Règle numéro vingt : mentir et tromper sont des choix délibérés.
- Ça va Cassidy ?, demanda Freddie face à mon air déconfit.
Je tentai de reprendre un air normal en acquiesçant d'un hochement de tête et en déviant mon regard de cette fille. Si je ne la regardais pas, peut-être qu'elle passerait son chemin. Et si ça se trouve, je m'étais trompée, c'était peut-être simplement une fille qui lui ressemblait...
Non, impossible, elle avait un visage assez atypique et reconnaissable entre mille. En tout cas, moi, il m'avait marquée.
Je fixai Freddie quand j'entendis un « salut » prononcé par une voix féminine claire, assurée, et aux intonations assez graves. J'entendis Freddie répondre un « hey » plein d'entrain et me retournai.
Il était en train de faire la bise à cette fille.
Et merde.
De près, elle avait l'air encore plus belle. Elle portait un jean slim noir, un peu destroy, un t-shirt près du corps à l'effigie d'Escape the Fate, et une veste en cuir - du faux cuir, je crois - avec des clous. C'était un style que j'adorais sans jamais avoir osé le porter. Trop extravagant à mon goût, il allait très bien sur les autres, mais pas sur moi, à mon avis.
À côté d'elle se trouvait un homme plutôt séduisant, l'air assez froid, une petite trentaine à tout casser, brun, les yeux gris clair, le visage parfaitement taillé en losange... Il devait faire entre un mètre soixante-quinze et un mètre quatre-vingts, car il n'était pas beaucoup plus grand qu'elle, et je crois bien qu'elle faisait ma taille sans talons. Il portait une simple chemise bleu pâle aux manches retroussées sur ses avant-bras, une montre en argent au poignet droit, et un jean brut avec une ceinture en cuir brun. C'était très simple, mais la façon dont il avait de les porter et de se tenir dégageait de lui une telle classe et une telle élégance qu'il donnait l'impression de sortir tout droit d'un magazine de mode. Est-ce que c'était lui, James ? Et dans ce cas, ça voulait dire qu'il connaissait cette fille... Le hasard faisait décidément mal les choses.
Freddie fit ensuite la bise au jeune homme, et la fille vint se placer juste en face de moi.
- Cassidy c'est ça ?, fit-elle avec un grand sourire qui dévoila ses dents blanches parfaitement alignées. Enchantée, je suis James.
Quoi ?
Elle me fit spontanément la bise, je ne bougeai pas d'un pouce et, devant mon air qui devait être abasourdi, elle s'empressa d'ajouter :
- Oui je sais, ça surprend au début, mais je t'assure que James, c'est un prénom mixte. Et j'ai toujours été une fille si c'est ça que tu te demandes. Tout le monde pense que c'est un prénom exclusivement masculin à cause de James Bond, mais je te jure qu'aux États-Unis et en Angleterre, c'est courant d'appeler sa fille comme ça. Et comme ma mère est américaine...
- Ça explique l'accent..., répondis-je sans laisser paraître la moindre émotion.
- Ah ça ? Non ça, c'est à cause de lui., dit-elle en désignant Monsieur la classe incarnée d'un geste de la main. Il est anglais, et on habite à Londres, alors à force de le fréquenter et d'être baignée dans la langue, j'ai fini par chopper l'accent. Je ne l'avais pas avant, j'ai toujours grandi en France.
- Vous habitez à Londres ?, demandai-je étonnée.
- Oui., affirma-t-elle avec un grand sourire. On est de passage dans la région pour les vacances et on en profite - enfin, j'en profite surtout - pour passer voir de vieux amis. C'est pratique avec l'Eurostar.
Elle sourit à nouveau et continua :
- Et comme on est tombés sur William totalement par hasard la dernière fois, on s'est dit que c'était l'occasion de faire une sortie.
Je me tournai alors vers Will, qui n'avait pas prononcé un mot depuis le début de la conversation.
- Alors, ta vieille connaissance..., commençai-je. C'était elle ?
Il eut un petit sourire moqueur en répondant :
- Oui.
- Mais, t'aurais pu me le dire !, m'indignai-je.
- Non, je voulais trop voir ta réaction ! s'exclama-t-il en rigolant.
Visiblement, elle avait dû être à la hauteur de ses attentes... James lança un regard à William avant de lui dire :
- Ça ne m'étonne pas de toi...
Elle se tourna ensuite vers moi et ajouta :
- J'en jouais beaucoup il y a quelques années, j'avais un style assez masculin et les cheveux coupés très courts, alors les gens ne savaient plus trop où se mettre quand je leur disais mon prénom. Ça me faisait rire. Viens, je vais te présenter Daryl.
Elle me prit alors à l'écart et m'emmena quelques pas plus loin, là où Freddie et Daryl, je suppose, s'étaient éloignés pour discuter.
- Darling ?, dit-elle à l'homme à la chemise bleue qui s'arrêta instantanément de discuter pour tourner la tête vers elle. Je te présente Cassidy, la fiancée de William.
La fiancée de William. C'était la première fois que quelqu'un me désignait comme telle depuis l'annulation du mariage, et cela me fit tellement plaisir que j'eus soudain l'impression que mon cœur avait absorbé toute la joie et le bonheur du monde.
- Enchanté Cassidy., prononça Daryl avec un fort accent britannique. C'est un plaisir de faire ta connaissance.
Il me prit alors délicatement la main gauche, et y déposa un léger baiser. Je sentis mes joues rosir presque malgré moi. Ceci expliquait cela : la classe et l'élégance, ça provenait de ses origines anglaises.
- Enchantée., répondis-je en essayant de paraître la plus neutre possible.
James se plaça à côté de lui et me dit avec un sourire :
- Ne t'en fais pas, il salue tout le monde comme ça, question d'éducation. C'est vrai que ce n'est pas commun.
Elle le regarda alors d'un air qui traduisit tout son amour et son admiration.
- Et donc, vous êtes..., commençai-je afin de confirmer la théorie qui s'insinuait dans mon esprit.
- Daryl est mon mari., affirma James. Enfin, on n'est pas mariés officiellement, mais c'est tout comme, c'est comme ça qu'on parle l'un de l'autre quand on se présente à des gens. Lui dit de moi que je suis sa femme et je dis de lui qu'il est mon mari.
Elle lui sourit à nouveau et passa un bras autour de sa taille. Il fit de même et l'attira à lui en la contemplant à son tour d'un air calme et chaleureux. Lui qui m'avait paru si froid aux premiers abords la regardait maintenant avec une telle douceur que cela me déconcerta presque. Dans ses yeux, on pouvait lire les pensées qui raisonnaient si fort à l'intérieur de sa tête : « je t'aime, tu es la femme de ma vie, jamais personne ne comptera plus que toi tu comptes pour moi. »
De toute mon existence, je crois bien que je n'avais jamais vu un couple aussi amoureux que ces deux-là. Ils n'avaient pas cet air niais et abruti qu'ont parfois les jeunes couples transis d'amour l'un envers l'autre, non, mais on pouvait lire dans leurs regards respectifs tout le soutien, l'aide, la protection et le respect qu'ils se portaient mutuellement. Daryl observait James comme si elle avait été la seule femme existant au monde, et je crois bien que William ne m'avait jamais regardée de la sorte.
J'étais quelque peu soulagée de savoir que James était en couple, et visiblement très amoureuse de son mari, comme elle aimait l'appeler, mais j'avais besoin d'en savoir plus.
Ils desserrèrent leur étreinte et Daryl serra la main de Will de façon très formelle.
Était-il au courant pour James et William ? D'ailleurs, est-ce que ces deux-là avaient vraiment eu une relation, ou bien est-ce que William avait juste été - était encore, peut-être - amoureux d'elle ?
- On y va ?, demanda Will, me tirant de mes pensées. Ce n'est pas que le film va commencer dans cinq minutes, mais bon...
- On s'en fiche, on a les places., répondit James en attrapant le bras de Daryl.
- Oui, mais moi je veux voir les bandes-annonces., protesta William en s'éloignant, les places à la main, pour monter les escaliers qui menaient aux salles et au contrôle des tickets.
Je le rejoignis en trottinant, impatiente de lui poser les questions qui me brûlaient tant les lèvres.
- Vous aviez quel genre de relation ?, demandai-je sur ton que je voulais le moins suspicieux possible.
Je ne pouvais pas dire à William que je connaissais cette fille, que j'avais vu les photos dans son ordinateur, et je ne pouvais surtout pas lui demander pourquoi il les avait encore...
- On était très proches., répondit-il d'un air évasif.
Très proches, ah oui ? Proches comment ? Ils avaient été en couple ? Est-ce qu'il avait couché avec elle, avant ou après avoir pris les photos ? Je savais que Will avait eu l'habitude de faire de la photographie dans le cadre de ses études de journalisme, c'était peut-être juste pour un reportage alors... Ou peut-être que James était modèle, elle avait définitivement le corps et le visage pour...
Je crois bien que mes questions devraient attendre encore, car nous arrivâmes devant l'agent qui contrôlait l'entrée aux salles. Il contrôla l'intérieur de nos sacs, valida nos cinq places, et nous annonça :
- La salle six, juste sur votre gauche. Bonne séance.
Nous le remerciâmes en nous dirigeant à l'endroit qu'il nous avait indiqué.
Daryl ouvrit la grande porte battante et la maintint le temps que tout le monde se soit engouffré à l'intérieur. Décidément, c'était un vrai gentleman.
Je marchai à côté de William et glissai doucement ma main dans la sienne. La salle était obscure, mais quelques lumières étaient restées allumées, et les bandes-annonces avaient déjà commencé.
- C'est quelle rangée ?, claironna Freddie d'une voix enjouée.
- Rangée F, sièges dix, onze, douze, treize et quatorze., annonça William en regardant les places.
Pile au milieu, comme l'avait demandé Freddie.
Nous montâmes les marches jusqu'à la rangée F, et j'observai en même temps les sièges qui étaient déjà occupés. Il n'y avait vraiment pas grand monde : un groupe d'adolescents dans le fond, un couple juste devant l'écran, et un jeune homme tout seul, un peu à l'écart, trois rangées derrière nous. Soit ce film n'attirait pas beaucoup de monde, soit les spectateurs n'étaient pas encore tous arrivés.
- Je veux être à côté de Daryl., annonça Freddie. Comme ça je pourrais lui faire la conversation.
- Pendant le film ?, demandai-je en haussant les sourcils.
- Ben oui.
Freddie était très expressif quand il regardait un film. Il avait l'habitude de tout commenter et de réagir à la moindre émotion. Pauvre Daryl, je le plaignais d'avance.
Fred s'assit donc sur le siège quatorze, suivi de Daryl. James s'installa à côté de lui, et William s'affala spontanément dans le siège à côté de James.
Je voulus protester, mais je ne voulais pas risquer de déclencher une scène, ici et maintenant.
Alors je m'assis simplement à côté de Will en essayant de contrôler mon inquiétude qui était sans doute injustifiée. Il ne pouvait pas tenter quoi que ce soit avec elle, même si la salle allait être plongée dans le noir, je pourrais le voir, et les autres aussi. Je me radoucis donc un petit peu en posant mon gilet et ma pochette sur le siège vide à côté de moi. James ôta sa veste et marmonna quelque chose en anglais à Daryl, je ne compris pas tout, mais j'en déduisis qu'il s'agissait de banalités.
J'allai concentrer mon regard sur l'écran quand Freddie prononça :
- On a oublié les popcorns, les gars.
Rien que le mot popcorn me donna l'envie d'en manger. Je me penchai vers lui en lui demandant :
- Tu veux aller en acheter ?
Il hocha vigoureusement la tête et se leva. Je l'imitai après avoir sorti un billet de mon portefeuille. William nous lança un « grouillez-vous quand même », et Freddie enjamba les autres pour me rejoindre. Je consultai ma montre : il était vingt heures quinze, le film ne commencerait pas avant un bon quart d'heure.
Après avoir descendu les escaliers et être sortis de la salle, nous nous dirigeâmes vers la boutique de confiserie se trouvant juste à l'entrée, derrière l'endroit où était posté l'agent.
J'en profitai pour poser une question intéressée à Freddie :
- Alors, James, tu la connais depuis longtemps ?
- Un peu plus de quatre ans, je crois. Je ne la fréquentais pas plus que ça, mais je l'ai vue plusieurs fois, et puis un jour, Will et elle se sont séparés alors...
Je me stoppai net. Donc, c'était bien ce que je croyais.
- William et elle ont été ensemble ?
Freddie se retourna vers moi et fronça les sourcils.
- Ben oui, enfin pas longtemps, mais... Je croyais que William t'en avait parlé.
- Jamais., assurai-je en hochant négativement la tête.
- Ah bon. Il a dû oublier, t'inquiète.
Oublier quoi ? Oublier de m'en parler ou l'oublier elle ? Vu le dossier que j'avais trouvé dans son ordinateur, c'était sans doute loin d'être le cas.
Freddie ouvrit la porte de la vitrine dans laquelle étaient stockés les popcorns. Il prit deux maxi-packs et me demanda si j'estimais qu'on aurait assez avec ça. J'acquiesçai d'un signe de tête : deux litres suffiraient amplement.
Il me tendit un paquet avec un grand sourire, referma la vitre, et nous allâmes payer avant de rejoindre la salle six.
Freddie m'ouvrit la porte, j'avançai jusqu'aux marches et cherchai immédiatement Will et les autres du regard. L'intégralité des lumières de la salle était allumée, il n'y avait plus rien qui passait à l'écran, hormis des pubs sans le moindre intérêt. William, James et Daryl étaient en train de discuter, tous les trois, le plus naturellement du monde. Pas de sourire ou de regard notable, et le langage de leur corps ne traduisait rien de bien particulier.
Quoique. William était légèrement penché vers elle, un peu trop à mon goût, mais ça ne semblait pas la préoccuper plus que ça. Elle parlait avec les mains, Daryl était tourné dans la direction de William et hochait la tête de temps en temps, le regard plongé dans ses yeux, tout en ayant une main posée sur l'accoudoir qui le séparait de James.
Je rejoignis la rangée l'air de rien, et constatai que Will discutait davantage avec Daryl qu'avec James. Je n'entendis pas ce qu'ils étaient en train de se dire, car ils s'arrêtèrent immédiatement en nous voyant arriver.
- On a pris le plus grand format., annonça fièrement Freddie.
Il laissa ensuite tomber le paquet qu'il tenait dans la main sur les genoux de James en lui disant :
- Tiens, toi tu prends ça, comme t'es au milieu, t'es commis de popcorn.
Elle rigola et haussa les épaules en lâchant un « OK », et en attrapant le carton à deux mains pour le maintenir bien droit et en équilibre sur ses cuisses. William plongea instantanément sa main dedans et saisit une grosse poignée des friandises.
- À ce rythme-là, on aura fini le paquet avant que le film commence..., fit remarquer Freddie. Will, pioche dans les popcorn de Cassie, tu veux.
Je posai alors le sachet que je tenais en main sur l'accoudoir entre nous deux, et William répondit à Freddie en plaisantant :
- Tu parles, c'est Cassie qui va finir tout son paquet avant que le film commence !
Fred éclata de rire, suivi de William, et James et Daryl sourirent spontanément en les entendant rigoler. Je balançai un popcorn au visage de Fred en disant d'un ton amusé :
- Arrêtez de me faire passer pour une morfale, vous deux !
Il ramassa le morceau de popcorn que je lui avais balancé et me l'envoya à son tour au visage.
- Alors arrête d'être un aspirateur à bouffe., se moqua-t-il.
William rigola encore et tourna la tête vers moi.
- Attends..., fit-il en approchant sa main de mon visage. Il est dans tes cheveux...
Il retira le morceau de maïs soufflé caramélisé de mes cheveux, et l'envoya valser par terre. Je me penchai vers Freddie.
- Bien joué !, dis-je en pointant un doigt vers lui. Mais j'aurais ma revanche.
- Bah compte là-dessus., me répondit-il d'un air désinvolte avant de s'enfoncer dans son siège.
William me conseilla alors de poser notre paquet par terre, et de le confier à James une fois que le premier paquet serait fini. J'approuvai et le posai au sol, juste à côté de mon siège. Je mis ensuite mon bras sur l'accoudoir désormais libre, et me collai le plus possible contre William.
Les lumières s'éteignirent d'un seul coup, et la salle fut alors plongée dans le noir total. Tout le monde cessa immédiatement de parler et de s'agiter. L'écran s'alluma, je concentrai mes yeux dessus, à l'instar de Freddie, Daryl, James et William. Le film allait commencer.
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