chapitre 12

Kai


Je commence à avoir chaud. L'alcool et la danse font leur effet. Je ne suis pas ivre, juste assez éméché pour me sentir en transe et danser coller serrer avec Shirley, aux yeux de tous. Cette dernière a les mains derrière mon dos. Sa jambe frôle de temps à autre mon jean et ses cheveux s'agitent au rythme de la musique. Une crinière de lionne dans toute sa splendeur. Je ris et l'attire encore plus vers moi. Elle sait, rien qu'en sentant le petit renflement qui s'est formé dans mon boxer, que je suis déjà excité. L'ombre d'un sourire lubrique se dessine sur ses lèvres. C'est bien Shirley, ça : une boule d'énergie vivante, qui n'est jamais fatiguée de rien. Nous pourrions nous éclipser quelque part pour s'amuser à tout autre chose, personne ne verrait rien. Mais je n'ai pas la tête à jouer à ce petit jeu avec elle ce soir. Elle est saoule, et je ne suis pas un putain de profiteur.

— Je vais prendre un nouveau verre, dit Shirley au bout d'un moment. Tu veux quelque chose ?

— Non, ça ira. Tu es sûre de vouloir encore boire ? Tu es bien, là...

Pour toute réponse, Shirley lève les yeux et me donne une pichenette sur le nez ; la seconde d'après, elle a déjà disparu. Ce genre de réaction est exactement ce dont je nous reproche dans notre relation. On se touche, on se séduit, on se donne du plaisir... mais c'est tout, il n'y a jamais plus. C'est comme si nous n'étions disposés à nous fréquenter que pour ça.

Parfois je ne dis rien parce que ça m'arrange. Parfois, comme ce soir, je trouve la chose malsaine. Je ne suis pas son jouet, et elle n'est pas le mien. Il y a tellement d'autres activités que nous pourrions partager, tous les deux.

Apparemment, Shirley n'est pas du même avis. La preuve : elle préfère boire à outrance plutôt que de passer la soirée avec moi.

Puisque je n'ai rien d'autre à faire, j'entreprends d'aller fumer une clope dans le fumoir. Là-bas, trois personnes me font face. Une grande brune, dont les vêtements expriment la définition même du mot vulgaire ; un gars aux cheveux attachés au catogan et au corps dégingandé qui semble jouer à la demoiselle un tour de drague ; et un mec très baraqué qui, après réflexion, est sûrement un des videurs de la boîte.

Je reporte mon attention sur le potentiel futur couple.

— Eh, on t'a déjà dit que tu étais... Eh merde, tu es tellement belle que j'en ai oublié ma phrase d'accroche.

La fille sourit à peine. Il va falloir qu'il mette les bouchées doubles s'il veut l'avoir, le vieux.

— Sinon, est-ce que tu as un pansement ? relance-t-il en se penchant nonchalamment contre le mur, la cigarette bloquée dans le coin du bec façon bad boy. Je viens de m'écorcher le genou en tombant pour toi, c'est bête.

Si un regard pouvait tuer, il serait mort sur place.

— OK, OK, j'en ai une meilleure ! fait-il avant que la fille prenne ses jambes à son cou. Mon nom est Steven : c'est juste pour que tu saches quoi crier quand on sera au lit cette nuit...

Je ris sous cape. Je m'attends à ce que la nana lui mette une claque ou fasse une remarque cinglante mais, contre toute attente, elle lui lance un clin d'œil et l'invite à la rejoindre dehors. J'en reste comme deux ronds de flan. Il l'a eu, le veinard !

Les deux sortent du fumoir. Je les suis du regard, jusqu'à ce que mes yeux tombent sur deux corps dans la foule. Ils se déhanchent comme des brutes, à deux doigts de se disloquer les membres. La fille est de dos, mais je réussis à reconnaître son compagnon. C'est Bill, alias Raton laveur. Ses cheveux blonds retombent dans ses yeux. Il a ouvert en entier sa chemise et ses joues sont marquées de plaques rouges, signe qu'il danse déjà depuis un bon moment. Putain. Ce trou de bal n'a même pas la présence d'esprit d'assister Elisa alors qu'il est venu avec elle. Elle pourrait tout aussi bien se faire agresser par un mec, non, il préfère faire son lourdingue avec la première fille qu'il trouve. Quel blaireau. Il n'en a rien à foutre d'Elisa, c'est évident. Ça m'étonne qu'elle ne s'en soit pas encore rendu compte.

Pour ne pas perdre l'équilibre, Bill se retient à la fille en riant aux éclats. Approche pas du tout subtile, comme d'habitude. Son visage est niais, ses mouvements ne sont pas maîtrisés. Il est si bourré qu'il ferait presque de la peine. S'il avait vécu au Moyen Age, il aurait été élu à coup sûr le bouffon attitré du Roi. En détaillant un peu plus la fille, quelque chose me fait tilt. Je connais ces vêtements, et cette crinière rousse...

Shirley, c'est elle ! Mais qu'est-ce qu'elle fout ? Je croyais qu'elle était partie se chercher un verre... Sérieux, parmi tous les types de la boîte, c'est avec Raton laveur qu'elle a décidé de partager une danse ? N'importe quoi. Elle aussi est torchée, je ne vois que ça. Je me demande où est Frida. Si les deux sont ensemble, à faire mumuse comme des imbéciles sur la piste de danse et que moi, je suis dans le fumoir, elle s'est forcément retrouvée toute seule. Je l'imagine mal combler notre absence en dansant avec un inconnu. À mon avis, elle est quelque part en train de finir sa boisson sans alcool, ou alors, elle s'est endormie dans les toilettes tellement elle se faisait chier.

Je décide de partir à sa recherche. Il me faut dix bonnes minutes avant de la retrouver seule dans le couloir qui mène aux toilettes, une mine désespérée sur le visage. Lorsqu'elle me voit, ses traits se durcissent.

Pourtant, je n'ai encore rien fait.


Elisabeth

Il me rejoint sans piper mot, les mains dans les poches et un petit sourire sur les lèvres. Je suis peut-être blasée de sa venue, ça me rassure un peu de savoir que je ne suis plus seule. Depuis près d'une heure, je suis cloîtrée ici, dans ce coin sombre, à ruminer et envoyer balader les abrutis ivres qui cherchent désespérément celle qui voudra bien finir la soirée dans leur lit. Il y en a même un qui a tenté de m'embrasser sans demander la permission. Son excuse ? Je souriais – je ne déconne pas, il m'a vraiment dit ça. Spoiler alert, mon gars : une fille avec un rictus n'est pas obligatoirement disposée à agréer aux avances d'un pervers dans ton genre.

Sérieusement, ces mecs sont des porcs. Je savais que les boîtes de nuit gorgeaient de gens louches, mais pas à ce point. Au moins, grâce à cet épisode, ça conclut une chose formelle : je hais les endroits comme ça. Plus jamais je n'y remettrai les pieds. En plus, mes talons me font un mal de chien. Quelle idée m'est passée par la tête pour que je les enfile dans un endroit pareil ?

— Tu t'amuses ? j'entends vers ma droite.

J'avise Kai d'un œil oblique sans pour autant lui répondre.

— Visiblement oui, c'est l'éclate totale, ajoute-t-il en haussant les sourcils.

Il essaie de faire de l'humour, mais ça ne fonctionne pas. Je suis bien trop à cran pour rentrer dans son petit manège.

Je l'examine de pied en cap. Ses yeux sont plus petits que dans mes souvenirs, et sa bouche, un peu tordue vers le bas. Ça ne devrait pas l'être, mais chez lui, cette mimique est vraiment sexy. Tu es idiote ou tu le fais exprès ? Il est ivre, et toi tu ne trouves qu'à lui faire un compliment de plus !

— Je suis désolé, lâche soudain Kai d'une voix vaseuse.

— Pourquoi ?

— On t'a lâché. Ce n'est pas très sympa de notre part.

Je suis troublée. Des trois, c'est bien le seul dont je n'attendais aucune excuse.

— Comme si ça t'importait, de savoir où j'étais.

— Je te cherchais partout, donc oui, ça m'importe.

Pourquoi ? ai-je envie de lui dire. Pourquoi partir à ma recherche alors que tu pourrais t'occuper à tout autre chose, comme rester auprès de Shirley, rigoler avec d'autres gens, ou même retourner faire mumuse avec Vin Diesel 2.0 ? Mais je garde le silence. Compte tenu du taux d'alcool qu'il doit avoir dans le sang, ça ne sert à rien de déblatérer avec lui. À quoi bon ? Il pourrait dire tout et n'importe quoi ce soir, et ne plus s'en souvenir demain matin au réveil. Merci, mais non merci. Autant parler à un mur.

— Allez, Frida. Tu ne vas pas faire la tête toute la nuit, si ?

Kai me donne un léger coup de coude afin que je réagisse. Ça ne fait que m'énerver davantage.

— Arrête de m'appeler comme ça, je te l'ai déjà dit des milliards de fois !

— Tu n'aimes pas ?

— Non.

— Moi au contraire, j'aime bien ce surnom. Il te va à ravir, dit-il d'une voix un peu trop intime à mon goût.

Je secoue la tête.

— Tu es bourré, Kai. Tu ne sais pas ce que tu dis.

— Je ne suis pas bourré, contre-t-il tout de go.

— Si.

— Non. Tu veux que je te le prouve ?

En moins de temps qu'il faut pour le dire, il a creusé la distance qui nous séparait et se poste juste devant moi, les yeux rivés vers ma bouche. J'avale difficilement ma salive. Qu'est-ce qu'il... qu'est-ce qu'il est en train de faire, là ?

Je perds instantanément toute notion de ma voix, ainsi que le fil de mes pensées. Mon cœur bat trop vite. Mes jambes tremblent bien trop fort. Sentir Kai aussi près de moi me chamboule. J'en défaillirais presque.

Les néons stroboscopiques de la boîte de nuit recouvrent sa silhouette et éclaircissent l'intensité de ses yeux. Des tons de couleurs rouge, bleu et vert dansent autour de lui, soulignant sa carrure et ses cheveux ébouriffés. Je ne savais pas que les néons avaient la capacité de rendre une personne encore plus attirante. Hypnotisée, je suis tentée de caresser son visage. Son souffle chatouille délicatement mon visage, et sa main passe dans le creux de mon dos de manière que je me rapproche encore plus de lui. Il a une odeur de cannelle, comme la première fois que l'on s'est vu. Ses lèvres ne sont pas loin des miennes. Deux maigres centimètres de plus et elles se touchent.

Kai articule :

— Et là, tu vas me dire que je ne sais pas ce que je fais, c'est ça ?

Oui, je l'admets, c'est ce que j'allais répliquer. Mais, en voyant cette lueur solennelle briller dans son regard, ce n'est plus la peine de dire quoi que ce soit. Kai sait ce qu'il fait. Kai a conscience de la tournure qu'a pris notre conversation. Il n'a que faire que l'alcool lui délie la langue. S'il est aussi proche de moi, ce n'est pas parce qu'il est ivre, ni dans le but de me provoquer. Non, plus maintenant. La vraie raison de son rapprochement, je la connais, car moi aussi je la ressens. Cette drôle de sensation dans le ventre, qui fait rosir mes joues et hérisser les poils de mes bras. Cette vitesse folle à laquelle mon cœur bat. Ce souffle de plus en plus court qui m'affole... Plus qu'une émotion, c'est une réponse claire que mon corps me renvoie. Tout en moi est décuplé. Fois cent. Fois mille. Fois l'infini. Et c'est douloureusement addictif.

— Dis-le, Frida.

— Dire quoi ? soufflé-je.

— Que je ne te plais pas. Toi qui aimes si bien te prouver des choses. Dis-le. C'est le moment ou jamais.

Ma bouche s'ouvre, prête à lui envoyer en pleine face une phrase méprisante. Toutefois, elle se referme avant même que j'ai le temps de dire quoi que ce soit. Je ne peux pas me résigner à le faire. Au mieux, je sortirais un mensonge et il le comprendrait. Au pire, je bégaierais comme une abrutie, perdant toute crédibilité.

Kai a un petit sourire en coin. Il sait, à ce moment-là, que j'ai déjà perdu la bataille.

— C'est bien ce que je pensais, dit-il, comblé.

— Je n'ai rien confirmé !

— Tu n'en as pas eu le besoin. Ton silence veut tout dire.

Pour un peu, je le frapperais en plein dans le nez. Comment ose-t-il déclarer les faits avec autant de facilité et de... désinvolture ? Il n'a pas le droit de parler en mon nom, surtout si c'est pour conclure des choses que je n'ai jamais exprimées !

Je le repousse brusquement du plat de la main et il sourit encore plus.

— Tu deviens violente parce que tu sais que j'ai raison ?

— Ça suffit, Kai.

— Non. Je n'en ai pas terminé. Si tu n'es pas capable de le dire, moi je peux. (Il revient aussitôt à la charge en s'appuyant contre le mur à l'aide de ses avant-bras de part et d'autre de mon visage.) Tu me plais, Elisabeth, dit-il alors sans plus aucune trace d'amusement. Tu me plais même beaucoup. Je n'arrête pas de te regarder depuis le début de la soirée. Cette jupe et ce chemisier que tu portes... ça me rend fou.

Mon cœur s'arrête le temps d'une fraction de seconde. C'est la première fois que je l'entends dire mon prénom. Ça me fait tout drôle ! Dans sa bouche, il sonne comme une douce mélodie que j'aimerais entendre encore et encore... Sauf que, non. À la vérité, je préfère quand il m'appelle Frida. Au moins, ainsi, ça rend la chose plus informelle et beaucoup moins émotionnelle.

À cette simple pensée, je me ressaisis.

— Je t'interdis de dire ça, Kai.

— Pourtant c'est la vérité. Tu me rends fou. Je ne sais pas ce qui me prend, mais je pense tous les jours à toi. Tu hantes ma tête sans même le faire exprès.

— Arrête ! explosé-je. Arrête ça ! Tu n'as pas le droit.

L'expression de Kai passe de la concupiscence à la sévérité.

— Pourquoi ? Parce que je suis avec ta meilleure amie ? C'est ça, la raison ? Je t'en prie, ouvre les yeux, Elisa ! Shirley n'en a rien à faire de moi. Je suis sûr qu'elle va voir ailleurs quand elle en a l'occasion.

— Non. Shirley n'est pas comme ça. Elle est loyale.

— Ah ouais ? Alors comment tu expliques qu'elle n'est pas avec moi en ce moment, et qu'elle préfère être dans les bras de Bill ?

Je... Quoi ? Shirley est dans les bras de Bill ? C'est quoi cette histoire ?

Kai enchaîne sans me laisser le temps de rebondir là-dessus.

— Je ne sais pas ce que tu t'es mise en tête, mais Shirley et moi, on n'est pas officiellement ensemble. On passe du temps tous les deux pour nous amuser, mais ça s'arrête là. Il n'y a rien de sérieux.

— Je croyais que vous vous aimiez...

— Aimer ? Oui, on s'aime – comme des amis. Il n'a jamais été question d'amour passionnel. Elle m'a présenté comme son petit copain, mais c'est juste une simple étiquette qu'on s'est mise pour faire comme les autres.

Ses paroles me font repenser à ce que m'a dit Shirley dans la cabane, la dernière fois. On s'aime bien... Je ressens un manque.... Il n'y a pas cette petite flamme entre Kai et moi. Alors ce qu'elle avançait était vrai : Kai et elle ont tous les deux conscience qu'ils ne sont pas amoureux et que quelque chose bloque. Ils ont beau être « en couple », les sentiments qu'ils ont l'un pour l'autre ne sont pas assez intenses. Cela étant, pourquoi continuent-ils cette relation ? À quoi sert-elle, si tout cela n'est qu'une illusion ? J'ai conscience que, parfois, la vie nous pousse à faire des choix qui dépassent notre raison, nous perdant dans le labyrinthe des regrets plus que nous l'étions déjà. Mais je connais Shirley : en règle générale, elle préfère être seule plutôt que mal accompagnée. Le fait qu'elle soit encore avec Kai alors qu'elle sait pertinemment que cela ne mènera à rien prête à confusion. Elle pourrait facilement mettre un terme à leur idylle si elle le voulait. Mais le veut-elle vraiment ?

Tout à coup, je suis vite rattrapée par tous les événements qui se sont produits entre Kai et moi depuis que nous nous connaissons. Bien qu'il se sérine à dire qu'il n'y a rien de sérieux avec Shirley, il la fréquente quand même et, en somme, ce qu'il fait avec moi – ces regards troublants qu'il m'envoie, ces phrases à doubles sens qu'il prononce, ses plaisanteries en guise de provocation –, ce n'est pas acceptable. Il joue sur deux tableaux. Non, nous jouons sur deux tableaux. Car si je ne suis jamais rentrée dans son jeu, je n'ai pas le souvenir d'en avoir fait abstraction non plus. Sans parler du fait que nous avons échangé un baiser avant que Shirley le rencontre, et ce alors qu'elle n'est même pas au courant, bien que dix mois soient passés depuis. Impossible pour moi de passer outre. Dans mon langage, on appelle cela une mascarade, et je refuse de jouer le personnage principal dans cette mise en scène de mauvais goût.

— Je veux que tu t'excuses d'avoir agi ainsi avec moi, dis-je tout haut pour faire écho à mes pensées.

— M'excuser ? Pour quoi ? demande Kai, surpris.

— Pour m'avoir embrassé à la soirée d'Halloween et ne pas l'avoir dit à Shirley. Pour ce que tu es en train de faire avec moi en ce moment-même, alors que tu en fréquentes une autre. Pour le fait que tu te joues de moi. Pour tout.

Kai hésite de longues secondes, puis finit par céder :

— Je suis désolé, Elisa.

Mais le cœur n'y est pas. Son regard, sa voix, son visage, tout me pousse à croire qu'il n'en pense pas un mot.

— Pourquoi est-ce si dur pour toi de demander pardon avec sincérité ? Tu n'as donc aucun respect pour moi ? Pas même un peu ?

— Non, ce n'est pas ça. C'est juste que... Elisa, reprend-il en renonçant à terminer sa phrase, c'est plus compliqué que ça.

— En quoi cela est-il compliqué ? Explique-moi.

— J'ai... C'est juste que...

Il laisse une nouvelle fois sa phrase en suspens. Je m'empourpre de colère :

— Mais parle, bon sang ! C'est quoi le problème ? Dis-moi la vérité !

— Je n'ai pas envie de m'excuser pour t'avoir embrassé ! s'écrie Kai à bâtons rompus. Putain, non, je ne regrette pas ce qui s'est passé. J'ai même aimé ça. Et tu sais quoi ? J'ai envie de le refaire là, maintenant.

Je m'immobilise. Ai-je bien entendu ? Désarçonnée, je le fixe avec incertitude. Est-il sincère, ou est-ce encore une de ses farces pour me rendre folle ? Les questions se bousculent dans ma tête. Je n'ai jamais été aussi perturbée qu'à ce jour. Kai plonge son regard dans le mien. Je suis si concentrée par sa confession que je ne tilt pas quand il penche son visage et qu'il dépose doucement ses lèvres sur les miennes.

Un baiser. C'est le deuxième qu'il me fait, mais le premier remonte à si loin que j'ai l'impression de découvrir à nouveau ses lèvres.

Comme je ne réagis pas, il m'embrasse plus profondément ; je suis si prise court qu'il me faut une éternité pour me rendre compte de ce qui se passe. Au moment où je suis sur le point de le repousser, sa langue glisse dans ma bouche et vient trouver la mienne d'une façon si exquise que la seule chose que je fais vraiment, c'est empoigner ses cheveux sauvagement pour m'agripper à lui. Tout va alors très vite. Kai colle son corps contre le mien, élève une de mes jambes pour la mettre près de son flanc, appuie son début d'érection contre mon entrejambe, puis effleure du bout des doigts le haut de ma cuisse. Je ressens mille et un désirs que j'aimerais assouvir sur le champ. Sa chaleur m'enveloppe tout entière. Je lui rends son baiser avec la même intensité. C'est si fort que j'en oublie de respirer. Quelque chose se réveille en moi, et je me dis que je n'ai jamais éprouvé une telle chose de toute ma vie. Ça vole à l'intérieur de mon ventre, tambourine au fond de mon cœur, flotte à travers mon âme. C'est bon, tellement bon. Mais c'est mal, tellement mal...

À contre-cœur, j'interromps le baiser. Je reprends peu à peu ma respiration sous le regard ardent de Kai. Mes joues brûlent. Il s'humidifie les lèvres, prêt à réitérer notre action, mais je secoue la tête. La magie de l'instant est terminée. La sagesse est revenue.

— Non, Kai. On ne peut pas...

— Je sais que tu en as autant envie que moi. Pourquoi t'imposes-tu ces limites ?

— Tu le sais très bien.

Il lève les yeux au ciel.

— Si c'est encore par rapport à Shirley, je croyais pourtant t'avoir fait comprendre que...

— Qu'est-ce que tu ne comprends pas ? le coupé-je. Je ne peux pas lui faire ça, elle compte pour moi comme si c'était ma sœur ! Tant que les choses ne seront pas claires entre vous, je n'y arriverai pas. Je suis désolée.

Nos corps se détachent. Le manque de lui se fait déjà ressentir sur ma peau, mais je secoue la tête pour chasser ces mauvaises pensées de mon esprit. Non, c'est fini. Je me force à reculer encore plus de sorte à l'inviter à garder ses distances. Il ne se reproduira plus rien entre nous ce soir, ni jamais. Notre jeu de séduction n'a que trop duré, il faut y mettre un terme.

Kai contracte sa mâchoire, contrit.

— Elisa...

— Désolée, répété-je en cachant ma tristesse du mieux que je peux. Je pense que le plus sage pour nous deux est... qu'on se tienne éloignés le plus possible, d'accord ? Ça ne marchera jamais si tu es avec elle.

Je n'attends pas sa réponse, et m'enfuie en courant.

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