chapitre 2
Elisabeth.
Le Sam's Paradise est le diner par excellence de Jacksonville. Sa devanture atypique (un singe souriant de toutes ses dents avec un bout de banane dans la bouche) détonne avec les environs, à savoir des vieilles maisons en brique qui aurait bien besoin d'un ravalement. Tout le monde connaît cet endroit, et tout le monde y va pour se prendre, au choix : un Milkshake, de bons hamburgers fait par Sam lui-même (le meilleur cuisto de l'univers, assurément !), des smoothies ou du café, lequel est réputé dans toute la ville pour sa mousse onctueuse et son arôme qui glisse sur la langue et qui enivre la bouche d'une amertume alléchante. Oui, c'est dans ma nature de faire la pub de Sam's Paradise. Quand j'étais plus petite et que les clients se faisaient aussi rare que le père Noël en période d'été, ma mère et moi venions tous les vendredis soir pour discuter des heures et des heures autour d'un Milkshake à la framboise et d'un Macchiato, parfois même en compagnie de Sam, quand ce dernier n'avait pas d'autres commandes à gérer – autrement dit tout le temps.
Sam est un homme très touchant. Du haut de la trentaine, il n'a pas vraiment d'entourage, à l'exception des clients fidèles du diner. À onze ans, j'ai appris que ses parents étaient partis vivre en France, emmenant uniquement avec eux leur caniche Prince. Loin de sa famille et pas franchement doué en amour, il a passé un certain temps à broyer du noir. Les filles avec qui il sortait l'ont toutes largué parce qu'elles le trouvaient trop gentil. Je ne savais pas qu'être gentil pouvait être un défaut. De fait, Sam est cent pour cent pacifiste, il ne ferait même pas de mal à une mouche. Je ne compte plus le nombre de fois où je l'ai vu se moucher tandis que Maman le prenait dans ses bras comme s'il était son propre fils. Franchement, j'aurais aimé avoir un frère comme lui. Les cafés gratuits, ce n'est pas donné à tout le monde !
Je me souviendrai toujours du soir où Sam était rond comme une queue de pelle et qu'il s'est mis à pleurer sur mon épaule jusqu'à en mouiller mon T-shirt. Il venait encore de se faire quitter et comme ma mère n'était pas là, c'est vers moi qu'il s'est tourné pour chercher du réconfort. Il m'a fallu vingt minutes pour le consoler, et dix de plus pour me rendre compte que je n'étais pas aussi douée que Maman en la matière.
— Bon sang, ce qu'il fait chaud, ici ! lance Shirley lorsqu'on entre dans le Sam's Paradise. Ils devraient mettre une climatisation, ou des ventilateurs, j'sais pas ! J'ai les aisselles toutes moites.
Nous passons devant le comptoir, où je salue de la main un Sam aussi suant que nous, si j'en crois les mèches de cheveux blonds collées sur son front.
— Alors c'est donc ça, cette odeur nauséabonde que j'ai sentie quand tu as franchi l'entrée ? ironise-t-il avec un air goguenard en direction de Shirley, avant de m'adresser un sourire complice.
Shirley lui tire la langue tandis que je lâche un rire qui se veut discret, mais qui ne l'est pas.
— Ah, tu ne défends même pas ta copine ! s'offusque-t-elle en mettant une main contre sa poitrine. Et moi qui me faisais un plaisir de t'offrir un Milkshake. Comme c'est dommage !
— Ça, ce n'est pas tombé dans l'oreille d'une sourde, crois-moi.
Shirley s'esclaffe, avant de jeter un regard alentour.
— Hmm, fait-elle en se mordant la lèvre, il avait pourtant dit qu'il était là...
— Tu parles de ton petit-copain-dont-je-viens-à-peine-d'apprendre-l'existence ?
— Ne sois pas si mauvaise... Oh, c'est bon, je le vois. Viens !
Elle m'entraîne avec elle dans l'allée où est attablée la clientèle. Nous passons devant un couple de la trentaine en plein festin, une mamie et son petit-fils, un groupe de jeunes, et puis soudain elle me fait signe de m'arrêter.
— Attends, ne me dis pas que le gars avec qui tu sors, c'est lui ?? m'étranglé-je en désignant la personne devant nous : un type avec bonnet sur la tête, cheveux jusqu'au cou et doigt dans le nez.
Shirley fait mine de grimacer.
— Houlà, non. C'est celui qui est juste derrière.
J'ai tout juste le temps de jeter un coup d'œil que Shirley surgit derrière son petit copain pour passer ses bras autour de ses épaules. Ses cheveux blond vénitien retombent en cascade sur lui, mais il ne fait rien pour les dégager. Une scène digne d'un film à l'eau de rose.
— Salut, toi ! l'entends-je dire d'une voix guillerette.
— Salut, beauté, répond l'intéressé.
Il tend son cou pour l'embrasser sur la joue et glisse sur la banquette, lui offrant une place à côté de lui. Les mains dans le dos et la gorge nouée, je m'avance avec hésitation, puis je dépose lentement – très lentement – mon fessier sur la banquette en face d'eux. Le garçon relève sa tête au même moment. Nos yeux se croisent, et là, c'est le drame.
— Humzpnfe...
Il avale de travers son thé frais, manquant s'en mettre sur sa chemise à carreaux bleus et blancs. Quant à moi, je reste ébahie, les yeux ronds comme des soucoupes et le cœur en alerte.
Nom d'un chien. Mais je rêve ! C'est le mec que j'ai embrassé l'année dernière à Halloween. Celui-là même qui portait le costume Michael Myers et cette horrible aura de mannequin. Mais qu'est-ce qu'il fout là ? Je croyais que...
— Ça ne va pas ? s'inquiète Shirley à son attention.
Il tousse une, deux fois, puis se reprend très vite. Lorsqu'il me regarde de nouveau, toute trace de panique a disparu de son visage, comme s'il ne s'était rien produit. Quel flegme ! Avec un peu de chance, je devrais avoir le même talent pour tromper les apparences...
— J'ai juste avalé de travers. Le thé est plus froid que je le pensais, prétexte-t-il alors, de façon si convaincante que je me laisserais presque berner par son jeu de comédien.
Shirley, elle, gobe complètement son mensonge.
Elle tape dans ses mains, un sourire éclatant sur les lèvres.
— Bon eh bien, je crois qu'il est temps de faire les grandes présentations ! Elisa, voici Kai mon nouveau petit copain ; Kai, voici Elisa, ma sœur de cœur depuis la nuit des temps !
— Enchanté, lance ledit Kai en me tendant sa main. Shirley m'a beaucoup parlé de toi.
Il parle d'un ton monotone, totalement dénué d'émotion. Je ne saurais dire s'il est déçu, énervé, content ou dégoûté de me revoir. Pour ma part, je suis tout ce qu'il y a de plus choquée : choquée d'être en face de l'auteur de mon premier baiser ; choquée de réaliser que ce dernier est dorénavant le petit ami de ma meilleure amie ; choquée de constater que la meilleure amie en question fait comme si elle ne savait pas de quoi tout cela en retournait. Bon sang, cette situation est si dingue qu'elle me paraît irréelle ! Est-ce leur façon à eux de me faire une blague ? Parce que si c'est le cas, elle est de très mauvais goût. Kai ne devait être qu'un simple élément furtif du passé de Shirley, et le voilà à présent occupant une place importante dans sa vie, alors même qu'elle sait ce que nous avons fait. Je n'y comprends rien à rien. Au départ, Shirley avait qualifié leur relation de simple flirt. Cela devait mener à quelque chose de plus concret mais, après la soirée d'Halloween, elle n'a plus jamais évoqué cette histoire. C'est à penser qu'elle n'avait jamais existé ! J'en ai conclu qu'elle était passée à autre chose et que mon baiser échangé avec Kai n'était pas un sujet suffisamment passionnant pour être abordé. J'ai cru que c'était de l'histoire ancienne, quelque chose de futile et pas digne d'intérêt – en partie à cause des deux autres petits copains que Shirley a eus à la suite de cela.
Au bout du compte, je me suis bien fourré le doigt dans l'œil.
En même temps, sortir avec quelqu'un dont on a coupé les ponts dix mois plus tôt, c'est à n'y rien comprendre !
Je reviens au présent et me rends compte que Kai tend toujours sa main dans ma direction, dans l'attente que je la lui serre. Seul son sourcil gauche, qui tressaute imperceptiblement, trahit une impatience évidente. Il veut en finir vite avec tous ces faux-semblants ? Eh bien soit ! Avec un sourire crispé, je me résigne à accepter sa poignée de main ; nos doigts se touchent le temps d'un fragment de seconde, mais cela suffit pour que je sente ce drôle de picotement s'emparer de ma paume. Je m'empresse de ranger ma main sous la table, à l'abri de tout danger. On frôle le ridicule, là !
— La timidité vous sied à merveille, les enfants, commente Shirley, qui ne perd pas une miette de la scène.
Si ce n'était que de la timidité...
— À ma décharge, ce n'est pas tous les jours qu'on rencontre officiellement la meilleure amie de sa petite copine, réagit Kai sur un ton de provocation que je saisis 5 sur 5.
À l'image de mon choc, ma colère est mise à rude épreuve. Je rêve où il vient de sous-entendre notre première entrevue sous les yeux de Shirley ? Il débloque ou quoi ? J'ignore ce qu'il cherche à faire mais une chose est sûre, s'il continue son petit manège je ne répondrai plus de rien...
Très honnêtement, j'ai envie de prendre mes jambes à mon cou et leur fausser compagnie. Cette petite entrevue à couteaux tirés est un calvaire. Un supplice. Une mascarade. Mais comme mon départ improvisé serait impoli de ma part, je n'ai pas d'autre choix que de rester plantée là, le regard cloué droit devant moi et les genoux tremblants comme ce n'est pas permis. Ce rendez-vous compte pour Shirley. Je dois faire bonne figure pour elle, peu importe si j'ai des envies de meurtres à l'encontre de Kai.
Kai fait une blague que je n'entends pas, car je préfère faire la sourde oreille. Mon amie rigole, pose sa main sur son torse, boit une gorgée dans son thé, puis se remet à rire comme une bécasse. Si cette petite comédie venait de quelqu'un d'autre, je trouverais ça très répugnant.
Les secondes me paraissent des minutes, et les minutes me paraissent des heures. N'y tenant plus, je m'assure que Kai regarde ailleurs puis je m'autorise un coup d'œil à la dérobée vers lui. Il est encore plus beau que dans mes souvenirs. Son teint hâlé et ses yeux à moitié étirés me rappellent à quel point je le trouvais séduisant dans cette chambre, le soir de notre rencontre. Sa chemise ouverte laisse entrevoir un T-shirt blanc qui lui colle au corps, dévoilant des muscles fermes identiques à ceux que j'ai touché dans la semi-pénombre. Quand il parle, sa bouche fine mais attirante danse, joue des mélodies que je n'écoute pas tant je suis subjuguée par l'aura qu'il dégage. Et dire que ce sont ces mêmes lèvres qui m'ont embrassées jusqu'à en perdre la raison...
Au prix d'un effort surhumain, je dévie mon regard pour ne pas me faire prendre la main dans le sac. Kai continue de parler. À l'aise et désinvolte, il se comporte comme si de rien n'était. Une question prend soudain forme dans ma tête : Et s'il ne m'avait pas reconnu, tout compte fait ? Je veux dire, ce qui s'est passé entre nous cette soirée-là n'a pas dû être incroyable ni marquant pour lui. Des filles, il a dû en embrasser des tas – sans compter celles dont il ne connaissait pas le nom, comme moi. Embrasser, toucher, caresser... c'est un quotidien pour les Casanova dans son genre. Par comparaison, je suis une sainte. Enfin, une sainte à moitié car, pour être tout à fait franche, j'ai repensé à lui des mois et des mois après, me rejouant la scène de ses lèvres posées contre les miennes. De ces lèvres d'inconnu, de ces lèvres tendres et douces, et expertes, et... Ce n'est pas le moment de repenser à ça, Elisabeth !
Kai reporte son attention sur moi. L'esquisse d'un sourire naît sur sa figure, comme s'il voyait les images qui défilent à l'instant même dans mon esprit. Je rebaisse immédiatement les yeux, sentant le rouge me monter aux joues. De pire en pire... À mon soulagement, aucun des deux ne paraît remarquer mon désarroi. Ouf.
Malgré l'indifférence qu'il manifeste à la perfection, je suspecte Kai de savoir qui je suis. Premier argument : sa réaction quand je l'ai rejoint à table – s'étouffer de la sorte à ce moment-là était une trop grande coïncidence pour croire à un hasard. Deuxième argument : ses doigts qui, présentement, n'arrêtent pas de pianoter sur le rebord de son siège. J'ai trop vu d'épisodes de Lie to me pour savoir que ce tic est un signe de nervosité. Pourquoi serait-il nerveux, sinon parce qu'il se tient en face de sa copine ET d'une fille qu'il a déjà embrassée ?
Cela dit, que mon instinct se trompe ou non, le résultat est le même. Je suis mortifiée d'avoir vécu un moment intime avec le petit ami de ma meilleure amie.
— Il faut que j'aille au petit coin, lâche Shirley à brûle-pourpoint. Je vous laisse prendre ma commande ?
— Un smoothie fraise banane avec supplément citron vert, récitons-nous en même temps, Kai un peu plus fort que moi.
Je le fusille du regard. Il n'y a que moi qui connaisse aussi bien les goûts de Shirley. Comment a-t-il pu s'en rappeler au bout d'un mois de relation seulement ? Oh non... Ne me dites pas qu'ils sont déjà venus plusieurs fois au Sam's Paradise ? Le fait même de l'envisager me donne la nausée.
Alors que Shirley entre dans les toilettes, Kai éructe un rire sardonique.
— Je vois qu'on est possessive, me dit-il, amusé par ma mine boudeuse.
Il s'étire un instant sur son siège, puis, se penchant vers moi, une lueur de malice passe dans ses yeux noirs. Comprenant la signification de ce regard, je pars aussitôt au quart de tour :
— Tu sais ! m'écrié-je en tapant du poing. Tu te rappelles de moi !
Les clients installés aux tables voisines nous lancent des regards interrogateurs. Kai fait mine de reculer face à ma colère rutilante, puis s'esclaffe à nouveau. Mes poings se serrent contre mes cuisses. Comment ose-t-il se moquer de moi de la sorte, et ce, devant tout le monde ?
— Je n'arrive pas à croire que tu...
— Que je quoi ? me coupe Kai, les bras croisés contre son torse. Allez vas-y, je t'écoute. Lâche-toi.
De peur qu'on nous entende, je tends la tête et baisse la voix :
— Qu'est-ce que tu fais ici ? Avec Shirley ? Je croyais que vous aviez coupé contact le lendemain d'Halloween.
— C'est le cas.
— Alors quoi ? Pourquoi j'apprends seulement maintenant que vous êtes ensemble depuis un mois ?
Kai replace une mèche de ses cheveux en arrière ; son nez se fronce pour accompagner son geste. Je me maudis de trouver cela super sexy...
— Tu poses beaucoup trop de questions, Frida. Je ne suis pas obligé de te répondre, mais en témoignage de ma bonne foi – et aussi parce que tu m'as l'air sacrément tendue – je vais quand même le faire. Shirley et moi, on s'est reparlé il n'y a pas longtemps. Notre feeling étant meilleur, on a essayé de retenter l'expérience. Voilà pourquoi on se retrouve ici, à commander un smoothie au Sam's Paradise, en compagnie d'une fille sauvage qui est à deux doigts d'exploser comme une grenade – cette fille là c'est toi, au cas où tu ne l'aurais pas compris.
Son impertinence me laisse coite de longues secondes.
— Est-ce que tu savais que j'allais venir ? dis-je finalement.
— Shirley m'a parlé d'une meilleure amie que je devais absolument rencontrer. J'aurais préféré rester seul avec elle, mais bon, on n'a pas toujours tout dans la vie.
Je bouillonne. Il me provoque. Il me provoque clairement. En plus, ça ne répond même pas à ma question. J'en ai ma claque !
— Tu es un idiot, lâché-je de but en blanc.
Plutôt que de se renfrogner, Kai se remet à rire. À croire qu'il s'enorgueillit de me voir à bout.
— On peut savoir pourquoi je suis un idiot ? s'enquiert-il.
— Je ne sais pas, peut-être parce que tu es insolent, arrogant, fauteur de troubles et tout autres synonymes de ce genre ?
— Mais encore ?
— Arghh ! Parce que si tu avais une once de neurones actives dans ta petite cervelle d'oiseau, tu aurais compris que la meilleure amie en question, c'est moi. Je te l'avais dit à la fête, d'ailleurs.
— Je croyais que c'était une façon de parler ! Je n'y connais rien à vos trucs de filles, moi.
Il veut à tout prix avoir le dernier mot, c'est dingue !
— Bref. Ça ne change rien au fait qu'on est dans le pétrin. Shirley va revenir d'un moment à l'autre et nous planter les couverts dans la veine jugulaire, c'est certain. Mon Dieu, je suis trop jeune pour mourir.
Je me prends la tête dans les mains, pleurnichant comme une gamine.
— Pourquoi Shirley ferait ça ? s'étonne Kai.
— Tu le fais exprès ? Le soir d'Halloween tu lui as dit ce qu'il s'était passé entre nous, je suppose que c'est pour cette raison que vous avez coupé les ponts par la suite. Va savoir pourquoi, vous vous êtes rabibochés depuis peu, ce qui signifie qu'elle va forcément vouloir remettre cette histoire sur le tapis et exiger des explications. L'ennui, c'est que je ne saurais pas du tout comment me défendre ! D'ailleurs, je n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi elle ne m'a pas fait une seule fois une réflexion à ce sujet. C'est comme si elle faisait semblant de ne pas savoir...
— À ce propos...
Cette fois, le sarcasme de Kai a laissé place à une inquiétude étrange. Quand je relève la tête et que je surprends son air coupable, quelque chose s'emboîte dans ma tête et la vérité me frappe de plein fouet : il ne lui a jamais dit ce que nous avons fait ce soir d'Halloween.
— Non mais je rêve !
Ma voix part dans les tours. En proie à une fureur démesurée, je me mords l'intérieur de ma bouche pour empêcher un cri de fuser de mes lèvres. Le salaud, il m'a roulé dans la farine ! Comment ai-je pu croire une seule seconde que je pouvais faire confiance à ce type ? Si je m'écoutais, je casserais quelque chose, n'importe quoi, afin de me défouler comme il se doit. Mais je me contente de me cogner en silence les cuisses jusqu'à m'en faire mal.
J'entends Kai se racler la gorge.
— Tu ne devrais pas te frapper comme ça, tu sais...
— Je fais ce que je veux !!!
Et je réitère mes coups, encore plus fort.
— J'ai voulu lui dire, je te jure, s'explique Kai d'un air embarrassé. Mais comme Shirley était bourrée et heureuse, je n'ai pas voulu gâcher sa soirée.
— Qu'est-ce que tu as fait, dans ce cas ?
— Je suis parti.
— Non. Chez moi, on appelle ça se défiler. Tu m'as promis que tu lui en parlerais, mais tu ne l'as pas fait ! J'aurais dû me douter qu'un garçon comme toi ne tiendrait pas parole...
Ses traits se durcissent.
— Qu'est-ce que tu sous-entends par-là ?
— Rien. Laisse tomber.
Je me sens terriblement bête d'avoir espéré que tout cela ne soit qu'une histoire lointaine. À cette soirée, tandis que j'attendais qu'il aille tout raconter à Shirley, lui se fichait pas mal de la promesse qu'il m'avait faite. Je n'ai pas voulu gâcher sa soirée. Un mensonge éhonté ! Il n'a rien dit à Shirley, parce qu'il n'en a pas eu assez le cran.
Maintenant que je sais de quoi il en retourne, je comprends mieux pourquoi Shirley ne m'a jamais mise au pied du mur à ce sujet, et pourquoi a-t-elle semblé ne rien remarquer lorsqu'elle nous a présenté l'un à l'autre tout à l'heure. Pour elle, c'est la première fois que Kai et moi nous voyons.
— Écoute, ce n'est pas pour enfoncer le clou mais... si tu voulais vraiment que Shirley le sache, tu aurais dû lui dire toi-même la vérité. Comme tu l'as dit, c'est ta meilleure amie, non ? lance Kai.
Et toi son petit ami, non ? Hypocrite, hypocrite, hypocrite.
— De toute manière, tu auras tout le loisir de le faire quand...
Kai ne termine pas sa phrase ; Shirley revient vers nous avec un petit sourire naïf, la jupe virevoltant sur son passage.
— Alors, vous avez eu le temps de faire connaissance ? nous questionne-t-elle, toute contente.
Comme Kai ne dit rien, je bredouille :
— Oui. C'était... cool.
— Tant mieux ! Ah, voilà mon smoothie. Lequel de vous deux a commandé ?
Pour toute réponse, Kai se lève et dépose un billet de dix dollars sur la table.
— Je dois y aller. Un imprévu de dernière minute. On se voit plus tard, fait-il à Shirley, avant de nous fausser compagnie sans demander son reste.
Je le regarde sortir du diner sans un regard derrière lui. C'est ça ! Qu'il s'en aille. Il est fort pour fuir les choses, c'est sa spécialité.
— Qu'est-ce qu'il a ? demande mon amie, perdue.
Je hausse les épaules, incapable de lui dire ce qu'il en est. Plus tard, me dis-je, tu lui diras tout plus tard.
La culpabilité me dévore déjà.
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