Règle numéro vingt-neuf : être honnête, c'est gratuit.

Je m'assis sur l'une des chaises disposées sur la terrasse et allumai la cigarette que j'avais glissée entre mes lèvres. La nicotine m'attaqua les poumons et la gorge immédiatement, et la pensée selon laquelle il faudrait vraiment que j'arrête de fumer me traversa l'esprit, mais pour l'instant, j'appréciais encore les effets nocifs que ce poison pouvait avoir sur moi.
Fort heureusement, le soleil ne tapait pas très fort, car une bonne partie de la terrasse était orientée à l'ombre, mais il faisait tout de même très chaud, ce qui était tout à fait normal pour une après-midi de fin Août.
J'entendais les oiseaux gazouiller, quelques personnes rire et discuter sur la terrasse d'en dessous, et de temps en temps, la circulation des bus et des voitures qui n'était pas très importante dans le coin. J'essayai d'apprécier au mieux chaque sensation, chaque son, chaque bruit et chaque odeur, de profiter simplement de l'instant présent, mais mon esprit ne put s'empêcher d'aller divaguer vers le refus de William et la fermeté de sa position.
Non, c'est non chez lui, et une fois qu'il a une idée en tête, il est du genre à être borné.
Malgré tout, j'espérais que la nuit ou les quelques jours qu'il irait passer chez sa mère le pousseraient peut-être à réfléchir, peut-être même qu'il en discuterait avec elle – j'en étais même convaincue, d'ailleurs – et qu'elle pencherait en ma faveur en lui disant de profiter de sa jeunesse et de tenter enfin un voyage qui sorte du cadre de l'Europe ou même du milieu scolaire. La mère de Will était comme ça, elle avait une philosophie de vie très axée sur le carpe diem, peut-être même un peu trop. Cela devait être pour ça qu'elle avait été sceptique à l'annonce de notre mariage, elle pensait sans doute que son fils avait encore le temps de profiter et de s'amuser avant de s'engager jusqu'à la fin de ses jours auprès de la même femme...
Ma cigarette terminée, je l'écrasai dans le cendrier et rentrai dans le salon. J'attrapai les billets se trouvant sur la table basse et allai dans la cuisine pour les jeter à la poubelle, de façon bien ostentatoire. Peut-être William les verrait-il et peut-être réfléchirait-il à sa décision, mais en tout cas, je voulais qu'il pense que l'idée m'était sortie de la tête, que je m'étais résignée, et que je me pliais à son choix.
Je me lavai ensuite les mains et attrapai un chewing-gum que je mâchai pendant quelques minutes afin de me débarrasser un peu de l'odeur de tabac. Je le jetai lorsqu'il n'eut presque plus de goût, et me dirigeai alors dans le couloir qui menait à la salle de bain.
De là, je pus entendre l'eau couler et William qui chantonnait quelques fausses notes sous la douche. Je souris doucement et m'approchai davantage de la pièce : il avait laissé la porte entrouverte, comme une invitation à venir le rejoindre.
Alors, très discrètement, je poussai cette porte, entrai dans la salle d'eau, me déshabillai entièrement et me joignis à lui dans la baignoire.

Après notre douche commune qui, bien entendu, avait dérapé sur autre chose de bien plus plaisant, je m'étais séché les cheveux et le corps en vitesse avant de me rhabiller avec les mêmes vêtements que Léa m'avait gentiment prêtés ce matin : un débardeur blanc en coton, et un pantalon fluide taille haute en toile kaki, rehaussé d'une ceinture avec une boucle dorée. Une tenue très élégante qui ne s'éloignait pas de mon style habituel, et qui correspondait bien au look et à l'attitude de Léa : toujours classe et bien apprêtée.
William, lui, avait revêtu un jean sombre déchiré, une chemise à manche courte à carreaux rouges et noirs qu'il avait accompagnée de son fameux sautoir et, en guise de chaussures, des bottines en cuir.
Je l'avais contemplé s'habiller amoureusement, avant de me moquer un peu de lui :
- Tu ne risques pas d'avoir froid comme ça ?
- J'ai moins chaud avec des bottes et un jean qu'en tong et en short figure-toi. Et puis, t'as la classe ou tu ne l'as pas.
Effectivement, il était relativement compliqué d'être élégant lorsqu'on portait un short et des tongs, à moins peut-être d'être sur une plage, ce qui n'était pas le cas.
- Et puis, il fait frais le soir et je vais plus au nord, je te rappelle., ajouta-t-il pour conclure.
J'approuvai sans rien dire, et lui demandai à quelle heure était son train.
- Dix-huit heures., me répondit-il avant d'ajouter : tu me déposes à la gare ?
J'acquiesçai et consultai l'horloge du lecteur de DVD : elle indiquait dix-sept heures sept.
- On ferait bien de se dépêcher alors...
Je savais que pour aller de chez lui jusqu'à la gare, il fallait bien environ une demi-heure, en admettant que la circulation soit fluide et qu'on ne tombe pas sur tous les feux rouges, mais William n'était pas du genre à stresser de rater un train. Comme il disait toujours « au pire, je prendrai le prochain. »
Il s'attela donc à faire son sac sans trop se presser : il embarqua son ordinateur, son casque et son téléphone portable ainsi que quelques vêtements de rechange. Pendant ce temps, j'enfilai mes chaussures et attrapai mon sac à main. Moins de cinq minutes plus tard, nous étions prêts.

https://youtu.be/kKiUCa6SXdw

Je démarrai ma voiture sans attendre, et la radio s'alluma elle aussi immédiatement. Je m'apprêtai à changer de station quand William fouilla dans la boîte à gants pour trouver un de mes CD à écouter le temps du trajet. Il en négligea beaucoup que j'aurais bien aimé entendre, et nous nous mîmes finalement d'accord sur l'album Speed of Darkness, de Flogging Molly, un groupe de rock américain aux influences celtiques que j'aimais bien écouter de temps en temps, et que je n'avais d'ailleurs pas entendu depuis un bout de temps.
Quelques minutes passèrent ou seules les notes de la chanson éponyme à l'album se faisaient entendre dans l'habitacle. Je finis alors par demander, l'air de rien :
- Tu restes combien de temps chez ta mère ?
William ne répondit pas tout de suite, il sembla réfléchir, les yeux fixés dans le vide, si bien que je me demandai même s'il avait entendu ma question.
- Deux ou trois jours, je pense., finit-il par répondre enfin.
Comment ça deux ou trois jours ? Il me reproche de passer ma vie chez Léa, mais il va passer la sienne chez sa mère ! J'essayai de calmer ma colère naissante et répondit, l'air de ne pas y toucher et avec un petit sourire :
- D'accord.
Je me concentrai de nouveau sur la route, et une fois de plus seule la musique combla le silence entre nous. Je réfléchis à un sujet de conversation, quelque chose qui aurait pu amener l'idée de partir au Canada sans en avoir l'air, mais William me devança avant que je n'aie eu le temps de finir de réfléchir :
- T'as des nouvelles d'Aurélie au fait ?, me demanda-t-il le plus simplement du monde.
Quoi ?
Mon sang ne fit qu'un tour et je faillis piler sur le coup de la surprise.
Mais pourquoi est-ce qu'il me parle d'elle, bon Dieu ?
-    Aurélie ?, fis-je, l'air interrogateur.
- Oui tu sais, tu voulais qu'elle t'aide pour faire ton site, ou je ne sais plus quoi...
- Ah oui !, m'exclamai-je avec l'attitude de celle qui vient tout juste de se souvenir de quelque chose. Oui, je l'ai contactée par Facebook il y a quelques jours déjà, mais je n'ai eu aucune réponse. J'imagine qu'elle est occupée ou qu'elle a dû comprendre que j'étais ta copine... Pourquoi tu me demandes ça ?
- Comme ça, je m'intéresse c'est tout.
Je ne répondis rien et pensai qu'Aurélie était sans doute en train de pourrir au fond d'une baignoire, et dans le cas où son corps aurait été retrouvé, tout le monde penserait à un suicide, alors là-dessus, je n'avais vraiment aucun souci à me faire.
Je souris quand cette pensée traversa mon esprit et augmentai le son pour mieux apprécier la musique. Quelques minutes plus tard, nous étions arrivés à la gare, et nous ne nous étions pas adressé un mot de plus durant tout le reste du trajet.
Je me garai en double file, toutes les places de parking étant déjà prises, et activai mes warnings afin de prévenir les autres automobilistes que je ne les dérangerai qu'un bref instant. William sortit et récupéra en vitesse son sac qui était dans le coffre, avant de se pencher par la fenêtre ouverte et de me dire au revoir.
- Tu m'appelles., lui fis-je en mimant un bisou.
- Oui, je te tiens au courant., répondit il en mimant lui aussi un baiser à son tour et en m'adressant un signe de la main.
Je le regardai ensuite s'éloigner, et repris ma route.

J'avais fait demi-tour pour rentrer chez William et, une fois arrivée chez lui, je m'étais ruée sur mon téléphone portable et j'avais composé le numéro de ma meilleure amie.
Je collai mon Smartphone à mon oreille et attendis qu'elle réponde en trépignant. Deux tonalités se firent entendre avant que je n'entende sa voix.
- Léa ?, fis-je immédiatement. J'ai un problème.
- Quoi, qu'est-ce qu'il se passe ?, demanda-t-elle, l'air paniqué.
J'imaginai ce qui était en train de se passer dans sa tête à ce moment même : « quoi Cassidy, tu as encore tué quelqu'un ?! » Je ricanai doucement à l'idée que Léa puisse se dire cela, et répondis :
- William refuse de partir avec moi.
- Et alors ?
Je me braquai et fronçai les sourcils en éloignant le combiné de mon oreille comme si ses mots m'avaient agressée.
Comment ça « et alors ? » ? Alors qu'est-ce que je dois faire dans ces cas-là, bon sang ?
- Ben..., commençai-je. Je ne peux pas partir, du coup.
- Quoi ? Tu veux rire ?, répondit Léa d'une voix à moitié énervée, à moitié amusée.
- Comment ça ?, demandai-je, perplexe.
- Putain Cassidy, mais tu te barres sans lui c'est tout !
- Ce n'est pas aussi simple, j'ai acheté deux billets...
- Alors t'en revends-en, ou t'invites quelqu'un d'autre !, coupa-t-elle avant que je ne puisse finir ma phrase.
- Mais, je n'ai pas envie de partir sans lui., fis-je , plaintive.
- Ça c'était sûr..., maugréa Léa à l'autre bout du fil.
Je ne répondis pas. Quelques secondes passèrent et le silence s'installa dans la pièce. Je crus même qu'elle avait raccroché lorsque je l'entendis me demander :
- Il est où là l'autr... William ?
- Chez sa mère., répondis-je en pensant « je sais que t'allais dire l'autre abruti, Léa. »
- Hum., fit-elle simplement.
À nouveau le silence s'installa et je décidai de le briser très vite :
- Léa ?
- Oui ?
- Je peux venir passer la nuit chez toi ? Je ne me sens pas très bien, je ne sais pas ce que j'ai, je n'ai pas envie de rester toute seule...
Quelques secondes passèrent et je devinai que Léa soupirait en souriant avant de répondre :
- Bien sûr que tu peux venir chez moi. Je commence le boulot à neuf heures, demain donc il faudra juste se lever et se coucher un peu plus tôt, mais ça ne me pose pas de soucis.
- Merci.
Je raccrochai et décidai d'aller me changer et de préparer mes affaires, ainsi, je pourrais rendre à Léa les vêtements que je lui avais empruntés.
Je fis mon sac en vitesse, m'habillai avec un short taille haute couleur camel et un débardeur en coton gris au décolleté plongeant. J'accompagnai la tenue de chaussures plates, pour le confort, et aussi surtout parce que je n'avais pas envie de faire un effort vestimentaire digne de ce nom. Je crois bien que mon humeur pouvait se refléter en fonction des chaussures et des tenues que je portais.
J'attrapai mes sacs, mes clefs de voiture, claquai la porte de l'appartement, verrouillai derrière moi et partis.

J'arrivai très vite chez Léa, me garai à la place habituelle, sortis de la voiture, mes sacs sous le bras, verrouillai les portières et sonnai à la porte de son immeuble. Elle m'ouvrit sans rien dire et je montai jusqu'à l'étage où elle m'attendait déjà, la porte grande ouverte. Elle se tenait sur le palier, les bras croisés, l'air sévère.
- Bon toi, tu vas arrêter tes conneries un jour ?, dit-elle avant même que je n'aie eu le temps de finir de monter les escaliers.
- Tu me laisses arriver avant de m'engueuler, ou comment ça se passe ?, répondis-je en plaisantant doucement.
- D'accord, mais alors prépare-toi.
Elle attrapa mon sac de vêtements et alla le déposer dans la chambre avant de revenir dans l'entrée. Là, elle verrouilla sa porte à clef et je la suivis jusque dans la cuisine.
Sur la table étaient disposées deux tasses fumantes, dont une, je le savais, était un café à la noisette.
- Prends place., fit Léa un m'indiquant une chaise d'un geste de la main.
Lorsque Léa parlait de manière aussi formelle, c'était toujours le signe qu'il était temps qu'elle ait avec son interlocuteur une discussion sérieuse. Parfois, elle faisait ça avec moi pour plaisanter, mais l'heure était trop grave, et la situation trop sérieuse pour que ce fût le cas à cet instant.
Je m'assis donc sur la chaise qu'elle m'avait montrée et attrapai la tasse de café qu'elle m'avait préparée. Léa s'installa en face de moi, posa ses avant-bras sur la table, et joignit les mains en me fixant.
- Alors comme ça, tu ne veux pas partir sans William.
Je hochais la tête sans rien dire.
- Cassidy, écoute-moi attentivement, ce que je vais dire c'est pour ton bien : pars sans lui, un point c'est tout. Il s'agit de ta sécurité, je n'ai pas envie, et toi non plus j'imagine, que les flics découvrent un élément sur cette fille qui les amène à toi, même s'ils sont convaincus qu'il s'agit d'une disparition, les choses restent graves, et j'ai encore moins envie que tu finisses le restant de tes jours en prison.
- Je sais.
J'ignorais quoi dire d'autre, elle avait parfaitement raison, mais je n'étais vraiment pas décidée à laisser William aussi longtemps et à partir aussi loin de lui. Les choses seraient sans doute encore plus suspectes si j'agissais ainsi.
- Je crois qu'on n'a pas assez réfléchi avant d'agir..., ajoutai-je.
- Évidemment qu'on n'a pas réfléchi, on était dans la précipitation !, s'exclama Léa.
- On aurait dû choisir une destination plus proche et plus simple comme... Londres par exemple.
Aussitôt je regrettai mes mots.
Non, pas Londres, surtout pas Londres. Si c'était pour croiser James et son Daryl parfait au détour d'une rue, ce n'était même pas la peine.
- Un pays européen, en tout cas..., conclus-je.
Je bus une gorgée de mon café brûlant, et Léa m'imita avec sa tasse de thé.
- De toute façon tu sais très bien que William refusera de partir avec toi, quelque soit la destination que tu lui proposes., annonça Léa d'un air un peu hautain.
- Qu'est-ce que tu en sais ?, m'indignai-je légèrement.
Léa avala une gorgée de son thé avant de répondre :
- Parce que William est un crétin qui est borné sur bien des aspects en ce qui concerne le fait de voyager, et que depuis quatre ans c'est toi qui fais le couple toute seule, alors qu'un couple, jusqu'à preuve du contraire, ça se fait à deux.
- Je ne fais pas le couple toute seule, qu'est-ce que tu racontes ?, fis-je, légèrement choquée par ses propos.
- Si ! Regarde Cassidy, lui et toi vous n'avez jamais eu de réelle complicité, vous ne vous parlez pas, du moins pas des choses importantes ; il ne t'apporte rien de bénéfique, il ne te suit pas dans tes envies, il ne te soutient pas, il ne t'encourage pas et surtout, tu pourras dire le contraire si tu veux, mais ça se voit : tu ne t'épanouis pas avec lui. J'ignore encore comment vous avez pu tenir pendant quatre ans et pourquoi vous avez pris la décision de vous marier, et j'espère de tout mon cœur qu'un jour tu auras un déclic et que tu quitteras ce pauvre mec pour enfin vivre la vie que tu mérites, et être heureuse. Il ne t'arrive pas à la cheville Cassie, tu vaux tellement mieux que cet abruti.
Je ne répondis pas tout de suite, je devais d'abord digérer ce que je venais d'entendre. Léa avait toujours pensé ainsi, mais elle ne m'avait jamais exprimé les choses de manière aussi dure.
- Non, c'est lui et personne d'autre., répondis-je d'une voix faible. Si on est ensemble depuis quatre ans et qu'on est restés ensemble après tout ce temps, c'est qu'il y a bien une raison. Ce n'est pas à mon âge que je vais...
- Mais ça n'a rien à voir avec l'âge, Cassie !, coupa Léa en balançant son bras par-dessus sa tête, excédée. Il y a des tas de personnes qui rencontrent l'amour de leur vie à plus de trente ans, et toi t'en as seulement vingt-cinq, alors ne vient pas me parler d'âge !
- Presque vingt-six., bougonnai-je. Et ce n'est pas vrai quand tu dis que je ne suis pas épanouie dans mon couple, je me sens très bien...
Une fois de plus elle me coupa :
- Mais arrête ! Je le vois très bien que tu n'es pas heureuse avec lui, tout le monde le voit. Combien de fois tu m'as appelée en pleurs pour me dire que vous vous étiez engueulés ? Combien de fois j'ai dû te ramasser à la petite cuillère avant que tu retournes vers lui en courant, ou que lui revienne pour je ne sais quel prétexte en te faisant croire qu'il t'aimait plus que tout au monde ? Je n'appelle pas ça être épanouie, et ça empiète même dans ta vie de tous les jours.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Tu te souviens quand ton ami dont j'ai oublié le nom – excuse-moi – t'a annoncé qu'il partait s'installer en Australie avec sa copine et que tu as voulu les suivre ? Tu as proposé à William de tout quitter pour venir avec toi ; à l'époque il venait à peine de commencer son master et il aurait très bien pu le suivre en Australie également, ça a aurait même été un avantage considérable pour lui, ou au pire il aurait pris une année sabbatique, mais non, Monsieur a préféré faire son casanier hyper étroit d'esprit et il t'a balancé des choses stupides comme quoi c'était trop compliqué ou je ne sais plus quoi... T'as passé des semaines à déprimer et à regretter ta décision ! Regarde-le : il ne vit qu'à moitié, dans son petit confort de fils à maman sans jamais oser ne rien faire et toi tu le suis, alors que ta vraie personnalité, Cassidy, ce n'est pas ça.
Je laissai passer un silence avant d'enchaîner doucement :
- Mais peut-être que j'ai envie de vivre comme ça, maintenant, peut-être que je me suis calmée...
- Tu t'es calmée ?! Mais tu déconnes là ? Bordel, Cassidy, ça a toujours été ton rêve de voyager partout dans le monde, d'accomplir de grandes choses et d'être une styliste de renommée mondiale, et depuis que t'es avec lui tu t'es éteinte de plus en plus ! Regarde ce que t'es devenue, regarde ce qu'il a fait de toi...
- Ce n'est pas aussi simple, Léa, c'est facile pour toi qui es célibataire, mais parfois – même souvent – dans un couple, on est obligé de faire des concessions. William n'a pas encore fini ses études, quand ce sera le cas, on pourra peut-être partir voyager ou même s'installer dans un autre pays ; et il me soutient, malgré ce que t'as l'air de dire...
- Ah oui ? Quand ?, s'indigna Léa. Quand est-ce qu'il t'a vraiment soutenue une seule fois en quatre ans ? Même pendant le décès de tes parents il n'était pas là pour te soutenir, il n'est même pas venu à l'enterrement !
- Il était en pleine période d'examens...
- Un samedi ?
- Ce n'est pas aussi simple, Léa...
- Si, c'est simple ! C'est très simple : William ne t'apporte absolument rien du tout, et il ne t'apportera jamais rien de bénéfique. Tu vas mourir de l'intérieur si tu restes avec lui.
Je ne répondis pas, estimant que le débat était clos. Mon café avait refroidi et était imbuvable, j'en avais à peine bu quelques gorgées. Le thé de Léa devait être dans le même état, elle n'y avait presque pas touché non plus. Elle me proposa qu'on les passe au microonde et j'approuvai d'un air fermé. Pendant que nos tasses réchauffaient, Léa me dit :
- Promets-moi que tu vas réfléchir.
- Réfléchir à quoi ?
- Au fait de partir sans lui. Et de le quitter, éventuellement...
- Je ne peux pas le quitter comme ça..., soupirai-je.
- Si, tu peux !
La sonnerie du microonde retentit et j'annonçai à Léa que oui, j'allais réfléchir, mais c'était surtout pour lui faire plaisir et pour qu'elle me fiche la paix.
Elle me tendit mon café, attrapa son thé, referma la porte du microonde et nous partîmes nous installer dans le salon afin de décompresser de notre houleuse discussion en regardant la télé.

Nous avions regardé un film, un Disney plus précisément, et Léa avait préparé une salade pleine de légumes et pleine de couleurs avec une sauce à la cacahuète délicieuse que nous avions dégustée devant la télé.
Elle m'avait proposé de rester autant de temps chez elle que William resterait chez sa mère, et j'avais accepté. Il était inutile que je reste seule à me morfondre chez moi ou chez William, et je voulais profiter du temps passé avec ma meilleure amie, même si elle se montrait parfois dure et froide dans ses propos. Je savais bien qu'elle essayait simplement de me faire réagir, mais j'étais convaincue qu'elle avait tort. William ne pouvait pas être quelqu'un d'aussi méchant que ce qu'elle pensait, et je ne méritais pas mieux que lui.
Nous étions allées nous coucher relativement tôt, aux alentours de vingt-deux heures trente, et j'avais à peine fermé l'œil de la nuit, si bien que je devais avoir dormi trois heures, à tout casser. Je n'avais pas cessé de réfléchir, de cogiter sans cesse sur ce qui était bon ou pas pour William et moi, ce que je devais faire ou ce que j'aurais dû faire ou ne pas faire... J'avais l'impression que je remettais en question les quatre dernières années, et plus particulièrement les trois derniers mois.
Je me tournai et fixai le réveil qui était posé sur la table nuit de Léa : il indiquait six heures cinquante-neuf.
Moins de trente secondes plus tard, il sonna. Je l'arrêtai aussitôt, soucieuse de protéger mes tympans du bruit immonde qu'il émettait, et me tournai en direction du lit de mon amie.
Il était vide, elle avait dû faire une insomnie et se lever, comme c'était souvent le cas.
Ne pouvant plus dormir malgré la fatigue que je ressentais, je décidai donc de m'extirper du lit à mon tour. J'enfilai des chaussons, un peignoir en soie appartenant à Léa, et la rejoignis dans le salon.
- Oh, t'es levée ?, fit-elle en me voyant. Tu n'étais pas obligée, tu peux aller te rendormir si tu veux. En plus je n'ai rien préparé pour le petit-déjeuner, mais je dois avoir des céréales et de la confiture...
- T'inquiète, je n'arrivais plus à dormir., répondis-je en m'étirant. Tu veux que j'aille chercher les cafés et les croissants ?
À proximité de chez Léa, dans le quartier et accessible en à peine quelques minutes en voiture, se trouvait un café fort sympathique qui proposait des boissons chaudes comme froides, et des viennoiseries à emporter. Léa et moi prenions parfois notre petit-déjeuner dans ce café, et nous y commandions toujours un chaï latte. C'était le seul thé que je supportais, sans doute à cause de la présence de lait, ou du goût assez prononcé des épices dont je raffolais.
- Tu es sûre, ça ne te dérange pas ?
Je la regardai : elle était encore vêtue de son pyjama en pilou et ses longs cheveux soyeux étaient complètement ébouriffés. Je souris.
- Non., fis-je en secouant la tête. Je m'habille vite fait et j'y vais, ça prendra dix minutes, grand max.
- D'accord.
Léa me fit un grand sourire et je partis me préparer.

Je m'étais habillée en vitesse, n'avais pas pris la peine de me maquiller, et m'étais coiffée négligemment. De toute façon, vu ma longueur de cheveux, je ne pouvais pas faire grand-chose avec, et cela m'étonnerait que je croise beaucoup de monde à cette heure de la matinée en plein mois d'Août.
J'avais pris ma voiture et étais arrivée devant le café en à peine cinq minutes. Je me garai sur les places disposées juste devant – toutes étaient libres – sortis en vitesse de mon véhicule, et entrai dans le bistrot.
Il était vide, à l'exception d'une jeune serveuse qui venait visiblement d'ouvrir sa caisse et de nettoyer le comptoir. Elle sembla légèrement surprise de me voir arriver, car sa fine bouche rose se déforma dans un léger « o » avant qu'elle me demande :
- Bonjour. Qu'est-ce que je vous sers ?
- Bonjour., répondis-je avant de faire mine de réfléchir et d'ajouter : deux chaï latte au lait de soja, format maxi, s'il vous plaît. Et avec...
Je regardai les pâtisseries proposées en vitrine. Elles avaient l'air toutes tellement appétissantes que le choix était difficile... Je me décidai finalement sur un muffin à la myrtille pour Léa, un éclair au café pour moi, et précisai que le tout serait à emporter.
Elle prépara alors les deux thés, emballa les pâtisseries dans une boîte en carton et m'annonça la somme à régler avant de me tendre les deux gobelets de chaï qui étaient soutenus par un emballage lui aussi en carton.
Je payai, remerciai la demoiselle en lui souhaitant une bonne journée, et me débrouillai comme je pus pour sortir avec les thés dans une main et la boîte de pâtisseries dans l'autre.
Une fois arrivée à ma voiture, j'eus besoin de mes deux mains – ou d'au moins une de libre – afin de pouvoir fouiller dans mon sac pour trouver mes clefs. Je posai donc les chaï sur le toit de ma Citroën et glissai la boîte en carton sous mon bras afin d'avoir plus de facilité.
C'est là que je les vis.
Je ne l'avais pas remarqué tout de suite, car le quartier était très calme et habituellement désert, mais maintenant je pouvais observer distinctement : quelques places plus loin était garée une voiture de patrouille, et les deux policiers qui devaient se trouver à l'intérieur s'avançaient dans ma direction.
Je fis mine de ne pas les voir et de chercher calmement mes clefs dans mon sac, mais ils se rapprochaient de plus en plus et j'entendis finalement l'un des deux me demander, une fois arrivé à ma hauteur :
- Cassidy Darsen ?
- Oui ?, répondis-je en fronçant les sourcils et sans réfléchir.
- Vous êtes en état d'arrestation.

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