Kai se tient maintenant dans le minuscule renfoncement qui sépare le bureau de ma bibliothèque. On dirait un enfant que l'on aurait mis au coin, avec la musculature en plus et les habits en moins. Je ne saurais dire s'il est persuadé d'avoir trouvé une bonne planque ou s'il fait cela car il n'a pas d'autre alternative.

Ayant également entendu le bruit, Robert reporte difficilement ses yeux vers Kai.

— Hum. Enchanté, jeune homme. Je suis Robert, le compagnon de la mère d'Elisabeth. Je présume que tu es son petit ami, c'est ça ?

Kai agite nerveusement sa main libre l'air de dire « Coucou, oui c'est tout à fait ça, enchanté aussi, c'est un plaisir de faire votre connaissance, monsieur ! ». Cet échange paraît surnaturel. Deux personnes viennent de se faire surprendre en plein ébat et on prend le temps de faire les présentations ? Ils marchent sur la tête ou quoi ?

Je m'éclaircis la voix.

— Que me vaut ta présence, Robert ?

— Oh. Ta mère m'a demandé de monter pour t'annoncer que le petit déjeuner était prêt...

— OK. Dis-lui que nous descendons dans cinq minutes.

— Entendu, répond Robert.

Nous ? fait Kai d'une voix étranglée.

Ce dernier semble à deux doigts de l'asphyxie. Je le rassure d'un regard – petit-déjeuner avec ma mère est le meilleur moyen s'il veut officiellement faire partie de la famille – et en retour, il hoche faiblement la tête. Sans crier gare, le coussin glisse de sa main. Il tente de le rattraper au vol, mais c'est trop tard : tout le monde a vu ce qu'il tentait désespérément de cacher.

Oh. Mon. Dieu.

— Je n'ai rien vu, je n'ai rien vu ! s'écrie à toute vitesse Robert, les mains devant les yeux.

Il recule à l'aveuglette puis ressort précipitamment de la chambre. Un chapelet de jurons se fait entendre derrière la porte : il vient probablement de se cogner contre le meuble dans le couloir. Ses pas s'éloignent et le silence retombe. Je lance une œillade alarmée en direction de Kai, qui ramasse le coussin avec un air amusé que lui seul peut comprendre.

— Sacré Littlefinger, achève-t-il en gloussant.

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