chapitre 20
Kai
Je suis dans ma chambre sans y être vraiment. Mon corps est dans mon lit, OK, mais mes pensées... putain, mes pensées, elles sont loin ailleurs, perchées dans une autre galaxie.
Le bruit de la télé dans le salon me parvient. Impossible de dire ce que j'entends précisément, tant je suis focalisé par la personne qui trotte dans ma tête. Je me frotte les yeux, avant de prendre le ballon de basket à côté de moi et de le lancer à l'autre bout de la pièce. Il atterrit en plein dans le panier accroché sur la porte.
Elisabeth. Ou Elisa. Ou encore Frida. Cette fille a tellement de noms que je ne sais même plus comment l'appeler. Je ne cesse de penser à elle et à notre soirée d'hier, mais pas seulement. Je me remémore aussi son visage et les courbes de son corps quand elle faisait de la batterie, ou bien quand elle était allongée dans l'herbe, à peine à quelques centimètres de moi. Je l'ai matée plus que je n'aurais dû, c'est vrai. Mes yeux ont eu le temps de parcourir la moindre parcelle de son corps, et je dois dire que le spectacle était plutôt distrayant. Pour tout dire, je l'ai observée comme un fou jusqu'à en avoir des pensées coquines. Bien évidemment, je maîtrise l'art de la subtilité, Elisa n'a donc rien remarqué du tout ; si tel avait été le cas, elle m'aurait sans doute qualifié de gros obsédé. C'est pourquoi j'ai fait tout mon possible pour paraître impassible et que je n'ai tenté aucune approche, même si en mon for, j'en avais très, beaucoup, énormément envie.
Ma sœur crie comme une hyène au rez-de-chaussée. Maman est sortie cet après-midi, du coup elle se permet de faire tout ce qui lui plaît. Tandis qu'elle parle à outrance, sa voix est accompagnée par des rires rauques, appartenant à un mec en stade de muer. Aux dernières nouvelles, je suis le seul homme vivant dans cette maison, alors qui ça peut bien être ? Je sors de ma chambre et descends les escaliers à la hâte. En déboulant dans le salon, ce que je vois me donne un haut le cœur : Addison est en train d'aspirer la bouche de son petit ami le plouc ! Merde, j'en ai presque la gerbe.
— Hum. Je suis là ! signalé-je au cas où ma petite sœur ne m'aurait pas entendu.
Elle se force à se détacher de son mec et me toise sans retenue. Putain, elle a encore de la bave sur le coin de la bouche. Mais apprenez à ces gosses comment on embrasse, bordel !
— Qu'est-ce que tu veux, Kai ? Tu vois pas qu'on est occupés, Mathieu et moi ?
Je secoue la tête, pris d'une colère subite. Elle ose faire montre de condescendance en plus de cela ? Pas de souci. On va voir ce qu'on va voir, petite sœur !
— J'espère que vous avez bien profité, car votre petite séance de roulage de pelle est terminée, les enfants !
Je décroche Mathieu du canapé en l'attrapant par la capuche de sa veste et le congédie jusqu'à la sortie, un sourire hypocrite sur les lèvres. Je veille à ne pas mettre toute ma force dans mes mouvements, de sorte qu'il n'ait pas besoin qu'on fasse appel à une ambulance pour qu'il rentre chez lui.
— Qu'on soit bien clair, Mathieu-tête-de-nœud, reprends-je une fois qu'il est sur le perron. À partir d'aujourd'hui, tu ne remets plus les pieds ici. Je veux bien que tu vois ma sœur, mais mets-toi en tête que ma maison n'est pas un open bar. La prochaine fois que je vous choppe la bouche dans la bouche, je t'assure que je ne serai plus aussi clément avec toi. Compris ?
Le rouge aux joues, il secoue vivement la tête de haut en bas, la lèvre inférieure tremblante comme ce n'est pas permis. Je le relâche. Il est paniqué, le petit. Pourtant je ne suis qu'à dix pour cent de mes capacités.
Derrière moi, Addison pépie toutes les injures qu'elle peut se permettre à mon égard – un tendre cocktail de « vieux con », « d'idiot » et de « sale tocard ». Ça ne lui fait pas plaisir que je brutalise gentiment son copain. Est-ce que j'en ai quelque chose à carrer ? Pas le moins du monde.
— Je... je suis désolé, bêle Mathieu en gesticulant comme une feuille. Je ne reviendrai p-p-pas, je le jure !
Il porte ses mains à son visage comme s'il redoutait que je lève la main sur lui. Pas que ça à faire. Je le repousse en arrière et referme la porte sur sa figure. À doubles tours.
— C'est quoi ton souci, sérieux ? geint Addison en m'emboîtant le pas jusqu'au pied des escaliers. J'ai pas le droit d'avoir un petit ami à mon âge ? J'te rappelle que j'ai quinze ans !
— Quinze ans et déjà casse-couilles, si tu veux mon avis. Et pour répondre à ta question : si, tu as le droit d'avoir un mec. En revanche, tu es interdit de faire des saletés sur le canapé de Maman.
— Elle n'est même pas au courant !
— Moi si, et c'est justement ça le problème.
— Argh ! Pourquoi est-ce que tu me pourris toujours la vie ?
— Je ne fais rien de tel, petite sœur adorée. Tiens, tu veux bien aller me chercher une canette de pepsi pendant que je monte ?
— VA TE FAIRE FOUTRE, KAI !
Addison repart dans le salon pour aller crier à pleins poumons son malheur dans les coussins du canapé. Je hausse les épaules – niveau mélodramatique, on repassera – puis retourne dans ma chambre en évitant soigneusement d'écouter ses jérémiades. Pourquoi Maman ne l'envoie pas en internat ? Elle nous ferait drôlement des vacances !
Après avoir refermé la porte de ma chambre, j'extrais mon portable de ma poche et envoie un message à Elisa. J'ai besoin de la voir afin de décompresser, car je sens que ma tête va exploser en mille morceaux d'une minute à l'autre.
Elisabeth
Je suis en train de lire mon livre – Sans défense, de Harlan Coben – quand mon téléphone signale un message entrant.
Kai : Salut. On peut se voir ?
Je souris comme une débile devant mon écran. Hier soir, Kai et moi avons échangé nos numéros de téléphone. Je ne m'attendais pas à recevoir un message de lui aussi vite. Je tape hâtivement sur les touches du clavier pour lui répondre.
Moi : Oui. À quelle heure ?
Kai : Maintenant, c'est possible ?
Moi : Je suis toute seule à la maison.
Alors, seulement, je me rends compte de l'énormité que je viens d'écrire. Mais c'est trop tard, le message s'est envoyé. Merde ! Qu'est-ce qui m'a pris de lui dire ça ? Ça sonnait trop... je ne sais pas comment ça sonnait, mais c'était une grossière erreur que de lui donner cette précision. On dit qu'il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler, mais pour moi, c'est mon esprit lui-même qui doit tourner sept fois ! Juste ciel. Et si Kai interprétait d'une toute autre manière mon message ? Faites qu'il ne se fasse pas de films, je vous en supplie...
Kai : J'arrive dans dix minutes. Prépare les chips.
En deux temps trois mouvements je suis déjà dans la salle de bain, m'aspergeant le cou et les cheveux du plus haut de gamme des parfums qu'a Maman : le fameux Coco Mademoiselle, de Chanel. Après quoi, je me remets un coup de déodorant et me lave les dents (faut que j'arrête avec cette manie !), puis cavale jusqu'à ma chambre pour enfiler des habits neufs que je n'ai pas encore eu l'occasion de porter. Est-ce que la venue de Kai chez moi est l'occasion de me mettre sur mon 31 ? Peut-être bien que oui !
Je retourne au rez-de-chaussée et allume la télé, mettant en évidence trois DVD au hasard sur la table basse. Avec ça, espérons que nous nous occupions au moins le temps d'une bonne heure. Sinon, qu'est-ce que j'ai oublié d'autre ? Ah oui ! Les chips et les sodas. Je traverse le séjour à vive allure, quand soudain des coups se font entendre à la porte. Déjà ?!
— Salut, dit Kai lorsque je lui ouvre.
Il a les cheveux qui lui retombent dans les yeux ; il passe une main rapide sur le haut de sa tête pour les remettre en arrière, tout en m'adressant un sourire à faire fondre trois blocs de glace en Antarctique. Je suis secouée d'un rire nerveux. Une telle beauté devrait être censurée, rien que pour le bien de ma santé mentale ! En jetant furtivement un regard à sa tenue vestimentaire, je remarque qu'il porte la même chemise à carreaux bleu et blanc qu'il avait sur le dos la première fois que l'on s'est vu avec Shirley, au Sam's Paradise. À ses pieds, des Air force one toutes blanches, et incroyablement propres. Dingue ! Comment fait-il pour entretenir aussi bien ses baskets ?
— Je peux entrer ? s'enquiert Kai devant mon mutisme involontaire.
— Oh. Oui, bien sûr !
Je fais un pas de côté pour le laisser passer. Mains dans les poches, il pénètre dans le salon, non sans jeter un coup d'œil autour de lui.
— Sympa, chez toi. C'est vous qui avez fait la déco ?
— En fait, c'est ma tante. Elle adore le jaune – au cas où tu te demanderais pourquoi toutes les tapisseries sont de cette couleur.
— J'aime bien le jaune. Ça me fait penser à Bumblebee dans Transformers. C'est cool.
Quelque chose attire son attention. Je suis le regard de Kai et tombe sur le cadre photo qui trône sur le plan de la cheminée. Oh non, pas ça...
— Est-ce que... c'est toi ? s'étonne Kai en se retenant de rire. (Il s'approche du cadre et le prend dans ses mains en fronçant les sourcils.) Bah ça alors ! Madame avait un mono-sourcil. Comme c'est ironique ! Pas vrai, Frida ?
Je repose le cadre à sa place en feignant l'indifférence. S'il n'avait pas débarqué aussi rapidement, j'aurais sans doute caché cette photo d'école dans un endroit à l'abri de toute humiliation. Bon sang, il faut vraiment que je touche deux mots à ma mère concernant la décoration de cette maison.
— Installe-toi sur le canapé, je vais chercher les chips.
Kai obtempère tandis que je file vers la cuisine. Au moment de verser les chips dans un saladier, je suis prise d'un mal de ventre. Le stress accable mes entrailles. Savoir que Kai, le garçon qui me plaît, est actuellement dans ma maison, juste dans la pièce d'à côté à regarder la télé, me rend toute chose. Quand je le rejoindrai, que va-t-il se passer ? Allons-nous visionner un film tranquillement comme je l'avais prévu, ou bien y aura-t-il quelque chose qui viendra interrompre ce moment de détente ? Je me pose trop de questions, mais c'est nécessaire. Je dois à tout prix me faire une idée de comment réagir au moindre imprévu. Le pire des scénarios serait que Shirley arrive à l'improviste. Auquel cas, le malaise deviendrait gigantesque et je serais dans de beaux draps. J'espère que cela n'arrivera pas. Aux dernières nouvelles, Shirley se prélasse avec ses amis dans un salon de spa à Atlantic Beach.
Je reconnais le film Speed à l'écran lorsque je reviens avec le bol rempli de chips et une bouteille de Coca dans le salon. Ainsi, Kai a choisi ce DVD parmi les deux autres. Il a de très bons goûts. Il augmente le volume avec la télécommande, envoûté par la scène alors que le film vient tout juste de commencer. Je ne peux pas lui en vouloir, moi aussi j'adore ce film. Je m'assieds à côté de lui tout en déposant le bol de chips entre nous. Nous piochons dedans à tour de rôle pour éviter que nos mains entrent en collision.
— C'est marrant. Keanu Reeves m'a toujours fait penser à un asiatique, vu qu'il a les yeux à moitié bridés, dis-je pendant que son personnage fait la rencontre d'Annie Porter, alias Sandra Bullock, l'une de mes actrices préférées.
— Keanu a bel et bien des origines chinoises, même si en réalité il a plus de sang hawaïen, précise Kai sans détacher les yeux de la télé.
— Comment tu le sais ?
— J'ai moi-même des origines hawaïennes, du côté de mon père, m'apprend-il alors.
Oh. Je comprends mieux d'où viennent ses yeux en amandes et son teint hâlé, à présent.
— Et toi ? lance Kai en me retournant la question.
— De ma mère, je suis irlandaise. Quant à mon père, le bruit court qu'il avait du sang hispanique.
Il pivote aussitôt la tête vers moi.
— Tu me donnes encore plus envie de t'appeler Frida, avec ça, tu sais ?
Je le fusille du regard. Kai se marre, puis je perds toute crédibilité en rigolant à mon tour. Je n'arrive pas à être sérieuse longtemps avec lui, surtout quand il sourit comme il est en train de le faire. À mesure que je le regarde, je remarque un petit grain de beauté sur le bas de son menton. Comment se fait-il que je ne m'en sois pas rendu compte plus tôt ? J'ai pourtant eu de multiples occasions de le voir aussi près, et même plus près encore...
Je prolonge mon inspection sur son visage. C'est fou, la beauté qu'il dégage, bien qu'il n'ait ni fossettes ni de mâchoire carrée – c'est ce qui fait craquer toutes les filles du coin, apparemment. En comparaison avec les autres garçons, je lui trouve même un petit côté androgyne, quand il est sous certains angles. Pour autant, Kai déborde de virilité et de charisme. Ses yeux particulièrement étirés, son sourire à tomber, sa grande taille et son odeur font de lui quelqu'un d'unique. Je suis prête à parier qu'on n'en trouve pas deux comme lui sur le globe terrestre. Et quand bien même ce serait le cas, Kai est forcément meilleur que son sosie.
— Tu me mattes, ou je rêve ? exulte-t-il, une expression sardonique sur le visage.
Je sors de ma transe. Comment ça, je le matte ? Et puis quoi encore !
— Tu rêves clairement, répliqué-je. Je n'ai aucune raison de te mater. Il n'y a rien d'intéressant à voir.
— C'est vrai, ce mensonge ?
Ses sourcils frétillent, accentuant son air taquin. Quoi que je fasse, mes faits et gestes ne passent jamais inaperçus quand il est présent. C'est bien ma veine.
— Et si je nous faisais des pop-corn ? relancé-je en me levant comme un automate.
— Tu vas louper une scène importante, prévient Kai.
— Aucun souci, j'ai déjà vu le film maintes et maintes fois.
— À ta guise.
Dans la cuisine, je sors un sachet de pop-corn que je m'empresse de réchauffer dans le micro-onde. Kai entre dans la pièce à son tour, me scrutant du coin de l'œil avec un sourire infime au coin des lèvres. Quoique surprise qu'il m'ait suivie, je n'en montre rien. On peut dire que ma tentative de fuite est un échec cuisant.
— Est-ce que tu m'évites ? veut savoir Kai.
— Hum ?
Je n'ai jamais été autant concentrée devant un micro-onde ; à l'intérieur, les grains de maïs claquent, claquent, claquent, tandis que moi, je panique, panique, panique. Il fait vraiment chaud, dans cette cuisine ! Et si on ouvrait la fenêtre ?
Sans crier gare, Kai arrive doucement derrière moi. Je me fige, abandonnant promptement l'idée de faire un courant d'air. Sa chaleur corporelle m'englobe tout le dos. Je m'agrippe au plan de travail de toutes mes forces, comme si c'était la seule chose à pouvoir me garder debout. La main de Kai frôle doucement mon épaule pour venir mettre mes cheveux sur le côté. Juste après, sa bouche trouve un soupçon de ma peau nue et il effleure de ses lèvres la base de ma nuque. Mon cœur bat à tout rompre. J'en ai la chair de poule.
Toujours dans le silence, il me retourne vers lui.
— « Magdalena Frida Carmen Kahlo Calderón, plus connue sous le nom de Frida Kahlo, était un symbole mondial reconnu pour son talent en peinture et sa force de vivre, récite-t-il, si bas que je pense d'abord l'imaginer. Elle est un modèle pour toutes les femmes d'hier, d'aujourd'hui, et de demain. »
Je reste muette, savourant le son de sa voix lisse et sensuelle qui résonne à mes oreilles. Kai sait parfaitement de quoi il parle : ses lèvres ne doutent pas, son regard ne flanche pas. La culture dont il fait preuve le rend davantage séduisant qu'il ne l'est déjà, c'est indéniable.
— Tu sais ce qui vous lie, toi et elle ?
Je secoue la tête.
— L'éloquence de votre art, dévoile Kai. Vous êtes des passionnées et vivez à travers votre talent en extériorisant votre mélancolie. Je trouve cela très poétique.
De si belles paroles, pour un si bel être... On dirait un texte sorti tout droit d'un roman. Plus Kai parle, et plus mon âme s'émiette telle une grenade qu'on viendrait de dégoupiller. C'est totalement hors de propos, comme comparaison, mais de toute évidence, je ne suis pas en état de penser correctement, là tout de suite.
Kai approche encore plus près son visage du mien.
— Elisa, souffle-t-il, je n'ai jamais vu quelque chose d'aussi sublime que toi derrière une batterie. Tu as ça dans le sang. Ne t'arrête jamais de jouer, s'il te plaît.
Le temps s'immobilise. Mon cœur s'embrase, tandis que mes yeux emprisonnent ceux de Kai. J'étais loin de me douter qu'il m'avait à ce point regardé hier soir. J'étais si envoûtée par la batterie et la mélodie de la musique, que j'en ai oublié les choses qui se trouvaient autour de moi. Cela mis à part, en rentrant chez moi après cela, j'ai passé une nuit entière à rêver de Kai et de ses regards fiévreux.
Celui qu'il affiche à présent est semblable à mes rêves, mais le fait que je sache que c'est la réalité accentue la sensation grisante qui naquit dans mon estomac.
Kai pose son front contre le mien. Nos souffles se mêlent. Sa pomme d'Adam se soulève alors qu'il avale lentement sa salive. Jusqu'alors, je n'avais jamais réalisé à quel point cette partie du corps pouvait être captivante chez un homme. J'en ai honte, mais cela me donne envie de la lécher. Quelle idée, Elisabeth... Kai cherche mon regard. Son visage est très proche du mien. Le visage en feu, je peine à dissimuler mon trouble. J'ai beau vouloir contrôler le rythme de mon cœur, je sais que le combat est perdu d'avance : il bat tellement vite que le bruit bourdonne à travers mes oreilles.
— Elisa..., souffle Kai d'un filet de voix.
Le signal qui retentit dans ma tête pousse mes membres à prendre vie. Sans prendre la peine de le laisser finir, j'attrape son visage et plaque mes lèvres contre les siennes. C'est la première fois que je prends les devants en l'embrassant, l'expérience est plutôt plaisante, sinon complètement démente. Ni une ni deux, Kai réagit et insère sa langue dans ma bouche, enveloppant chaque parcelle de mes lèvres comme si elles constituaient le mets le plus délicieux qu'il n'ait jamais savouré. Pour sa part, il a le goût de sucre et du sel, rappel des chips qu'il a mangées et du Coca qu'il a bu un peu plus tôt. Nous nous embrassons de tout notre soûl comme si nous étions nés dans le seul but de le faire. Je perds pied. La fougue qui nous éprend est purement primitive, je n'ai envie de penser à rien d'autre que lui et la ferveur de ses baisers. À titre de comparaison, le dernier que l'on s'est échangé paraît ridiculement innocent mais, en cet instant, je me fiche bien de savoir si mon attitude est indécente ou non. Ça m'est égal, si je commets un impair que je regretterais plus tard ; si notre baiser ne signifie rien ou si, au contraire, il signifie tout un tas de choses. Plus rien n'a d'importance. Il n'y a que Kai et moi, et ce moment de passion brûlante qui m'incite à aimer les risques de l'audace.
Sans m'en rendre compte, mes pieds se décrochent du sol et je me retrouve assise sur le plan de travail, jambes de part et d'autre du bassin de Kai. Il me tient fermement par les cuisses, de telle façon que je ne bouge pas ne serait-ce que d'un centimètre de ma place. Cette nouvelle position lui permet ainsi d'enfouir son visage dans mon cou et d'y déposer quelques baisers humides par-ci par-là, stimulant davantage la flamme de mes désirs. De ses doigts graciles, il glisse ensuite sa poigne jusqu'à mes hanches, puis un peu plus à l'intérieur. Son touché est d'une finesse déroutante. Tandis que je sens quelque chose se réveiller dans mon bas-ventre, il raffermit sa prise pour me permettre de le sentir tout entier contre moi. Je ne fais rien pour réprimer mes gémissements. C'est beaucoup trop bon.
— J'ai l'impression de trahir Shirley, soufflé-je sans m'éloigner de lui pour autant.
Du reste, mes mots ne font pas le poids face aux agissements de mon corps.
— C'est elle qui a rompu, me rappelle-t-il, et en revenant sur ma bouche : Elle n'est pas obligée de savoir. Puis, ce n'était pas toi qui m'avais dit que nous pourrions être ensemble si je n'étais plus avec elle ?
— Si...
— Eh bien c'est le cas, maintenant. Je suis tout à toi, et à toi seulement.
Il m'embrasse derechef, encore et encore, sans jamais perdre le fil de sa respiration. J'admire son professionnalisme en la matière, mais je suis forcée d'interrompre une nouvelle fois ce doux moment, car il y a encore quelque chose qui me travaille l'esprit.
— Tu retournes à Portland à la rentrée, Kai... Comment toute cette histoire va-t-elle se finir ?
Il dépose un baiser sur le sommet de mon crâne.
— Ne pense pas à ça tout de suite, Elisa. Vis le moment présent avec moi. Pour l'instant, c'est tout ce qui compte.
Un accord tacite passe entre nous.
Peu importe ce qu'il adviendra plus tard, j'ai le droit de vivre tout comme celui d'aimer. Et si me plier entièrement à la volonté de mes désirs est quelque chose qui ensuivra des répercussions, eh bien, je prends le risque.
Bien plus tard, après que Kai est rentré chez lui, Maman rentre du travail et surprend mon sourire béat, qui n'a pas quitté mes lèvres depuis le départ de celui-ci.
— Ça me fait plaisir de voir ma fille d'aussi bonne humeur, lance-t-elle d'un air conspirateur.
— Je sais, dis-je, flottant sur un petit nuage.
— Scarlett a enfin mis le grappin sur le fameux garçon ?
J'ai un éclat de rire.
— Scarlett a bel et bien enfin mis le grappin sur le fameux garçon, Maman.
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